Faire autrement et faire vite P. Melin*

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Faire autrement et faire vite
P. Melin*
FEJUPSJBM
Huile sur toile : “Ils sont partis”
Anne de Colbert Christophorov.
Hépatites C et addictions, vous connaissez bien sûr ! Tout lecteur de cette revue ne peut ignorer
les problèmes liés aux hépatites virales chez les patients “addict”. Mais dans les faits, peu de
choses changent ! Dans les années 1980, les toxicomanes ont payé un lourd tribut à l’épidémie
du VIH. L’ensemble des professionnels de santé, à leur contact, s’est historiquement largement
mobilisé pour leur offrir un accès aux soins, modifier les pratiques, inventer la réduction des
risques, permettre aux patients de devenir des usagers du système de soins en permettant à
leur parole d’émerger : c’était les années 1980 ! Nous fêtons ce jour la découverte du virus de
l’hépatite C et les formidables progrès thérapeutiques qui ont suivi. Nous sommes passés
d’un taux de 10 % à 70 % de guérison. Et pourtant, cet accès aux soins ne bénéficie que trop
peu aux usagers de drogues. Alors, que se passe-t-il du côté des professionnels ? Les temps
seraient-ils différents ? Sommes-nous épuisés ? N’avons-nous pas confiance en l’enjeu épidémiologique ? Les patients ne nous parlent-ils plus de leur maladie ? Sommes-nous devenus sourds ? Il faut
trente ans pour faire une cirrhose et décéder de ses complications, mais en cas de consommation d’alcool ou
de co-infection avec le VIH, quelques années peuvent suffire. Des patients toxicomanes commencent à décéder de leur hépatite, mais ce n’est rien à côté de ce que l’on peut attendre d’ici trois à quatre ans si aucune
mobilisation n’a lieu. Les consultations d’hépatologues ont d’abord été envahies par les patients contaminés
par transfusion, mais aujourd’hui l’épidémie se modifie, les transfusés se raréfient et l’hépatite continue
de galoper chez les toxicomanes avec 4 000 contaminations par an. L’hépatite C prend donc un nouveau
visage, celui des usagers de drogues, et la plupart des services d’hépatologie sont encore effrayés par eux.
Et, si l’on s’en tient aux conclusions des conférences de consensus, on peut très vite trouver une raison pour
ne pas les traiter.
Nous et quelques-uns, depuis plusieurs années, crions qu’une prise en charge transdisciplinaire et une adaptation de nos pratiques permettraient le traitement de cette population avec un succès équivalent aux patients transfusés. Avec, de plus, un bénéfice direct dans leur parcours de vie.
Mais sur le terrain, les choses bougent-elles ? Un certain nombre de renseignements peuvent être trouvé
dans la grande étude réalisée par le laboratoire Schering-Plough intitulée CHEOBS.
Dans 80 sites français universitaires, hôpitaux généraux, médecins libéraux : 1 945 patients accédant à un
traitement interféron/ribavirine pour une hépatite C ont été suivis de janvier 2003 à décembre 2004 : 42 %
s’étaient contaminés par usage de drogue, 22 % avaient un trouble psychiatrique identifié, mais moins de
2 patients sur 3 avaient rencontré un psychiatre.
Enfin, intéressant : quelques centaines de patients avaient un traitement de substitution et malgré une
consommation d’alcool, accédaient au traitement.
Nous sommes bien sûr en attente des résultats finaux de cette étude lors du prochain congrès de l’AASLD à
Boston et les résultats chez les patients infectés par un génotype 2 et 3 n’ayant que six mois de traitement
seront présentés.
Il en ressort que la mise en place d’un programme d’éducation et d’accompagnement permet de majorer
significativement le nombre de patients guéris et ce, plus particulièrement, chez les patients “addict”.
Alors qu’attendons-nous ? Ils sont là dans nos consultations, ne nous parlent pas de leur hépatite et nous
n’évoquons pas le sujet. À qui la faute ?
Les addictologues doivent certes se mobiliser, mais également les psychiatres, les usagers et les hépatologues, car si l’interféron a la réputation d’induire des dépressions et des troubles de l’humeur dans 30 % des
cas, le traitement peut être mis en route et poursuivi pour obtenir la guérison du patient.
Lorsque l’on interroge d’autres pays européens et les États-Unis, on retrouve de nombreux freins à l’accès
aux soins des usagers de drogues. En France, les minima sociaux tels que l’ALD, les couvertures sociales, le
dispositif sanitaire, l’accès au traitement dans les prisons, devraient nous permettent de traiter largement
cette population et d’endiguer l’épidémie.
Même si notre expérience est déjà citée en exemple au niveau international, elle est encore insuffisante eu
égard à l’ampleur de l’épidémie : 50 000 patients sont en route vers la cirrhose dans les 5 ans qui viennent.
C’est aujourd’hui qu’il faut faire mieux. Et autrement.
Les usagers sont prêts : une enquête réalisée par ASUD et SOS hépatites, qui sera prochainement publiée
et uniquement réalisée chez des patients usagers de drogue infectés par le virus de l’hépatite C, a montré
que 3 patients sur 4 étaient prêts à accéder au traitement. Voire se traiter à nouveau pour ceux qui étaient
en échec. Ils sont correctement informés sur les risques de la maladie, ses effets secondaires et demandent
un accompagnement.
Aujourd’hui, il faut inventer !
* Coordinateur du réseau ville hôpital Point Bleu
et vice-président SOS hépatites.Coordonnées :
Point Bleu, 43, rue du Dr Mougeot, 52100 SaintDizier. Tél. : 03 25 06 45 88. SOS hépatites, BP
88, 52100. Tél. : 03 25 06 12 12.
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Le Courrier des addictions (8) ­– n° 3 – juillet-août-septembre 2006
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