Autour des programmes d`histoire Dans quelle mesure l`histoire

Autour des programmes d’histoire Dans quelle mesure l’histoire enseignée
dépend-elle des historiens ? Histoire parallèle des programmes et de
l’historiographie depuis le XIX°s ?
I. Le discours de la méthode
A/ Avant 1902 c’est de l’histoire ancienne !
Reinhart Koselleck a montré que "le concept actuel d'histoire [...] s'est élaboré
seulement vers la fin du XVIIIe siècle" (Le futur passé: Contribution à la sémantique des
temps historiques, 1990 (1979),
L’histoire est enseignée par les professeurs de lettres à partir de 1818 il s’agit de présenter
le cadre des études classiques, jusqu’en 1830 l’histoire est enseignées par les professeurs
de lettres. A partir de 1830, création de l’agrégation d’histoire, l’histoire est enseignée pour
elle-même dans les lycées sans que cela remette vraiment en cause l’hégémonie des études
classiques ainsi en 1837 on étudie l’histoire Sainte en 6°, l’Asie ancienne et la Grèce en 5°,
Rome en 4°, le Moyen-Age en 3°, l’époque moderne en 2nde. Rien en 1ère et terminale. La
Seconde
République introduit l’histoire contemporaine en 2nde et 1ère : Révolution - Empire). C’est une
grande première, avec une intention politique très claire mais aussi avec une dimension
épistémique puisque cet enseignement va s’alimenter aux travaux des historiens (Michelet,
Guizot, Quinet, Thiers, Taine…) et modifier tout le sens des études d’histoire. Cette tendance
connaît bien des vicissitudes sous le Second Empire (je ne m’y attarde pas) mais ce qui émerge
c’est le choix de Victor Duruy qui, en 1863, fait rédiger de nouveaux programmes plutôt
conservateur pour les petites classes mais qui introduit l’histoire en classe de philosophie :
l’histoire contemporaine est enseignée de la révolution à 1863. Il s’agit d’expliquer le monde
contemporain à partir de la césure de la révolution française.
La République n’y change finalement pas grand-chose jusqu’en 1902. Toute l’énergie
semble tournée vers l’école primaire (cf les grandes lois de Ferry 1881, 82, 84), qui est
l’Ecole de la République, celle qui scolarise le peuple qu’il faut éduquer à la République.
C’est le domaine de Lavisse (thèse en 1871 sur la Marche de Brandebourg, ce qui le
préoccupe c’est d’expliquer la victoire allemande dont le premier grand manuel date de
1884 conforme aux programmes de 82. on trouve une histoire entièrement construite
autour de la formation du sentiment national, républicain, progressiste. Il s’agit bien
d’ancrer la République dans les esprits et pour cela Lavisse propose une histoire
téléologique : toute l’histoire de France prépare l’avènement d’une République moderne,
éclairée, humaniste puissante, une France dont la mission historique est de diffuser ce
progrès (colonisation) et de le défendre (revanche). Ces choses là sont assez bien
connues me semble-t-il. Mais il faut souligner qu’elle concerne l’école primaire. Le
secondaire n’est pas totalement hermétique à cet « esprit du temps » à cette
instrumentalisation de l’enseignement l’histoire mais jusqu’en 1902 l’enseignement y est
organisé autour des études classiques (latin-grec).
Jusqu’à cette date l’enseignement de l’histoire est finalement à l’image de du savoir
savant : l’empirisme domine, la discipline n’est pas vraiment définie entre étude littéraire
et morale politique.
La réforme de 1902 est l’opportunité pour les historiens d’imposer leur discipline (aux
deux sens du terme : champ de savoir et mode de comportement) Qu’en est-il ?
B/ Retour aux sources l’école méthodiste
Dans les années 1880 émerge en France une histoire universitaire qui se cherche une
identité parmi les Sciences. Cette quête est une recherche de respectabilité dans
l’université « scientiste ». Le « romantisme », l’amateurisme des historiens est
dénoncé. Dans la foulée du positivisme Ernest Renant avait tenté d’appliqué une
démarche scientifique à l’étude de « la vie de Jésus dès 1864 », Fustel de Coulange
(directeur rue d’Ulm dans les années 80) affirme le crédo scientiste français face à
l’école allemande (Mommsen, Ranke) : « l’histoire n’est pas un art, elle est une
science pure, une science comme la physique ou la géologie […] Elle n’imagine pas,
elle voit seulement […] Elle vise uniquement à trouver des faits et à découvrir des
vérités […]. Elle est aussi impartiale, aussi désintéressée, aussi impersonnelle que
toutes les autres sciences ». Et d’imposer l’étude croisée des documents écrits : lois,
chartes, formules chroniques : tout doit être étudié et comparé… dans la pratique ni
Fustel ni Renan n’appliquèrent vraiment ces principes.
