m i s e a u p o i n t Prendre en charge un diabétique coronarien en 2003 : dépasser nos réticences ■ P. Henry*, R. Fressonnet* ... Points forts ... ■ Le cardiologue porte souvent un regard négatif sur le diabétique de type 2. ■ Les objectifs de prise en charge paraissent souvent impossibles à atteindre. ■ La compréhension du vécu du patient est un élément clé de la prise en charge des diabétiques de type 2. ■ Ce n’est qu’en intégrant la dimension “maladie chronique” que le cardiologue pourra optimiser la prise en charge de ce type de patients. epuis l’apparition des stents recouverts par des agents pharmacologiquement actifs et de nouveaux agents diabétiques oraux, la vision du diabétique coronarien va-t-elle changer à l’aube de l’année 2004 ? Indéniablement, oui, pourrait-on penser de prime abord. Malheureusement, probablement non, car les diabétiques coronariens ne sont pas des coronariens comme les autres. En effet, le diabète, et surtout le diabète de type 2, est beaucoup plus qu’un facteur de risque. Il s’agit d’une maladie à part entière, maladie chronique et complexe aussi bien pour le médecin que pour le patient, qui nécessite pour une meilleure prise en charge beaucoup plus que de la pharmacologie. D LA VISION DU DIABÉTIQUE PAR LE CARDIOLOGUE * Service de cardiologie, hôpital Lariboisière, Paris. La vision souvent négative qu’ont les cardiologues du diabétique est liée à une incompréhension mutuelle entre le médecin et son patient. Voici la vision la plus fréquente du cardiologue : Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. I - n° 1 - octobre-novembre-décembre 2003 le diabétique est un “faible”, qui n’arrive pas à se prendre en charge, notamment en ce qui concerne l’hygiène diététique, la perte de poids et l’activité physique. C’est un patient complexe car, outre le diabète, il présente souvent d’autres pathologies, en particulier, les autres marqueurs du syndrome d’insulino-résistance tels qu’ils sont développés dans l’article de M. Farnier. Le cardiologue doit gérer des objectifs tensionnels très stricts (< 140/80 mmHg), des objectifs de dyslipidémie (LDL < 1 g/l, triglycérides aussi bas que possible et HDL-cholestérol aussi élevé que possible), aider le patient à maigrir, à respecter son régime, éventuellement à arrêter de fumer, suivre l’artériopathie des membres inférieurs et aller à la recherche de l’ischémie silencieuse coronaire (épreuve d’effort ou scintigraphie régulière). Enfin, le cardiologue se sent souvent démuni pour gérer l’équilibre (ou le déséquilibre) glycémique de son patient. Pourtant, il est possible d’atteindre ces objectifs et cela a été démontré scientifiquement. Mais, pour y arriver, la prise en charge du diabétique par le cardiologue doit dépasser la pharmacolo- 31 m i s e a u gie et intégrer la compréhension du diabète en tant que maladie chronique et, surtout, le vécu du patient. LE RESSENTI DU DIABÉTIQUE Pourquoi suis-je devenu diabétique ? Le patient diabétique, tout d’abord, ne comprend pas la maladie dont il souffre. Il est devenu gros progressivement, certes, parce qu’il mange probablement trop et qu’il n’a pas d’activité physique. Toutefois, il est maintenant bien établi que l’augmentation exponentielle de l’incidence du diabète de type 2 n’est pas uniquement liée à une dérive des habitudes hygiéno-diététiques. Il a, par exemple, été très bien démontré qu’au fil des siècles, les famines qui intervenaient régulièrement au cours des guerres ont sélectionné une population présentant un phénotype “épargneur”, c’est-à-dire un homme ou une femme capable de faire des réserves en dehors des périodes de famine pour pouvoir les utiliser le moment venu. Les périodes de famine ayant maintenant quasiment disparu dans les pays industrialisés, les épargneurs n’en finissent plus d’épargner, jusqu’à devenir obèses. C’est aussi pour cette raison que l’incidence du diabète de type 2 augmente. De plus, les habitudes alimentaires remontent parfois à des croyances ancestrales. Toujours dans une optique de famine future, rappelons-nous nos grandmères qui considéraient qu’un enfant en bonne santé était un enfant plutôt pléthorique. Les croyances ont changé, mais pas depuis si longtemps. Enfin, il y a la grande injustice de la nature. Les gros n’arrivent pas à maigrir, mais avez-vous déjà essayé de faire grossir quelqu’un qui, pendant 40 ans de sa vie, a toujours été maigre ? Pourquoi le diabète est-il dangereux ? La notion de danger est depuis notre enfance assimilée à la notion de douleur. Le diabète est une maladie silencieuse et même terriblement silencieuse. D’installation progressive, souvent de découverte fortuite, elle