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B S E R V A T I O N
D I A L O G U É E
Une histoire aberrante...
● P.
Hochain*
n homme âgé de 40 ans était hospitalisé en janvier
1998 pour des vomissements. Il avait pour antécédent un éthylisme chronique modéré dont il était
sevré depuis juin 1997. Ce sevrage avait été motivé par la survenue de douleurs épigastriques transfixiantes, associées à des
vomissements. Le bilan pancréatique était normal, mais le diagnostic de pancréatite aiguë avait été évoqué. L'évolution avait
été spontanément favorable. Les douleurs récidivaient en septembre 1997, toujours associées à des vomissements. Leur
intensité plus importante motivait une première hospitalisation.
Le bilan pancréatique était toujours normal. Une fibroscopie digestive haute objectivait une muqueuse inflammatoire, épaissie
à la partie haute de D2. Les biopsies ne montraient qu'une duodénite subaiguë d'intensité modérée. Le scanner abdominal
montrait un rétrécissement du calibre duodénal avec des formations liquidiennes, d'allure kystique au niveau de la tête, au
contact du cadre duodénal. La symptomatologie s'améliorait
très progressivement, avec une crise douloureuse mensuelle.
Mi-décembre 1997, d'importants vomissements postprandiaux
alimentaires apparaissaient, associés à une pesanteur épigastrique et à un amaigrissement de 18 kg depuis juin 1997.
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Devant l'aggravation de ces symptômes, le malade était hospitalisé dans notre service. L'examen clinique était normal. Le bilan
biologique retrouvait une hyperleucocytose (15,1 G/l), avec un
syndrome inflammatoire (VS à 46). Les bilans pancréatique et
hépatique, ainsi que le dosage du CA 19-9, demeuraient normaux. Le cliché d'abdomen sans préparation ne mettait pas en
évidence de calcifications dans l'aire pancréatique. La gastroscopie montrait une sténose inflammatoire à la partie haute du
deuxième duodénum, franchie sans ressaut, hémicirconférentielle (figure 1). Le transit œsogastroduodénal confirmait cette
sténose de la partie haute de D2 (figure 2). L'échographie abdominale retrouvait une masse de la tête du pancréas, sans dilatation du Wirsung. Le scanner visualisait une sténose duodénale
ex c e n t ri q u e, avec un important épaississement pariétal au
contact de la tête du pancréas. Deux structures liquidiennes
* Service d’hépato-gastroentérologie, Hôpital Charles-Nicolle, Rouen.
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Figure 1.
Figure 2.
La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 3 - juin 1998
lie pancréatique n’était visible, le bilan biologique pancréatique
ayant toujours été normal. En outre, les vomissements dominaient le tableau clinique, reléguant au second plan les douleurs
abdominales, fait inhabituel lors d'une pancréatite ;
✔ une tumeur sous-muqueuse duodénale en partie nécrosée ;
✔ une dystrophie kystique sur pancréas aberrant (DKPA) ;
✔ une duplication digestive ;
✔ un pancréas annulaire ;
✔ un cholédocèle.
Figure 3.
Figure 4.
étaient décrites au sein de cet épaississement pariétal (figure 3),
dont l'origine précise ne pouvait pas être affirmée. La glande
pancréatique était normale.
En résumé, ce malade de 40 ans, aux antécédents incertains de
pancréatite (l'amylasémie et la lipasémie, dosées à plusieurs
reprises, ont toujours été basses), se plaignait essentiellement de
vomissements alimentaires avec un amaigrissement. Le bilan
morphologique retrouvait une sténose de la partie haute de D2,
dont la nature exacte ne pouvait pas être précisée : lésion pancréatique ou duodénale ? Plusieurs hypothèses diagnostiques
pouvaient être formulées :
✔ un pseudokyste pancréatique à développement intraduodénal,
le scanner mettant en évidence des structures liquidiennes au
niveau de la région duodéno-pancréatique. Mais aucune anomaLa Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 3 - juin 1998
A ce stade du raisonnement clinique, le seul examen permettant
d'avancer dans le diagnostic était l'écho-endoscopie digestive
(EE). En effet, cette technique permet une analyse précise de la
paroi duodénale, de la voie biliaire principale et du pancréas.
