C O N G R È S 10e Symposium international sur la maladie cœliaque Paris, juin 2002 ● G. Malamut, C. Cellier* L e 10e Symposium international sur la maladie cœliaque (MC), qui a lieu tous les trois ans, a été organisé en 2002 à Paris par le Groupe français d’étude et de recherche sur la maladie cœliaque (GERMC). Il a permis une actualisation des connaissances sur les avancées récentes de la génétique, la physiopathogénie, l’épidémiologie et les caractéristiques cliniques et évolutives de la MC. De nouvelles perspectives diagnostiques, et peut-être thérapeutiques, ont ainsi été ouvertes. ÉPIDÉMIOLOGIE La prévalence de la MC silencieuse, ou pauci-symptomatique, est largement sous-évaluée. Elle est estimée en Europe et aux États-Unis entre 1/100 et 1/300. L’étude épidémiologique réalisée dans le nord de la France (Coignoux et al.), dans une cohorte d’adultes asymptomatiques, a estimé la prévalence de la MC en France à 1/232. L’expérience de la Mayo Clinic (Murray et al.) montre une augmentation de l’incidence de la MC dans le Minnesota (de 3/100 000 dans les années 1980-1990 à 9/100 000 en 2000) qui concerne surtout les sujets âgés de plus 45 ans. L’espérance de vie des patients atteints de MC semble identique à celle de la population contrôle américaine. Par ailleurs, un pourcentage important de sujets cœliaques présentent maintenant un surpoids au diagnostic (33 % des cas versus 0 % en 1950), et les symptômes sont fréquemment non spécifiques : ainsi, la diarrhée banale est maintenant deux à trois fois plus fréquente que la “classique” stéatorrhée. Ce diagnostic doit être évoqué dans certains sous-groupes à risque : diabète insulinodépendant, anémie, ostéoporose, pathologie maligne intestinale ou troubles neurologiques inexpliqués. Les causes principales de mortalité dans la cohorte américaine étaient les pathologies tumorales et les complications neurologiques. Aucune pathologie cardiaque n’a été observée, et une moindre absorption des graisses alimentaires pourrait ainsi conférer une protection contre les maladies cardiovasculaires pour les sujets cœliaques non traités. FORMES ÉVOLUTIVES Manifestations extra-digestives et pathologies auto-immunes Elles sont souvent au premier plan de la maladie. L’ostéopénie, fréquemment observée au cours de la MC, peut se manifester par une ostéoporose et des fractures. Bai (Argentine) a insisté sur le caractère périphérique des fractures et les défects osseux qui correspondent non seulement à une diminution de la masse minérale osseuse, mais aussi à un défaut de l’architecture et de la rigidité de l’os. Les carences nutritionnelles et métaboliques des muscles proximaux participent à l’affaiblissement des structures ostéo-musculaires et au remodelage des corticales osseuses. Hadjivassiliou (Royaume-Uni) a mis en évidence la présence d’anticorps antigliadine circulants chez 57% des sujets atteints de troubles neurologiques d’étiologie indéterminée, tels qu’ataxie, neuropathie périphérique ou encéphalopathie. Un régime sans gluten (RSG) semble induire une amélioration des symptômes, même en l’absence de lésions histologiques intestinales qui ne sont présentes que dans un tiers des cas. Une cardiomyopathie dilatée pourrait également constituer une manifestation extra-digestive associée à la MC. Faleschini (Italie) a observé une prévalence de 2,5% de la MC chez les patients atteints de cardiomyopathie dilatée et chez les apparentés au premier degré. La MC peut également être recherchée en cas d’avortements spontanés multiples: d’après Ramos-Arroyo et al. (Espagne), les femmes ayant des avortements spontanés à répétition ont un risque d’être atteintes de MC multiplié par 15 par rapport à une population contrôle. De nombreuses pathologies auto-immunes sont également associées à la MC, telles que le diabète de type I, les