C A S C L I N I Q U E Une cause rare d’insuffisance aortique chronique ● F. Bernard, C. Perdrix, G. Karrillon, P. Beaufils* M onsieur E., 62 ans, sans antécédents médicaux particuliers, est hospitalisé pour une dyspnée d’effort apparue progressivement depuis trois ans, devenue depuis un mois invalidante, évaluée au stade III de la NYHA. Il ne se plaint pas de douleur thoracique, de toux ou d’expectoration. Il n’y a pas d’antécédent cardiovasculaire dans sa famille. Ses facteurs de risque cardiovasculaire se résument à une obésité (85 kg pour une taille de 1,70 m). Une intoxication tabagique a été interrompue depuis plusieurs années. Il n’a pas de traitement au long cours. tique est évalué à 350 ms. Le ventricule gauche est augmenté de volume avec un diamètre télédiastolique mesuré à 63 mm, sans hypertrophie du ventricule gauche, avec une fraction de raccourcissement chiffrée à 20 % et une fraction d’éjection mesurée à 30 %. Le diamètre de la racine de l’aorte est normal (37 mm) et le reste de l’examen échocardiographique est sans particularité. Compte tenu du caractère peu échogène de ce patient, on réalise une échocardiographie transœsophagienne pour préciser le mécanisme de cette insuffisance aortique : l’image échocardiographique centrée sur l’orifice aortique est la suivante (figure 1). L’examen clinique met en évidence un rythme cardiaque régulier à 80 battements/minute et une tension artérielle de 150/80. L’auscultation des bruits du cœur révèle un souffle diastolique coté 1/6 au foyer aortique et le long du bord gauche du sternum associé à un souffle 2/6 au foyer aortique irradiant faiblement vers les carotides. L’auscultation pulmonaire est normale, sans crépitants des bases pulmonaires ni diminution du murmure vésiculaire. Il existe un reflux hépato-jugulaire et des œdèmes des membres inférieurs gardant le godet remontant jusqu’aux mollets. Le reste de l’examen est sans particularité et il n’y a pas de fièvre. La radiographie de la cage thoracique montre un index cardiothoracique estimé à 0,70. La transparence pulmonaire est normale. L’électrocardiogramme met en évidence un rythme sinusal d’une fréquence de 75/minute, un hémibloc antérieur gauche et des ondes T négatives isolées dans les dérivations D1,VL,V4,V5,V6. L’échocardiographie transthoracique révèle une insuffisance aortique centrale dont le mécanisme est difficile à étudier chez ce patient obèse, de grade II-III, avec un diamètre du jet à l’origine chiffré à 8 mm, une expansion spatiale débordant le bord libre de la grande valve mitrale jusqu’au milieu du ventricule gauche. Le temps de demi-décroissance du flux doppler de l’insuffisance aor- Figure 1. Échocardiographie transœsophagienne : coupe passant transversalement par les valves aortiques montrant l’aspect cruciforme ou en trèfle de l’orifice aortique en diastole. Quel serait votre diagnostic ? voir page 22 * Service de cardiologie, Hôpital Lariboisière, 2, rue Ambroise-Paré, 75010 Paris. La Lettre du Cardiologue - n° 299 - septembre 1998 21 C A S C L I N I Q U E RÉPONSE L a coupe échocardiographique par échocardiographie transœsophagienne centrée sur l’orifice aortique (sonde multiplan orientée à 62 degrés) met en évidence une quadricuspidie avec quatre valves aortiques d’une taille à peu près identique responsables d’une fuite centrale de grade III. Elles ont un aspect en “X” en télédiastole et un aspect rectangulaire en systole. Il n’existe pas d’autre anomalie des structures cardiaques. L’aortographie sus-sigmoïdienne retrouve au niveau du culot aortique un aspect de quadricuspidie avec une insuffisance aortique évaluée à 2/4 (figure 2). La coronarographie est normale. dimension identique comme dans l’observation rapportée, mais, le plus souvent, il existe trois sigmoïdes de taille égale et une petite sigmoïde surnuméraire entre la sigmoïde coronaire droite et la sigmoïde non coronaire (3). Paemelaere rapporte une association possible avec d’autres anomalies : communication interventriculaire, déplacement d’un ostium coronaire, artère coronaire accessoire, persistance du canal artériel (5). L’association avec ces anomalies coronaires rend nécessaire la réalisation d’une coronarographie avant une chirurgie