TRIBUNE Télécardiologie et insuffisance cardiaque Telecardiology in heart failure M.R. Cowie*, A. Acosta-Lobos** D ans les décennies à venir, le nombre de personnes vivant avec une insuffisance cardiaque va s’accroître considérablement, principalement du fait du vieillissement de la population et des meilleurs soins prodigués aux patients atteints d’affections cardiaques aiguës, telles que l’infarctus du myocarde. Les directives actuelles recommandent le suivi régulier de ces patients, afin de réduire le risque de décompensation et de détecter précocement, le cas échéant, une telle décompensation (1). En termes simples, cela implique le suivi quotidien du poids du patient et le signalement de toute intensification des symptômes. Le suivi après la sortie de l’hôpital est essentiel ; aujourd’hui, un grand nombre d’hôpitaux ont une équipe pluridisciplinaire responsable de ce suivi. Toutefois, le suivi de bon nombre de patients n’est pas conforme à ce niveau d’exigence : le personnel qualifié n’est pas suffisant ou ne dispose pas du temps nécessaire, et certains patients habitent loin de l’hôpital ou sont trop fragiles pour s’y rendre en consultation. On peut remédier à cette situation par des visites à domicile – effectuées par une infirmière spécialisée en insuffisance cardiaque –, mais c’est un procédé coûteux qui prend du temps et qui n’est possible que dans les centres disposant de ressources abondantes. Le télésuivi, c’est-à-dire l’utilisation de la technologie informatique pour surveiller le statut clinique d’un patient à distance, a été proposé comme un moyen permettant de mieux gérer le nombre croissant de patients vivant avec une insuffisance cardiaque. Le télésuivi peut prendre des formes diverses, de la plus simple, qui consiste en des appels téléphoniques réguliers, à la plus complexe (surveillance d’un grand nombre de variables physiologiques et techniques provenant de patients implantés avec une prothèse de resynchronisation ou un défibrillateur implantable), en passant par des systèmes autonomes de suivi à distance qui transmettent l’information du domicile du patient à un centre de service pour qu’elle soit évaluée par un professionnel de la santé. Le télésuivi a fait l’objet de plusieurs études contrôlées randomisées, sur des effectifs limités (2). Chaque étude s’est penchée sur un système différent et l’utilisation des données recueillies n’est pas toujours claire. Le télésuivi du patient commence en général après la sortie de l’hôpital, et la plupart des systèmes autonomes de monitoring surveillent les symptômes (le système pose des questions au patient, auxquelles il répond par “oui” ou par “non”), le poids corporel, le pouls et la tension artérielle, à heure fixe chaque jour. Certains systèmes surveillent également l’électrocardiogramme et la saturation en oxygène. Les données sont transmises sous forme de codes, par le réseau téléphonique ou par une connexion Internet, à un centre de services auquel ont accès les professionnels de santé qui surveillent l’état du patient. Les données (et les tendances indiquées) sont comparées, en général, à certains paramètres préétablis individuellement pour chaque patient, et une alerte est donnée si les informations se situent hors de ces limites. Le professionnel de santé peut alors réagir, en général en téléphonant au patient pour lui poser des questions supplémentaires et le conseiller, particulièrement pour modifier les doses de diurétique. Le cas échéant, il pourra l’inciter à une consultation rapide ou recommandera l’hospitalisation du patient en urgence. Bien que le télésuivi ait été utilisé principalement pour la détection précoce d’une décompensation cardiaque, ce procédé se prête également à l’augmentation des doses de médicaments, tels que les bêtabloquants et les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ECA), sans recours à des visites médicales classiques. La télésurveillance des appareils implantés permet la surveillance facile d’autres paramètres, tels que l’impédance intrathoracique, la variabilité du rythme cardiaque, l’arythmie épisodique et le niveau d’activité du patient. Des études en cours ont pour but de déterminer la meilleure utilisation de telles données et d’établir l’utilité de les combiner avec des paramètres plus simples, tels que le poids et les symptômes du patient, afin d’optimiser les résultats. * Professeur de cardiologie, Imperial College, Londres et hôpital Royal Brompton, Londres. ** Attaché d’enseignement, recherche clinique, Imperial College, Londres et hôpital Royal Brompton, Londres. 