thyroïdites autoimmunes, les alopécies, etc. La prévention d’une maladie autoimmune associée à la MC grâce à un diagnostic et à un RSG précoce a été suggérée mais reste controversée. Ainsi, une étude française (Cosnes et al.) ne retrouve pas d’association entre une fréquence accrue des maladies auto-immunes associées à la MC (plus de 20% des cas) et un diagnostic tardif chez l’adulte. Risque lymphomateux * Service d’hépato-gastroentérologie, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris. 32 Les atrophies villositaires résistantes au RSG ou la sprue réfractaire (SR) constituent dans plus de 80 % des cas une forme de La lettre du l’hépato-gastroentérologue - n° 1 - vol. VI - janvier-février 2003 C O N G R È lymphome intra-épithélial associée à la MC. Dans la série française portant sur 60 patients (Cellier et al.), une population lymphocytaire intra-épithéliale clonale de phénotype aberrant (absence d’expression en surface de CD8 et présence de CD3 intracellulaire) a été observée dans plus de 80 % des cas. Cette population lymphocytaire peut disséminer dans le sang, à l’ensemble du tractus digestif (côlon et estomac) et à d’autres sites (peau, poumon, sinus) et évoluer vers une jéjuno-iléite ulcéreuse et/ou un lymphome T invasif dans plus de 40 % des cas. Cette forme de lymphome intra-épithélial récemment décrite pourrait être plus fréquente que le classique lymphome invasif compliquant la MC. Un risque de lymphome malin non hodgkinien (LMNH) est présent au cours de la MC, surtout pour le lymphome T associé aux entéropathies (EATL). Cependant, l’étude multicentrique européenne (Mearin et al., BIOMED) a montré qu’en dehors des EATL, le risque de lymphome restait faible et ne justifiait pas la recherche de MC chez les patients atteints de lymphome malin extra-intestinal. Holmes (Royaume-Uni) a montré cependant qu’au Royaume-Uni, le risque de lymphome du grêle était dix fois plus fréquent chez les patients atteints de MC que dans la population générale, et que ce risque diminuait considérablement après deux ans de RSG. DIAGNOSTIC Plusieurs stratégies diagnostiques cherchent à remplacer les biopsies intestinales par les tests sérologiques couplés avec le typage HLA DQ2 ou DQ8. Actuellement, le diagnostic de MC ne peut reposer uniquement sur les tests sérologiques. La présence d’AC sériques antigliadine et antitransglutaminase tissulaire (tTG) est retrouvée au cours d’autres pathologies, comme l’hépatite C (dans 10 et 3 % des cas d’après Zitouni et al.), et la présence d’AC antiendomysium et anti-tTG peut être retrouvée de façon transitoire chez des enfants sains (von Blomberg et Mary). D’après Picarelli et al., seuls des taux sériques élevés d’AC anti-tTG sont spécifiques de la MC, car de faibles taux d’AC anti-tTG peuvent être observés au cours de la maladie de Crohn, de la rectocolite hémorragique ou de la polyarthrite rhumatoïde. Feighery (Irlande) préconise cependant, pour le dépistage de la MC, la recherche sérologique par ELISA des AC anti-tTG, puis des AC (IgA) antiendomysium en test de seconde ligne. La positivité des IgA antiendomysium au moment du diagnostic est de 99 % dans leur série. Du fait d’un faible pourcentage de patients avec une authentique MC et des AC antiendomysium négatifs, le recours systématique à la biopsie endoscopique du grêle reste à ce jour l’examen de référence pour le diagnostic de MC. La vidéo-capsule permet une excellente visualisation du grêle et avoir un intérêt dans le diagnostic et le suivi des patients cœliaques, en particulier pour les formes compliquées résistantes au régime sans gluten (Petroniene et al., Toronto, Canada). L’aspect endoscopique n’est pas cependant spécifique (Green et al., Columbia, États-Unis), car les signes endosco- S piques de la MC peuvent être observés au cours d’autres