diabétologie Urgences en endocrinologie, et maladies métaboliques Hypercalcémie aiguë de l’adulte Acute hypercalcemia A. Daragon* Définition L’hypercalcémie est définie par un taux anormalement élevé de calcium dans le sang. La limite supérieure de la calcémie normale varie d’un laboratoire à l’autre, selon la méthode de dosage. Globalement, une calcémie est élevée lorsqu’elle dépasse 2,60 mmol/l, soit 105 mg/l. Le calcium ionisé, qui est en cause dans les manifestaions cliniques de l’hypercalcémie, peut être dosé séparément, mais cela n’est pas d’usage en pratique courante. En revanche, étant donné que le calcium total est pour partie fixé aux protéines (40 %), on doit tenir compte de la protidémie, et surtout de l’albuminémie, pour interpréter la calcémie totale. Ainsi, selon que l’on utilise l’expression de la calcémie en mmol ou en mg, on peut appliquer les formules de correction suivantes : Calcémie corrigée (en mmol/l) = calcémie mesurée + (40 – albumine en mg/l) x 0,025 Calcémie corrigée (en mg/l) = calcémie mesurée + (40 – albumine en mg/l) L’hypercalcémie aiguë est due à une variation rapide de la calcémie (sur quelques heures ou sur quelques jours), par opposition à l’hypercalcémie chronique qui évolue sur plusieurs semaines ou sur plusieurs mois. L’hypercalcémie sévère se définit par une calcémie supérieure à 3,5 mmol/l, ou supérieure à 3 mmol/l avec des signes cliniques de mauvaise tolérance. * Service de rhumatologie, CHU de Rouen. 130 Circonstances de découverte En pratique, deux situations bien distinctes de découverte d’une hypercalcémie peuvent se présenter : – le malade a des signes cliniques qui font suspecter une hypercalcémie symptomatique qui sera confirmée biologiquement. Cette situation est fréquente pour les hypercalcémies aiguës qui constituent une véritable urgence nécessitant une hospitalisation et un traitement rapide adapté, afin d’éviter les complications cardiovasculaires (troubles du rythme) et neurologiques (coma) ; – le malade est asymptomatique, mais une hypercalcémie est découverte sur le bilan biologique standard réalisé pour une raison quelconque. Cette circonstance de découverte concerne plus les hypercalcémies chroniques que les hypercalcémies aiguës, le caractère aigu ne pouvant, dans ce cas, être affirmé que sur l’existence d’un dosage récent et normal de la calcémie. Parfois, le malade passe par une longue période d’hypercalcémie chronique asymptomatique avant qu’apparaisse une phase d’hypercalcémie aiguë symptomatique, comme dans l’hyperparathyroïdie primaire, notamment à la faveur d’une déshydratation. Dans ces hypercalcémies chroniques, le problème est plus diagnostique que thérapeutique, et sans nécessité de prise en charge en urgence. Diagnostic positif La prise en charge d’un malade atteint d’hypercalcémie aiguë peut se concevoir dans deux situations principales : Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 4, juillet/août 2005 – le diagnostic d’hypercalcémie aiguë est déjà porté, un dosage de la calcémie ayant été réalisé devant des signes cliniques évocateurs : il convient alors de vérifier la réalité de cette hypercalcémie par un nouveau dosage, tout en commençant le traitement ; – le malade présente des signes cliniques qui, isolément ou en association, doivent faire évoquer l’hypothèse d’une hypercalcémie qui sera confirmée biologiquement. Les signes cliniques de l’hypercalcémie associent peu ou prou : – signes généraux : asthénie, altération de l’état général ; – signes rénaux : polyuropolydipsie ; – signes digestifs : anorexie, constipation, nausées, vomissements ; – signes neuropsychiques : somnolence, confusion, troubles psychiques, coma ; – signes ostéo-articulaires : douleurs osseuses, fracture pathologique, arthralgies, faiblesse musculaire (fatigabilité à l’effort) ; – signes cardiovasculaires : hypertension, raccourcissement de QT à l’ECG. Diagnostic