r Cong è s Con grès Cong r Cong è s Con grès r 6e congrès européen Europad Paris, 1-3 novembre 2004 Simone et Robert Berthelier L’association européenne pour le traitement de l’addiction aux opiacés (Europad) a tenu son 6e congrès du 1er au 3 novembre 2004 à Paris. Congrès européen certes, mais d’une Europe aux frontières quelque peu “élargies”, ce dont témoignait la présence d’une forte délégation américaine. Il faut dire que nombre des organisateurs et intervenants de ce congrès, et notamment ses deux présidents, ont été, depuis plus de dix ans, très mobilisés sur la scène internationale des professionnels spécialisés dans ces modes de prise en charge. Ils ont donc largement participé (avec les fondateurs du Courrier des addictions, d’ailleurs) à la constitution d’un réseau informel réunissant des professionnels internationaux et notamment nord-américains. Et depuis plus de dix ans, les uns s’informent auprès des autres et vice versa, dans le but d’améliorer l’utilisation de ces traitements et les bénéfices pour les patients, dans leurs “territoires” respectifs. Les Européens d’Europad étant régulièrement conviés aux grands congrès nord-américains sur les dépendances (CPDD), il était logique que les leaders d’outre-Atlantique viennent suivre les travaux, plus récents, menés dans “la vieille Europe”… Les traitements de substitution ont évidemment tenu la vedette, avec une mention spéciale pour la buprénorphine haut dosage, bénéficiaire d’un symposium satellite, organisé par les laboratoires Schering-Plough. Un certain nombre de communications ont donc repris des thèmes déjà abordés lors du congrès de San-Juan de Porto Rico en juin 2004*, mais, d’autres sujets, plus spécifiquement européens, ont été exposés : de la réduction des risques aux troubles de la sexualité induits par la méthadone en passant par la prise en charge des hépatites, la substitution dans les prisons européennes ou chez les femmes enceintes, les structures de soins... Un programme varié de séances plénières et symposiums enrichi par la session des 35 posters affichés. Médicaments de substitution : quelles indications ? Méthadone, buprénorphine haut dosage : ici on “penche” pour l’une (comme la Suisse), là, tout en multipliant les programmes méthadone, on a beaucoup développé “l’autre” (comme la France). Au-delà de l’Atlantique où la méthadone a été expérimentée depuis une bonne portion de siècle, on commence seulement à “expéri- Le Courrier des addictions (6), n° 4, octobre-novembre-décembre 2004 168 La buprénorphine haut dosage Symposium Schering-Plough Communications au cours du congrès (E.C. Strain, W. Ling, M. Auriacombe, T.G. Gilhooly, Kakko). La méthadone M.S. Shinderman, B. Eap, K. Dyer, L. Okruhlica, P. Pani, M. Torrens, Guelfi. Substituts : quelles indications ? J. Caplehorn, I. Maremmani, M. Reisinger. Prévention/réduction des risques Symposium 11 (mortalité) : D. Touzeau, A. Coppel, M. Sanchez. Traitement des hépatites Symposium 2 : S. Walcher. Structures de soins (médecine communautaire, rôle des généralistes) Symposium 8 : C. Ford. Femmes enceintes et nouveau-nés Symposium 9. Conclusion : paroles des présidents. menter” la buprénorphine haut dosage en pratique de ville. Et on regarde ce qui se passe dans l’hexagone comme le “film” d’une aventure encore pionnière… Match entre tenants de deux thérapeutiques, querelle d’écoles, spécificités nationales ? Peut-être, tant il est toujours vrai que la façon d’aborder et de prendre en charge une pathologie et des comportements dépend toujours, en partie, de l’histoire des pays et des populations, des acquis des pratiques professionnelles, des contingences économiques et sociales… Mais aujourd’hui – et ce congrès d’Europad l’a bien montré – cette dialectique habituelle semble bien dépassée : l’ordre du jour est plus à la “gestion” des traitements, à leur évaluation fine qu’aux passes d’armes. Quel médicament choisir pour quel patient, et selon quel mode de prescription et de dispensation ? Et pour quels bénéfices ? Comme le soulignait Marc Reisinger, psychiatre, pionnier des traitements par la * Voir Le Courrier des addictions 2004;6, 3:132-5. r Cong è s Con grès Cong rès Cong è s Con grès r buprénorphine haut dosage et la méthadone (Bruxelles) et l’un des deux présidents de la conférence, de nombreuses questions subsistent quant aux indications respectives de ces deux traitements de substitution. En effet, d’abondantes études ont montré qu’ils sont l’un et l’autre à peu près équivalents : en termes de compliance comme de diminution du recours à l’héroïne, de réinsertion psychosociale, d’amélioration de la qualité de vie... Icro Maremanni, psychiatre, “l’autre” président d’Europad (Pise), a tenté de donner à cette question une réponse en présentant les résultats d’une étude sur ce dernier critère d’évaluation : pendant un an, il a étudié un échantillon de 213 patients traités par des médicaments de substitution, dont 106 sous buprénorphine haut dosage et 107 sous méthadone. De nombreux paramètres ont été évalués : indice de satisfaction globale, efficacité, amélioration générale (par auto-questionnaire), qualité de vie, travail, loisirs, appétit, ressources, image de soi, absence d’héroïne dans les urines, consommation parallèle de cocaïne et d’amphétamines. La buprénorphine haut dosage, prescrite à la posologie quotidienne de 8 mg, a donné de meilleurs résultats sur la qualité de vie, l’absence de symptômes psychopathologiques, l’intensité du craving et la réduction des abus de produits que la méthadone à 60 mg par jour, chez les patients présentant un tableau clinique peu sévère et ayant conservé une bonne insertion psychosociale. John Caplehorn (Sydney, Australie) s’est livré, pour sa part, à une vaste revue de la littérature en vue de déterminer le traitement de substitution qui permet le maximum de compliance : méthadone, buprénorphine haut dosage, LAAM ou méthadone plus héroïne ?... Il estime que les études existantes établissent d’une part la supériorité de la méthadone en ce qui concerne la diminution des contaminations par les infections virales et de la délinquance, d’autre part son équivalence avec la buprénorphine haut dosage en ce qui concerne la mortalité et des consommations intercurrentes d’héroïne. Et à propos de la pratique clinique, il conclut ainsi son exposé : “Vous pouvez d’emblée éliminer le LAAM et la naltrexone. La buprénorphine haut dosage représente actuellement la seule alternative sûre à la méthadone. Celle-ci reste le médicament de premier choix pour les patients candidats à un programme de substitution, sauf si la présence régulière dans le cadre de la délivrance quotidienne est impossible ou difficile à obtenir ; s’il existe un doute quant à la sécurité des doses de médicament en possession des patients et/ou un risque important de polytoxicomanie persistant pendant le traitement de substitution ; le toxicomane refuse d’entrer dans un programme méthadone. Mon expérience clinique récente m’a montré que les jeunes