devient terriblement déroutante quand le patient découvre qu’il a fait un infarctus sans ressentir aucune douleur ou qu’il a un mal perforant plantaire parce qu’il a 32 p o i n t marché pendant une journée avec un petit caillou dans sa chaussure sans s’en rendre compte, car la neuropathie peut être précoce. Le diabétique a beaucoup de mal à comprendre qu’une maladie strictement asymptomatique puisse être aussi grave. Le diabétique ne saisit pas pourquoi de simples problèmes d’alimentation et d’exercice physique peuvent conduire à l’infarctus, l’amputation, la dialyse, l’impuissance. Le patient a l’intuition qu’il s’agit probablement d’un problème beaucoup plus complexe que sa simple alimentation... et il a raison. Le diabète est une maladie chronique dont on ne guérit pas La culture des médecins est fondée sur un modèle de maladie aiguë : vous avez une angine, après 8 jours d’antibiotiques, l’angine a disparu. Le diabète, c’est tout autre chose. Le diabète de type 2 évolue inexorablement en s’aggravant. L’augmentation de l’insulinorésistance mais également, et surtout, l’épuisement progressif de la sécrétion insulinique, de plus en plus mis en avant actuellement, font que la maladie diabétique empire inexorablement avec le temps. L’inévitable augmentation du taux d’HbA1C dans l’étude UKPDS en fournit une démonstration flagrante (figure 1). Même si le diabétique accepte les fondements de sa maladie et respecte à la lettre les consignes de son médecin, il se rend vite compte que, malgré tous ses efforts, le traitement ne cesse de s’intensifier et qu’après les comprimés arrivent les injections. Tout cela n’est pas très motivant. QUELLES VOIES D’AMÉLIORATION ? Le diabète n’est pas un facteur de risque mais une maladie à part entière La première voie d’amélioration vient sans doute du médecin lui-même. Le premier message, probablement le plus important, à faire passer au patient diabétique de type 2 consiste à lui expliquer que le diabète est une vraie maladie dont il est en partie responsable mais qui a des origines beaucoup plus complexes, notamment génétiques. Et c’est souvent en allant puiser dans la famille que l’on peut justifier une telle origine. Une mère et une grand-mère diabé- Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. I - n° 1 - octobre-novembre-décembre 2003 HbA1C (%) 9 Conventionnel 8 Intensif 7 6,2 % limite supérieure normale 6 0 0 3 6 9 12 15 Années suivant la randomisation Figure 1. Évolution du taux d’HbA1C dans les deux groupes de traitement (conventionnel et intensif) dans les 15 ans suivant la randomisation dans l’étude UKPDS (adapté de UKPDS 49. JAMA 1999). tiques sont des arguments forts pour déculpabiliser le patient et lui faire comprendre qu’il est face à une vraie maladie, qui n’a pas seulement une part environnementale. L’éducation alimentaire et l’exercice physique sont là pour optimiser la prise en charge et limiter la part environnementale de sa maladie. Faire évoluer sa relation avec le patient Tout comme le diabétique doit accepter sa maladie, le soignant doit accepter que le diabétique ait un vécu psychologique personnel de sa maladie. Il ne faut pas assimiler quotient intellectuel et non-acceptation du diabète. Il est fondamental de comprendre que le degré d'acceptation de la maladie modifie les capacités d'apprendre et d'appliquer ce qui a été appris. Il faut savoir comprendre et accepter le déni ou la révolte qu’un diabétique exprime face à sa maladie. Le soignant doit comprendre que c’est le patient qui, tous les jours, devra gérer sa maladie. Il n’existe pas de week-end, de pont ou de vacances pour le diabétique. Et le médecin ne peut pas toujours être présent. Le soignant doit donc évoluer d’une relation mère-enfant, adaptée aux maladies aiguës vers une relation adulte-adulte, beaucoup plus adaptée à la maladie Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. I - n° 1 - octobre-novembre-décembre 2003 chronique. Une telle relation est beaucoup plus consommatrice de temps, mais également moins valorisante pour le médecin : le “Il faut...”, “Vous devez...” doit évoluer en “Il faudrait...”, “Vous pourriez peut-être...” et “Que penseriez-vous de...” Il ne faut pas vouloir, à la manière d’une maladie aiguë, tout régler à la fois : l’équilibre glycémique, les habitudes alimentaires, l’activité physique, la perte de poids, l’hypertension, etc. À chaque consultation, il s’agit de faire comprendre au patient qui a atteint l’objectif de la précédente consultation qu’il va falloir en ajouter un nouveau : “Vous avez perdu 5 kg, bravo, mais les chiffres tensionnels sont encore trop élevés, il faudrait ajouter un autre