L E G È N E D U M O I S Prise en charge des femmes porteuses d’une mutation de BRCA1 ou BRCA2 Quels sont les niveaux de preuve ? Management of BRCA1 and BRCA2 mutation carriers. What are the levels of evidence ? ● C. Monnerat* nviron 15 % des cancers du sein surgissent dans un contexte familial et 3 % à 5 % sont associés à une mutation d’un gène de prédisposition au cancer tel que BRCA1 ou BRCA2 (1). Une anamnèse familiale positive représente le facteur de risque principal de développer un cancer du sein. Ce risque peut être évalué lors d’une consultation d’oncogénétique et, s’il existe une constellation familiale remplissant des critères bien définis, un test génétique devrait être proposé. Deux gènes de prédisposition au cancer du sein, BRCA1 isolé en 1994, et BRCA2 isolé en 1995, peuvent être analysés en routine (2, 3). Lors des consultations d’oncogénétique, une des tâches du généticien consiste à exposer quelles sont les conséquences du diagnostic d’une mutation délétère du gène BRCA1 ou BRCA2 et quelle est la prise en charge des femmes porteuses d’une telle anomalie. Si les aspects cliniques du syndrome de prédisposition aux cancers du sein et de l’ovaire lié à une mutation de BRCA1 et BRCA2 commencent à être mieux cernés, la prise en charge des femmes porteuses d’une telle mutation est moins bien établie. Une revue récente du Groupe suisse d’oncogénétique met en évidence la fragilité des preuves qui soutiennent les recommandations émises par différents groupes (4). E LES NIVEAUX DE PREUVE Les travaux qui soutiennent des recommandations cliniques ont été stratifiés selon la méthodologie de l’étude clinique. Ces niveaux de preuve (level of evidence) sur lesquels repose la médecine fondée sur des preuves (evidence based-medicine) sont rappelés dans le tableau I. La découverte récente des gènes BRCA1 et BRCA2, le nombre relativement rare des cas de cancer du sein héréditaire et la nature particulièrement difficile des questions cliniques posées (par exemple, la mastectomie préventive) n’ont pas permis, jusqu’à présent, de réaliser un essai clinique randomisé. Il faut espérer que des essais de chimioprévention pourront être mis sur pied pour les cancers du sein héréditaires. Une collaboration internationale sera, bien sûr, indispensable. Il faut souligner que c’est grâce au travail remarquable de groupes de recherche internationaux que l’identification des gènes de prédisposition au cancer du sein a été possible et que l’histoire naturelle des femmes porteuses d’une mutation de BRCA1 et BRCA2 a été mieux définie. PRISE EN CHARGE DES FEMMES PORTEUSES D’UNE MUTATION DE BRCA1 OU BRCA2 Pénétrance La pénétrance, c’est-à-dire le risque de développer un cancer du sein à un âge donné chez une femme porteuse d’une mutation de BRCA1 ou BRCA2, est un paramètre important dans la prise en charge. En fonction des méthodes de calcul et des populations étudiées, la valeur de la pénétrance peut varier. Elle Tableau I. Niveau de preuve Preuve obtenue par I Une revue systématique de tous les essais cliniques comparatifs randomisés II Au moins un essai comparatif randomisé III-1 Un essai comparatif avec une pseudo-randomisation (attribution des patients à chaque groupe de façon alternée) III-2 Une étude prospective avec un groupe témoin non randomisé ou une étude cas-témoins III-3 Une étude prospective avec un contrôle historique, au moins deux études prospectives avec un seul bras IV Une revue de cas V Une opinion d’experts * Centre pluridisciplinaire d’oncologie, CHUV, Bugnon 46, 1011 Lausanne, Suisse. Adapté de (4). 