Ce sont des historiens moins scientistes qui ont quitté l’énoncé des grands principes
pour élaborer une méthode historique rigoureuse. Gabriel Monot (fondateur de la
Revue Historique en 1876), Camille Julian, Charles-Victor Langlois, Louis Halphen,
Philippe Sagnac, Charles Seignobos… Langlois et Seignobos publient en 1898 le
premier grand manuel universitaire qui définit les principes et les positions de cette
école que l’on va nommer « méthodique ».
Deux principes :
- l’historien ne doit pas exprimer de théories philosophiques, morales,
religieuses ou politiques. Il n’a pas à juger le passé à la lumière des valeurs du
présent.
- L’historien doit exposer les faits et rechercher les causes (directes et indirectes)
Une pratique :
- L’historien doit collecter et dépouiller des sources écrites auxquelles il
applique une méthode rigoureuse.
C’est ce dernier point qui fait l’objet de l’ouvrage de Langlois et Seignobos et qui
caractérise la méthode. Critique externe (heuristique) et critique interne
(herméneutique) sont les deux mamelles de l’histoire. Les documents sont classés
en témoignages directs et indirects, volontaire et involontaire, leur degré de
sincérité, d’erreur est évalué…
La marque la plus visible de cette exigence méthodologique est la note de bas de page.
Bien entendu dans la pratique les historiens méthodistes n’appliquent pas totalement
cet idéal. Seignobos lui-même avertissait son lecteur dans l’introduction de son
Histoire de l’Europe contemporaine, parue en 1897 en annonçant à la première
personne ses préférences pour un régime libéral, laïque, démocratique et occidental»
(premier principe mis à mal). Ils produisent du récit l’enchaînement des faits fait
office d’explication causale (second principe mis à mal). Ils ne reprennent pas
systématiquement l’ensemble de la démonstration en faisant la critique des sources
mais s’appuient sur les travaux antérieurs de leurs collègues et sur les catégories de
pensée héritées (comme la riodisation classique par exemple) qu’ils n’interrogent
pas (méthode mise à mal).
La contradiction est plus vive encore dès qu’il s’agit d’enseignement. On a souvent
cité le me Seignobos qui dans un article sur l’enseignement de l’histoire à l’université
écrivait : « l’histoire n’est faite ni pour raconter, ni pour prouver, elle est faite pour
répondre aux questions sur le passé que suggère la vue des sociétés présentes ». [ quand
Henri Irénée Marrou lancera : « toute histoire est contemporaine » il ne dira pas autres
chose !]. D’ailleurs comme le souligne A. Prost l’histoire politique qui est celle des
méthodistes enseigne que les régimes et les institutions changent. Sans qu’elle ait besoin
de le dire elle est une entreprise de désacralisation du politique.
Lavisse se rattache à l’école méthodiste par ses fréquentations, par ses accointances
politiques et professionnelles. Mais ses manuels scolaires n’ont pas grand-chose à voir
avec la méthode : sur les trois points ils vont à l’inverse. Point 1 : Lavisse prend parti
parce que l’histoire est une leçon qui « l’amour de la patrie ne s’apprend pas par cœur
mais avec le cœur » ; Point 2 Le document n’est pas la source du discours historique
du manuel mais une illustration. Point 3 : le discours est posé comme vérité sans
aucune discussion critique. Lavisse offre une histoire dénuée d’aspérités et de bat.
Les auteurs qui utilisent la critique de Lavisse pour disqualifier l’école méthodique
mettent en cause cette distinction essentielle entre histoire-recherche et histoire
enseignée. La confusion était liée au choix des méthodistes de dissocier
l’établissement des faits par la méthode critique (qui n’appartient qu’à l’histoire
recherche) et leur interprétation ultérieure (qui est notamment l’apanage de l’histoire
enseignée).
L’école méthodique a très tôt fait l’objet de critiques virulentes. Ainsi dès 1903
François Simiand, défend la sociologie contre l’histoire en s’attaquant aux « trois
idoles de la tribu des historiens »
- l’idole « politique » (une histoire quasi exclusivement politique)
- l’idole individu (une histoire qui ignore les groupes sociaux et privilégie la
biographie)
- l’idole évènement (une histoire qui privilégie l’évènement ponctuel).