toxicomanes aux opiacés ne veulent pas ressembler aux patients plus âgés sous méthadone : ils refusent de vieillir comme eux. La popularité actuelle de la buprénorphine haut dosage est due à ce qu’elle n’est justement pas de la méthadone et à sa plus grande facilité d’utilisation”. Réels bénéfices, mais aussi risques persistants À gérer sérieusement Ce thème incontournable s’est vu consacrer, outre un symposium, plusieurs interventions en séances plénières. Didier Touzeau et al. (clinique Liberté, Bagneux) a évoqué les problèmes soulevés par l’allongement de l’intervalle QT à l’ECG chez les patients sous méthadone. Vingt-sept sujets, dont 60 % recevaient plus de 120 mg par jour, ont passé un ECG dans les deux heures suivant la prise de leur traitement, mettant en évidence cette modification qui n’apparaît pas corré- Le Courrier des addictions (6), n° 4, octobre-novembre-décembre 2004 169 Substitution et troubles de la sexualité On connaît depuis longtemps l’existence de troubles de la sexualité chez les patients sous morphine et les héroïnomanes : baisse de la libido, problèmes d’érection et d’éjaculation… Ces mêmes difficultés ont été longtemps sous-estimés chez les sujets sous méthadone, soit que les patients ne s’en plaignent pas, soit qu’ils compensent par une polyconsommation (alcool, cannabis, benzodiaépine, cocaïne…). J.J. Deglon et al. (Genève), enquêtant en 2003 auprès de 370 patients sous méthadone, ont évalué parallèlement le statut hormonal de 150 personnes. Ils ont découvert chez certains un déficit en hormones hypophysaires LH et FSH entraînant une baisse du taux de testostérone dans 74 % des cas après la prise de méthadone, plus importante dans la tranche d’âge 20-35 ans. Il apparaît donc que les opiacés induisent une andropause précoce/prématurée dont la symptomatologie clinique est souvent attribuée à tort à un état dépressif : la prescription d’antidépresseurs aggrave les troubles de la sexualité ! Le but de la prise en charge est de faciliter le passage du plaisir chimique à des plaisirs relationnels, émotionnels et sexuels. Les manifestations provoquées par le déficit en testostérone, anxiogènes, font courir le risque d’une poursuite de l’addiction et/ou d’une polytoxicomanie (cocaïne). Après discussion avec les endocrinologues, les auteurs ont mis en place le schéma thérapeutique suivant : • Diminution, si possible, de la posologie de méthadone. • Confirmation de l’hypogonadisme par des dosages de testostérone. • Injection de testostérone, toutes les 2 à 4 semaines en fonction de la réponse clinique, en demeurant vigilants quant aux risques de l’hormonothérapie, développement d’un cancer de la prostate en particulier (dosage du PSA tous les 2 ans). Les résultats cliniques sont encourageants : amélioration du désir sexuel, de la performance et de la vitalité, mieux-être, diminution de l’irritabilité, de la fatigue, de la nervosisité, meilleure qualité du sommeil, diminution de la masse grasse au profit de la masse musculaire. lée à l’importance de la dose. Il s’agit d’un facteur de risque, qui n’est peut-être pas majeur, mais qu’il faudrait prévenir par l’institutionnalisation d’une surveillance électrocardiographique régulière. r Cong è s Con grès Cong r Cong è s Con grès r Autre facteur de risque important : le mésusage de la buprénorphine haut dosage, autrement dit son injection, problème important abordé et par Marc Reisinger (Bruxelles) et par Marco Sanchez (clinique Montevideo, Boulogne-Billancourt). Pour ce dernier, 17 % environ des patients prenant ce médicament l’injectent, ce qui, compte tenu de l’abus concomitant de benzodiazépines qu’ils font dans leur grande majorité, peut être un facteur majeur de décès dans lesquels la buprénorphine haut dosage est impliquée. Un pourcentage d’injecteurs presque du même ordre (14 %) parmi les patients observés par Marc Reisinger, mais autant dans les programmes méthadone que buprénorphine haut dosage. Toutefois, alors que, dans le premier cas, les pratiques d’injection concernent l’héroïne et la cocaïne, dans le second, c’est la buprénorphine haut dosage qui les remplace. On sait qu’il s’agit là d’une conduite à haut risque infectieux, vasculaire et de contamination virale dont l’origine est plurifactorielle : habitude de l’injection, impulsivité (réduite par les ISRS l’abstinence d’alcool et de cocaïne), mais surtout dépression, dont le traitement réduit le risque d’injection et sur laquelle la buprénorphine haut dosage est plus efficace que la méthadone ; symptômes de manque dont la sédation est alors le but majeur de l’injection, ce qui renvoie à l’insuffisance d’un dosage du médicament. D’où, devant la persistance de ces pratiques à risques, la nécessité de réévaluer les posologies prescrites et d’expliquer soigneusement les modalités d’utilisation des comprimés sublinguaux. Dans certains cas, il peut se révéler nécessaire de “passer” le patient à la méthadone. Reste que le risque d’injection peut exister aussi avec le sirop, ce qui est décrit de manière anecdotique, en France, mais concerne 11 % des injecteurs à Adélaïde en Australie ! Donc, un risque de détournement réel, mais gérable. Quant au risque létal chez les usagers de drogue, rarement évoqué, il a fait, à lui seul, l’objet d’un symposium. À cette occasion, Julian Vicente (Lisbonne) a présenté le travail de recueil de données mené par l’EMCDDA (European Monitoring Center for Drugs and Dray Addiction) qui s’attache à harmoniser les définitions, les méthodologies et les protocoles, avec ses partenaires institutionnels hollandais et italiens. Ainsi, Anna Maria Bargagli et al. (Rome) ont comparé les taux de mortalité chez les usagers de drogues de sept villes et un pays européen (Amsterdam, Barcelone, Danemark, Dublin, Lisbonne, Londres, Rome, Vienne) entre 1990 et 1998. Leur enquête a montré des différences de distribution dans les causes de décès, la surmortalité et l’impact des opiacés. Exemples : la mortalité globale varie de 1 % (Dublin) à 3,8 % (Barcelone) ; la mortalité par overdose est de 10 ‰ à Barcelone, 7 ‰ au Danemark, à Rome et à Vienne, inférieure à 3,5 ‰ dans les autres sites ; celle par sida est inférieure à 2 ‰ partout, sauf à Lisbonne, Rome et Barcelone (6 ‰). Sorties de prison : danger ! Sheila H. Bird (Cambridge) constate, pour sa part, que les décès dus aux drogues, liés à une baisse de la tolérance, sont sept fois plus fréquents dans les 15 jours suivant une libération de prison que dans le même laps de temps chez des sujets en liberté. Ainsi, en Écosse, dans une cohorte de 19 486 hommes de 15 à 35 ans sortis après 14 jours d’incarcération au moins, on a observé 34 décès liés aux drogues au cours des deux premières semaines contre 23 dans les semaines suivantes. L’auteur souligne la nécessité d’une étude large, randomisée, pour déterminer si la délivrance de petites doses de naloxone aux prisonniers libérés ayant des antécédents d’injections d’héroïne peut réduire le nombre de décès dans les 15 jours suivant la remise en liberté (de 30 %, environ). Elle a posé également la question de savoir si le traitement de substitution était susceptible d’infléchir le risque de décès dû aux drogues des “vieux héroïnomanes’’. Une question à laquelle Dominique Lopez et al. (SaintDenis-La Plaine) et Anne Coppel (Paris) ont apporté de solides éléments de réponse : l’enquête menée par D. Lopez avait pour but de chiffrer la mortalité et d’analyser les causes de décès chez les sujets arrêtés pour usage de drogues selon la substance incriminée et, jusqu’à un certain point, d’estimer la mortalité générale chez les toxicomanes français. L’échantillon comportait 42 485 personnes appréhendées pour usage et/ou trafic de stupéfiants (héroïne, cocaïne, crack, ecstasy, cannabis) en 1992, 1993, 1996 et 1997. Le statut vital de chacune d’elles était connu au 7 août 2002, alors Le Courrier des addictions (6), n° 4, octobre-novembre-décembre 2004 170 que les causes de mort n’avaient pu être identifiées que pour les décès survenus avant 2000. Principaux résultats : la mortalité des usagers d’héroïne, de cocaïne et de crack est trois fois plus importante que celle des consommateurs de cannabis ; le risque létal des héroïnomanes est 5 à 9 fois supérieur que celui de la population générale de même âge et de même sexe ; la mortalité masculine est plus importante que la féminine, sauf au cours des deux ans suivant l’infraction ; comme prévu, les consommateurs d’héroïne, cocaïne et crack, meurent plus de facteurs spécifiquement liés à la toxicomanie (VIH , overdose) que de traumatismes ou de causes accidentelles ; la mortalité a significativement baissé durant la période d’observation (1992-2001) avec l’introduction des traitements de substitution, la trithérapie pour le sida et la mise en œuvre de la politique française de réduction des risques. Pour en pérenniser les bons résultats Anne Coppel, à son tour, a rappelé le très positif bilan global de cette politique “responsable” d’une baisse de 80 % des overdoses, de 67 % des interpellations pour usage d’héroïne, de deux tiers des décès par sida dans la période 1994-1999. Ces chiffres, connus des seuls experts car non diffusés par les médias, rencontrent l’accord de tous comme le fait qu’ils sont imputables aux bénéfices apportés par les traitements de substitution. Deux hypothèses peuvent en rendre compte : soit l’héroïne n’est plus à la mode, il n’y a plus de patients en traitement et la baisse du nombre des overdoses et des interpellations est corrélée à cette extension de l’accès aux soins ; soit ce sont les bonnes pratiques cliniques, particulièrement en ce qui concerne la méthadone (posologie adaptée, traitement individualisé, qualité de l’accueil, compétence des intervenants), qui expliquent ce bon “rendement”. En effet, comme l’ont montré de nombreuses études réalisées au niveau international, l’accès à la substitution a bien réduit les risques mais n’explique pas tout car libéraliser la prescription ne suffit pas à modifier les comportements des usagers. Il faut, parallèlement, que les médecins modifient aussi leurs pratiques, en particulier en instaurant r Cong è s Con grès Cong rès Cong è s Con grès r Europe : traitements de substitution en prison (TSP) Laetitia Hennebel (Cranstoun) a présenté les résultats d’une enquête menée avec Heino Stover (Brême) et Joris Casselman (Louvain), entrant dans le cadre des activités de l’ENOSP (European Network of Drug Services in Prison), sur les traitements de substitution en prison (TSP). D’une durée de 18 mois (décembre 2002-mai 2004), elle a concerné les 15 États membres de l’UE avant le 1er mai 2004, la République Tchèque, la Pologne et la Slovénie. À la fois quantitative et qualitative, elle a recueilli les données globales de chaque pays et des interviews effectuées lors des visites sur le terrain avec l’appui des contacts nationaux. Au total, 17 nations et 33 prisons (soit à peu près 2 dans chaque pays) ont été concernées et des groupes témoins organisés dans tous les cas pour obtenir des informations par les détenus : ils ont réuni 184 personnes, soit 132 hommes et 32 femmes. L’estimation des taux de dépendance aux drogues chez les sujets incarcérés a montré d’assez importantes disparités, allant de 13 % (Slovénie) à 77 % (Espagne). Les TSP dépendent du ministère de la Justice dans toutes les nations visitées, à l’exception de la France où ils sont rattachés au ministère de la Santé : Le sirop de méthadone est le substitut le plus utilisé. La buprénorphine haut dosage n’a été introduite que récemment dans la plupart des pays, France exceptée. Chacun des deux médicaments est considéré comme présentant des avantages que l’autre ne possède pas, et réciproquement. Méthadone et buprénorphine haut dosage sont cependant considérées comme complémentaires, certains détenus pouvant passer de l’une à l’autre en fonction de leurs besoins individuels. Principaux points positifs mis en avant pour le TSP : identification des toxicomanes, réduction des risques, amélioration des soins et de la maintenance, responsabilisation des détenus qui sont plus conscients de la nécessité des soins et plus impliqués. Points négatifs : persistance de l’idée selon laquelle on ne fait que remplacer une drogue par une autre, détournement facile de la buprénorphine haut dosage signalée en France (sniff ou injection après broyage, alimentation des trafics de la prison). Le TSP est le plus souvent fourni essentiellement comme partie d’un processus de sevrage, avec réduction des doses par paliers. La maintenance, impliquant le maintien de la même posologie pendant une durée illimitée, est moins couramment offerte. Les modalités du traitement sont hétérogènes, variant selon les pays, les établissements, les équipes soignantes, les médecins. Dans beaucoup de pays, l’accès à la substitution en prison est considéré comme inadéquat comparé aux prestations offertes dans la communauté, car le principe d’égalité des soins n’est pas respecté. Le soutien psychosocial, en particulier, pourtant donné comme nécessaire, est rarement fourni et la continuité prison-extérieur est limitée dans la plupart des États, à l’exception de la Slovénie. Principales recommandations élaborées à partir de ces éléments : étendre la disponibilité et l’accessibilité de la substitution, ainsi que la qualité des prestations ; améliorer la continuité des soins entre prison et communauté et, dans cette perspective, parfaire les formations et le soutien des équipes soignantes, renforcer la prise en charge psycho-sociale ; préserver la variété des options thérapeutiques (sevrage, maintenance, méthadone, buprénorphine haut dosage) considérée comme nécessaire car permettant de répondre aux besoins individuels. Ces conclusions et recommandations, superposables à celles des organismes et experts internationaux, rejoignent largement celles exposées par Michael Farrel (Londres) qui recense les failles existantes dans l’intégration des soins dans les structures pénitentiaires (Royaume-Uni, Espagne, Allemagne). Il