étiologique Si la conduite à tenir devant une hypercalcémie aiguë consiste avant tout à corriger les troubles hydroélectrolytiques pour éviter toute complication grave immédiate, la prise en charge d’un malade hypercalcémique comprend malgré tout une démarche diagnostique d’emblée pour rechercher la cause de l’hypercalcémie, dont dépendront le pronostic et le traitement. Nous n’envisagerons ici que les causes Première partie : thyroïde – parathyroïde communes, sachant qu’elles sont dominées par l’hyperparathyroïdie primaire et les hypercalcémies néoplasiques, deux étiologies qui rassemblent 90 % des cas. Bien sûr, le diagnostic étiologique est évident lorsque le malade est déjà connu pour être porteur d’une hyperparathyroïdie primaire ou d’une néoplasie. Dans les autres situations, afin d’orienter le diagnostic étiologique, on s’attachera à recueillir : ■ Des informations cliniques : – prise de médicaments (contenant de la vitamine D ++), – absorption massive de calcium (buveurs de lait), – antécédent de néoplasie, – découverte d’une néoplasie lors de l’examen général (sein) ; ■ Des informations biologiques sanguines : – calcémie, phosphorémie, phosphatases alcalines, – réserve alcaline, chlore, – créatinine, – VS, NFS plaquettes, – transaminases, GT, – électrophorèse des protides, – TSH, PTH, – 25 OH D3, 1-25 (OH)2 D3, – PTHrp (parathormone related protein) ; ■ Des informations radiologiques : radiographie de thorax. À partir de ces éléments simples, le diagnostic étiologique peut être porté dans la plupart des cas : ■ Hyperparathyroïdie primaire : classiquement, l’hypercalcémie est associée à une hypophosphorémie, une hypercalciurie, une acidose hyperchlorémique. L’élément clé est le dosage de la parathormone. ■ Hypercalcémies néoplasiques : l’hypercalcémie peut aussi s’accompagner d’une hypophosphorémie, lorsqu’il y a sécrétion par la tumeur d’un facteur mimant l’action de la PTH, (la PTH related protein ou PTHrp), alors que le taux plasmatique de PTH, obéissant aux lois du rétrocontrôle physiologique, est effondré. En complément, on sera alerté par une accélération de la VS. Un myélome sera fortement suspecté devant la présence d’un pic à l’électrophorèse des protides, ou à l’inverse par une hypogammaglobulinémie. ■ Granulomatoses : la sarcoïdose s’accompagne rarement d’une hypercalcémie (plus souvent d’une hypercalciurie), liée à la production par le granulome de 1-25 OH vitamine D. ■ Iatrogènes : elles sont essentiellement liées à l’absorption excessive de calcium (buveurs de lait), ou, de façon souvent beaucoup plus sournoise, par l’ingestion de médicaments contenant de la vitamine D et dont la dénomination commerciale n’est pas évocatrice de son contenu. Plus rarement, l’hypercalcémie peut être due à l’absorption de diurétiques thiazidiques, de vitamine A, ou de lithium. ■ Immobilisation : elle doit être totale pour être responsable d’une hypercalcémie qui affecte plus volontiers le sujet jeune, dont le remodelage osseux est actif. La simple remise en charge, lorsqu’elle est possible, corrige cette hypercalcémie. ■ Hyperthyroïdie : le dosage de la TSH doit être facile dans le bilan étiologique, car 15 à 20 % des hyperthyroïdies peuvent s’accompagner d’une hypercalcémie, il est vrai le plus souvent modérée. Conduite à tenir Dans la plupart des cas, l’hypercalcémie aiguë est sévère (lire Définition). La prise en charge initiale nécessite, quelle que soit l’étiologie suspectée : • Une réhydratation par voie intraveineuse, la déshydratation, avec ou sans insuffisance rénale fonctionnelle, étant constante. Selon l’âge et l’état cardiovasculaire du malade, on utilisera du glucosé à 5 % contenant les électrolytes adaptés, ou du soluté salé à 9 ‰. Cette réhydrata- tion va permettre de diminuer la calcémie dès les premières heures de sa mise en place. La pratique d’une “diurèse forcée” ne s’applique qu’aux