DOSSIER THÉMATIQUE Sexualité et cancers féminins Prise en charge par le gynécologue de ville Managing sexual dysfunction after breast cancer treatment in private practice S. Fridmann 1 L’ 1 Réseau Gynécomed, Paris. effet des traitements adjuvants du cancer du sein, chimiothérapie et/ou hormonothérapie, sur l’activité ovarienne, la production hormonale et, partant, la trophicité vulvo-vaginale est maintenant bien connu : la suppression ovarienne par les analogues de la LH-RH, la ménopause précoce induite par la chimiothérapie et l’accentuation des conséquences de la carence hormonale par les inhibiteurs de l’aromatase concourent à une atrophie muqueuse entraînant souvent une dyspareunie (1). Mais la sexualité féminine ne se réduit pas à la bonne trophicité vaginale : l’atteinte de l’image corporelle, la peur de mourir, la perte de l’estime de soi, l’anxiété qui accompagnent le diagnostic et les traitements du cancer du sein ont également des répercussions sur le désir et la satisfaction sexuels, comme l’ont montré de nombreuses études (2). Réseau Gynécomed Le réseau Gynécomed, réseau de suivi exclusif en ville des femmes traitées pour un cancer du sein, a mené, en 2007-2008, sa deuxième enquête de satisfaction. Tableau I. Enquête Gynécomed. Avez-vous eu des problèmes Fréquence dans votre sexualité ? Pourcentage Non concernée 146 24,8 Oui 111 18,8 Non 332 56,4 Total 589 100,0 Tableau II. Analyse des commentaires des réponses “Oui”, 77 commentaires pour 111 réponses. Commentaires Nombre de commentaires Commentaires Nombre de commentaires Baisse/perte de la libido 18 Dyspareunie 2 Sécheresse vaginale 10 Suite d’hystérectomie 2 Plus d’entrain, ralentie 8 Un peu 2 Problème lié au partenaire 7 À l’époque, oui ; plus maintenant 1 Problème par rapport au corps 7 Au début, oui ; puis après, moins, car j’ai rencontré un nouveau compagnon qui m’a redonné confiance en moi 1 Absence de rapport sexuel 4 J’ai été des années malade ; pour mon mari, cela n’a pas facilité les relations sexuelles, c’est dur à vivre. Maintenant, à 70 ans… 1 Troubles de sensibilité du sein 4 J’ai renoncé à mon ami 1 Lié aux traitements 3 Problèmes conjugaux en parallèle 1 Lié à l’âge 2 Ménopause 1 Blocage 2 414 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 8 - octobre 2009 Résumé L’effet des traitements adjuvants du cancer du sein sur la sexualité est bien connu, et confirmé par une enquête du réseau Gynécomed auprès de 1 200 patientes. La consultation gynécologique, par l’interrogatoire et l’examen, permet d’aborder cette problématique, dans le cadre du retentissement psycho-affectif global du cancer et des traitements. On dispose de divers traitements locaux efficaces pour restaurer la trophicité vaginale. Nombre de commentaires J’ai déjà eu de la chance d’avoir 57 ans, et c’est mon mari qui m’a dit de ne pas faire de reconstruction, je n’y pensais même pas, j’étais encore sous le choc 1 Le soutien moral de mon conjoint y a largement contribué 1 Mais la façon d’obtenir du plaisir change, et donc il y a une grande déstabilisation avec le partenaire, et une baisse de libido 1 C’est un problème d’adaptation et d’acceptation à deux 1 Séparation avec mon mari, sans rapport avec le cancer 1 Mari présent et aimant 1 Mon mari a été très compréhensif, il faisait passer ma santé avant tout 1 Bien que moins relaxe car angoissée 1 Non, grâce à la délicatesse que mon mari a montrée 1 Mais pas facile, on n’est plus la même après un cancer du sein 1 Le questionnaire, mis au point par A. Fourcade, interne en santé publique, comportait 61 items, dont une question sur la sexualité. Plus de 1 200 questionnaires ont été envoyés par voie postale ; le taux de réponse global était de 64 %, et l’âge moyen des patientes de 65 ans. Quatre-vingt-quinze pour cent des femmes ayant renvoyé le questionnaire ont répondu à la question 57 : “Avez-vous eu des problèmes dans votre sexualité ?” (tableaux I-III). Cette enquête confirme donc les données des études précédentes et le caractère complexe de la notion de “bonne santé sexuelle” ; une des limites est qu’elle ne permet pas de repérer l’évolution des troubles dans le temps. Cependant, d’autres items du questionnaire mettent en évidence une (in)satisfaction globale fortement liée à l’hormonothérapie. Cancer du sein Réseau de suivi Dyspareunie Traitements locaux Highlights Tableau III. Analyse des commentaires des réponses “Non”, 10 commentaires sur 332. Commentaires Mots-clés The effects of adjuvant treatment for breast cancer on sexuality are well known and acknowledged by a survey among 1,200 patients conducted by Gynécomed, a French network dedicated to breast cancer follow-up. Questioning and physical examination during gynecological consultations enable us to tackle this issue, in