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Une longue histoire avec Herceptin®
A long story with Herceptin®
● P. Beuzeboc*, S. Scholl*, A. Vincent-Salomon*, X. Sastre*, P. Pouillart*
e trastuzumab (Herceptin®), anticorps monoclonal
humanisé anti-HER2, est le premier traitement à cibler
un récepteur de facteur de croissance membranaire procurant un avantage en survie dans le cancer du sein métastatique
(1). Résultant d’un long effort de développement des biotechnologies et des progrès dans la connaissance de la biologie moléculaire du cancer du sein, il constitue une avancée thérapeutique
importante ayant modifié la prise en charge et le pronostic des
tumeurs présentant une amplification de HER2 (2-6). Nous
rapportons ici le cas de la patiente traitée depuis le plus longtemps
en France par Herceptin®.
L
HISTOIRE DE LA MALADIE
Mme C..., 33 ans, sans antécédent particulier en dehors de
coliques néphrétiques et d’un kyste bénin de l’ovaire opéré, présente en mars 1995 un cancer inflammatoire du sein gauche avec
une tumeur palpable de 6 cm des quadrants supérieurs et une adénopathie axillaire centimétrique. Le forage biopsique permet le
diagnostic d’adénocarcinome canalaire infiltrant SBR II fort. Le
bilan d’extension avec myélogramme s’étant avéré normal, la
patiente est traitée dans le cadre du protocole PEGASE 2 par de
fortes doses de doxorubicine (120 mg) et de cyclophosphamide
(4 800 mg) par cycle avec support de cellules souches. Au décours
de quatre cycles, la persistance de signes de lymphangite cutanée a fait opter pour un traitement local par radiothérapie. En
décembre 1995, une reprise évolutive est confirmée par la biopsie cutanée de nouveaux placards lymphangitiques. Après échec
très rapide d’un traitement hormonal par agoniste de la LH-RH
associé au tamoxifène, une chimiothérapie par un protocole FUN
tous les 21 jours est instaurée en janvier 1996 et poursuivie
jusqu’en août 1996.
Apparaît alors une importante progression sous forme d’une lymphangite prenant l’ensemble du sein gauche, s’étendant jusqu’à
l’épaule gauche, mais également au niveau de la région parasternale droite et du sein droit, où l’on retrouvait une tumeur susaréolaire de 3 x 3,5 cm positive à la ponction cytologique. La
tumeur exprimant fortement HER2 en immunohistochimie, la
patiente est traitée à partir du 27 septembre 1996 dans le cadre
de l’étude pivotale internationale de phase II (HO 649g) par tras* Institut Curie, 75005 Paris.
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tuzumab seul, selon le schéma qui deviendra celui de l’AMM
(4 mg/kg en traitement d’induction et 2 mg/kg en traitement hebdomadaire de maintenance). Dès le mois suivant, il existe une
réponse majeure. Cette réponse, qui ne sera jamais complète, se
maintiendra jusqu’en janvier 1998, où une progression de la
lymphangite et la réapparition d’une tumeur mammaire droite
palpable feront, comme le prévoyait le protocole, doubler les
doses de trastuzumab (4 mg/kg/sem.). Ce traitement sera poursuivi jusqu’en avril 1999, date à laquelle il sera arrêté devant la
progression des lésions. Une biopsie pratiquée à la fois au niveau
du sein et de la peau montre la persistance d’une surexpression
intense de la protéine HER2 au niveau de la majorité des cellules
tumorales. Entre mai 1999 et avril 2001, la patiente est traitée
par plusieurs chimiothérapies (THP adriamycine-gemcitabine,
navelbine-méthotrexate, celiptium, capécitabine), qui entraînent
au mieux une stabilisation très transitoire des lésions lymphangitiques. Il faut noter son refus d’un traitement par taxane du fait
du risque d’alopécie.
Devant l’évolutivité des lésions cutanées en cuirasse, ulcérées,
étendues sur l’ensemble des parois thoraciques antérieures droite
et gauche, mais également au niveau cervical et thoracique
postérieur gauche, nous décidons de reprendre le trastuzumab
seul à la dose de 2 mg/kg/sem. à partir d’avril 2001, puis de
6 mg/kg/3 sem. à partir de juin 2002. L’évolution des lésions
semblant se modifier avec le cycle menstruel, malgré l’absence
d’expression de récepteurs à l’estradiol et à la progestérone, un
traitement hormonal combinant agoniste de la LH-RH et antiaromatase est institué à partir d’avril 2003. En septembre 2003,
la patiente est opérée d’une métastase cérébrale frontale unique.
Une radiothérapie complémentaire est réalisée et le traitement
général poursuivi, le bilan d’extension ne montrant pas de métastases viscérales et les lésions cutanées étant stables. La patiente
est toujours sous traitement en août 2004, avec des lésions relativement stables.
DISCUSSION
Cette observation unique montre combien le traitement ciblé par
trastuzumab peut modifier l’évolution naturelle du cancer du sein
exprimant HER2.