retrouve les insuffisances mises en évidence dans l’étude de L. Hennebel et met particulièrement l’accent sur l’existence, dans les pays étudiés, de programmes ‘’drug free’’ qui n’existent pas en France ; la corrélation entre l’état de manque et les conduites suicidaires, singulièrement fréquentes en prison. En 2002, on relevait chez les usagers de drogues incarcérés : 11 % de suicides dans les 24 heures, 33 % dans la première semaine, 47 % au cours du premier mois ; une surmortalité importante : 62 % des détenus décédés sont des toxicomanes. Moralité : qu’il s’agisse du traitement des hépatites virales ou de la substitution, il y a encore du travail à accomplir dans les prisons d’Europe. une vraie relation de confiance avec eux, par l’alliance thérapeutique, et non en durcissant les contrôles exercés sur eux, qui ont pour effets de les détourner des structures de soins. Moyennant quoi, les usagers adoptent réellement des conduites de réduction des risques, ce dont témoigne la chute des taux de contaminations par injection : 25 % en 1990, 3 % en 2003. De bons résultats confortés, comme le rappelait Anne Coppel, par l’instauration d’un travail en réseau, dont tout le monde s’accorde à reconnaître qu’ils lui sont imputables.. 171 Il reste beaucoup à faire pour prévenir et soigner les hépatites S’il est actuellement un risque majeur à prévenir chez les usagers de drogues, c’est bien celui de la contamination par les virus des hépatites B et C, dont S.Walcher (Munich) se demandait, avec le goût du paradoxe, pourquoi faut-il les traiter ?… tout en répondant immédiatement : “Parce que prévenir et soigner est humain, possible, nécessaire et rentable’’. J.M. Guffens (congrès THS, SaintTropez) a rappelé l’importante prévalence des morbidités liées aux hépatites virales C chez les toxicomanes : 60 à 80 % des porteurs de VHC développeront une maladie hépatique chronique, dont 3 à 20 % vont évoluer vers une cirrhose ou un hépatocarcinome. On sait aussi maintenant que la bithérapie interféron pégylé + ribavirine est efficace dans 80 % des hépatites C à sérotypes 2 ou 3, les plus fréquents chez les usagers de drogues. Pourtant, cette population bénéficie encore trop rarement de ce traitement des infections VHC. Cela pose la question des obstacles au dépistage et au traitement de la maladie. P. Le Gall (Fréjus, Saint-Raphaël) et al. ont réalisé, dans l’ouest de la région PACA, une enquête “un jour donné’’ à ce sujet, en novembre 2002, chez des consultants de médecins généralistes incités à répondre à un autoquestionnaire. Sur 772 personnes ayant répondu, 51,8 % (400) avaient au moins un facteur de risque pour le VHC, 202 l’apprenant par le questionnaire ; 52,5 % de ces derniers ont accepté un dépistage sérologique, mais 47,5 % l’ont refusé. Cent trois sujets se savaient à risque de VHC, dont 67 % avaient déjà été dépistés. Au total, 44 à 70 % des personnes ont refusé le dépistage, 32,3 % avaient peur de la ponction biopsie hépatique (PBH) et 26 à 28 % des effets secondaires du traitement. Cette étude confirme la nécessité de renforcer l’information sur l’infection VHC pour faciliter et élargir l’accès aux soins des usagers de drogues. Même en cas de dépression et de VIH+ asymptomatique Pour S. Walcher (Munich), il est, de toute façon, nécessaire et efficace de dépister et traiter les usagers de drogues porteurs d’une hépatite C. Ils ont une très bonne compliance, parfois meilleure que celle des patients non r Cong è s Con grès Cong r Cong è s Con grès r toxicomanes. Cela se vérifie même en cas de comorbidité psychiatrique sévère chez les sujets en traitement de substitution : l’hépatite C doit être traitée après 3 à 6 mois de stabilisation sous méthadone ou buprénorphine haut dosage, cette dernière offrant l’avantage de ne pas interférer avec les médicaments antiviraux et, en cas de comorbidité psychiatrique, permet d’améliorer le sommeil, l’humeur et la compliance. Les états dépressifs majeurs, habituellement considérés comme des contre-indications au traitement par interféron, peuvent, d’après des études récentes, bénéficier d’antidépresseurs de la famille des ISRS. Et que faire lorsque l’usager de drogues est non seulement séropositif pour le VHC, mais encore pour le VIH, étant donné les risques d’interactions médicamenteuses et de majorations des effets secondaires qui peuvent rendre impossible le recours à l’interféron ? La réponse est : lorsque le patient est VIH + asymptomatique, il faut, en réalité, traiter son hépatite le plus rapidement possible afin d’éviter qu’elle n’évolue vers la cirrhose, cause majeure de mortalité en cas de coinfection HIV/VHC. “Il faut effectivement proposer aux usagers de drogues susceptibles de bénéficier du traitement de leur hépatite virale associée, la thérapie buprénorphine haut dosage (ou méthadone, dans certains cas), interféron pégylé + et ribavirine’’, concluait J.M. Guffens. On peut traiter les hépatite C en prison La prison fournit un bon exemple des limitations à l’accès aux soins, notamment sur ce point, comme le montrent les chiffres rapportés par S. Yakoub et S. Balanger (maison d’arrêt de Paris, La Santé). En juin 2003, une enquête menée auprès de 139 sites pénitentiaires auprès de 49 150 personnes détenues montrait que 4,2 % (2 064) étaient séropositifs pour le VHC, dont 91 % asymptomatiques. Cent quarante seulement étaient traités par bithérapie interféron-ribavirine, 46 par monothérapie. Au niveau de la maison d’arrêt de La Santé, la prise en charge des détenus toxicomanes et/ou VHC + relève de l’UCSA, du SMPR et de son CSST. L’effectif de la prison en 2003 se caractérise par une importante surpopulation, un fort taux d’étrangers (55 %) le plus souvent en situation irrégulière ; 35 % des incarcérations relèvent de délits liés aux stupéfiants et leur durée moyenne est de 4 à 8 mois. En 2003, 179 détenus VHC + ont été pris en charge par l’UCSA, 17 VHC + bénéficiant d’une bithérapie. Divers obstacles entravent le dépistage et le soin : refus du patient, d’ordre psychologique, ethnique et/ou socioculturel ; contexte carcéral rendant difficile la mise en œuvre des PBH et des consultations spécialisées dont les délais d’attente peuvent être supérieurs à la durée de l’incarcération (courtes peines ou remises en liberté immédiates). Le CSST et l’UCSA mettent en place une prise en charge reposant sur une bonne coordination entre les différentes équipes. Mais, en définitive, l’auteur est arrivée à ce constat déplorable : des détentions inacceptables, aggravées par un taux d’incarcérations record ; des disparités importantes d’un établissement à l’autre en matière d’accès aux soins alors que les pathologies VHC et VHB, en prison, sont en train d’“exploser’’. Donc à la conclusion “qu’il faut renforcer, plus que jamais, le dispositif sur les plans sanitaire et social”. A.J. Remy (Perpignan) et al. montrent cependant la faisabilité du traitement de l’hépatite C en prison. En 2000, une étude portant sur 85 unités pénitentiaires mettait en évidence