pathologies, comme l’entéropathie HIV, la mastocytose systémique, la maladie de Crohn, la sprue tropicale, etc. D’autres stratégies diagnostiques s’appuient sur la forte association HLA DR3, HLA DQ2, HLA DQ8 et MC. La plupart des patients avec MC ont un phénotype HLA DQA1*0501 DQB1*0201 (DQ2) ou DQA1*0301 DQB1*0302 (DQ8). L’étude de Moodie, réalisée sur 283 patients anglais avec MC, montre que les patients non DQ2 ou DQ8 ont un typage HLA comprenant une partie de l’hétérodimère DQ2. Devant cette forte association HLA DQ2/DQ8 et MC, Hadithi et al. proposent une stratégie diagnostique consistant à coupler le typage HLA DQ aux tests sérologiques (AC antigliadine, AC anti-endomysium et AC anti-tTG). Les résultats de l’étude suggèrent qu’un patient avec tests sérologiques négatifs et absence du phénotype HLA DQ2/DQ8 aurait un risque quasi nul d’être atteint de MC. AVANCÉES EN RECHERCHE FONDAMENTALE Les études génétiques recherchent principalement de nouveaux gènes de susceptibilité de la MC. Une méta-analyse d’études européennes présentée par Babron montre qu’en plus des gènes HLA de susceptibilité, les régions chromosomiques 2q, 5q et 11q sont significativement associées à la MC. Adamovic et al. rapportent que la région 5q abrite des loci de susceptibilité en particulier proches du gène de l’IL-9. Un déséquilibre de liaison significatif entre MC et le gène ICOS en 2q33 a été retrouvé par Haimila et al. au cours de l’étude de 107 familles finlandaises atteintes de MC. ICOS est une molécule inductible intervenant dans la costimulation de l’interaction lymphocyte T (LT)-cellule présentatrice d’antigène (CPA). L’avancée des recherches génétiques sur les gènes de susceptibilité HLA a permis de mieux étudier la présentation antigénique au cours de la MC. Ainsi, les peptides de gliadine modifiés par l’enzyme transglutaminase se lient avec une haute affinité aux molécules du complexe majeur d’histocompatibilité correspondant aux gènes HLA-DQ2/8 et stimulent de façon spécifique les clones lymphocytaires T. L’activité enzymatique de la tTG est conditionnée par différents facteurs locaux tissulaires et l’affinité pour le peptide. Schuppan (Allemagne) a montré, in vitro, que les AC antitTG pouvaient modifier l’activité enzymatique de la tTG. En dehors des peptides “immunodominants” qui activent la réponse lymphocytaire T, Auricchio (Italie) a montré que des peptides toxiques (31-43) pouvaient être responsables, in vitro, de lésions entérocytaires sans activer les LT CD4+. Dans la lamina, la présentation des peptides de gliadine aux molécules HLA-DQ2 est à l’origine d’une réponse lymphocytaire T de type TH1 avec production importante d’IFN-γ. MacDonald (Royaume-Uni) a insisté sur l’augmentation de la concentration d’IFN-α dans la muqueuse duodénale des patients atteints de MC ainsi que sur l’augmentation de liaison à l’ADN de STAT1 responsable de l’induction des molécules ICAM-1 et B7-2. La lettre du l’hépato-gastroentérologue - n° 1 - vol. VI - janvier-février 2003 33 C O N G R È S Cerf-Bensussan (France) suggère que la production d’IL-15 par les entérocytes au cours de la MC est impliquée dans la rupture d’homéostasie des lymphocytes intra-épithéliaux (LIE). L’IL15 induit sélectivement l’expansion clonale des LIE de phénotype anormal présents au cours de la sprue réfractaire en inhibant leur apoptose et induit leur sécrétion d’IFN-γ. Parmi les autres mécanismes physiopathologiques, l’augmentation de la perméabilité intestinale favorisant le passage de la gliadine vers la lamina propria serait secondaire à l’augmentation d’expression de la zonuline, et la gliadine pourrait être directement impliquée dans la diminution de la perméabilité intestinale en entraînant une diminution d’expression de l’occludine et de la résistance des jonctions serrées (États-Unis) Les mécanismes