connexion with the global psychoaffective repercussion of cancer and the associated treatments. Several effective local treatments to restore vaginal trophicity exist. Keywords Breast cancer Follow-up Network Sexual dysfunction Local treatment La consultation de gynécologie Le rôle du médecin gynécologue est évidemment essentiel : lors de chaque consultation chez une femme traitée pour un cancer du sein, le gynécologue s’attache à rechercher les effets indésirables et les conséquences des traitements, en particulier hormonaux, notamment sur le plan sexuel. L’examen gynécologique proprement dit permet également d’aborder le problème de la sécheresse vaginale, d’une atrophie muqueuse, etc. La prise en charge de l’atrophie vaginale chez les femmes traitées pour un cancer du sein repose sur les traitements locaux. On dispose, en France, de préparations à base d’estrogènes de synthèse très faiblement actifs (encadré 1). Concernant le promestriène, les études pharmacologiques (3, 4) rapportent que le produit administré par voie vaginale ne passe pas dans la circulation La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 8 - octobre 2009 | 415 DOSSIER THÉMATIQUE Sexualité et cancers féminins Prise en charge par le gynécologue de ville • Estrogènes topiques – Promestriène : Colpotrophine®, Colposeptine® – Pas de diffusion systématique – Aval de la FDA – Estriol® : Trophicrème®, Trophigil®, Physiogine® – Léger passage systémique – Discuité – Mention légale : contre-indication relative en cas d’antécédent de cancer du sein • À dose minimal efficace • Hydratants : Replens® et Mucogyne® (polycarbophile), Geliofil®, Véa Olio®, ovules au calendula® (non remboursés) • Ovules d’huiles essentielles • Lubrifiants : Sensilub®, Taido®, Monansens®, Saugella gel®, efficacité de plus longue durée... Encadré 2. Traitements non hormonaux. Encadré 1. Traitements hormonaux locaux. générale et qu’il n’y a aucune variation des taux d’estrone (E1) ou d’estradiol (E2). Pour l’estriol (E3), si on observe un pic plasmatique 1 heure après son administration intravaginale, celui-ci est transitoire, et les taux d’estrone (E1) et d’estradiol (E2) ne sont pas modifiés (5, 6). Cependant, il faut remarquer que toutes ces études sont relativement anciennes et ont été conduites chez des femmes ménopausées indemnes de pathologie. À notre connaissance, aucune étude pharmacologique portant sur des femmes traitées par antiaromatases ou tamoxifène n’a été publiée. Enfin, tous ces produits ont une mention légale de contre-indication (relative) en cas d’antécédent de cancer du sein. • Levure de bière vivante 0,05 g • Hydrolat de Calendula officinalis0,25 g • HE Lavendula angustifola • HE Cupressus sempervirens 0,01 g • HE Salvia officinalis • Witespol qsp 1 ovule de 1 g n° 12 À faire préparer en pharmacie, utiliser moule à suppo­sitoire pour nourrisson Encadré 3. Ovules d’huiles essentielles (HE). On dispose également de préparations non hormonales (encadré 2). Et l’on peut également faire préparer en pharmacie des ovules d’huiles essentielles (encadré 3). Conclusion Le rôle du gynécologue ne se limite pas, bien évidemment, à la prescription de tel ou tel topique ; questionnement et écoute permettent d’apprécier le retentissement psychoaffectif global de la maladie et des traitements, et d’aider la patiente à retrouver confiance en son corps. Le repérage d’un syndrome dépressif, de problèmes de couple, etc. peut conduire à orienter la patiente vers une consultation ­spécialisée. ■ Références bibliographiques 1. Cella D, Fallowfield L, Barker P et al. ATAC Trialists’ Group. Quality of life of postmenopausal women in the ATAC trial after completion of five years’adjuvant treatment for early breast cancer. Breast Cancer Res Treat 2006;100:273-84. 2. Ganz PA, Rowland JH, Desmond K et al. Life after breast cancer: understanding women’s health-related quality of life and sexual fonctioning. J Clin Oncol 1998;16:501-14. 3. Wolff JP, Cachelou R, Guéritée N. Absence of systemic hormonal effects in an oestradiol diether topically active on the vaginal mucosa. Maturitas 1982;4:239-46. 4. Bonneton A, Dechaud H. Absence d’influence du promestriène administré par voie vaginale sur le taux circulant des hormones et protéines hépatiques estrogénodépendantes de la femme ménopausée. Gynecol 1992;43(1):45-8. 416 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 8 - octobre 2009 5. Kikovic PM, Cortes-Prieto J, Milojevic S et al.The treatment of postmenopausal atrophy with Ovestin® vaginal cream or suppositories: clinical, endocrinological and safety aspects. Maturitas 1980;2:275-82. 6. Mattsson LA, Cullberg G. Vaginal absorption of two estriol preparations: a comparative study in postmenopausal women. Acta Obstet Gynecol Scand 1983;62:393-6.