Perturbations endocriniennes associées aux néoplasies

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Perturbations endocriniennes
associées aux néoplasies
testiculaires
J.M. Kuhn*, H. Lefebvre*
✎ Les néoplasies testiculaires primitives peuvent exprimer un potentiel sécrétoire emprunté aux cellules dont elles dérivent
✎ Cette sécrétion hormonale peut
être responsable de manifestations
cliniques précédant parfois de plusieurs années l’émergence clinique
de la tumeur.
✎ La sécrétion tumorale engendre
des profils hormonaux particuliers
à forte valeur diagnostique et pronostique.
✎ En l’absence de tumeur testiculaire
décelable
cliniquement,
L
a gonade mâle adulte est composée de
deux grands contingents cellulaires :
les cellules germinales, d’une part, les cellules du stroma spécialisé, d’autre part. Ces
dernières peuvent être situées à l'intérieur
des tubes séminifères (cellules de Sertoli)
ou, au contraire, dans l'interstitium (cellules de Leydig). Chacun de ces types cellulaires est capable de libérer des sécrétions
endocrines dans la circulation générale,
l’identification d’un profil hormonal évocateur doit faire pratiquer
une enquête étiologique soigneuse
✎ Chez l’enfant, le tableau clinique endocrinien est, en règle
générale, dominé par des signes
de masculinisation.
✎ À la diversité des profils hormonaux s’associe une variété de
tumeurs dont les caractères histologiques se répartissent de la bénignité totale aux caractères malins
les plus francs.
ainsi que des sécrétions paracrines à action
intratesticulaire. Les cellules de Leydig ont
essentiellement un rôle stéroïdogénique.
Les cellules de Sertoli sont la source de
nombreux facteurs protéiques, groupe dans
lequel s'inscrivent les différentes hormones
de la famille des activines-inhibines.
Bien que ne représentant que 2 % de l'ensemble des carcinomes de l'homme (1), les
tumeurs testiculaires sont les plus fré-
* Service d'endocrinologie et maladies métaboliques, CHU, et unité INSERM 413, université de
Rouen.
quentes chez les sujets de 15 à 35 ans (2).
Les tumeurs développées à partir des cellules stromales gardent le plus souvent la
capacité endocrine de la cellule originelle.
Elles s'expriment alors fréquemment par
une symptomatologie clinique et biologique endocrinienne. A contrario, neuf
tumeurs testiculaires sur dix, développées à
partir des cellules germinales, sont silencieuses sur le plan endocrinien, l'activité
sécrétoire physiologique se limitant à l'élaboration de sécrétions paracrines (3).
Néanmoins, il faut garder présent à l'esprit
qu'environ 20 % des tumeurs séminomateuses s'accompagnent d'une sécrétion
anormale d’hCG (4). Ce type de sécrétion
est observé dans la quasi-totalité des cas
de choriocarcinome, tumeur germinale
non séminomateuse qui a pour origine des
cellules du trophoblaste primitif. Globalement, le taux d'hCG est élevé dans
70 % des tumeurs germinales non séminomateuses (5).
La cellule de Leydig adulte synthétise de la
testostérone à partir du cholestérol en
empruntant préférentiellement, chez l’homme, la voie ∆5 de la stéroïdogenèse. La
voie ∆4, conduisant de la progestérone à la
testostérone via la formation de ∆4 androstènedione, quoique minoritaire, existe
néanmoins dans la cellule de Leydig
humaine adulte. La testostérone synthétisée
est majoritairement libérée dans la circulation. Une part minime est soit réduite en
5-α-dihydrotestostérone (DHT), soit transformée en 17-β-estradiol (E2) par l'aromatase testiculaire, avant d'être sécrétée. La
mesure des taux plasmatiques de ces deux
derniers stéroïdes ne reflète cependant pas
l'activité testiculaire réelle. À titre
d'exemple, 85 % du 17-β-estradiol formé
par aromatisation de testostérone a une origine extra-gonadique.