Cette critique définie l’école méthodique par ses objets (alors que L&S la finissait
par ses méthodes) et sera à la base de la remise en cause de cette histoire par l’école
des annales. Le noyau dur résiste mieux au temps : heuristique et herméneutique
connaîtront des renouvellements au cours du XX° s mais les historiens d’aujourd’hui,
Antoine Prost le souligne, sont les héritiers des fondateurs de la profession « parfois
inconscients et ingrats » « nous en minimisons l’apport pour l’avoir trop
complètement assimilé ».
Avant de quitter l’école méthodique, voyons dans quelle mesure elle infiltre les
programmes scolaires au début du XX°s.
C/ les programmes sous influence
1902 c’est la date d’une réforme du système éducatif qui est, selon Antoine Prost à
l’origine de la structure moderne de l’enseignement secondaire français. Il s’agit de la
création de deux cycles, l’un de 4 ans, l’autre de 3 ans. Dans le premier cycle deux
sections sont distinguées : classique (latin-grec) et moderne (sans latin-grec). Dans le
second cycle 4 sections A latin-grec, B latin-langues, C latin-sciences, D langues-sciences.
Cela ne concerne que des effectifs réduits (effectifs 1880-1930 entre 1 et 5% d’une classe
d’âge) c'est-dire qu’il s’agit de former les élites. Le système scolaire du peuple demeure
celui de l’enseignement primaire suivi du primaire supérieur le règne de Lavisse est
sans partage. Pour ces élites l’hégémonie de la formation « classique » (latin-grec comme
fondement de la culture et thème-version comme entraînement de l’esprit) est remise en
cause ! Pour les uns le pays a besoin d’ingénieurs, de techniciens, pour d’autres le latin
n’est plus en odeur de sainteté, l’enseignement moderne serait plus laïc (la réforme de
1902 est l’œuvre des mes hommes que la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de
1905).
L’histoire joue sur les deux tableaux : elle est à la fois une discipline de culture et de
formation de l’esprit (au sens classique) et une préparation à la vie contemporaine. Le
programme de 1902 s’organise donc en deux cycles l’on parcoure deux fois la
totalité du temps historique en suivant la périodisation qui structure l’université
(chaires…) et qui va ainsi devenir « naturelle ». Or ces articulations ne sont pas
l’héritage de l’école méthodique qui n’a fait que les reprendre de la tradition issue de
la Renaissance (qui « invente » l’antiquité et les temps obscures) des lumières qui
« inventent » l’époque moderne) et des historiens romantiques du XIX° qui
« inventent » l’époque contemporaine et la césure révolutionnaire).
Quand on regarde les grandes articulations des programmes qui se succèdent jusqu’en
1977 on voit que ce principe demeure une constante ! Ce qui alterne c’est une sorte de
balancement entre 2 parcours de la trame événementielle et un seul. Les programmes de 1985
(Chevènement) y revenant d’ailleurs au point qu’on peut dire se demander si depuis 1902
quelque modification profonde a pu s’imposer…
La méthode critique s’impose dans l’enseignement en 1902, c’est-à-dire après l’Affaire
Dreyfus qui a vu l’engagement des historiens au nom de la méthode historique et de
l’esprit critique. La promotion de l’enseignement de l’histoire se fait au nom de l’esprit
critique comme formation du citoyen. Le même esprit préside au choix d’enseignement
de l’histoire contemporaine considérée comme la finalité même de l’enseignement de
l’histoire car seule éducatrice du citoyen. Les instructions de 1902 mettent en garde
contre le danger qui guette le professeur d’histoire : trop parler et rendre les élèves
passifs. Elles suggèrent l’étude de document comme antidote. La place du document
dans ce contexte est de servir de prétexte pédagogique et d’illustration de la parole du
maître. Pas grand-chose à voir avec la méthode historique universitaire. Les élèves ne
sont pas des petits historiens mais des destinataires du discours historique. Cette
conception de la place du document est donc la aussi différente de celle de l’école
méthodique.
Enfin sur les contenus les programmes de 1902 font la part belle à l’évènement, aux
personnages et au politique : on peut le constater en lisant le manuel de référence de
l’époque rédigé par Albert Malet et repris par Jules Isaac après la guerre (Malet est
mort en 1915). [attention toutefois à la carricature, Isaac est un militant contre
l’antisémitisme, il introduit des textes contradictoires dans ses manuels et des
questions sur les textes…].
L’évolution chronologique est un dogme : qui imagine commencer en par la
période contemporaine ? l’histoire récurrente est totalement absente des programmes
scolaires. 1925 : « si on ignore les traditions et les grands hommes d’Israël et de la
Bible, on ne comprendra pas le protestantisme, le puritanisme, l’art du Moyen Age et
de la Renaissance ». La chronologie que l’historien explore dans tous les sens est
restituée aux élèves toujours en sens unique, ce qui conforte l’idée commune qu’un
évènement qui se situe avant un autre en est la cause.
