N Gare au cybermalade !

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i n t e r n e t
Gare au cybermalade !
! T. Schaeverbeke*, P. Germain*
ous sommes certainement déjà nombreux à avoir été confrontés à un
patient disposant d’une large bibliographie sur
sa pathologie, recueillie sur l’Internet.
Le taux de ménages français connectés à
l’Internet progresse en effet rapidement :
1,6 million d’abonnements ouverts auprès des
divers fournisseurs d’accès en juillet 1999,
contre 800 000 un an plus tôt, soit près de 5 millions d’internautes. Actuellement, moins de
50 % des accès Internet se font depuis le lieu de
travail : ils proviennent de plus en plus du domicile. Si l’internaute français demeure majoritairement un homme d’une trentaine d’années disposant de hauts revenus, les femmes, les sujets
de plus de 50 ans, les foyers aux revenus plus
modestes sont de plus en plus nombreux à se
connecter, et cette évolution ira en s’accentuant.
Il faut donc s’attendre à ce qu’une proportion de
plus en plus importante de nos patients dispose
à l’avenir d’une connexion, et donc d’une source
d’information gigantesque.
Nous vous proposons de simuler la quête d’un
cybermalade qui pourrait, demain, être le vôtre...
N
Article récompensé le 5 octobre 2000
par le Prix de la meilleure initiative
rédactionnelle lors du premier
Grand Prix Éditorial du Syndicat
national de la presse médicale
© La Lettre du Rhumatologue 2000 ;
257 : 38-9.
pas entendre parler d’infiltrations de cortisone.
Vous lui rétorquez que nous disposons d’autres
produits à injecter dans l’articulation, les dérivés de l’acide hyaluronique.
Muni de ces quelques données, notre cybermalade se précipite sur son ordinateur et
recherche des informations sur sa pathologie et
les traitements envisagés.
La quête d’information sur l’arthrose
Notre patient entre tout simplement le mot
“arthrose” sur le moteur de recherche de Yahoo
France. Ce dernier lui fournit 511 adresses de
pages traitant du sujet ! La consultation des
premières pages sélectionnées donne une idée
du maelström qu’est l’Internet. On débute par
la classification internationale des maladies
(CIM 10), avec un guide de codage PMSI destiné
aux orthopédistes. Suivent de nombreuses
adresses de sites vantant les mérites de thérapeutiques douces, certains se contentant de
vous fournir la recette de différentes décoctions
de prêle, d’ortie ou de citron, d’autres vous proposant de commander des compléments alimentaires : sulfate de glycosamine, ginseng...
chacun vous abreuvant de témoignages de
patients miraculés grâce à ces “thérapeutiques”. Tout y passe, de l’indispensable bracelet de cuivre à la voyante extralucide qui travaille d’après photographie numérique (et avec
le numéro de carte bancaire) !
SIMULATION D’UNE RECHERCHE
D’INFORMATION RHUMATOLOGIQUE SUR LE WEB
* Service de rhumatologie du Pr Dehais,
Groupe hospitalier Pellegrin, Bordeaux.
E-mail : [email protected]
[email protected], [email protected]
Vous annoncez à un patient internaute qu’il est
affecté d’une arthrose du genou. Vous lui proposez un anti-inflammatoire non stéroïdien. Il
émet quelque inquiétude quant au devenir de
son estomac ! Vous lui parlez de la disponibilité
prochaine d’anti-inflammatoires agissant spécifiquement sur l’inflammation et épargnant l’estomac. Il vous interroge sur les autres possibilités thérapeutiques, en avertissant qu’il ne veut
Correspondances en médecine - n° 1, vol. II - janv./févr./mars 2001
Dans un autre registre, notre cybermalade
trouve également des pages publicitaires sur
des pommades à l’ibuprofène et autres analgésiques en vente libre. Différents hôtels de thalassothérapie et stations thermales proposent
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Une adresse
que vous pourriez
conseiller à vos
patients :
aussi leurs services et leurs tarifs. Cependant
ne doutons pas que notre patient avisé se
détournera probablement de ces sites à caractère évidemment publicitaire.