de remplacement valvulaire aortique, du fait du risque d’occlusion de l’artère coronaire en position anormale lors de la suture de la prothèse. Le mécanisme de la fuite coronaire est un défaut de coaptation diastolique des sigmoïdes ou une maladaptation de la sigmoïde surnuméraire. Exceptionnellement, il a été décrit un cas de QA associé à une sténose sous-aortique (6). Dans 50 % des cas, l’évolution de la QA se fait vers une insuffisance aortique grave avec retentissement hémodynamique conduisant à un remplacement valvulaire aortique (3). Le patient de l’observation rapportée présente un tableau d’insuffisance cardiaque évoluée sur une fuite aortique significative dont l’option thérapeutique devra être chirurgicale à court terme. Figure 2. Aortographie en oblique antérieur droit 30° visualisant les quatre sigmoïdes. L’instauration d’un traitement associant un diurétique et un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine améliore l’état hémodynamique du patient. Le caractère symptomatique et les données concernant le retentissement ventriculaire incitent à proposer un remplacement valvulaire aortique. La greffe oslérienne est possible : Mac Coll et Kaminishi rapportent en effet deux cas d’endocardite infectieuse sur QA (7, 8). Le diagnostic positif repose sur l’échocardiographie bidimensionnelle permettant la visualisation de la quadricuspidie en incidence parasternale transverse au niveau de l’anneau aortique : en diastole, la fermeture des valves dessine un aspect en “X” ou en “trèfle” au lieu de l’aspect habituel en “Y”. En cas de doute du fait de l’échogénicité de certains patients, l’échocardiographie ■ transœsophagienne permet d’affirmer le diagnostic. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Simonds J.P. Congenital malformations of the aortic and pulmonary valves. Am J Med Sci 1923 ; 166 : 584-95. COMMENTAIRES La quadricuspidie aortique (QA) est une anomalie cardiaque rare : si la bicuspidie aortique est la malformation des valves semilunaires la plus fréquente (1 % de la population générale), la prévalence de la QA est très faible : dans une série autopsique de 25 666 cas, Simonds décrit 2 cas de QA (incidence : 0,008 %) (1). L’incidence échocardiographique de la QA dans une série de 13 805 échocardiographies de 1987 à 1988 est de 0,004 % (2). Elle est dix fois moins fréquente que la quadricuspidie pulmonaire (3). Dans une série de Waller et coll. de 700 insuffisances aortiques (IA) pures opérées, 2 seulement étaient dues à une QA (0,3 %) (4). Le sex-ratio est proche de 1. La présence d’un corpuscule d’Arantius sur le bord libre de chaque sigmoïde permet d’affirmer l’origine congénitale de la QA, la différenciant des pseudo-quadricuspidies acquises (par un processus endocarditique par exemple). Les dimensions des quatre valves sigmoïdes sont variables : elles peuvent être d’une 22 2. Feldman B.J., Khandheria B.K., Warnes C.A., Seward J.B., Taylor C.L., Tajik A.J. Incidence, description and functional assessment of isolated quadricuspid aortic valves. Am J Cardiol 1990 ; 65 : 937-8. 3. Coeurderoy A., Biron Y., Laurent M., Almange C. Quadricuspidie aortique congénitale. À propos d’un cas. Revue de la littérature. Arch Mal Coeur 1986 ; 5 : 745-8. 4. Waller B.F., Taliercio C.P., Dickos D.K., Howard J., Adlam J.H., Jolly W. Rare or unusual causes of chronic, isolated, pure aortic regurgitation. Clin Cardiol 1990 ; 13 : 577-81. 5. Paemelaere J.M., Desveaux B., Maillard L. et coll.. Une cause rare d’insuffisance aortique pure, isolée et chronique : la quadricuspidie aortique. Arch Mal Cœur 1996 ; 89 : 91-3. 6. Iglesias A., Oliver J., Munoz J.E., Nunez L. Quadricuspid aortic valve associated with fibromuscular subaortic stenosis and aortic regurgitation treated by conservative surgery. Chest 1981 ; 80 : 327-8. 7. Kaminishi Y., Terada Y., Nakamura K. et coll. Aortic valve regurgitation due to quadricuspid valve : report of complicated case. Kyobu Geka 1997 ; 50 : 63-7. 8. Mac Coll I. Pericarditis due to a mycotic aneurysm in subacute bacterial endocarditis. Report of a case affecting congenital stenosed quadricuspid aortic valve. Guys Hosp Rep 1958 ; 107 : 34-7. La Lettre du Cardiologue - n° 299 - septembre 1998