que la sérologie des patients était connue dans les deux tiers des cas mais que 36 % seulement avaient eu une PBH et 4 % un traitement. La ponction biopsie, identifiée comme un obstacle à l’accès aux soins, avait alors été introduite dans les unités médicales de 37 maisons d’arrêt. Ainsi, 200 patients d’un âge moyen de 37 ans (94 % d’hommes) ont été suivis et, au 1er juin 2004. Ils avaient été traités par bithérapie interféron-ribavirine, la PBH n’étant que facultative même si elle était souhaitée par le médecin. La contamination était liée à des injections iv de drogues dans 78 % des cas, 3 % étant d’origine transfusionnelle ; 12 % des sujets étaient également VIH + ; 37 % étaient sous substitution par méthadone (12 %) ou buprénorphine haut dosage (25 %). La durée moyenne du traitement a varié de 4 mois chez les patients qui l’avaient interrompu pour des motifs non médicaux, à 7 mois chez ceux qui l’avaient poursuivi jusqu’à son terme. Quatre vingtquinze sujets (47,5 %) ont eu une réponse positive complète et aucun effet secondaire sérieux n’a été relevé. Il est donc possible d’instituer et mener avec succès un traitement de l’hépatite C en prison. La limitation Le Courrier des addictions (6), n° 4, octobre-novembre-décembre 2004 172 Évaluation : question(s) de méthode • Mojca. Z. Dernovcek et Mercedes Lovrecic (Ljubljana) ont rapporté les étapes de l’élaboration, à partir de 2003, d’un questionnaire, instrument d’évaluation de la qualité du traitement de substitution par méthadone. Il s’agissait d’une nouveauté dans un pays où n’existait aucune tradition d’appréciation qualitative systématique et scientifiquement fondée. Un questionnaire pilote a été mis au point et testé dans un centre méthadone recevant quotidiennement 500 clients dont 50 ont été sélectionnés pour l’étude. Les questions concernaient le comportement et l’impression clinique globaux, les conduites auto- et hétéro-agressives, les overdoses, la consommation parallèle de produits illicites, les dosages urinaires et les effets secondaires de la méthadone au cours des six derniers mois, ainsi que le statut du patient dans le programme. Cette première partie du projet s’est terminée en octobre 2004 et les premières conclusions des utilisateurs sont : ‘’assez satisfaisant’’ pour le temps nécessaire à remplir le questionnaire : ‘’peut mieux faire’’ en ce qui concerne la qualité de la documentation ; ‘’satisfaisant’’ pour la taille de l’échantillon, la période d’observation de 6 mois et l’utilisation des variables sélectionnées. La prochaine étape comportera l’interview de l’équipe soignante quant à l’utilité du questionnaire, sa mise en œuvre dans tout ou une partie des centres méthadone, l’analyse des réactions à ce type d’approche. • Andréa Flego (Pordenone) a exposé les principes du modèle d’excellence EFQM (European Foundation for Quality Management), approche qualitative nouvelle des institutions et de l’organisation des soins. Appliqué il y a quelques années au Jellinek Centrum d’Amsterdam, après ajustement aux besoins d’un service traitant des addictions, il comporte en résumé : une définition des missions à remplir avec une attention particulière portée à l’épidémiologie, à l’attitude des soignants et à l’opinion de l’environnement social sur le traitement par la méthadone ; des critères de faisabilité concernant aussi bien le personnel nécessaire que la politique de soins et la stratégie à appliquer ou les divers partenariats ; une auto-évaluation qui représente la grande nouveauté du modèle EFQM. L’excellence telle qu’elle est entendue ici signifie : maintenir et élever progressivement le niveau de tous les comportements de l’institution soignante ; être capable de changer en permanence pour s’adapter à de nouvelles réalités et de nouvelles vérités scientifiques dans le cadre de l’“Evidence Based Medicine”. r Cong è s Con grès Cong rès Cong è s Con grès r Les comorbidités psychiatriques • Kjersti Pedersen et Helge Waal (Oslo) ont constaté la pauvreté de la littérature consacrée à la comorbidité opiacés/schizophrénie, qui fait de ces patients un ‘’groupe invisible’’. Une étude menée à Oslo met pourtant en évidence un taux plus important d’addictions chez ces sujets et la fréquence des ruptures de la prise en charge psychiatrique. Le suivi pendant 2 ans d’un groupe de schizophrènes recevant, outre la thérapeutique antipsychotique, un traitement de substitution par la méthadone, montre que la symptomatologie schizophrénique, la compliance au traitement psychiatrique et la qualité de vie sont améliorées. • L’étude présentée par Olaf Blix et U. Eek (Jonkoping) aboutit à des conclusions voisines. Les addictions aux opiacés et à l’alcool, fréquentes chez les malades mentaux, s’accompagnent souvent de rechutes sévères entre les séquences thérapeutiques. Depuis 1994, un traitement à long terme (3 ans au moins) a été proposé à des patients à ‘’double diagnostic’’ à Jonkoping, mettant en partenariat les services sociaux et l’institution psychiatrique locaux, d’après le modèle américain de Meuser et Drake (New Hamposhire). De 1994 à 2004, 85 malades ont été inclus dans ce programme thérapeutique. • Giulio Perusi (Pise), à propos de l’utilisation de la psychopharmacothérapie chez les usagers de drogues présentant des troubles mentaux, s’est essentiellement attaché à la coprescription antidépresseurs/méthadone et neuroleptiques/méthadone. Il ressort de son étude que l’administration des médicaments psychotropes doit commencer à des doses faibles, que l’on augmente progressivement jusqu’à atteindre la posologie adéquate. Mais, attention aux interactions : fluoxétine et fluvoxamine augmentent la méthadonémie, fluvoxamine et sertraline la biodisponibilité. Il est possible de prendre avantage du temps de latence réduit des tricycliques (clomipramine) chez les patients sous méthadone. Quant aux ISRS, ils sont des anti craving de premier choix. La méthadone agit sur la dépression et stabilise l’humeur mais, en contrepartie, impose de fortes doses d’antidépresseurs. Toutefois, l’amélioration et/ou la stabilisation de l’humeur ne prévient pas par elle-même la toxicomanie. • Monica Astals et al. (Barcelone) se sont intéressés aux variations du diagnostic psychiatrique pendant un traitement par méthadone à partir de l’étude de 107 toxicomanes à leur admission de et 18 mois plus tard. La comorbidité psychiatrique a été évaluée selon les critères de la version espagnole du PRISM 3 : à l’admission, un diagnostic psychiatrique a été porté chez 25 % des patients ; 18 mois plus tard, le taux de comorbidité est passé à 46 %. Dans la majorité des cas (9 sur 16), le nouveau diagnostic portait sur des personnalités antisociales ou borderline, ce qui semble suggérer la nécessité de réviser les critères définissant les troubles de la personnalité chez les toxicomanes aux opiacés. du traitement de la PBH, telle que la conférence de consensus française de 2002 l’a recommandée, jointe à des initiatives telles que POPHEC (Premier observatoire