Ethique et médecine de l’enfant Médecine & enfance

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Médecine
& enfance
Ethique et médecine
de l’enfant
LE BILLET D’ANTOINE
A. Bourrillon
« Ethique et médecine de l’enfant »… Ils sont en première année de médecine. Ils sont
jeunes, très jeunes. Certains disent même trop jeunes… Et me voici avec un sujet bien difficile à traiter en deux heures. Quelques-uns viennent déposer un dictaphone sur le bureau
du conférencier. Ils en profitent pour me confier avec émotion ce que leur ont dit leurs parents : « Vous m’avez sauvé la vie ». Et certains de leurs camarades ajoutent avec des voix
d’enfants d’école primaire : « Moi aussi ! ». J’y entends une certitude : « C’est pour cette raison que je veux moi aussi sauver des vies d’enfants ! ». Sauver… « Soustraire au danger…
Protéger de la maladie… Préserver la vie… ».
Je n’ai bien entendu « sauvé » aucun d’entre eux. Un témoignage imparfait m’a attribué une
guérison qui n’a pu se réaliser que grâce aux soins d’une équipe tout entière. Le seul motif
de reconnaissance que je pourrais éventuellement mériter, c’est d’avoir contribué à porter
l’inquiétude de leurs familles.
« Au Moyen Age, avoir soin d’une personne était s’en inquiéter, se faire du souci. Au 17e siècle,
soigner c’était agir pour que cesse le souci. De vrais soins excluent l’indifférence et supposent un
partage d’inquiétudes. » (Alain Rey)
Comment définir l’éthique ? L’étude des règles susceptibles de mener à la conduite la
« meilleure » ? Ou encore l’étude des processus rationnels permettant de déterminer l’action
la meilleure face à des choix opposés (Prodi) ? Et ce « meilleur », en quoi consiste-t-il ? Du
« bon » amélioré, mais sans atteindre à la perfection. Et une morale…
J’illustre mon cours d’anecdotes parfois improvisées. Les étudiants veulent y voir la « vraie
vie ». C’est pour eux la réalité qui jaillit au beau milieu des turbulences du quotidien, avec
leurs émotions agressives, leurs réactions passionnelles qui s’affrontent, les refus, les engagements. La « vraie vie », ce sont les exigences d’une spécialité médicale qui doit concilier
précision scientifique et adaptation aux conditions humaines. La « vraie vie », qu’aura fragilisée ou au contraire consolidée cette approche « humaniste » dont j’ai peut-être semé les
premières graines pendant ce cours.
Un échange émotionnel que personne n’aura cherché à maîtriser nous aura permis de partager quelques larmes que les recommandations pédagogiques déconseillent mais que la vidéo n’aura pu dissimuler, irruption de cet « affect » dont je me défends en même temps que
je le revendique. A la fin de ce cours, nombreux sont les étudiants qui ne parviennent pas à
quitter l’amphithéâtre. Les pieds « collent au sol », comme nous avions coutume de le dire
après ces difficiles nuits de garde en réanimation, lorsque nous peinions à rompre le lien si
intense noué avec les enfants hospitalisés, au gré des décisions médicales clairement délibérées et des décharges émotionnelles subies. Un lien fait d’inquiétude et d’espérance.
Et puis, au milieu de ce groupe silencieux et ému, une question : « Pardonnez-moi cette demande qui va paraître bien terre à terre dans ce contexte : mais quels mots faut-il retenir…
pour le concours ? ». Retour à la réalité : au premier rang des objectifs légitimes de nombre
d’entre eux, il y aura toujours ces mots à surligner des couleurs appropriées, à entreposer
dans une mémoire provisoire avant qu’ils ne ressurgissent dans le quotidien de la « vraie vie ».
Médecine et enfance m’a honoré de sa confiance en me proposant de rédiger un « billet »
mensuel. J’ai accepté avec enthousiasme. A mes risques et périls… Je sais qu’il sera toujours chargé d’émotion, mais aussi engagé lorsqu’il s’agira de défendre notre éthique pédiatrique contre tout ce qui la méconnaît et peut sembler la mépriser. Ce billet sera ce que je
suis, ce que nous sommes : au service des enfants, vulnérables et parfois victimes. Dans le
respect de leurs droits.
« Le petit garçon est mort…/Il faut que je garde encore mes larmes pour moi…/Merci de me
l’avoir fait connaître./Grâce à lui, j’ai ri et j’ai connu la joie./Il m’en a tant donné/Que j’en ai
pour toutes les années à venir… » Oscar et la dame en rose, E.E. Schmitt
Les enfants nous transmettent leur force, mais ils nous rappellent aussi notre propre fragilité. Il convient de leur répondre. Mais comment ? Jusqu’à quand ? Et avec quels mots ?
« Espérer le sursaut, c’est croire en la vie… » La « vraie » vie ou la « meilleure » ? Celle qui
nous « sauve ».
« Nous n’avons guère de forces, mais nous avançons, et notre marche au milieu des ténèbres me
paraît magnifique. » Robert Debré
mai 2009
page 223
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