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Editorial
UKPDS
les nouvelles sont
plutôt bonnes :
point de vue du
diabétologue
Paul Valensi, Bondy
Fort attendus, les résultats de l’UKPDS (United Kingdom Prospective Diabetes Study) sont
arrivés en grande pompe. Ils viennent d’être communiqués aux 10 000 diabétologues présents
à Barcelone au congrès annuel de l’Association européenne pour l’étude du diabète (EASD)
et font l’objet de deux articles publiés dans le numéro du 12 septembre 1998 du Lancet et
simultanément de deux autres insérés dans le British Medical Journal. Débutée il y a 20 ans,
cette étude a impliqué 20 centres britanniques de diabétologie. Le recrutement des patients
s’est étalé de 1977 à 1991. Il s’agit de l’étude la plus importante et la plus longue de l’histoire du diabète. Elle a déjà donné lieu à un grand nombre de publications et les quatre articles
actuels correspondent aux 33e et 34e pour le Lancet, aux 38e et 39e pour le BMJ. Elle s’est
achevée en septembre 1997. Son coût a été de 23 millions de livres sterling et a été couvert
par des instances officielles comme la British Diabetes Association, la British Heart
Foundation, et des laboratoires pharmaceutiques.
L’objectif principal était d’évaluer si le contrôle rigoureux de la glycémie réduit, chez les diabétiques de type 2 (non insulinodépendants), le risque de complications macro- et microvasculaires et si un des traitements antidiabétiques présente un avantage particulier.
Environ 10 % des diabétiques de type 2 développent, dans les dix ans suivant le diagnostic, des
complications microvasculaires et 20 % une complication macrovasculaire. Les accidents cardiovasculaires sont responsables de plus de la moitié des décès de ces patients. Plusieurs essais
d’intervention ont déjà montré que l’amélioration du contrôle glycémique retarde le développement et la progression de la rétinopathie, de la néphropathie et de la neuropathie dans le diabète de type 1 (la preuve formelle ayant été fournie par l’étude du DCCT), mais dans le diabète de type 2, peu de données sont disponibles en dehors de l’étude japonaise Kumamoto. La
seule grande étude randomisée, effectuée sur le diabète de type 2, était celle de l’UGDP
(University Group Diabetes Program) qui avait suivi 1 000 patients pendant 3 à 8 ans et n’avait
pas fourni la preuve que l’amélioration du contrôle glycémique réduisait le risque d’événements cardiovasculaires. Une augmentation du risque d’accidents cardiovasculaires fatals
était même attribuée à un sulfamide hypoglycémiant, le tolbutamide, et à un biguanide, la phenformine. Ces données, publiées dans les années 70, avaient généré un malaise bien évident. Ces
deux médicaments ont été retirés. L’UKPDS a donc été mis en œuvre dans ce climat troublé et
visait à évaluer l’apport d’un contrôle glycémique, intensifié par un traitement médicamenteux
approprié par rapport aux seules recommandations nutritionnelles. Il s’agissait aussi d’innocenter les sulfamides hypoglycémiants, mais également d’évaluer l’effet athérogène possible de
l’insuline, suggéré par des travaux expérimentaux plus récents. Une étude “Hypertension”
s’est superposée à l’étude principale pour examiner si un contrôle tensionnel rigoureux par
l’aténolol ou le captopril procure aux diabétiques de type 2 un bénéfice en termes de complications micro- et macrovasculaires. Un protocole propre aux diabétiques obèses a aussi été
réalisé avec la metformine. D’autres protocoles se sont greffés sur l’étude principale, amenant
à considérer de plus petits groupes de patients et rendant la lisibilité et l’interprétation des
résultats plus délicates. Il est possible néanmoins de tirer des conclusions majeures.
En ce qui concerne l’effet du contrôle glycémique, l’analyse a porté sur 3 867 patients ayant
un diabète de type 2 diagnostiqué, âgés en moyenne de 54 ans, qui ont été randomisés en deux
groupes : l’un bénéficiant d’un contrôle intensif de la glycémie par un sulfamide hypoglycémiant (chlorpropamide, glibenclamide ou glipizide) ou l’insuline, l’autre suivant des mesures
diabétiques conventionnelles. Dans le groupe “intensif”, la glycémie à jeun devait être maintenue au-dessous de 6 mmol/l. Dans le groupe “conventionnel”, des médicaments antidiabétiques ont été ajoutés seulement si des symptômes hyperglycémiques apparaissaient ou si la
glycémie à jeun dépassait 15 mmol/l. Après 10 ans de suivi, le taux d’hémoglobine A1c était de
7 % en moyenne dans le groupe “intensif” et de 7,9 % dans le groupe conventionnel, soit 11 %
de réduction. Dans le groupe “intensif”, une réduction de 12 % (p = 0,029) de l’ensemble des
Act. Méd. Int. - Hypertension (10), n° 8, octobre 1998
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Editorial
événements liés au diabète a été enregistrée, qu’il faut essentiellement attribuer à une réduction de la fréquence des complications
microangiopathiques (- 25 %), en particulier de la nécessité d’une photocoagulation rétinienne et du risque de voir apparaître une
microalbuminurie ou une neuropathie périphérique évaluée par la sensibilité vibratoire. Mais aucun avantage particulier n’a pu
être reconnu à tel ou tel traitement hypoglycémiant ? Une réduction de 16 %, à la limite de la significativité statistique (p = 0,052)
du risque d’infarctus du myocarde a été enregistrée. Ces résultats ont été obtenus au prix d’une augmentation significative des
épisodes hypoglycémiques (1 à 1,8 % des patients ont eu une hypoglycémie sévère par an sous traitement hypoglycémiant contre
0,7 % sous traitement conventionnel), et d’une prise pondérale significativement plus élevée (= 2,9 kg en moyenne), la plus importante étant notée comme cela était prévisible sous insuline (+ 4 kg). La première conclusion est donc que le contrôle intensif de la
glycémie par sulfamides hypoglycémiants ou insuline réduit de façon substantielle le risque de complications microangiopathiques. Le bénéfice en termes de complication macrovasculaire est équivoque. Mais ces résultats invalident au minimum l’étude
de l’UGDP dans la mesure où il n’est plus possible de retenir un effet délétère des sulfamides hypoglycémiants vis-à-vis des événements cardiovasculaires ni un effet athérogène d’expression clinique lié à l’insuline.