Elle est un bon exemple des données qui s’accumulent aujourd’hui
pour mieux prendre en charge ces formes tumorales. Il s’agit de
La Lettre du Cancérologue - Volume XIII - no 5 - septembre-octobre 2004
la patiente traitée depuis le plus longtemps en France par Herceptin®, puisque nous étions le seul centre français ayant participé à l’étude pivotale de phase II (7). Cette étude multicentrique
internationale, réalisée dans cinquante-cinq sites et huit pays,
avait inclus 222 patientes avec une tumeur surexprimant HER2
(2+ ou 3+ en immunohistochimie après lecture centralisée),
traitées par une ou deux lignes de chimiothérapie (trois en cas de
traitement adjuvant). Les patientes recrutées étaient, en règle
générale, déjà lourdement traitées : 68 % avaient reçu une chimiothérapie adjuvante, 68 % deux lignes en phase métastatique
et 25 % une chimiothérapie myélosuppressive avec autogreffe.
Le taux de réponse objective rapporté par les investigateurs dans
cette étude était de 15 % par le comité d'évaluation indépendant
mis en place (IC95 : 10-20 %). La médiane de durée de réponse
était de 8,5 mois et celle de survie de 13 mois.
Cette observation est un exemple, représentant un moment privilégié de réflexion pour faire le point sur ce que nous a apporté,
ces dernières années, l’expérience avec Herceptin®, et sur la façon
dont ont évolué les concepts depuis l’AMM.
Il faut sans doute insister sur :
✓ L’intérêt potentiel dans les cancers du sein inflammatoire,
où le taux de surexpression d’HER2 apparaît plus important
(jusqu’à 40 % au lieu des 15-25 % habituels des cancers du sein).
✓ Les résultats décevants de la chimiothérapie utilisée seule
et la résistance au tamoxifène. Il apparaît que la surexpression
de HER2 dans les cancers du sein est prédictive d’une résistance
à une hormonothérapie par tamoxifène (8, 9), parfaitement étayée
par les données biologiques et expérimentales récentes (10), à une
chimiothérapie adjuvante par CMF (11) ou à des doses faibles
d’anthracyclines (12). Les chimiothérapies intensives ne semblent
pas non plus permettre de corriger le paramètre pronostique péjoratif lié à la surexpression de HER2 (13, 14).
✓ Une durée de réponse qui peut être prolongée.
✓ La qualité de vie sous traitement. Cette patiente a continué
ses activités professionnelles pendant tout le temps du traitement
jusqu’à la métastase cérébrale. Son investissement lui a même
permis une promotion professionnelle. Elle s’est aussi remariée… Cela est lié à la parfaite tolérance quand les problèmes
cardiaques ne se posent pas. Il faut relever chez cette patiente
l’absence de retentissement sur la fonction cardiaque, malgré
six ans de traitement par Herceptin®, bel exemple de l’absence
de toxicité cumulative cardiaque du trastuzumab utilisé seul et
du fait que la cardiotoxicité semble bien liée à une inhibition des
mécanismes de réparation des dommages occasionnés habituellement par les anthracyclines (15-18).
✓ La fréquence des métastases cérébro-méningées, comme
nous le constatons actuellement, en rapport avec l’absence de passage de Herceptin® au niveau de la barrière cérébro-méningée, mais
aussi avec l’allongement de la survie lié au meilleur contrôle des
autres métastases. Le pronostic se joue maintenant souvent au
plan cérébro-méningé. Il est assez étonnant, dans le cas de cette
patiente, qu’elle n’ait pas présenté des métastases viscérales…
✓ L’intérêt en traitement de maintenance des traitements
toutes les trois semaines.
✓ L’intérêt d’un traitement prolongé. La décision de poursuite
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des traitements ciblés apparaît différente de celle de la chimiothérapie, conditionnée par la réponse thérapeutique et la toxicité. Obtenir une stabilisation prolongée ou ralentir la progression de la maladie est sans doute un élément essentiel à prendre
en compte. L’intérêt de la poursuite de la thérapeutique ciblée
vient d’être montré dans les GIST avec l’imatinib, qu’il faut
continuer, son arrêt après un an ayant un effet délétère sur la survie (19). Notons que, chez cette patiente, le traitement n’a pas modifié le taux de positivité ni l’importance de l’expression de HER2
des cellules tumorales résiduelles. Pourtant, le maintien de la
pression thérapeutique ciblée paraît bénéfique. Il semble bien
que l’expérience clinique aille dans le sens, en cas d’échec d’une
première association avec une chimiothérapie, d’un changement de
la chimiothérapie tout en poursuivant Herceptin®. Mais cela reste
à démontrer…
✓ Enfin, l’expérience et les essais thérapeutiques ont confirmé
l’intérêt des associations avec d’autres cytotoxiques que le
paclitaxel (20, 21), notamment avec le docétaxel (22-24) et la
vinorelbine (25). Des études sont en cours avec la capécitabine.
On peut regretter le refus par la patiente d’une association avec
taxane, qui aurait peut-être permis un meilleur résultat thérapeutique.
Quant à l’avenir, il est à la compréhension des mécanismes de
résistance (26, 27), et au blocage associé d’autres cibles biologiques par des traitements spécifiques.
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