hypercalcémies très sévères justifiant une prise en charge en réanimation. • Un traitement par calcitonine peut être ajouté lorsque l’hypercalcémie est mal supportée, ou lorsque la calcémie est supérieure à 3,5 mmol/l. Par son effet rapide sur l’élimination rénale du calcium, la calcitonine représente un traitement utile pour sortir rapidement de la “zone dangereuse”, et est sans contre-indication en cas d’insuffisance rénale. On utilise plutôt la calcitonine de saumon, la plus puissante, à la dose initiale de 4 UI/kg/j et jusqu’à 10 UI/kg/j, en perfusion, jusqu’à normalisation de la calcémie. Cependant, un épuisement de l’effet de la calcitonine s’observe souvent après quelques jours de traitement. Lorsque l’origine néoplasique est fortement suspectée, l’administration d’un bisphosphonate intraveineux est utile pour normaliser la calcémie avec un effet prolongé qui va permettre de mener à bien la recherche précise de la néoplasie. En raison du risque de précipitation tubulaire des bisphosphonates susceptible d’être à l’origine d’une insuffisance rénale aiguë, il est recommandé de précéder l’administration par la réhydratation pendant au moins 12 à 24 heures, et de passer le produit lentement si persiste une insuffisance rénale modérée ; leur utilisation n’est pas recommandée en cas d’insuffisance rénale sévère. On peut utiliser : • le pamidronate (Arédia ®), à la dose de 60 à 90 mg selon la sévérité de l’hypercalcémie, en perfusion sur 4 heures ; • l’ibandronate (Bondronat®), à la dose de 2 à 4 mg selon la sévérité de l’hypercalcémie, en perfusion sur 2 heures ; • le zolédronate (Zométa®), à la dose de 4 mg en perfusion courte sur 15 minutes, est aujourd’hui le plus utilisé en raison de son efficacité (supérieure au pamidronate) et de sa facilité d’administration. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 4, juillet/août 2005 131 diabétologie Urgences en endocrinologie, et maladies métaboliques Les bisphosphonates de première génération (étidronate, chlodronate) ne sont plus utilisés dans cette indication en raison de leur moindre efficacité. Lorsque l’hypercalcémie récidive, on peut renouveler le traitement, mais l’effet risque de s’épuiser après plusieurs traitements successifs. On peut alors changer de bisphosphonate, car leurs modes d’action ne sont pas strictement identiques, et une meilleure efficacité peut être observée en changeant de molécule. Lorsque la cause suspectée est une hyperparathyroïdie primaire, les bisphosphonates ne doivent pas être utilisés. Ils n’ont pas l’AMM dans cette indication et ne sont pas très efficaces, car ils n’agissent pas sur la réabsorption rénale du calcium. De plus, dans l’hypothèse où une parathyroïdectomie est réalisée rapidement, les bisphosphonates masquent l’effet rapide de la chirurgie sur la calcémie, et gênent ainsi le suivi postopératoire. On utilisera donc de préférence la calcitonine, qui est d’autant plus efficace qu’elle agit sur l’élimination rénale du calcium. Ce n’est que dans de rares cas que l’on peut proposer une dialyse : hypercalcémie néoplasique sévère avec insuffisance rénale et défaillance cardiaque interdisant une réhydratation adéquate. Selon l’étiologie suspectée, la conduite à tenir initiale peut comporter l’arrêt du facteur favorisant ou responsable, tel que la prise de vitamine D, l’immobilisation ou l’introduction rapide d’un traitement spécifique tel que des corticoïdes dans la sarcoïdose. Références ■ Ralston RH, Coleman R, Fraser WD et al. Medical Management of Hypercalcemia. Calcif Tissue Int 2004;74:1-11. ■ Loboff MS, Mikulec KH. Hypercalcemia: clinical manifestations, pathogenesis, diagnosis, and management. In: Favus M, ed. Primer on the metabolic bone diseases and disorders of mineral metabolism. Philadelphia: Lippincott-Raven 2003:225-9. AVANDAMET 132 Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 4, juillet/août 2005