La Société d’Arthrite :
http://french.arthritis.
ca/frames/home.html
complètes sur différents anti-inflammatoires (en
français sur des sites canadiens), et, s’il maîtrise
la langue de Shakespeare, des informations très
récentes sur les COX-2 sélectifs, au travers
notamment de listes de FAQs qui lui fourniront de
multiples renseignements sur ces molécules... et
leurs effets secondaires potentiels !
ET L’ACIDE HYALURONIQUE ?
D’autres sites fournissent une réelle information
sur l’arthrose. Ils émanent pour la plupart de la
presse santé grand public. Ces sites proposent
souvent une information de bonne qualité, mais,
comme souvent dans la presse généraliste, les
commentaires manquent singulièrement de pondération. Tel magazine publie, par exemple, les
résultats d’une étude menée dans un service
hospitalier parisien sur la thérapie par signal
pulsé dans les douleurs arthrosiques, avant que
les résultats obtenus par cette équipe ne soient
confirmés par d’autres travaux ; un autre insiste,
après un exposé très correct de la maladie
arthrosique, sur les bienfaits du sulfate de glycosamine... Des associations de malades, notamment canadiennes, diffusent une information
vulgarisée d’une grande richesse sur l’ensemble
de la pathologie articulaire, comprenant des
notions générales sur la pathologie, les mesures
hygiénodiététiques, les traitements et les perspectives d’avenir. Enfin, des établissements de
soins proposent également des informations de
qualité ; on peut cependant parfois s’interroger
sur les limites entre information et publicité pour
les équipes de soins sur certains de ces sites...
QUID DES TRAITEMENTS
ANTI-INFLAMMATOIRES ?
Là encore, notre cybermalade sera confronté à
une information très disparate : des vertus antiinflammatoires de la racine de bugrane aux émulsions de Mimosa tenuiflora, en passant par une
panacée universelle, le G5, non promu par l’industrie pharmaceutique car commercialement
inintéressant ! Plus sérieusement, notre patient
pourra également obtenir des monographies
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Là, les choses se compliquent pour notre internaute. La simple interrogation des moteurs de
recherche généralistes ne lui apportera aucune
réponse. Reste l’interrogation du Medline, disponible gratuitement via le site de HealthGate
notamment. S’il lit l’anglais, il aura accès à l’ensemble de la littérature scientifique sur le sujet
(résumés des articles).
EN RÉSUMÉ
Notre cybermalade a obtenu en quelques minutes
une masse considérable d’informations, parmi
lesquelles certaines relèvent du charlatanisme,
tandis que d’autres paraissent tout à fait pertinentes. Cependant, une bonne partie des informations recueillies ne semble pas directement
accessible à un public non médical, et nécessiterait donc quelques explications... que ce patient
ne manquera certainement pas de demander à
son médecin lors de la consultation suivante !
QUELLE RÉPONSE PEUT APPORTER
LE MÉDECIN FACE À CETTE ÉVOLUTION
?
Le besoin d’information de nos patients est une
évidence. Comme le rappelle un éditorial récent
du Journal of Rheumatology, l’information est une
médication peu onéreuse, efficace quelle que soit
la pathologie, et dépourvue d’effet secondaire.
Ainsi, la première réponse à apporter à cette évolution nous paraît être que le médecin fournisse
lui-même une information de qualité dans le dialogue singulier qu’il entretient avec son patient,
avant que ce dernier n’exprime le besoin d’aller
chercher ailleurs une information dont la qualité
est incertaine. La seconde réponse pourrait être
que les sociétés savantes prennent elles-mêmes
en charge l’information grand public, peut-être
en relation avec les associations de malades, au
travers de l’Internet ou de tout autre support de
communication. Les limites majeures, communes à ces deux démarches, sont le temps que
réclame cette information du patient et le surcoût qu’elle engendre.
Correspondances en médecine - n° 1, vol. II - janv./févr./mars 2001
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