L'EE mettait en évidence un épaississement important de la
paroi duodénale, hémicirconférentiel, limité en périphérie par la
musculeuse. Cet épaississement était localisé à la face interne
du deuxième duodénum et comprenait plusieurs formations
d'échostructure liquidienne, dont les plus volumineuses mesuraient entre 19 et 29 mm (figure 4). La tête et le reste du pancréas étaient discrètement lobulés, avec un Wirsung fin et régulier, sans autre anomalie (pas de spots hyperéchogènes, pas de
calcifications). Sur ces données, le diagnostic de DKPA pouvait
être affirmé. En effet, l'EE a précisément situé les structures
liquidiennes dans la paroi duodénale épaissie, indépendamment
de la tête du pancréas, éliminant le diagnostic de pseudokyste
pancréatique. Une duplication digestive pouvait être rejetée car
l'EE ne retrouvait pas au niveau de la paroi des zones liquidiennes de structure pariétale en 5 couches, pathognomonique
de la duplication digestive. Une tumeur sous-muqueuse duodénale, même nécrosée, comporte une échostructure tissulaire,
absente dans notre observation. Le pancréas annulaire était aisément écarté en l'absence de parenchyme pancréatique visible
faisant le tour du duodénum. Les zones liquidiennes étaient à
distance de la voie biliaire principale, éliminant l'hypothèse d'un
cholédocèle.
Deux possibilités thérapeutiques se discutaient chez notre malade : soit un traitement chirurgical (une duodénopancréatectomie
céphalique ou plutôt une gastroentéroanastomose, le principal
symptôme étant des vomissements), soit un traitement médical
(somatostatine ou ses dérivés). La somatostatine agit par inhibition de la sécrétion pancréatique exocrine. Nous avons retenu
cette option médicale car la sanction chirurgicale nous semblait
lourde pour une affection bénigne et en nous référant à l'expérience d'autres équipes, bien que ce traitement n'ait pas encore
fait l'objet d'études contrôlées (1). L'octréotide a été prescrite à
la dose de 200 µg toutes les 12 heures en sous-cutané. Les
vomissements ont cédé en 4 jours, permettant une reprise de
l'alimentation. A 2 mois sous ce traitement, le malade demeurait
asymptomatique et avait repris 3 kg.
Les pancréas aberrants sont des îlots de tissu pancréatique ectopique, sans lien direct avec la glande pancréatique, résultant
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probablement d'un défaut de migration. Leur mode de révélation est variable : hémorragie, obstruction, compression, pancréatite, DKPA. La DKPA est connue depuis les travaux de
Potet et Duclert en 1970, mais elle a connu “une deuxième jeunesse” avec l'essor de l'EE. En effet, cette technique identifie
formellement ces kystes intrapariétaux, alors qu'auparavant ils
étaient découverts sur des pièces opératoires ou lors d'autopsies.
La DKPA se constituerait après une obstruction des canaux
excréteurs avec formation d'un kyste rétentionnel et réaction
pancréatique. Deux tableaux peuvent s'observer : la pancréatite
chronique sévère avec DKPA, forme la plus fréquente (3), et la
DKPA sans lésion pancréatique majeure, telle que nous l'avons
notée dans notre observation. Cette affection se manifeste
essentiellement chez l'homme alcoolique chronique, entre 35 et
50 ans environ, sous la forme de vomissements, de douleurs
abdominales et d'un amaigrissement, plus rarement d'un ictère
ou d'une hémorragie. L'importance des vomissements, l'existence d'une sténose inflammatoire bulbaire ou de la partie haute du
Lab’infos
Azantac 75 mg,
une nouvelle arme pour
le traitement du RGO
Le reflux gastro-œsophagien (RGO) est
extrêmement fréquent chez l’adulte et
constitue un problème de santé publique
en raison du coût de la maladie. Cela est
lié d’une part à la fréquence des examens
complémentaires, notamment endoscopiques et, d’autre part au coût des traitements médicaux et chirurgicaux. Pourtant,
dans l’immense majorité des cas, le RGO
est une maladie bénigne, sans complication
potentielle mais qui représente une gêne
réelle pour le patient atteint, avec un
retentissement sur sa qualité de vie.