dans les prisons du traitement de l’hépatite C), facilite l’accès aux soins des populations incarcérées (voir encadré “Prisons européennes et substitution : des progrès à faire”). Femmes enceintes : substitution plus thérapie comportementale En ce qui concerne les effets des traitements de substitution par la méthadone chez les nouveau-nés de mères ainsi traitées, il est habituel d’être confrontés chez eux à la survenue d’un état de manque exi- geant un traitement médical. Quant à la buprénorphine haut dosage à laquelle des patientes ont recours, soit parce qu’elles sont enrôlées dans des essais cliniques, soit, le plus souvent, parce qu’elles en prennent de manière non contrôlée en période prénatale, elle semble induire moins souvent chez les nouveau-nés cet état de manque. Et que celui-ci soit moins sévère qu’avec la méthadone. Pour le vérifier, M. Jones (Baltimore) a comparé, dans des conditions méthodologiques rigoureuses (essai randomisé, contrôlé, en double aveugle), les incidences d’une exposition fœtale à la buprénorphine haut dosage ou à la méthadone : 45,5 % des nouveau-nés exposés à la méthadone, 20 % de ceux sous buprénorphine, ont été traités pour un état de manque. Il n’y avait pas de différence significative entre les deux 173 groupes en ce qui concerne l’intensité des symptômes et les traitements appliqués. La durée de l’hospitalisation a été significativement plus courte dans le groupe buprénorphine haut dosage. Si l’accord est total quant à la nécessité de mettre en place un traitement de substitution chez les femmes enceintes toxicomanes aux opiacés, il apparaît également que l’appoint d’une thérapie comportementale (“contingency management’’) est un facteur positif. Leslie Amass (Los Angeles) et Loretta Finnegan (Bethesda) ont montré que, dans leur expérience, cet apport thérapeutique complémentaire peut permettre une meilleure compliance, réduire l’utilisation concomitante de drogues licites ou illicites et faciliter la surveillance médicale prénatale. Médecine générale et santé communautaire Pour mettre en œuvre ces modalités de prise en charge spécifique, outre l’importance du travail en réseau déjà souligné, il a semblé, d’un côté, indispensable à tous d’impliquer les médecins généralistes et d’insister sur l’importance de leur rôle, et de l’autre de promouvoir des pratiques de soins communautaires. Et, dans l’un et l’autre cas, c’est le patient, bénéficiaire d’une prise en charge individualisée, qui doit être au centre du dispositif de soins. Ainsi, C. Ford (Londres) a souligné le rôle majeur joué par les soins de santé primaires au Royaume-Uni depuis 1990, ainsi que la reconnaissance des risques et dérives possibles : tentation de considérer les usagers de drogues comme un groupe homogène ; réduction du traitement à la prescription ; protection du prescripteur et de la communauté devenant plus importante que les soins au patient… Éviter ces écueils implique la responsabilité et la valorisation du médecin généraliste, tirant profit de sa relation privilégiée avec les personnes, les familles et la communauté ! il peut procurer un large éventail de soins incluant les traitements de substitution, gérer la réduction des risques, pratiquer une thérapie centrée sur le client selon le modèle de Carl Rogers et des interventions “motivationnelles”. La prise en compte des désirs et besoins du sujet a pour but de le “renarcissiser’’ et, à cette fin, la relation médecin- r Cong è s Con grès Cong r Cong è s Con grès r patient constitue une part importante du traitement. L’action du National Health Service, présentée par R. Robertson (Edimbourg), s’exerce dans le même sens. Les modèles de bonnes pratiques pour les médecins et les infirmières comportent l’attention aux demandes du patient, la prescription d’un traitement agoniste, la surveillance des problèmes de santé mentale, de virologie, de statut immunitaire, de contraception et de la grossesse, le maintien d’un état de santé satisfaisant. A. Ulmer (Stuttgart) a, lui aussi, plaidé pour l’importance et la reconnaissance du rôle des généralistes auxquels incombait, jusqu’en 1998, la prescription en Allemagne des traitements de substitution. Cependant, la nécessité ressentie d’une exigence de qualité a débouché sur une bureaucratisation et un renforcement des contrôles tels (accréditation obligatoire des médecins), que les prescripteurs se sont raréfiés. Dès lors se sont créés des centres spécialisés qui offrent le double inconvénient de concentrer les toxicomanes et de se situer souvent à distance de leurs lieux de vie. Il faudrait maintenant déconcentrer ces offres de soins, faire de ces centres de référence des instruments de coordination et pas seulement de contrôle, sur le modèle français, qui est probablement le plus performant. La valorisation du généraliste et la mise en place de structures de soins communautaires sont à la base des expériences que A. Michelazzi (Trieste) et A. Ivancic (Zagreb) voudraient voir étendre à l’ensemble des territoires italien et croate. En Croatie, où l’on constate une solide tradition de psychiatrie et de médecine sociale, l’implication du médecin généraliste dans le traitement est considérée comme une garantie de sa fiabilité. C’est la solution la moins coûteuse, celle qui permet de pallier les dérives de la stigmatisation et de la “ghettoïsation” des usagers de drogues. La politique de santé croate assure un accès facile à l’assurance maladie et chaque patient a son médecin traitant rémunéré à la capitation. La méthadone peut lui être prescrite lorsqu’il en fait la demande puisque aucun critère de sélection n’est imposé à l’entrée dans un programme. L’existence de centres coopératifs de médecine générale a permis une expansion rapide de la substitution tout en assurant sa qualité. Ceux-ci jouent un rôle de mise au point clinique, de décision thérapeutique, d’initiation du traitement, de conseil psychosocial. Cinquante-six pour cent des médecins généralistes prescrivent de la méthadone et ils sont au centre de la lutte contre les addictions. À titre indicatif, la Croatie compte 4 500 000 habitants et environ 18 000 toxicomanes dont 7 000 sont en traitement avec une posologie moyenne de méthadone de 65 mg par jour. Le taux de séropositivité HIV est inférieur à 1 % et 50 à 60 décès annuels sont dus à des overdoses. Cela est rendu possible par la formation et la pratique médicales, sachant que “la connaissance doit être acquise, non transmise’’. Stabilité des consommations d’alcool chez les collégiens et lycéens En conclusion : “Ce congrès a déjà démontré la nécessité de constituer un panel européen de médecins susceptibles de poursuivre et d’approfondir les résultats de ces réunions entre professionnels de santé, disait le Pr Icro Maremmani. Il a affirmé ensuite la nécessité de travailler à mieux connaître la physiopathologie des addictions, de codifier la (les) thérapeutique(s) avant même de penser à la réduction des risques, de former les médecins généralistes au