La synthèse et la sécrétion des stéroïdes
sexuels gonadiques sont sous le contrôle de
la cellule gonadotrope hypophysaire. La
sécrétion des gonadotrophines est ellemême sous l'influence des stéroïdes gonadiques (androgènes et estrogènes) et de
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Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume IV, n° 2, avril 2000
Mise au point
neurotransmetteurs excitateurs ou inhibiteurs. Ces influences modulatrices ont pour
résultante une sécrétion intermittente de
GnRH hypothalamique, qui est libérée
dans la circulation porte hypothalamohypophysaire selon un mode pulsatile. Le
rétrocontrôle exercé sur la sécrétion de
GnRH est principalement assuré au niveau
de l'hypothalamus par la testostérone et ses
métabolites actifs, en particulier par le
biais de l'activation d'un système opioïdergique hypothalamique inhibiteur. L’estradiol est capable d'exercer une action à deux
niveaux : hypothalamique sur la sécrétion
de GnRH, et hypophysaire sur la sécrétion
de FSH qu'elle déprime. Cette dernière
sécrétion est également modulée par de
nombreux peptides hormonaux issus des
cellules de Sertoli. L'inhibine, synthétisée
conjointement par les cellules de Sertoli et
les gamètes, dont la sécrétion est stimulée
par la FSH, exerce en retour un rétrocontrôle négatif de la sécrétion de cette gonadotrophine par action hypophysaire préférentielle.
Le retentissement endocrinien des néoplasies testiculaires est le reflet de leur action
paracrine intratesticulaire et de leur interférence avec l’axe gonadotrope.
On peut schématiquement classer les sécrétions des néoplasies testiculaires responsables d'effets endocriniens en cinq catégories : estrogènes, androgènes, sécrétions
mixtes d’estrogènes et d’androgènes, peptides impliqués dans la régulation de la
sécrétion gonadotrope et, enfin, sécrétions
hormonales ectopiques.
Hypersécrétion d'estrogènes
Symptomatologie
C'est l'apparition de signes de féminisation
qui devra faire évoquer cette possibilité.
Ceux-ci incluent une gynécomastie (uniou, plus souvent, bilatérale) souvent évolutive. Elle s'accompagne fréquemment d'un
élargissement des aréoles mamelonnaires,
qui sont hyperpigmentées. Dans un tel
contexte, la recherche d'une galactorrhée
est négative. L'association à une diminution
de la libido et/ou une impuissance est à
rechercher de principe. La palpation testiculaire, geste clinique essentiel, permettra
de retrouver une asymétrie testiculaire ou
de détecter une tuméfaction unilatérale,
dont la présence pourra être confirmée par
une échographie. Le constat d'un profil
hormonal associant inflation absolue ou
relative de l’estradiolémie et diminution des
taux de base des gonadotrophines (tout
particulièrement de la FSH) amènera à
poursuivre les investigations. Une réduction
de l'ascension des gonadotrophines à l'administration de 100 µg intraveineux de
GnRH (3), particulièrement nette pour la
FSH (6), contrastant avec une réponse quasi
normale de la LH (6, 7), est très évocatrice
d'une tumeur estrogénosécrétrice. La testostéronémie est alors d'autant plus abaissée
que l'estradiolémie est élevée (8). Le rapport testostéronémie/estradiolémie est inférieur à la normale (6, 9, 10), ce qui traduit
l'élévation relative du taux d'estradiol plasmatique et son effet frénateur sur la sécrétion gonadotrope. Assez curieusement (car
les estrogènes en stimulent la synthèse), le
taux de Testosterone-estradiol Binding
Globulin (TeBG) est le plus souvent normal. Dans un tel contexte, la normalité du
taux de TeBG et l'indétectabilité de l'hCG
plasmatique devront, en l'absence de toute
prise médicamenteuse, faire évoquer le diagnostic de tumeur testiculaire estrogénosécrétrice à cellules de Leydig. Cette situation
classique, où les données cliniques, échographiques et hormonales sont cohérentes,
souffre de nombreuses exceptions. Par
exemple, une tumeur à cellules de Leydig
peut donner des signes endocriniens importants, alors que le volume tumoral est réduit
et ne permet pas l'identification clinique de
la tumeur. Des signes de féminisation peuvent en effet précéder de plusieurs années
l'extériorisation clinique de la tumeur (6, 9,
11). C'est dans ces cas difficiles que deux
examens complémentaires peuvent être
d'une aide précieuse.