impliqués dans l’augmentation de l’apoptose des entérocytes au cours de l’atrophie villositaire ont été développés par Corazza (Italie) : l’augmentation de l’expression de Fas sur l’entérocyte par les cytokines de type TH1 favoriserait l’apoptose par la voie Fas-Fas ligand ; la cytotoxicité des LIE et des lymphocytes de la lamina propria pourrait s’exercer par Fas ligand ou par l’activation du système granzyme/perforine au sein de l’entérocyte. Des avancées ont également été réalisées dans la compréhension des mécanismes impliqués dans l’ostéopathie de la MC. Outre l’hyperparathyroïdisme secondaire à la diminution d’absorption du calcium et de la vitamine D, Bai (Argentine) a souligné l’action des cytokines IL-1b et IL-6 qui accroissent l’activité ostéoclastique de résorption osseuse et sur les AC antiendomysium qui bloqueraient l’activité reminéralisante de la tTG osseuse. De plus, les patients MC porteurs de l’allèle IL-1b-511 sont hypersécréteurs d’IL-1-β et possèdent une masse minérale osseuse plus faible que les patients MC non porteurs de l’allèle. NOUVELLES PISTES THÉRAPEUTIQUES Seul le RSG a, à ce jour, fait preuve de son efficacité dans le traitement de la MC, y compris pour les patients asymptomatiques. Les enfants avec une MC ayant cessé le RSG à l’adolescence sans réapparition des symptômes ont, à l’âge adulte, une ostéopénie dans plus de 55 % des cas et une atrophie villositaire dans 80 % des cas (France). De nouvelles tentatives thérapeutiques, comme l’immunothérapie sont élaborées afin de rétablir une tolérance de l’individu vis-à-vis de peptides de gliadine spécifiques. La sensibilisation par voie intranasale de souris Balb/c par Troncone et al. à l’aide de la gliadine entière recombinante ou de peptides de gliadine permet une diminution de la prolifération lymphocytaire T et de la production d’IFN-γ et d’IL-2. Parmi les autres perspectives thérapeutiques, le rôle de l’IL-15 dans la rupture d’homéostasie des LIE pourrait permettre l’utilisation d’AC monoclonaux anti-IL-15 dans le traitement de la sprue réfractaire ou même de la MC. CONCLUSION Ce 10e Symposium international sur la maladie cœliaque a donc mis l’accent sur la prévalence actuelle de la maladie (1/200) souvent sous-estimée, la variété des présentations cliniques en raison de manifestations extra-intestinales, la nécessité de stratégies diagnostiques fiables associant tests sérologiques, typage HLA et biopsies endoscopiques et l’importance d’une prise en charge thérapeutique précoce. ■ Note de lecture Si un patient vous paraît particulièrement informé sur le reflux gastroœsophagien et vous pose des questions particulièrement pertinentes, c’est probablement qu’il a lu “Hernie hiatale et reflux gastroœsophagien” écrit par Stanislas Bruley des Varannes et paru dans la collection “Sabinus Santé” dirigée par Didier Loiseau. Cette collection destinée au grand public, intitulée “Savoir utile”, a pour principe éditorial des questions-réponses, référencées mais compréhensibles, avec une illustration pour chaque question. C’est ainsi que S. Bruley des Varannes a répondu à 60 questions en sept chapitres. 34 La présentation est aérée, avec mise en évidence des points forts. Les textes sont courts mais très précis et informatifs et, au total, la somme des connaissances accumulées dans cet ouvrage dépasse de loin les connaissances habituelles d’un médecin généraliste. Il n’est même pas certain qu’un gastroentérologue sache répondre de façon argumentée et scientifique sur l’interaction entre constipation et reflux ! Au total, un livre très complet pour les malades curieux. • Bruley des Varannes S. Hernie hiatale et reflux gastro-œsophagien. Savoir utile. Collection Sabinus Santé. Paris : Medi-text Editions. La lettre du l’hépato-gastroentérologue - n° 1 - vol. VI - janvier-février 2003