Rééducation orthophonique et démence : illustration par la maladie d’Alzheimer S. Chomel-Guillaume* Contexte de prise en charge Si la prise en charge en institution concerne plutôt les patients à un certain stade d’évolution, les contraintes pesant sur le praticien sont moindres puisque, dans ce cadre, le suivi est assuré par une équipe pluridisciplinaire organisée. Qu’en est-il des difficultés rencontrées par les thérapeutes de ville assurant les prises en charge en cabinet ? Le suivi d’un patient atteint de MA est, par définition, très lourd, et il faut savoir que tous les orthophonistes de ville n’acceptent pas systématiquement de prendre en charge ces patients. Depuis quelques années cependant, grâce à une meilleure connaissance des processus et des conséquences de l’évolution de cette maladie, des réseaux de praticiens expérimentés, voire spécialisés, ont pu se développer. Mais ce type de prise en charge ne peut être envisagé qu’avec une vision pluridisciplinaire de fonctionnement. Cela suppose donc, au départ, un contact étroit avec le médecin prescripteur, le médecin généraliste et/ou le plus souvent avec le neurologue ou le gériatre. Ceux-ci doivent faire face à la gestion délicate de l’annonce du * Sophie Chomel-Guillaume exerce en tant qu’orthophoniste depuis 15 ans au centre de neuropsychologie et du langage de la Fédération de neurologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Elle a travaillé à Boston au Veterans Administration Medical Center pendant deux ans durant lesquels elle s’est spécialisée dans la prise en charge des patients adultes cérébrolésés. Elle enseigne la neuropsychologie du langage à l’école d’orthophonie de Paris. Act. Méd. Int. - Neurologie (4) n° 5, juin 2003 diagnostic, ils doivent préciser les objectifs et les limites de la prise en charge orthophonique et, enfin, ils doivent exercer un lien direct avec la famille et le patient pour l’informer. Cela constitue un prérequis à un bon suivi par l’orthophoniste, qui devra faire face au quotidien du patient et de son entourage, avec tout ce que cela suppose de charge émotionnelle et d’anxiété. Il est évident, par ailleurs, qu’une prise en charge en ville se fera plutôt aux stades précoces de la maladie, mais le plus souvent, elle se poursuivra jusqu’au placement en institution du patient. Définir le type de prise en charge Les indications de prise en charge et la conduite à tenir pour la rééducation dépendent de plusieurs facteurs. Les possibilités de rééducation sont liées au stade évolutif. Une fois précisés la sévérité et le pattern des troubles cognitifs du patient, l’approche cognitive sera plus appropriée au début ou au milieu de l’évolution, l’approche comportementale sera plus adéquate en fin d’évolution et, enfin, l’approche psychologique sera indiquée pour chacun des stades. Il conviendra parallèlement de définir la nature exacte, puis le retentissement des troubles du comportement selon qu’il s’agit d’agitation, de dépression et/ou d’agressivité, et d’évaluer le degré d’anosognosie et d’apathie, influençant le degré de coopération du patient. Puis l’on définira clairement les objectifs d’une prise en charge et les préalables. L’objectif sera ainsi L a prise en charge des patients atteints de la maladie d’Alzheimer (MA) par les orthophonistes a longtemps été sujet à controverse. Si aujourd’hui l’évaluation de l’efficacité des modes d’interventions “rééducatives” des démences reste aléatoire, l’utilité du suivi de ces patients n’en est pas moins désormais reconnue. Depuis plusieurs années en effet, l’indication d’une prise en charge orthophonique commence à se généraliser. Les arguments s’y opposant – l’hétérogénéité des troubles, leur multiplicité, leur variabilité d’un patient à l’autre et, bien sûr, l’aggravation inexorable du tableau sémiologique – rendaient bien improbable la mise en place d’un travail dit de “rééducation”. Cependant, aujourd’hui, il est admis que face à la plus fréquente des démences, dont la hausse de la prévalence est prévisible, le suivi orthophonique, entre autres, présente des avantages incontournables. Ainsi, il aiderait à gérer le désarroi des familles, il permettrait le maintien à domicile, ce qui limiterait les conséquences de la maladie et, enfin, il aiderait à rendre certaines capacités cognitives moins vulnérables au processus démentiel. Parallèlement aux efforts de recherche visant à la mise au point de traitements pharmacologiques, plusieurs approches suggérant une intervention comportementale, psychologique et cognitive ont été décrites et sont mises en pratique par les thérapeutes. Leur utilisation dépend du contexte de suivi (institution, pratique de ville) et du stade d’évolution de la maladie pour chaque patient individuellement. 