L’ascension exagérée (> 80 pg/ml, soit
290 pmol/l) du taux d’estradiol plasmatique trois jours après l'administration
intramusculaire de 5 000 unités d'hCG est
très fortement évocatrice du diagnostic de
tumeur à cellules de Leydig (3, 6, 7, 11),
bien que ce profil ne soit pas spécifique.
L'échographie testiculaire permet de détecter, sous la forme d'une image arrondie
hypoéchogène par rapport au parenchyme
testiculaire normal, des tumeurs de petite
taille ou dont la localisation, au centre de la
glande, ne les rend pas accessibles à la palpation (6, 12, 13). En l’absence d’image
échographique, l’enquête étiologique doit
être répétée quelques mois plus tard et permet très souvent d’aboutir au diagnostic.
La modestie ou l'intermittence de la
sécrétion tumorale peuvent être responsables d'incertitude diagnostique. Un
tel constat, en présence de signes de
féminisation, doit faire redoubler de
vigilance. Les symptômes de féminisation peuvent, répétons-le, exister
longtemps avant l'identification de la
tumeur responsable. Il faudra donc
savoir renouveler les investigations si le
diagnostic n'est pas posé après la réalisation d'une première batterie de tests (14).
Cadres pathologiques
Un tel tableau est très évocateur des
tumeurs à cellules de Leydig. Elles n’en
ont cependant pas l’apanage. Un tableau
similaire peut en effet s'observer au cours
des rares tumeurs à cellules de Sertoli. Les
cellules de Sertoli de l'homme adulte normal apparaissent capables d'aromatiser la
testostérone en 17-β-estradiol in vitro (15).
Une hyperexpression du gène de l’aromatase a été démontrée dans une sous-variété
de tumeurs à cellules de Sertoli (16).
L’association de ce type de tumeurs à un
syndrome de Peutz-Geghers a été signalée
dans quelques cas (17), particularité partagée avec un autre sous-type de tumeurs à
cellules de Sertoli : la forme calcifiante à
grandes cellules (18, 19). Survenant avant
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30 ans, ces tumeurs peuvent s’associer à de
multiples anomalies endocriniennes incluant féminisation, hypercortisolisme,
voire acromégalie (20). En outre, elles peuvent s’inscrire dans le cadre du syndrome
de Carney (21).
Mécanismes
physiopathologiques (figure 1)
La sécrétion tumorale d’estradiol est liée à
une aromatisation excessive de la testostérone. En effet, le blocage de l’activité aromatasique de tumeurs à cellules de Leydig
de l’adulte, féminisantes, étudiées in vitro,
montre que la testostérone est bien le précurseur immédiat de la synthèse d’estradiol
par le tissu tumoral. L’inhibition spécifique
de l’aromatase tumorale a pour résultante
un effondrement de la sécrétion d’estradiol,
alors que celle de testostérone augmente de
façon considérable (22). Les cellules tumorales surexpriment le gène codant pour
l’aromatase, dont la présence a été démontrée par immunohistochimie (23) et par
Northen-Blot (16, 24) au sein des cellules
de Leydig humaines normales.
L’inflation de la production de 17-β-estradiol retentit sur les fonctions testiculaires
exocrines et endocrines du tissu testiculaire normal, paratumoral et controlatéral. Une réduction de la spermatogenèse a pu être identifiée dans certains cas.
L’accroissement de la concentration
intratesticulaire de 17-β-estradiol a été
rendue responsable d’une réduction de
l’activité de la 17-α−hydroxylase et de la
17-20 desmolase (3, 25). L’hyperestrogénie, relative ou absolue, induit la féminisation observable cliniquement. Elle a
également pour conséquence des modifi-
cations sensibles de la sécrétion gonadotrope. Si la fréquence des pulses spontanés de LH n’apparaît pas modifiée par
l’hyperestradiolémie endogène, l’amplitude des pics de LH apparaît d’autant plus
réduite que le taux d’estradiol est plus
élevé, traduction de son action inhibitrice
sur la sécrétion antéhypophysaire (8). La
chute du taux de testostérone est directement liée à l’inhibition exercée par la
sécrétion tumorale d’estradiol sur la
sécrétion de LH. Cependant, l’hyperestradiolémie n’est pas le seul facteur responsable de la dépression de la sécrétion
gonadotrope. En effet, les tumeurs à cellules de Leydig paraissent capables de
sécréter de l’inhibine B (8). La sécrétion
combinée d’estradiol et d’inhibine réduit
la sécrétion de FSH, dont la chute est en
général plus prononcée que celle de LH.
