“ L Faut-il se préoccuper du vécu émotionnel des étudiants en médecine ?

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ÉDITORIAL
Faut-il se préoccuper du vécu émotionnel
des étudiants en médecine ?
Should we be concerned about the emotional
­experiences of medical students?
“
L
André Grimaldi
Service de diabétologie, hôpital de
la Pitié-Salpêtrière, Paris.
© La Lettre du Neurologue 2014;
XVIII(10):361-2.
e film Hippocrate rencontre un succès inattendu. En le voyant,
on comprend que, à l’hôpital, l’expression du vécu émotionnel
des internes et des médecins n’a pas de place et serait même
dans une certaine mesure déplacée. Pour les plus jeunes, la salle de garde
joue ou plutôt jouait le rôle de soupape, l’hyperbole sexuelle y défiait la
mort. L’ancien modèle relationnel était celui du paternalisme, infantilisant
le malade “pour son bien”. Ce modèle offrait en même temps l’avantage
de protéger le médecin, par définition bienfaisant. Les temps ont changé.
Aujourd’hui, chacun doit trouver sa solution pour supporter la souffrance,
l’angoisse et les plaintes des autres. De nos jours, on apprend à éteindre
toute émotion en se consacrant – si ce n’est exclusivement, du moins
prioritairement – à la maladie ou à l’acte thérapeutique, c’est-à-dire en
devenant peu ou prou un ingénieur. C’est d’ailleurs parfaitement légitime
en situation d’urgence. N’est-ce pas par ailleurs le modèle relationnel
adapté à la recherche clinique thérapeutique, dont le principe de base est
de supprimer au mieux toute subjectivité, du patient comme du médecin,
grâce au “double aveugle” ? ­Pourtant, les responsables de la
­communication ne cessent de proclamer que le patient est un “client”
qui doit être placé au “cœur” ou au “centre” de l’activité hospitalière.
Comment expliquer la ­contradiction entre le slogan et la pratique ?
Elle trouve son origine au sein même du cursus de la formation médicale.
L’étudiant de première année est submergé par la sympathie. Il souffre de
la souffrance du malade. Il a peur de sa peur. Sa main tremble et il tourne
facilement de l’œil. Les infirmières le soutiennent. Puis, apprenant
dans les livres les maladies, il connaît en général une phase
­hypochondriaque durant laquelle il croit être atteint de diverses
­pathologies ou se demande si ses proches n’en présentent pas les
­symptômes. ­L’accumulation massive de connaissances et l’excès de travail
ont un effet sédatif. Les étudiants en médecine sortent bien souvent de
cette période avec un émoussement émotionnel et parfois même une
dépression. Indifférents aux autres et désaffectés de soi. Ils s’interrogent
alors sur leur choix professionnel et se demandent, comme Benjamin, le
jeune interne du film Hippocrate, s’ils n’ont pas fait fausse route. Certains
finissent dans l’indifférence à l’égard des patients, quand ce n’est pas dans
l’arrogance, l’ironie ou, pire, la détestation. Le patient est alors davantage
un porteur de maladie, un objet de recherche ou de gain qu’un sujet de
soins. ­Heureusement, d’autres gardent ou retrouvent l’aptitude à se laisser
160 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIV - n° 3 - mars 2015
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toucher par l’histoire singulière du malade, souvent banale mais presque
toujours douloureuse, condition première de l’empathie. Comment aider
les jeunes à passer de la sympathie du novice à l’empathie
du ­professionnel ? La solution, bien sûr, est de pratiquer une médecine
qui ne soit centrée ni sur la maladie et son traitement, ni sur le paiement
à l’acte ou la T2A, mais sur le patient. On le dit, on ne cesse de le répéter.
Oui, mais pour se centrer sur l’autre, encore faut-il pouvoir se décentrer
de soi. Et pour se ­décentrer de soi, il faut à la fois disposer d’une solide
identité professionnelle et ­bénéficier d’une niche émotionnelle personnelle
sécurisante. C’est justement ce qui fait défaut aux jeunes internes.
Comment résoudre cette contradiction ? D’abord en cessant de penser
et d’expliquer qu’un vrai professionnel doit se comporter en technicien
sans émotion. Ensuite en développant tout au long des stages hospitaliers
des moments d’analyse partagée entre seniors et débutants sur le vécu des
patients et sur la relation avec les soignants (médicaux et paramédicaux),
en permettant à chacun d’exprimer ses émotions. La présence d’un tiers
“superviseur”, comme cela se pratique en psychiatrie, pourrait en cela être
très utile. Enfin, en développant ­l’enseignement de la “médecine narrative”,
qui resitue l’histoire du vécu de la maladie dans l’histoire de vie du patient.
Michael Balint l’avait dit et écrit. Mais, comme le disait Jean Lapresle,
“tout a déjà été écrit, mais tout n’a pas été lu !”
”
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