Deux enquêtes, effectuées principalement
en médecine générale, ont permis d’identifier la typologie de 8 319 consultants. Ces
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duodénum franchie aisément par un endoscope doivent attirer
l'attention et faire évoquer ce diagnostic. L'EE est le maître examen, comme nous l'avons vu. Nous avons déjà envisagé les différents aspects du traitement. Avec le développement de l'EE
interventionnelle, la ponction sous EE de ces kystes pourrait
peut-être représenter une altern at ive thérapeutique dans
l'avenir (?).
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1. Palazzo L., Chaussade S., Roseau G. et coll. Treatment of cystic dystrophy of
the duodenal wall with octreotide (Sandostatine®, SMS). Gastroenterology 1994 ;
106 : A313.
2. Potet F., Duclert N. Dystrophie kystique sur pancréas aberrant de la paroi duo dénale. Arch Fr Mal App Dig 1970 ; 59 : 223-38.
3. Palazzo L., Roseau G., Chaussade S. et coll. Dystrophie kystique sur pancréas
aberrant de la paroi duodénale (DKPA) associée à la pancréatite chronique cal cifiante alcoolique (PCCA) : une affection fréquente et méconnue. Gastroentérol
Clin Biol 1992 ; 16 : A141.
enquêtes montrent que la plupart des patients ont
des symptômes intermittents.
Les trois quarts sont assez ou peu gênés et
un quart des patients sont très gênés. La
moitié des patients ont eu une endoscopie, 17 % un examen radiologique. Les
symptômes étant souvent intermittents,
les traitements le sont également souvent.
Chez les patients à symptomatologie
modérée, une stratégie thérapeutique graduée est le plus souvent employée avec
recommandation de règles hygiéno-diététiques, puis prescription d’antiacides ou
d’alginates ou prokinétiques. En cas
d’échec des règles hygiéno-diététiques, le
thérapeute peut maintenant utiliser la ranitidine 75 mg sous forme de comprimés
pelliculés ou de comprimés effervescents
(Azantac 75 mg). Une endoscopie n’est pas
nécessaire, et il s’agit donc pour le médecin de soulager le patient de son pyrosis
lorsqu’il juge qu’il n’y a pas de signes de
gravité ou de facteurs de risque. La poso-
logie va jusqu’à 3 comprimés par jour pendant 2 semaines, mais il est clair que le
patient va adapter la fréquence de ses
prises à l’évolution de ses symptômes.
L’étude pivot qui a permis l’obtention de
l’AMM pour la ranitidine 75 mg a inclus
1 336 patients traités par placebo, cimétidine 200 mg ou ranitidine 75 mg. Le critère
principal d’efficacité était défini comme le
pourcentage de patients présentant un soulagement d’au moins 75 % des épisodes
symptomatiques, dans un délai de 2 heures
et pendant au moins 5 heures sur l’ensemble des 2 semaines de l’essai.Au total, la
pro p o rtion de succès a été de 28 % avec le
placebo, 38 % avec la cimétidine 200 mg et
41 % avec la ranitidine 75 mg (p < 0,001
ranitidine 75 mg versus placebo). La ranitidine 75 mg (Azantac 75 mg) complète donc
de manière intéressante la panoplie des traitements utilisables dans le RGO en re s p e ctant l’AMM des médicaments disponibles.
Conférence de presse : Pr S. Bruley des
Varannes, Dr T.Vallot, Dr A. Slama, Dr M. Pappo
La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 3 - juin 1998
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