Chez les sujets en surpoids (> 120 % du poids idéal théorique), les résultats sont plus démonstratifs avec la metformine qui réduit
significativement l’ensemble des événements liés au diabète (- 32 %), la mortalité liée au diabète (- 42 %) et toutes causes confondues (- 36 %), comparativement au traitement conventionnel par régime seul. En outre, quand on compare un traitement intensif
par la metformine au traitement par sulfamides (chlorpropamide ou glibenclamide) ou par insuline, les mêmes résultats sont
notés. Ces bénéfices s’associent à une moindre prise de poids et à un nombre nettement inférieur d’hypoglycémies que sous sulfamides ou insuline. La metformine apparaît donc bien comme le traitement qu’il faut recommander en premier lieu chez les diabétiques en surpoids (conformément aux pratiques françaises de longue date...). Le protocole “Hypertension” s’est adressé aux
diabétiques de type 2 ayant une pression artérielle à 160-90 mmHg sans hypertenseur ou une pression artérielle supérieure à 15085 mmHg sous traitement antihypertenseur. Cette phase a débuté chez des patients entrés dans l’étude principale depuis 2,6 ans
en moyenne, ayant donc une ancienneté de diabète minimale de 2,6 ans. Dans le groupe bénéficiant d’un contrôle tensionnel
“intensif”, l’objectif était de ramener les chiffres tensionnels au dessous de 150-85 mmHg en recourant à l’aténolol ou au captopril, si besoin secondairement au furosamide, à la nifédipine, à l’alpha-méthyldopa ou à la prazosqine.
Dans l’autre groupe, la pression artérielle devait se situer au-dessous de 180-105 mmHg en évitant les inhibiteurs de l’enzyme
de conversion de l’angiotensine et les bêta-bloquants. Sur un suivi moyen de 8,4 ans, la pression moyenne était de 114-82 mmHg
dans le groupe "intensif" et de 154-87 mmHg dans l’autre groupe. Dans le groupe “intensif” 29 % des patients ont dû prendre
au moins trois antihypertenseurs. Une réduction significative des événements (- 24 %) et de la mortalité (- 32 %) liés au diabète,
des accidents vasculaires cérébraux (- 44 %) et des complications microvasculaires (- 37 %) a été observée. Par contre, il n’existe pas d’avantage propre au captopril ou à l’aténolol dans la protection vis-à-vis de ces risques, mais une meilleure tolérance peut
être attribuée au captopril. Enfin, le bénéfice lié au contrôle glycémique et au contrôle tensionnel semble s’ajouter.
L’étude UKPDS a également comporté une analyse de la qualité de vie. On a noté que les complications s’accompagnent d’un
effet négatif sur l’humeur et que les complications microvasculaires altèrent la mobilité et les activités quotidiennes. Le contrôle
glycémique et tensionnel rigoureux n’altère pas la qualité de vie, mais... ne l’améliore pas non plus. Enfin l’analyse des coûts liés
à cette démarche thérapeutique intensifiée fait état d’une augmentation logique des coûts de la prise en charge, dans le cadre
d’une étude protocolaire, mais ces coûts ne devraient pas dépasser en pratique ceux liés aux complications de la maladie.
En conclusion, cette étude tant attendue fournit la preuve indiscutable du bénéfice du contrôle glycémique et du contrôle tensionnel en terme de protection microvasculaire et à un moindre degré macrovasculaire. Les épidémiologistes du groupe UKPDS
ont calculé qu’une baisse de 1 % du taux de l’HbA1c et de 10 mmHg de la pression systolique, quels que soient les niveaux de
départ, procure déjà des résultats significatifs. Des analyses complémentaires seront probablement livrées dans un proche avenir,
mais les conclusions des sous-protocoles intriqués seront limitées par une perte de puissance liée aux effectifs réduits. En dehors
de la metformine dont l’indication chez les diabétiques obèses ne semble plus devoir se discuter, il faut remarquer que les choix
thérapeutiques destinés à améliorer le contrôle glycémique ne sont pas facilités par cette étude, car de nouveaux traitements antidiabétiques sont apparus ou sur le point d’être commercialisés. En outre, on connaît aujourd’hui, du moins en prévention secondaire, l’intérêt du contrôle des désordres lipidiques souvent présents chez les diabétiques de type 2, et cet aspect n’est pas envisagé dans l’étude UKPDS. Un point est aujourd’hui indiscutable : la nécessité d’améliorer l’équilibre glycémique de tous les diabétiques. Cela doit passer par la formation des médecins généralistes et l’éducation des patients, et par l’aide plus large des spécialistes. Des moyens adaptés devraient donc être délivrés, d’autant plus justifiés que l’incidence du diabète est en nette augmentation.
Act. Méd. Int. - Hypertension (10), n° 8, octobre 1998
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