traitement des pathologies addictives”. Cela implique, entre autre, les possibilités de se libérer des limitations légales contraignantes de la prescription de buprénorphine haut dosage, sachant qu’il appartient au corps médical de démontrer aux politiques leur absurdité sans attendre que ces derniers prennent l’initiative de modifier la loi. “L’un des intérêts majeurs de ce congrès est d’avoir confirmé le statut authentique de la buprénorphine haut dosage, efficace pour une majorité de patients comme traitement de l’addiction aux opiacés”, concluait, pour sa part, le Dr Marc Reisinger. “Mais, il ne faut pas hésiter, en cas d’échec, à ‘passer’à la méthadone”. Priorité à l’efficacité et au pragmatisme, et non aux a priori partisans. Toujours. Et rendez-vous pour le 7e congrès Europad à Bratislava… Pour contacter les organisateurs d’Europad : Président : Icro Marmmani, département de psychiatrie, université de Pise, 67, via Roma 56100 Pise, Italie. E-mail : [email protected]. Le Sterifilt nouvel outil de prévention du VHC sB Brèv sBrèv ® La consommation régulière (au moins dix fois par mois) de boissons alcoolisées chez les garçons est de 4 % à 14 ans et de 22 % à 18 ans. Chez les filles,elle est respectivement de 1 et 7 %.Si l’on étudie les types de boissons consommées au cours des trente derniers jours, on note une évolution marquée à partir de 16 ans :avant cet âge,cidre et champagne sont les plus consommées, après ces boissons sont progressivement remplacées par la bière et les spiritueux.En revanche,les consommations de vin restent relativement faibles tout au long de l’adolescence. Chez les filles, le champagne l’emporte sur la bière, mais les alcools forts s’imposent rapidement après l’âge de 16 ans.L’ivresse est l’apanage du genre masculin. Ainsi, entre 12 et 13 ans, deux fois plus de garçons que de filles déclarent avoir été ivres au moins une fois dans leur vie : 12 contre 6,3 %. Cet écart se réduit par la suite puisque les proportions sont respectivement de 29,3 et 24,3 % à 14-15 ans et de 51,1 et 47 % à 16-17 ans. Enfin, si l’on se réfère à l’enquête ESPAD de 1999 (European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs, réalisée tous les 4 ans depuis 1993), on constate une relative stabilité des consommations durant l’adolescence, qu’il s’agisse d’initiation ou de consommation régulière. www.ofdt.fr/BDD/publications/fr/tend35.htm. In:Actualités Alcool 2004;21. F.A.R. Inpes : www.inpes.sante.fr e e Le Courrier des addictions (6), n° 4, octobre-novembre-décembre 2004 2006 : tous à Bratislava 174 Les contaminations par le VIH liées à l’injection de drogues ont quasi disparues en France mais plus de 5 000 injecteurs se contaminent encore chaque année par le VHC. Le partage des filtres et cuillères en sont une des principales causes comme l’ont démontré de nombreuses études. Si le kit d’injection Steribox 2® avec son Stéricup® avait déjà permis de limiter le partage des cuillères, le nouvel et ingénieux Sterifilt® (à usage unique) devrait permettre de limiter considérablement l’usage, le partage et la réutilisation des filtres de cotons et filtres de cigarettes habituellement employés.Grâce à sa membrane filtrante,ce dispositif qui s’adapte par dessus l’aiguille de la seringue élimine 99 % des particules de 10 microns et plus ce qui réduit très sensiblement les risques d’abcès, phlébites, “poussières”, œdèmes… Il est utilisable avec toutes les drogues injectables ainsi que la plupart des médicaments parfois injectés par les usagers de drogues. Ce procédé, qui retient moins de 2 % de drogue contre 6 à 10 % pour les filtres habituels, a été plébiscité par 90 % des injecteurs. Le Sterifilt®, qui coûte 0,15 €, est disponible dans la plupart des structures spécialisées Vous trouverez tous les renseignements ainsi que rapport Sterifilt® en ligne sur www.steribox.tm.fr. J. Kempfer Contact :Apothicom-CMS, 64, avenue Georges-Gosnat, 94200 Ivry-sur-Seine. Tél. : 01 46 70 70 72. E-mail : [email protected]. r Cong è s Con grès Cong rès Cong è s Con grès r La buprénorphine haut dosage à Europad S. et R. Berthelier La buprénorphine haut dosage est apparue comme le traitement de substitution “vedette” de ce congrès. Outre le symposium satellite organisé par les laboratoires Schering-Plough, elle a fait l’objet de plusieurs communications au cours des divers ateliers. Et la forte participation américaine a montré qu’elle suscitait un intérêt croissant aux États-Unis. Le symposium buprénorphine : usages cliniques de la buprénorphine haut dosage Au programme : mise en évidence de l’efficacité de la buprénorphine haut dosage, de son acceptabilité par les patients, de sa sécurité d’emploi et de la nécessité de prescrire des posologies suffisamment importantes. Quitte à aller au-delà de celles définies par l’AMM. D. Touzeau et J. Bouchez (Bagneux), dont la communication “Quand le haut dosage ne suffit pas’’ ouvrait le symposium, ont rappelé que l’utilisation de la buprénorphine haut dosage dans le traitement de la dépendance aux opiacés avait été proposée dès 1978, aux États-Unis, par l’équipe du Dr Jasinski. Cependant ses potentialités cliniques, liées à son activité d’agoniste partiel, n’ont été mises à profit que plus tard, en 1985, par Marc Reisinger. Ses premières applications chez les héroïnomanes en France ont été empiriques : elles ont commencé par la prescription de l’antalgique Temgésic®, faiblement dosé en buprénorphine, avec lequel l’obtention d’une stabilisation impliquait des prises pluriquotidiennes d’un grand nombre de comprimés. La reconnaissance des différences individuelles Le développement des traitements à la buprénorphine haut dosage a répondu à des besoins de santé publique : réduction des risques, diminution du nombre des overdoses. Les premières études américaines ont été faites sur la base de l’administration de posologies insuffisantes (2 à 10 mg) et comportaient des biais méthodologiques. Les études européennes récentes sont “parties” sur des posologies plus élevées (12 mg par jour). Les auteurs français ont pu constater que les paramètres sociaux et les comorbidités psychiatriques pouvaient induire de mauvaises réponses et des sorties de programmes, les posologies standard limitant l’efficacité du traitement. L’expérience clinique a montré que la stabilisation d’une minorité de patients exigeait des doses supérieures au maximum fixé par la réglementation française. Dans certains cas : • Nécessité d’éliminer un mésusage, par exemple par un temps de passage sublingual trop court. • Obtention de meilleurs résultats par l’augmentation des doses en cas de comorbidité psychiatrique (à l’exception des psychoses) : il a fallu, pour certains malades, prescrire jusqu’à 56 mg par jour, soit une posologie hors AMM qui rend les études difficiles. Ces données renforcent l’idée qu’il existe des différences individuelles d’absorption du médicament et que la posologie actuelle pour les patients autorisée maximale varie selon les pays : 16 mg en Autriche, 24 mg en Suède, 