É D I T O R I A L Le coro-scanner : est-il déjà fiable ? ICT coronary angiography: already reliable? ● G. Helft, J.P. Metzger* es études publiées s’intéressant à la comparaison entre les résultats obtenus par le coro-scanner et la coronarographie conventionnelle soulignent la très bonne valeur prédictive négative du coro-scanner pour éliminer une atteinte coronarienne. En revanche, lorsque le coro-scanner objective une ou des sténoses coronaires, il paraît actuellement nécessaire de réaliser une coronarographie conventionnelle. Le cas clinique suivant illustre le danger potentiel de déroger à cette règle. Monsieur B.E., âgé de 54 ans, en excellent état général, présente une insuffisance mitrale volumineuse par prolapsus de la petite valve sur rupture de cordage. Il est asymptomatique. Compte tenu de l’importance de la fuite mitrale, de la majoration de la dilatation auriculaire gauche (sur les échographies itératives), du diamètre ventriculaire gauche et de la possibilité de pratiquer une plastie mitrale, une intervention chirurgicale est programmée. Les facteurs de risque du patient comprennent une dyslipidémie traitée par simvastatine. Dans le cadre du bilan préopératoire, une tomodensitométrie des coronaires, c’est-à-dire un coro-scanner, est pratiquée. Elle est jugée de bonne qualité. L’examen montre un tronc commun perméable sans sténose. L’artère interventriculaire antérieure (IVA) présente un premier segment infiltré, sans sténose significative, une plaque calcifiée non sténosante sur son deuxième segment jugé d’interprétation plus difficile, et un troisième segment de petit calibre, mais perméable. Les deux diagonales sont perméables, non infiltrées. L’artère circonflexe est de petit calibre et présente une plaque ostiale calcifiée entraînant une sténose estimée à 50 %, jugée significative avant le départ d’une marginale latérale gauche. La coronaire droite présente des calcifications sans sténose significative. L’intervention chirurgicale à type de plastie mitrale et de pontage mammaire interne gauche-latérale est réalisée. Cependant, en sortie de circulation extracorporelle, le patient présente une insuffisance ventriculaire gauche massive alors qu’il n’y a plus d’insuffisance mitrale. L’électrocardiogramme (ECG) montre l’apparition d’un bloc de branche gauche et l’échographie montre une akinésie antérieure. Le patient est transféré en urgence en salle de cardiologie interventionnelle. Une contre-pulsion par ballon intra-aortique est L * Institut de cardiologie, groupe hospitalier de la Pitié-Salpêtrière, Paris. La Lettre du Cardiologue - n° 395 - mai 2006 mise en place. La coronarographie montre une coronaire droite dominante, très discrètement infiltrée, sans sténose. La mammaire interne gauche implantée sur l’artère latérale est perméable sans sténose. En revanche, il existe une sténose serrée calcifiée de l’ordre de 90 % de la distalité du tronc commun de la coronaire gauche. Cette plaque d’athérome de la distalité du tronc commun intéresse également les deux ostia de l’IVA et surtout de la circonflexe avec un degré de rétrécissement évalué entre 50 et 70 %. Le patient est réadmis au bloc chirurgical où il est pratiqué un pontage à partir de l’artère mammaire interne droite sur l’IVA. Il est ensuite mis en place une assistance circulatoire, le patient étant sous dobutamine 10 γ/kg/mn, noradrénaline 3 mg/h, adrénaline 2 mg/h. L’évolution et la bonne récupération du ventricule gauche permettent le sevrage de l’assistance circulatoire à J4 et le sevrage de la contre-pulsion par ballon intra-aortique à J5. Cependant, une défaillance multiviscérale, dans le cadre d’un choc septique avec instabilité hémodynamique, oligo-anurie et syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), justifie le passage en réanimation médicale à J6. L’amélioration est progressive en 5 jours avec une possibilité d’arrêter les catécholamines à J16. Une trachéotomie est pratiquée à J10 devant la persistance du SDRA malgré l’antibiothérapie adaptée. La décanulation est pratiquée à J30. Le patient est transféré en service de réadaptation cardiaque. Ce cas clinique met en relief l’insuffisance du coro-scanner pour remplacer de manière fiable la coronarographie conventionnelle. Ce serait bien entendu une erreur de tirer des conclusions hâtives à partir d’un cas clinique isolé. Néanmoins, il permet de s’interroger sur la fiabilité du coro-scanner dans la détection de sténoses coronaires significatives. L’engouement provoqué par la nouvelle imagerie représentée par l’angioscanner coronaire s’explique par la remarquable qualité iconographique des images en 3D obtenue par la vertigineuse vitesse d’acquisition des images et par le caractère apparemment non invasif de cet examen. Mais il ne faut pas oublier que le coro-scanner nécessite une exposition aux rayons X et impose l’utilisation de produits de contraste iodés avec les risques d’irradiation, d’allergie et de néphro-toxicité tout comme la coronarographie. De surcroît, un coro-scanner suivi d’une coronarographie nécessite une double administration de produit de contraste, ce qui majore potentiellement le risque de néphrotoxicité. 3 É D I T O R I A L Que nous enseigne la littérature la plus récente concernant le coro-scanner ? Une publication dans le Journal of the American Medical Association (mai 2005) s’étant intéressée au coro-scanner et à l’angiographie coronaire, a montré des résultats impressionnants du coro-scanner en termes de sensibilité, de spécificité, de valeur prédictive positive et négative respectivement de 95 %, 98 %, 87 % et 99 % pour la détection des sténoses supérieures à 50 % en comparant les coronaires segment par segment avec la coronarographie conventionnelle (1). Mais ces résultats ne doivent pas masquer, reconnaissent les auteurs, que le coroscanner, n’est pas encore prêt à concurrencer la coronarographie conventionnelle, car la couverture complète de l’arbre coronaire n’était réalisée que dans 73 % des cas. De plus, les patients stentés (qui sont de plus en plus nombreux parmi nos patients coronariens…) étaient exclus de cette étude comme des autres études similaires en raison des artefacts entraînés par le grillage du stent. Par conséquent, pour répondre à la question de savoir si “le coroscanner est déjà fiable ?”, ce que l’on peut écrire clairement à la date d’aujourd’hui est que le coro-scanner n’est pas un examen de substitution et ne peut remplacer à ce jour la coronarographie. Il n’en demeure pas moins vrai que l’excellente valeur prédic- 4 tive négative du coro-scanner est très attractive. Lorsque la prévalence de la maladie coronaire est faible, et que le coro-scanner ne montre pas d’anomalie, on peut raisonnablement surseoir à une coronarographie conventionnelle. L’excellente valeur prédictive négative du coro-scanner ne doit pas pour autant conduire à un élargissement des indications de l’imagerie coronaire audelà de celles qui sont définies pour la coronarographie par les sociétés savantes. D’autre part, le caractère anormal d’un coroscanner doit, sauf contre-indication absolue, mener à une coronarographie conventionnelle pour confirmer ou infirmer l’anomalie du coro-scanner. Les années à venir devraient être marquées par la poursuite de l’amélioration technologique des scanners, par l’expérience et la collaboration croissantes des cardiologues et des radiologues, tout cela devant amener à l’amélioration de la fiabilité du coro-scanner. ■ Bibliographie 1. Hoffmann MH, Shi H, Schmitz BL et al. Noninvasive coronary angiography with multislice computed tomography. JAMA 2005;293:2471-8. La Lettre du Cardiologue - n° 395 - mai 2006