8 | La Lettre du Cardiologue • n° 435 - mai 2010 À l’heure actuelle, il n’existe pas de directives internationales sur la façon d’installer et d’opérer un service de télésuivi de Cardiomessenger TRIBUNE Consultation suivie chaque mois. Dans 19 % des cas seulement, une visite anticipée pour examen à la clinique s’est avérée nécessaire ; dans la plupart des cas, des conseils par téléphone concernant le style de vie, l’observance médicamenteuse ou la modification des doses de diurétique ont été suffisants. Transmission des données Figure. Cycle de télésurveillance. Les données sont transmises chaque jour vers un centre de services et sont consultées par une infirmière spécialisée en insuffisance cardiaque. Si les données ou les tendances indiquées sont en dehors des limites préétablies, l’infirmière appelle le patient pour des informations supplémentaires. Elle peut donner des conseils, modifier les doses de médicament ou inciter à une consultation avant la date prévue. Reproduit avec l’autorisation de BMJ Publications. qualité. Les données disponibles indiquent que le taux d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque pourrait être réduit, bien que le nombre d’hospitalisations reste presque inchangé, et que le taux de mortalité serait réduit comparativement à celui obtenu grâce aux soins traditionnels. Des études comparant le télésuivi aux soins prodigués par les meilleurs spécialistes ont montré des résultats semblables, mais avec un taux d’hospitalisations en urgence pour décompensation diminué (3). Le suivi des études actuelles est compris entre 90 jours et 12 mois ; des données sur le plus long terme doivent être obtenues. Quel est le coût de l’implantation d’un tel système ? Malheureusement, les analyses de coûts sérieuses manquent. Néanmoins, les données disponibles indiquent que ces systèmes ne permettent probablement pas d’économies, mais qu’ils sont plus rentables que d’autres procédés normalement financés par les régimes de santé. Dans un contexte où les hôpitaux sont payés pour l’hospitalisation, et non pour le télésuivi ou le contact téléphonique, implanter un tel système peut s’avérer problématique. Le télésuivi constitue un complément aux soins cliniques traditionnels, et exige un changement des habitudes de travail de ceux qui s’y impliquent. La charge de travail par patient est modérée ; notre expérience dans le cadre de notre étude (HOME–HF) menée dans la région de l’ouest de Londres indique qu’au cours d’une période de 6 mois, après la sortie de l’hôpital, 64 % des patients ont transmis des données exigeant au moins un contact téléphonique avec l’infirmière spécialisée. Cela représentait en moyenne un appel par personne Les patients présentant une insuffisance cardiaque s’adaptent très bien à la technologie de télésurveillance. Les séries étudiées ont révélé un taux d’adhésion supérieur à 80 %, et un bon niveau de satisfaction (96 % des patients). Une étude qualitative menée dans la région de l’ouest de Londres a montré que les patients trouvent ce type de suivi rassurant. Ils affirment que cette surveillance les aide à comprendre leur état et leur thérapie (4). C’est souvent l’équipe de soins qui trouve difficile de s’adapter à la nouvelle façon de travailler ! Le télésuivi est la technologie de l’avenir. Il ne remplacera jamais la pratique “habituelle”, mais il permettra aux équipes de soigner un nombre beaucoup plus important de patients et de leur apporter à domicile le bénéfice de leur expertise. Partout en Europe, des décideurs appuient fortement cette orientation, et les données en sa faveur sont de plus en plus irréfutables. Pour un grand nombre de services de cardiologie, l’introduction de cette méthode de soins est un défi, mais le partage des pratiques optimales et l’enseignement apporté par les erreurs commises lors de tentatives précédentes finiront par assurer l’adoption de cette nouvelle approche, appropriée et sans danger, par la plupart des services cardiologiques, dans les décennies à venir. Par conséquent, un plus grand nombre de patients aura accès à un personnel possédant l’expertise appropriée, l’état des patients sera surveillé de plus près, la décompensation sera détectée plus tôt et le traitement sera optimisé. Nous avons besoin de plus d’informations concernant les patients les plus aptes à bénéficier de ces systèmes, la durée nécessaire d’utilisation de ces systèmes après une hospitalisation, l’identification des paramètres à mesurer, et la manière de présenter l’information à un professionnel de santé pour qu’il puisse prendre la meilleure décision. La formation du personnel et l’évaluation du fonctionnement des services sont essentielles dans le processus d’adoption de cette technologie. Mais, dans les années à venir, nous allons sûrement nous demander comment nous avons pu nous passer de la télésurveillance. ■ Références bibliographiques 1. Dickstein K, Cohen-Solal A, Filippatos G et al. ESC guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure 2008: the Task Force for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure 2008 of the European Society of Cardiology. Developed in collaboration with the Heart Failure Association of the ESC (HFA) and endorsed by the European Society of Intensive Care Medicine (ESICM). Eur J Heart Fail 2008;10(10):933-89. 2. Clark RA, Inglis SC, Mc Alister FA, Cleland JG, Stewart S. Telemonitoring or structured telephone support programmes for patients with chronic heart failure: systematic review and metaanalysis. BMJ 2007;334(7600):942. 3. Dar O, Riley J, Chapman C et al. A randomized trial of home telemonitoring in a typical elderly heart failure population in North West London: results of the Home-HF study. Eur J Heart Fail 2009;11(3):319-25. 4. Riley J, Dar O, Gabe J, Cowie MR. Telemonitoring in heart failure: Changing roles and challenging La Lettre duEur Cardiologue 4352008;7:S58. - mai 2010 | 9 • n° relationships? J Cardiovasc Nurs