128 Actualités Actualités PUBLICITÉ AVONEX 1ER RECTO plus global et écologique lorsque le travail visera à obtenir une meilleure adaptation et autonomie face aux troubles dans la vie quotidienne. Aux stades plus précoces, on pourra fixer des objectifs spécifiques visant au travail ciblé de certaines fonctions cognitives telles que la mémoire ou le langage. La définition des objectifs repose dans tous les cas sur une évaluation préalable des besoins au moyen de tests neuropsychologiques et écologiques, ainsi que sur des questionnaires de vie quotidienne. Méthodologie Approche psychologique L’objectif principal est de maintenir le patient à domicile, le plus longtemps possible, en harmonie avec son entourage. Le travail du clinicien repose sur la connaissance préalable de l’environnement du patient afin de l’aider à maintenir son autonomie et d’aider les proches à “gérer” la maladie. Quel que soit le cadre de l’intervention : moyen ou long séjour, maisons de retraite (équipes plus lourdes), en hospitalisation de jour (équipes plus légères) à domicile ou en consultation externe, cette approche est fondamentale. Elle doit également permettre l’acceptation de la thérapie par le patient et, dans cette optique, elle ciblera parfois le travail sur l’anosognosie. Parfois aussi, elle peut aider à pallier le déni du patient et de la famille. Le thérapeute est de toutes les façons amené à fournir un véritable soutien psychologique au patient et à sa famille par l’explication des troubles et de leurs mécanismes en reliant les familles aux réseaux existants (associations). Approche cognitive Fondée sur des modèles théoriques d’explication du fonctionnement cognitif normal, elle identifie les composantes déficitaires et celles préservées grâce à des évaluations neuropsy- Act. Méd. Int. - Neurologie (4) n° 5, juin 2003 chologiques précises et spécifiques. Elle va ensuite permettre de définir une prise en charge adaptée à chaque cas. L’objectif est de faciliter ou de rétablir les processus déficitaires, d’aménager l’environnement et d’optimiser les performances du patient selon chaque stade d’évolution. Elle définit des programmes spécifiques de travail pour chaque fonction déficitaire : mémoire, langage et communication. Ainsi, à titre d’exemple d’entraînement de la mémoire de travail, on peut évoquer des exercices spécifiques de type récits d’événements vécus, entendus ou lus, utilisation de techniques de “rafraîchissement” (texte scindé en plusieurs parties, chacune devant être résumée avant la présentation de la suivante). On peut également citer, au titre des tâches visant un travail spécifique des capacités langagières (comme, par exemple, pour obtenir la restauration de l’axe lexicosémantique), l’utilisation par le thérapeute de tâches de catégorisation, d’association et de définition. Pour faciliter la communication, un travail sur des échanges verbaux brefs informatifs avec de nombreuses reformulations, ou des exercices visant l’apprentissage de carnets de conversation pourra être entrepris. Certains programmes d’optimisation des fonctions cognitives par ce type d’approche ont pu être évalués en termes d’efficacité. Même si ces études ont été menées au cas par cas, les résultats sont positifs. Approche comportementale Fondée sur les théories du behaviorisme, elle vise la modification de comportement. L’objectif est d’aménager le milieu physique et social afin de favoriser l’expression des capacités résiduelles et de limiter la dépendance, de contrôler les troubles du comportement et de maintenir ou de restaurer une certaine autonomie. Jusqu’à présent, deux programmes sont très répandus : – ROT (Reality orientation therapy, 1966) ; il a pour objectif la réorientation temporo-spatiale et la réémergence de repères d’identité personnelle par la présentation continue d’informations d’orientation et par l’utilisation d’aides externes diverses ; – Reminiscence therapy ; ce programme visant un travail de la mémoire est mis en pratique dans le cadre d’un groupe et a pour objectif d’amener les patients déments à récupérer des souvenirs personnels anciens. Dans la majorité des cas, les thérapies comportementales sont proposées au sein d’institutions, à un stade déjà avancé de la maladie et leur efficacité est discutée. Autres approches Diverses approches thérapeutiques de traitement ont été décrites. La plupart du temps, elles n’ont pas été évaluées, ni quant à leurs fondements théoriques, ni en termes d’efficacité thérapeutique. Il s’agit de prises en charge organisées autour de la relaxation, de l’utilisation de la musique, de l’art, etc. Pratiquées dans certains milieux institutionnels, les thérapies de groupe ont enregistré des bénéfices indéniables de communication et de stimulation. Conclusion Le problème de la prise en charge orthophonique des démences constitue un enjeu important. Trop peu de place est encore faite à cet aspect dans les conférences internationales de consensus. Il est donc nécessaire de formaliser et d’évaluer précisément les effets des diverses approches existantes. Celles-ci sont désormais mieux connues et tous les praticiens admettent leur complémentarité. Cependant, les programmes thérapeutiques restent individualisés et des recherches doivent être entreprises afin de définir des méthodes permettant d’optimiser 130 Actualités Actualités PUBLICITÉ AVONEX 2E RECTO