22 La Lettre du Cancérologue - Volume XII - no 1 - janvier-février 2003 était très élevée dans les premières études du Breast Cancer Linkage Consortium, car les critères de sélection demandaient au moins quatre cas de cancer du sein ou de l’ovaire dans une famille (5). En revanche, les études de population donnent une estimation beaucoup plus faible (6, 7). En pratique, l’estimation de la pénétrance la plus logique est celle qui est effectuée parmi les patients consultant en oncogénétique (8). Ces variations dans l’estimation de la pénétrance pour le cancer du sein chez les porteuses d’une mutation de BRCA1 sont résumées dans le tableau II. En pratique, le risque cumulatif de développer un cancer à l’âge de 70 ans est estimé à 73 % pour le cancer du sein et à 41 % pour le cancer de l’ovaire (8). La pénétrance peut également être estimée par le programme informatique BRCAPRO qui est de plus en plus utilisé en pratique courante (10). La prise en charge des femmes à haut risque de développer un cancer du sein et de l’ovaire consistera donc en une surveillance clinique étroite, avec, éventuellement, des mesures de chirurgie préventive. Tableau II. Risque cumulatif de développer un cancer du sein à l’âge de 70 ans chez les femmes porteuses d’une mutation de BRCA1. Étude (réf.) Famille (9) Population (6) Consultation (8) Auteur (année) Pénétrance à 70 ans Ford 1994 87 % (IC 65 % à 92 %) Antoniou 2000 45 % (IC 22 % à 76 %) Brose 2002 73 % (IC 68 % à 78 %) Recommandations Les recommandations de prise en charge des femmes porteuses d’une mutation de BRCA1 ou BRCA2 ont été émises par diverses sociétés savantes ; elles sont également disponibles sur Internet (11). Une compilation de ces recommandations a été formulée par le Groupe suisse de génétique (tableau III). Il apparaît que la plupart de ces recommandations ne sont pas soutenues par Tableau III. Options de prise en charge des femmes à haut risque de développer un cancer du sein et de l’ovaire. Preuve obtenue par Niveau de preuve Examen clinique des seins tous les 6 mois V Mammographie annuelle ± ultrason dès 30 ans (ou 5 ans avant l’âge du cas le plus jeune de cancer du sein dans la famille) III Ultrason endovaginal annuel avec doppler couleur + mesure du CA125 dès 35 ans (ou 5 ans avant l’âge du cas le plus jeune de cancer de l’ovaire dans la famille) V Au cas par cas, discussion d’une chirurgie préventive (mastectomie bilatérale prophylactique et salpingo-ovariectomie prophylactique) III-2 Éviter à long terme l’hormonothérapie substitutive de la ménopause III-2 Adapté de (14). La Lettre du Cancérologue - Volume XII - no 1 - janvier-février 2003 des niveaux de preuve très solides, principalement en l’absence d’étude randomisée. Il faut cependant souligner que l’évaluation d’interventions chirurgicales préventives par une étude prospective randomisée est impossible à conduire. On ne peut pas se résoudre à proposer une mastectomie préventive par le biais d’un tirage au sort ! De nombreuses questions ne sont pas du tout résolues et restent l’objet de controverses, comme la chimioprévention par le tamoxifène ou le dépistage du cancer du sein par l’IRM. La prise en charge doit être individualisée et discutée avec chaque femme. CHIRURGIE PRÉVENTIVE Deux études prospectives récentes amènent des éléments objectifs concernant la mastectomie et l’ovariectomie préventives. L’efficacité de la mastectomie prophylactique, réduisant le risque de développer un cancer du sein de plus de 90 %, est bien documentée par une étude rétrospective de la Mayo Clinic (12). Sur 176 patientes analysées rétrospectivement, 18 étaient porteuses d’une mutation de BRCA1 ou BRCA2. Aucune de ces 18 femmes n’a développé de cancer du sein. L’équipe de Rotterdam (Rotterdam Family Cancer Clinic) a rapporté son expérience sur 139 femmes porteuses d’une mutation de BRCA1 ou BRCA2 (13). Une mastectomie bilatérale prophylactique avec reconstruction immédiate par prothèse de silicone a été acceptée par 76 femmes. À 3 ans, aucun cas de cancer du sein n’est survenu. Les 63 femmes qui ont refusé cette intervention ont servi de groupe témoin. L’âge médian était identique dans les deux groupes (mastectomie : 35,8 ans ; contrôle : 39,9 ans), mais un nombre plus important de femmes avaient eu une ovariectomie préventive dans le groupe mastectomie (mastectomie : 58 % ; contrôle : 38 % ; p = 0,03). Les femmes du groupe témoin ont bénéficié d’une surveillance clinique tous les 6 mois et d’un dépistage annuel par mammographie et IRM. Sur 63 femmes, 8 ont présenté un cancer du sein après 3 ans de suivi, ce qui correspond à une incidence annuelle de 2,5 % par an par patient. L’histologie était dans sept cas sur huit un carcinome de grade 3 avec des récepteurs hormonaux négatifs, histologie typique des cancers du sein héréditaires liés à BRCA1. Malgré la surveillance aux six mois, quatre cancers sur huit sont devenus symptomatiques entre deux contrôles (50 % de “cancer de l’intervalle”) et quatre de ces cancers étaient des stades avancés N+, ce qui confirme la croissance très rapide des cancers héréditaires. Une patiente âgée de 28 ans est décédée trois ans et demi après le diagnostic initial. La valeur de la surveillance par mammographie était très limitée, puisque seulement deux cancers sur huit ont été détectés par la mammographie, alors que tous ont été détectés par l’IRM. Si le dépistage des cancers du sein héréditaires paraît peu satisfaisant, le dépistage du cancer de l’ovaire est encore plus difficile et aucune méthode de dépistage n’a été démontrée comme efficace. De plus, lorsqu’il est symptomatique, le cancer de l’ovaire se présente déjà à un stade III qui n’est curable que dans une minorité de cas. C’est pourquoi la salpingo-ovariectomie dès 35 ans a été retenue comme une option préventive. Les données du Memorial Sloan-Kettering Cancer Center confirment 23 L E G È N E l’intérêt de cette chirurgie préventive (14). Sur 170 femmes avec une mutation de BRCA1 ou BRCA2, 98 ont eu une salpingo-ovariectomie prophylactique et 72 une surveillance. Lors de la chirurgie, deux cas de cancer de l’ovaire et un cas de cancer du péritoine ont été découverts fortuitement. Après un suivi médian de 2 ans seulement, une réduction du nombre de cancers de l’ovaire, mais aussi une réduction du nombre de cancers du sein apparaît déjà dans le groupe des patientes avec une salpingo-ovariectomie préventive (tableau IV). La diminution du nombre de cancers est estimée à 75 % (hazard ratio 0,25 [0,08-0,74]), ce qui est spectaculaire. Bien sûr, un suivi à plus long terme s’avère nécessaire afin de confirmer ces résultats. Tableau IV. Nombre de cas Cancers de l’ovaire (ou péritoine) Cancers du sein Cancers liés à BRCA (total) Survie sans cancer à 5 ans Salpingoovariectomie 98 Surveillance p 1 5 0,040 3 4 94 % 8 12* 69 % 0,070 0,006 0,006 72 * Une patiente a eu un cancer de l’ovaire et un cancer du sein. D’après (14). CONCLUSION Ces travaux récents confirment que la salpingo-ovariectomie prophylactique est une procédure préventive efficace avec une morbidité acceptable. Elle peut être recommandée comme mesure préventive. La question de l’hormonothérapie substitutive, de son dosage et de sa durée après la chirurgie n’est cependant pas résolue, bien que le bénéfice de l’ovariectomie préventive semble maintenu en présence d’une hormonothérapie substitutive (15). La mastectomie bilatérale prophylactique se confirme comme étant la mesure préventive la plus efficace, au prix d’une morbidité apparemment acceptable, mais qu’il faudra encore évaluer à long terme (16). Elle ne peut pas être recommandée de façon systématique et elle doit être discutée de cas en cas, particulièrement dans les familles avec un nombre de cancers du sein élevé chez des femmes jeunes. Le dépistage par mammographie est clairement insuffisant et l’IRM semble avoir une meilleure sensibilité. Néanmoins, la morbidité liée au nombre élevé d’imageries faussement positives, la fréquence D U M O I S des examens et leur coût restent à évaluer (17-18). Il reste également à démontrer qu’un dépistage systématique par IRM permet de réduire la mortalité liée au cancer du sein. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Familial breast cancer study group. 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