1902 ouvre la porte à l’écrasement des périodes les plus anciennes et à la progression
de la période contemporaine du moins jusqu’en 1995.
Ces programmes affirment proposer toujours des intitulés « neutres » c'est-à-dire non
problématisés. Aucune lecture officielle n’y serait proposée. Voire ! Si l’on lit les
instruction officielles, on trouve ainsi en 1925 pour le programme de première : « La
Convention jusqu’au 9 thermidor. Le gouvernement révolutionnaire, les réformes
militaires. Libération des frontières. Dictature et chute de Robespierre » assorti des
instruction suivantes : « Par l’ordre suivi dans le plan d’études, il est invité à marquer
les rapports entre les évènements de politique extérieure, les faits militaires et le
développement de la Révolution : les revers subis sur la frontière du Nord et du Nord-
Est pendant l’été de 1793 ont eu pour conséquence la Terreur, Fleurus a amené le 9
thermidor ». Terreur et Thermidor n’ont qu’une explication : le danger extérieur. C’est
Du Albert Mathiez. Nous sommes plus proche de Lavisse que de l’idéal de neutralité
affiché par Seignobos !
Ce sera une des questions du travail de TD : dans les contenus et dans l’esprit que reste-t-
il de l’influence de l’école méthodique dans les programmes ?
Nous poserons d’ailleurs la même question pour l’école des Annales qui a imposé après la
seconde guerre mondiale une « nouvelle histoire » : l’histoire des annales a-t-elle transpiré
dans les programmes ?
II. L’élargissement du territoire de l’historien
A/ L’école des annales : l’histoire problème
1929 Marc Bloch et Lucien Febvre créent la revue Annales d’Histoire Economique et
Sociale. L’ouverture de l’histoire aux autres sciences sociales (sociologie, économie,
anthropologie…) Febvre 1942 le Problème de l’incroyance au XVI°siècle, la religion
de Rabelais. Apporte une grande nouveauté : il part explicitement d’un problème. Et
d’un problème qui ne peut pas être résolu par la seule étude des documents
« officiels » ni même de l’œuvre de Rabelais.
Marc Bloch et Henri Irénée Marrou s’attaquent à la méthode érudite : Marrou : « peu à
peu s’accumulent dans nos fiches le pur froment des « faits » : l’historien n’a plus qu’à
les rapporter avec exactitude et fidélité, s’effaçant devant les témoignages reconnus
valides. En un mot, il ne construit pas l’histoire, il la retrouve » Bloch Beaucoup de
personnes et même, semble-t-il, certains auteurs de manuels se font de la marche de
notre travail une image étonnamment candide. Au commencement, diraient-elles
volontiers, sont les documents. L’historien les rassemble, les lit, s’efforce d’en peser
l’authenticité et la véracité. Après quoi, et après quoi seulement, il les met en œuvre. Il
n’y a qu’un malheur : aucun historien, jamais, n’a procédé ainsi. Même lorsque
d’aventure il s’imagine le faire »L’école des Annales, au nom de la scientificité va
donc imposer une démarche hypothético-déductive, ou constructiviste qui correspond
par ailleurs bien à celles des disciplines qu’elle tente de fédérer (socio, éco,
anthropologie). La source écrite n’est plus uniquement le texte : les historiens
s’emparent de tout ce qui « fait trace » iconographie (pas seulement artistique) objets
(charrue) cartes… et du coup la source n’a plus de limite. La perspective d’une fin du
travail de l’histoire avec la fin du dépouillement des archives que pouvait envisager
Langlois et Seignobos disparaît.
La rupture n’est sans doute pas aussi nette que l’affirme Lucien Febvre pour des
raisons polémiques. Si l’école des annales connaît un formidable développement c’est
qu’elle s’épanouit dans un mouvement démographique : une centaine de professeurs
d’histoire à l’université en 1929, plus d’un millier dans les années 80.
Après la guerre dans la foulée de Fernand Braudel et d’Ernest Labrousse les historiens
des annales vont ajouter trois pierres à l’édifice. Labrousse fabrique des séries de
chiffres (prix du blé) qui lui fournissent la matière d’une histoire économique dont, en
bon marxiste, il fait le principe d’explication de la Révolution Française, il offre à la
recherche des causes « profondes » des évènements un outils d’une formidable
puissance : l’histoire sérielle.
Adeline Daumard (thèse sur la bourgeoisie au XIX°) et François Furet, à la fin des
années cinquante: "Scientifiquement parlant, il n'est d'histoire sociale que quantitative. Sur
ce point l'accord est quasi unanime" ("Méthodes d'histoire sociale: Les archives notariales
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