Le profil hormonal classique des tumeurs
à cellules de Leydig estrogénosécrétrices
de l’adulte s’explique donc par une
réduction de la sécrétion antéhypophysaire de LH avec, pour conséquence, une
chute de la sécrétion de testostérone et
une inhibition de la sécrétion de FSH par
action hypophysaire, sans altération de la
sécrétion de GnRH. Ce dernier fait
explique très vraisemblablement que la
réponse de la LH à l’injection aiguë de
GnRH soit comparable à celle de l’homme adulte normal, alors que l’amplitude
de la réponse de la FSH est réduite.
Hypersécrétion de testostérone
Figure 1. Conséquences d’une hypersécrétion tumorale de 17-β-estradiol.
OP : neurones opioïdergiques ; NT : neurotransmetteur.
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Symptomatologie
Cette situation est plus rare et n’est habituellement individualisée que chez l’enfant
prépubère. En effet, le tableau clinique réalise celui d’une pseudo-puberté précoce
associant virilisation, accélération de la
croissance et de la maturation osseuse.
Cette symptomatologie est la traduction
d’une inflation du taux de testostérone
plasmatique qui peut atteindre des valeurs
s’inscrivant dans la fourchette normale de
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Mise au point
l’adulte. Contrastant avec ce chiffre, il est
impossible de détecter la présence de
gonadotrophines circulantes à l’état basal
ou même après stimulation par la GnRH.
La palpation testiculaire, geste essentiel,
peut mettre en évidence une tumeur unilatérale ou une asymétrie gonadique, qui a la
même signification. L’échographie testiculaire est l’examen clé du diagnostic étiologique. Les tumeurs responsables sont des
tumeurs à cellules de Leydig qui, contrairement à celles de l’adulte, sont androgénosécrétrices ou, beaucoup plus rarement, des
tumeurs à cellules de Sertoli.
Mécanismes
physiopathologiques
Le profil hormonal observé s’explique par
l’autonomisation de la sécrétion de testostérone par les cellules tumorales. En outre,
celles-ci exerceraient une rétroaction négative sur la sécrétion hypothalamique de
GnRH si elle s’était mise en route, ce qui
n’est pas le cas chez l’enfant prépubère.
La physiopathologie présidant à l’émergence de la tumeur n’est sans doute pas
univoque. Des avancées ont néanmoins
été récemment effectuées. En effet, une
mutation activatrice du récepteur de la LH
a été mise en évidence chez trois garçons
prépubères atteints de tumeur masculinisante à cellules de Leydig. Il s’agit d’une
mutation Asp58His, responsable à la fois
d’une hyperplasie leydigienne et d’une
activation anormale de la stéroïdogenèse
testiculaire, aboutissant à la production de
testostérone (26). En aval du récepteur,
l’activation spontanée de la protéine
Gs-α, stimulatrice de l’adénylyl-cyclase
membranaire, a également été mise en
évidence dans certaines pseudo-pubertés
précoces masculines entrant notamment
dans le cadre du syndrome de McCune
Albright (27). À l’inverse, ce type de
mutation activatrice de la protéine Gs-α
(Arg201Cys) n’a été identifié que dans
une seule tumeur à cellules de Leydig
féminisante chez l’adulte (28).