antihypertenseur…” S’intéresser à la maladie diabétique De plus en plus, les diabétiques de type 2 seront gérés par les cardiologues : – car ce sont des patients à haut risque de complication vasculaire ; – car les diabétologues sont et seront de plus en plus débordés. Le cardiologue se doit de justifier que c’est bien le diabète qui est le problème central de son patient (même s’il le voit pour améliorer l’équilibre de l’hypertension artérielle qui fait le plus souvent partie intégrante du diabète de type 2, ou pour faire le bilan de l’artériopathie des membres inférieurs). Justifier que le diabète est au centre de la pathologie du patient, c’est aussi s’intéresser au résultat de la dernière HbA1C et la prescrire si le dernier dosage remonte à plus de trois mois. C’est aussi regarder le carnet d’autosurveillance du patient et le commenter avec lui. L’attitude qui consiste à dire : “Le carnet d’autosurveillance, c’est l’affaire du diabétologue” ne conduit pas le patient à prendre conscience que son problème central est le diabète. C’est aussi inciter le patients à aller voir (ou revoir) son diabétologue si l’équilibre glycémique n’est pas correct. C’est enfin, dans un futur proche, augmenter ou changer un traitement antidiabétique insuffisant. Il paraît maintenant bien acquis que, dans les années qui viennent, le cardiologue devra participer à la prescription et à la modification des antidiabétiques oraux et des doses d’insuline. 33 m i s e a u LES STENTS PHARMACOLOGIQUEMENT ACTIFS, LES NOUVEAUX ANTIDIABÉTIQUES ORAUX RÉSOUDRONT-ILS TOUS LES PROBLÈMES DES DIABÉTIQUES ? Étude HOT - diabétiques 1 501 diabétiques - suivi 3,8 ans Mortalité cardiovasculaire 1 000 années-patients 20 - 66 % 15 10 5 0 < 90 mmHg < 85 mmHg < 80 mmHg PAD cible Figure 2. Mortalité cardiovasculaire dans l’étude HOT en fonction de l’objectif de pression artérielle diastolique à obtenir (PAD cible) (adapté de Hansson et al. Lancet 1998). MAIS POURQUOI FAIRE TOUT ÇA ? Tous les essais, du plus petit au plus grand, démontrent que plus la prise en charge du diabétique est agressive (sur le plan des objectifs), plus son espérance de vie est grande. Et cette “agressivité” thérapeutique ne doit pas être théorique. Par exemple, concernant les chiffres tensionnels, l’étude HOT a bien démontré que plus le médecin se fixait un objectif tensionnel bas, même s’il ne l’atteignait pas (et en fait il l’atteignait rarement), plus la mortalité et les événements cardiovasculaires étaient réduits (figure 2). Il faut donc garder à l’esprit que c’est aussi le (ou les) objectif(s) que se fixent les médecins qui permettent aux patients d’être mieux pris en charge. Baisser les bras, se dire : “Ce n’est pas si mal et ça sera difficile de faire mieux”, c’est aller à l’encontre de tous les résultats des essais cliniques. 34 p o i n t Les stents phamacologiquement actifs sont un bon exemple de la complexité de la prise en charge des patients diabétiques. La première étude concernant ces stents laissait supposer que grâce à eux le phénomène de resténose appartiendrait au passé. Nous savons maintenant que ce type de stent, même s’il diminue de façon considérable le risque de resténose chez les patients diabétiques, ne le supprime pas totalement. En effet, l’étude SIRIUS montre que le diabète reste un facteur de risque de resténose même avec l’utilisation des stents coatés et que l’association lésion longue, petit diamètre artériel et diabète conduit à un risque de resténose binaire de l’ordre de 17 %. Or, beaucoup de diabétiques ont des lésions longues sur des artères de petit diamètre. Mais plus loin que le strict problème de la resténose, le “combat” qui existe entre angioplastie et pontage risque de perdurer, y compris à l’ère des stents coatés. En effet, nous savons que l’évolution de la maladie coronaire est beaucoup plus agressive chez les patients diabétiques, et le pontage, en “augmentant le nombre de coronaires”, peut peut-être permettre de mieux protéger le patient contre l’évolution de sa maladie coronaire (apparition d’une nouvelle lésion, voire d’une occlusion), ce que ne fait pas l’angioplastie, qui traite une lésion ponctuelle. L’angioplastie reste logique chez le patient diabétique si son cardiologue se donne tous les moyens pour tenter de freiner l’évolution de la maladie vasculaire, notamment coronaire. POUR EN SAVOIR PLUS ... http://www.alfediam.org/patients/education.asp http://www.diabsurf.com/diabete/FVecuD1.php http://www.med.univ-rennes1.fr/resped/s/mg/rmm02.PDF http://www.afd.asso.fr/ www.diabetes.org Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. I - n° 1 - octobre-novembre-décembre 2003