vol VII/n°5 octobre C A 22/04/04 N C 16:33 É Page 191 R O L O G I E E T S O C I É T É Après le cancer du sein, le cancer du poumon et le cancer du côlon, nous avons voulu connaître l’approche du médecin cancérologue et le vécu du patient face à un cancer de la prostate ou un cancer de la vessie au stade de rechute ou au stade métastatique. Comme nous l’avons déjà signalé, la vérité est d’autant plus difficile à annoncer que le pronostic est mauvais, alors, quelle attitude un cancérologue peut-il adopter face à des patients qui connaissent la gravité de leur maladie ? Quelles sont alors les questions du patient et comment vit-il ce pronostic ? Le docteur Philippe Beuzeboc, cancérologue, assistant au centre anticancéreux de l’Institut Curie, a bien voulu répondre à ces questions difficiles. CANCER DE LA PROSTATE : UN CANCER LONGTEMPS BIEN VÉCU Les patients vus en consultation connaissent leur cancer et vivent avec leur maladie depuis plusieurs mois ou plusieurs années avec les retentissements urinaires et sexuels imputables aux traitements chirurgicaux, radiques, à la castration chirurgicale. Nous ne sommes donc pas confrontés à l’annonce du cancer mais sommes face à des patients dont le cancer est au stade de métastases, le plus souvent en échappement aux traitements hormonaux (ils ont alors en moyenne 6 à 9 mois à vivre). Le cancer de la prostate est connu depuis plusieurs années (quelquefois 5 à 10 ans) et les patients sont donc habitués au suivi de leur cancer et très au fait des dosages de PSA et de leur signification. En France, le fait qu’un homme public ait vécu 14 ans avec un cancer de la prostate métastatique a quelque part dédramatisé ce cancer qui est perçu comme une maladie lentement évolutive avec laquelle on peut vivre longtemps. L’efficacité des traitements hormonaux ne fait que renforcer cette perception positive. Au stade de métastases osseuses ou ganglionnaires évolutives, les patients sont conscients de la gravité puisqu’ils deviennent symptomatiques et sont amenés à pratiquer des examens complémentaires (scintigraphie et radiographies osseuses) et souvent des séances de radiothérapie à visée antalgique sur les lésions osseuses. Il n’existe donc aucune ambiguïté vis-à-vis du diagnostic et ces patients savent qu’ils ont une espérance de vie limitée. Comme il s’agit, le plus souvent, de patients âgés, beaucoup ont acquis une certaine philosophie qui leur permet de vivre cette période de manière moins dramatique. Leur objectif est de vivre le mieux possible le temps qu’il leur reste. La demande est donc avant tout symptomatique afin de minimiser les troubles urinaires, les douleurs et vivre le mieux possible ces handicaps. Au stade d’échappement hormonal, les symptômes sont essentiellement marqués par des douleurs osseuses. Il n’existe plus de traitements standardisés. Le traitement est avant tout symptomatique, le but étant de gagner du temps tout en maintenant une qualité de vie correcte. Lorsqu’il s’agit de tumeurs agressives chez des sujets plus jeunes, âgés de 50 à 60 ans par exemple, l’échec thérapeutique est alors beaucoup plus mal vécu tant par le patient que par le médecin. Le contexte psychologique est beaucoup plus difficile. Le patient restant très attaché au dosage des PSA ne comprendrait pas l’arrêt de cette surveillance ; aussi est-elle souvent maintenue, tout en essayant au maximum de ralentir la fréquence des examens. CANCER DE LA VESSIE : UN VÉCU TOUJOURS DIFFICILE Le cancer de la vessie concerne des sujets un peu plus jeunes, âgés le plus souvent de 65 à 70 ans. Contrairement au cancer de la prostate qui est vécu par les patients comme une maladie lentement évolutive, le cancer de la vessie est synonyme de gravité. La cystectomie est un traitement mutilant, à l’origine d’une impuissance et d’une incontinence urinaire essentiellement nocturne modifiant totalement la vie sociale des individus et s’accompagnant donc toujours d’un vécu quotidien difficile. Comme pour les autres types de cancer, l’influence du niveau social peut changer les rapports de confiance entre le médecin et le malade. Plus le niveau social est élevé, plus les patients s’informent et plus ils ont tendance à demander différents avis qui retardent parfois une chirurgie radicale nécessaire. Néanmoins ils abordent rarement ce vécu difficile que l’on ressent clairement, mais qui reste minimisé lors des consultations. Au stade localement avancé ou métastatique où nous voyons les patients, ils ont subi une cystectomie, présentent des signes de gravité et un pronostic sévère (durée de vie de un à deux ans en moyenne). Ces patients, bien qu’ayant totalement intégré la gravité de leur maladie, posent rarement des questions en termes de pronostic, cet aspect étant plutôt le fait de l’entourage familial. Pour notre part, nous n’allons jamais au devant de questions non formalisées par le malade. À ce stade, nous sommes face à une impasse thérapeutique ne laissant la place qu’à des chimiothérapies palliatives. Ces traitements complémentaires, bien que difficiles à supporter, sont acceptés dans la majorité des cas, dans la mesure où ils réussissent à diminuer les douleurs ou les signes de compression lymphatique ou veineuse. De plus, les patients ne comprendraient pas une absence de proposition thérapeutique. Ils restent demandeurs même si les thérapeutiques ne s’accompagnent que de peu d’effets objectifs. Ceci montre que, face à ce type de cancer, il existe souvent un fossé entre les standards thérapeutiques, les recommandations des experts et la demande du patient. Dr Chantal Despierre avec le soutien de : La Lettre du Cancérologue - volume VII - n° 5 - octobre 1998 191