Sécrétion combinée
de testostérone et d’estradiol
Symptomatologie
La symptomatologie révélatrice peut revêtir l’aspect d’une pseudo-puberté précoce
isosexuelle chez l’enfant prépubère, une
tumeur testiculaire et/ou une gynécomastie
chez l’adulte. Le profil hormonal associe
une augmentation du taux d’estradiol à un
taux normal ou élevé (en particulier chez
l’enfant prépubère) de testostérone. Ce
profil stéroïdien particulier s’associe, aussi
bien chez l’enfant que chez l’adulte, à un
effondrement du taux des gonadotrophines,
dont la sécrétion n’est pas modifiée par
l’administration aiguë de GnRH. Ce
tableau clinique, associant élévation des
taux plasmatiques des stéroïdes sexuels et
absence de gonadotrophines, apparaît donc
bien différent de celui observé dans les
situations précédentes (29). En effet, la
production excessive d’estradiol par une
tumeur testiculaire devrait avoir pour
conséquence, outre l’abaissement du taux
de gonadotrophines, une chute de la testostéronémie. Une tumeur testiculaire androgénosécrétrice de l’enfant prépubère est
responsable d’une sécrétion d’estradiol
proportionnelle à celle de testostérone dont
l’estrogène est issu par aromatisation. La
clé du diagnostic, devant de tels profils hormonaux, repose sur la détermination de
l’hCG plasmatique (normalement indétectable dans le sexe masculin), ou de βhCG,
en gardant présent à l’esprit que cette dernière n’est pas biologiquement active.
Cadres pathologiques
L’examen clinique, complété par des examens au premier rang desquels se place
l’échographie, permettra, en règle générale, de faire le diagnostic étiologique. Les
tumeurs responsables sont des choriocarcinomes, hautement malins, ou des séminomes susceptibles de sécréter de l’hCG
dans 15 % à 20 % des cas. Si le séminome
se manifeste le plus habituellement sous la
forme d’une tumeur palpable, le choriocarcinome peut s’avérer beaucoup plus trompeur. En effet, la tumeur primitive peut être
imperceptible cliniquement. La sécrétion
d’hCG est alors le fait de métastases (ganglionnaires le plus souvent) d’une tumeur
testiculaire cliniquement imperceptible ou
d’une tumeur extra-gonadique qui, bien
que sécrétrice d’hCG, sort du cadre de
notre propos.
Mécanismes
physiopathologiques (figure 2)
Le primum movens des altérations endocriniennes observées dans un tel contexte réside dans la sécrétion tumorale d’hCG.
L’activation des récepteurs LH/hCG des
cellules de Leydig normales stimule les
activités enzymatiques des voies ∆4 et ∆5
de la stéroïdogenèse avec, pour résultantes,
synthèse et sécrétion de stéroïdes sexuels
par le tissu leydigien sain. L’élévation combinée des taux de testostérone et d’estradiol
rétroagit négativement sur la sécrétion
hypothalamique de GnRH et hypophysaire
de gonadotrophines. Le caractère non stimulable de la sécrétion gonadotrope, en
réponse à l’administration aiguë de GnRH,
démontre le puissant effet frénateur de
l’élévation combinée de la testostéronémie
et de l’estradiolémie (30). Ce profil s’oppose à celui qui est observé au cours des
tumeurs à cellules de Leydig de l’adulte, où
seule l’estradiolémie est élevée (29).
L’existence d’un phénomène de désensibilisation leydigien, induit par l’hCG, explique
qu’en fonction du taux plasmatique d’hCG,
des résultats contradictoires aient été rapportés chez des patients atteints d’une telle
pathologie (30) : taux de testostérone normaux (31, 32) ou élevés (1, 33), taux d’estradiol plasmatique normaux (2) ou, au
contraire, très élevés (29, 32-34).
Le profil hormonal classique des
tumeurs sécrétrices d’hCG s’explique
donc par une production combinée de
testostérone et d’estradiol par la cellule
de Leydig normale. La conjonction
58
Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume IV, n° 2, avril 2000
Autres aspects endocriniens
des tumeurs primitivement
testiculaires
Figure 2. Conséquences endocriniennes d’une hypersécrétion tumorale d’hCG inductrice d’une hypersécrétion combinée de testostérone et préférentiellement de 17-β-estradiol.
OP : neurones opioïdergiques ; NT : neurotransmetteur.
d’une inflation du taux de ces deux
stéroïdes bloque la sécrétion basale et
stimulée des gonadotrophines et, très
vraisemblablement, celle de GnRH
endogène.
