C A S C L I N I Q U E Une observation d’occlusion coronaire aiguë ● G. Drobinski* OBSERVATION Il s’agit d’une femme de 88 ans, hospitalisée pour bilan d’un rétrécissement valvulaire aortique. La patiente présente depuis quelques semaines une dyspnée d’effort d’intensité croissante. L’auscultation révèle un souffle de rétrécissement aortique avec abolition du deuxième bruit, l’ECG ne montre pas d’anomalie de repolarisation. Une échocardiographie doppler confirme un rétrécissement aortique calcifié très serré, avec une surface valvulaire aortique calculée à 0,5 cm2 ; le ventricule gauche est petit (diamètre diastolique à 3,9 cm), tonique (pourcentage de raccourcissement 31 %), avec une épaisseur diastolique de la paroi libre à 0,8 cm et du septum à 1,2 cm. À titre systématique dans le cadre du bilan préopératoire, est réalisée une coronarographie au cours de laquelle la valve aortique est franchie. Un gradient pic à pic de 50 mmHg est alors enregistré avec une pression intraventriculaire gauche de 212/10-20 mmHg. Une ventriculographie gauche est réalisée ; elle montre un ventricule gauche tonique avec une fraction d’éjection à 73 % et un volume ventriculaire diastolique indexé à la surface corporelle de 44 ml/m2. Cette ventriculographie est compliquée d’une effraction pariétale de contraste au niveau de la paroi antérieure (figure 1). Environ 3 à 4 minutes après la ventriculographie, la patiente présente un malaise avec douleur thoracique et hypotension. Une échographie cardiaque est immédiatement pratiquée, la pariétographie faisant craindre un hémopéricarde : l’échographie montre l’absence d’épanchement péricardique mais révèle une akinésie de la paroi antérieure. L’analyse de la ventriculographie révèle que le produit de contraste dans la paroi se projette en regard du trajet de l’artère IVA (figure 2). Une coronarographie est réalisée et montre une occlusion de l’IVA moyenne juste au niveau de la pariétographie (figure 3). Une désobstruction de l’IVA est rapidement effectuée avec passage facile d’un guide dans l’IVA distale et rétablissement du flux dès la pose d’un stent standard de 3 mm de diamètre et 15 mm de longueur (stent Teneo Biotronix) (figure 4). Dès la réouverture de l’artère, la douleur angineuse et le susdécalage de ST qui étaient apparus disparaissent, et l’hémodynamique cardiaque se normalise. La surveillance des marqueurs de l’ischémie montre un pic d’élévation des CPK à 473 UI et de troponine I à 12,8 U, sans modification persistante de l’ECG ou anomalie de contraction à l’échographie cardiaque. L’intervention chirurgicale sur la valve aortique a pu être réalisée un mois plus tard (arrêt dans le délai habituel, après pose d’un stent, du traitement par clopidogrel). Figure 1. Visualisation de la myographie. * Service de cardiologie, CHU Pitié-Salpêtrière, Paris. 12 Figure 2. Lors de la systole ventriculaire, on peut observer la myographie en regard de l’opacification de l’IVA. La Lettre du Cardiologue - n° 352 - février 2002 C Figure 3. Occlusion de l’IVA moyenne. DISCUSSION Cette patiente a présenté une occlusion coronaire aiguë sur artère saine, dont le mécanisme est certainement une compression de l’artère IVA par un hématome dû à l’effraction de produit de contraste dans la paroi ventriculaire gauche. Une blessure directe de l’artère IVA par le jet ou par la pénétration dans la paroi de l’extrémité de la sonde de ventriculographie (type pigtail 5F) est également possible. D’autres mécanismes peuvent être discutés, tels qu’une embolie coronaire ou une occlusion coronaire sur lésion préexistante à l’occasion d’une baisse du débit cardiaque à travers le rétrécissement aortique, mais ils ne sont pas expliqués par les données de l’observation. Les hématomes myocardiques compressifs sont certainement exceptionnels ; toutefois, nous avons pu en observer deux autres cas, au niveau de l’IVA après biopsie myocardique chez un greffé cardiaque et au niveau de la circonflexe après cathétérisme du sinus coronaire pour une tentative de fulguration d’une voie accessoire latérale gauche. Chez le greffé cardiaque, la fréquence des blessures coronaires lors des biopsies est attestée par celle des fistules, le plus souvent entre l’IVA et la cavité du VD, évaluée à 5,4 % (1). Dans notre série de 381 coronarographies chez des transplantés cardiaques, une fistule entre l’IVA et le VD est observée dans 15 cas (3,94 %). Ces blessures peuvent se compliquer d’ischémie et d’infarctus du myocarde (2). La Lettre du Cardiologue - n° 352 - février 2002 A S C L I N I Q U E Figure 4. Reperfusion de l’IVA après mise en place d’un stent. Une autre question soulevée par cette observation est l’intérêt du cathétérisme ventriculaire gauche, compte tenu de la précision des données de l’échographie doppler pour l’évaluation de la sévérité de l’obstacle valvulaire. L’évaluation hémodynamique de l’obstacle aortique reste justifiée en cas d’atteinte plurivalvulaire ou lorsqu’il existe un doute sur la sévérité ou sur la localisation valvulaire ou sous-valvulaire de l’obstacle. Elle complète l’exploration des coronaires chez les patients qui présentent une suspicion légitime d’atteinte coronaire, nécessitant une coronarographie préopératoire, ce qui est le cas chez notre patiente de 88 ans. Le petit volume de la cavité du ventricule gauche peut avoir favorisé le traumatisme de la paroi qui, par chance, ne s’est pas compliqué d’hémopéricarde. Cet accident doit être prévenu par le contrôle soigneux de la position de la sonde dont le déplacement doit être libre, non gêné par les cordages ou les trabéculations de l’endocarde ; en outre, un cathétérisme du ventricule gauche doit pouvoir être effectué en ■ confiance et sécurité chaque fois qu’il est jugé utile. Bibliographie 1. Henzlova MJ, Nath H, Bucy RP, Bourge RC, Kirklin JK, Rogers WJ. Coronary artery to right ventricle fistula in heart transplant recipients : a complication of endomyocardial biopsy. J Am Coll Cardiol 1989 ; 14 : 258-61. 2. Wolf A, Rockson SG. Myocardial ischemia and infarction due to multiple coronary-cameral fistulae : two case reports and review of the literature. Cathet Cardiovasc Diagn 1998 ; 43 : 179-83. 13