Hypersécrétion d’inhibine
La sécrétion physiologique d’inhibine,
amorcée à la puberté sous l’influence stimulante de la FSH, est essentiellement
assurée par la cellule de Sertoli. L’inhibine
B (hétérodimère associant une sous-unité α
et une sous-unité βb) est la seule forme
d’inhibine possédant, chez l’homme adulte, une action endocrine de rétrocontrôle
négatif sur la sécrétion hypophysaire de
FSH. Cependant, cellules de Sertoli et
gamètes ne possèdent pas l’apanage exclusif de la sécrétion de ce peptide. En effet,
il a été démontré que la cellule de Leydig
était également compétente pour la synthèse du peptide. La sécrétion tumorale
d’inhibine B n’a pas d’autre traduction clinique qu’une réduction de la spermatogenèse, à laquelle certaines tumeurs testiculaires s’associent, épiphénomène qui n’est
qu’exceptionnellement le symptôme révélateur. Les tumeurs testiculaires développées primitivement aux dépens des cellules
de Sertoli et les tumeurs testiculaires à cellules de Leydig féminisantes de l’adulte
s’accompagnent fréquemment d’une augmentation du taux d’inhibine B plasmatique (8). Marqueur biologique, cette anomalie est également responsable de la
réduction préférentielle du taux de FSH
observée dans de telles circonstances.
Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume IV, n° 2, avril 2000
Choriocarcinomes, carcinomes embryonnaires, tératomes, séminomes sont susceptibles de sécréter peu ou prou de l’hCG.
L’α-fœto-protéine, marqueur des tumeurs
développées aux dépens du sac vitellin, est
sécrétée par trois choriocarcinomes sur
quatre, la moitié des carcinomes embryonnaires et des tératomes et dans quelques cas
de séminomes. À côté de ces manifestations endocriniennes “classiques”, plusieurs aspects particuliers on été rapportés
(tableau I, p. 60) :
– élévation des taux de prolactine ou d’hormone lactogène placentaire dans les
tumeurs germinales (32) ;
– hypercalcémie paranéoplasique par sécrétion de PTHrp au cours de séminomes (35) ;
– élévation du taux de calcitonine plasmatique dans les dysembryomes (36) ;
– syndrome de Cushing (37), hyperérythropoïétinémie (2) ou hyperthyroïdie rattachée
à l’action TSH-like d’une sécrétion choriocarcinomateuse d’hCG (38).
Exceptionnellement, certaines tumeurs carcinoïdes testiculaires apparaissent responsables d’un syndrome d’hypersérotoninergie (39, 40).
Tout à fait à part, il faut citer les rarissimes
“tumeurs intrascrotales” liées à l’activation
de reliquats surrénaliens ectopiques par
hypersécrétion corticotrope (1). Elles s’expliquent par la persistance de reliquats de
tissu surrénalien le long du trajet migratoire embryonnaire du testicule. Elles s’observent dans des contextes pathologiques
particuliers qui ont en commun une inflation des taux d’ACTH plasmatique : blocs
enzymatiques surrénaliens (20) ou syndrome de Nelson (22). Le volume de ces
tumeurs intrascrotales s’accroît sous l’influence de l’ACTH et, au contraire, régresse après inhibition adéquate de la sécrétion
corticotrope.
59
Mise au point
Conclusion
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Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume IV, n° 2, avril 2000
réponses page 81
1. La ou lesquelles des hormones suivantes est ou sont-elle(s) susceptible(s)
d’être sécrétée(s) par des tumeurs primitivement testiculaires ?
a. Testostérone ;
b. 17-β-estradiol ;
c. Érythropoïétine ;
d. Hormone anti-müllérienne ;
e. Inhibine B.
2. La ou lesquelles des tumeurs primitivement testiculaires suivantes peut ou
peuvent être responsable(s) d’une
sécrétion d’hCG ?
a. Tumeurs à cellules de Leydig ;
b. Gonadoblastome ;
c. Séminome ;
d. Choriocarcinome ;
e. Tumeurs à cellules de Sertoli.
3. Le ou lesquels des symptômes suivants doit ou doivent-il(s) faire évoquer
la possibilité de la présence d’une
tumeur testiculaire ?
a. Pseudo-puberté précoce ;
b. Gynécomastie ;
c. Infertilité ;
d. Priapisme ;
e. Asymétrie testiculaire.
4. Vrai ou faux ?
Une tumeur testiculaire estrogénosécrétrice peut n’être cliniquement perceptible que plusieurs années après
l’apparition d’un premier symptôme
révélateur.
5. Vrai ou faux ?
L’échographie testiculaire n’a pas sa
place dans l’exploration des tumeurs
hormono-sécrétrices.
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