32 mg au Danemark... En fait, dans la pratique, la prescription doit être définie en écoutant les patients plutôt qu’en référence à des paramètres fixés arbitrairement, ce qui limite l’initiative clinique des médecins, bride leur “feed-back avec leurs patients et l’évolution des connaissances. La preuve par les résultats Pour W. Ling (Los Angeles), une des bonnes raisons pour traiter l’addiction est... que “ça marche” quel que soit le point de vue d’où l’on 175 se place : médecin, patient, société… Depuis plus de 30 ans, les traitements ont largement démontré qu’ils sauvaient des vies, réduisaient la morbidité, préservaient la santé des personnes, étaient économiquement rentables. Exemple : en Californie, le coût de la prise en charge d’un toxicomane sur 6 mois est de 20 000 dollars en l’absence de traitement, 8 à 9 000 s’il est soigné, moins encore en cas de substitution par la méthadone. Et le taux de rechutes est peu différent de celui que l’on voit dans le cadre des autres maladies chroniques… Reste que les différents acteurs ne poursuivent pas forcément les mêmes buts et qu’il faut prendre en compte diverses demandes et attentes : ainsi, il existe au moins dix bonnes raisons de prescrire la naltrexone (efficacité per os, effet rapide, action à long terme, etc.) et une seule pour ne pas la prendre : elle ne donne pas de flash, ne fait pas planer et “c’est comme si on ne prenait rien’’. En 2000, la buprénorphine haut dosage a fait l’objet d’une loi du congrès pour sa mise sur le marché. Elle a été présentée comme une grande expérience sociale : pour la première fois depuis 80 ans, le traitement des addictions était remis aux professionnels et non aux policiers. Ce qui pose deux questions : la science peut-elle remplacer l’idéologie ? La médecine peut-elle tenir son rôle ? Afin de le savoir, il faut pouvoir mesurer ce qui relève directement des effets du médicament et ce qui dépend d’événements intercurrents. En définitive, les approches et le devenir de la thérapeutique doivent être appréciés en fonction du climat politique et social de sa délivrance. La compétence des généralistes G. Fischer et al. (Vienne) ont présenté une expérience de prescription de la buprénorphine haut dosage en médecine de ville. Cette étude prospective contrôlée a inclus 60 patients (dont 30 % de femmes) d’un âge moyen de 25 ans, dépendants des opiacés depuis 5 ans en r Cong è s Con grès Cong r Cong è s Con grès r moyenne. Cinquante pour cent avaient un travail stable et 31 % avaient déjà eu une première expérience de substitution. Quarante pour cent étaient VHC+. Les critères d’exclusion étaient : VIH+, éthylisme, comorbidité psychiatrique, autres maladies graves. Le traitement a été initié en trois semaines en centre spécialisé, le relais de la prescription étant ensuite assuré pendant 11 semaines par des médecins généralistes et l’évaluation finale effectuée en centre spécialisé la quinzième semaine. Lors de l’initialisation, la buprénorphine haut dosage a été administrée en prises contrôlées avec une posologie de 6-8 mg par jour à un maximum de 24 mg par jour. Lors du relais, la délivrance a été d’abord quotidienne, puis hebdomadaire, en pharmacie. L’évaluation a montré que : – le taux de rétention était de 57 %, sans différence significative entre les sexes ; – les contrôles urinaires ont montré une diminution significative de la consommation d’héroïne et de cocaïne dès la deuxième semaine, un arrêt des benzodiazépines en fin d’étude chez les patients stabilisés avec une dose égale ou supérieure à 16 mg par jour. Résultats : la prise en charge des patients en médecine de ville est largement “bénéficiaire” moyennant des posologies suffisantes de buprénorphine haut dosage et une bonne formation des médecins. La bonne posologie pour chaque patient : savoir les réajuster G. Di Petta (Naples) (comme D. Touzeau), considère qu’il est important de ne pas sousdoser le médicament, ce qu’il a vérifié dans un contexte napolitain caractérisé par la grande fréquence des overdoses, la prolifération des passages à l’acte hétéroagressifs, l’importance des pathologies infectieuses et un coût social élevé. La buprénorphine haut dosage a été utilisée dans un district du nord de Naples sur un échantillon de 650 patients (610 hommes, 40 femmes) d’un âge moyen de 30 ans, de bas niveau éducatif, avec une durée moyenne de dépendance de 7,5 ans. Cent cinquante personnes consommaient de l’héroïne, 500 étaient sous méhadone. Le protocole de “switch” était appliqué quelle que soit la posologie prescrite (la moitié des patients avait eu 40 et 50 % de méthadone, mais des dosages ont été faits jusqu’à 100 mg par jour). On a res- pecté, comme il se doit, un délai de 24 heures entre la dernière prise de méthadone et la première prise de buprénorphine haut dosage. Le but était de procurer une sensation de confort immédiat en débutant à des doses suffisamment élevées. Les résultats à 30 mois sont intéressants : – 91 % des patients restent en traitement, 2 % sont revenus à la méthadone ; – les dosages urinaires d’opiacés sont encourageants (80 à 100 % de négativité selon les produits) pour des posologies de 24 à 40 mg par jour ; très bons (négativité à 100 % pour tous les paramètres urinaires) pour des posologies de 40 à 56 mg par jour. Les résultats obtenus suggèrent que : – la buprénorphine haut dosage n’est pas seulement indiquée chez les sujets à dépendance faible ou modérée ; – au-dessous de 16 mg par jour, il existe un risque de rechute ou de sortie du programme ; – à long terme, les hautes doses de buprénorphine haut dosage réduisent remarquablement le manque, le craving et permettent le maintien des patients dans les programmes de réinsertion psychosociale ; – la buprénorphine haut dosage représente une nouveauté thérapeutique innovante dans les stratégies d’approche de la dépendance aux opiacés, mais les très fortes doses sont difficiles à utiliser s’il existe des problématiques psychologiques complexes. Des performances psychomotrices meilleures Enfin, toujours dans le cadre de ce symposium satellite, M. Soyka (Munich) a présenté les résultats d’une étude comparative des capacités psychomotrices et de l’aptitude à la conduite automobile de 27 patients sous buprénorphine haut dosage (posologie moyenne : 5,8 mg par jour) et 28 sous méthadone (68 mg par jour). Principales conclusions après 26 semaines de traitement : – dans la phase initiale, la buprénorphine pourrait présenter des avantages par rapport à la méthadone en ce qui concene les manifes- Expérience : la buprénorphine haut dosage comme outil du sevrage Leslie Amass, Los Angeles Elle s’est intéressée à l’utilisation de la buprénorphine haut dosage dans le sevrage médicalisé, singulièrement chez des patients qui refusent les traitements de substitution habituels et pour lesquels une stratégie d’intervention à court terme peut être intéressante. La buprénorphine haut dosage peut aussi être utilisée comme thérapeutique initiale chez des sujets dont la dépendance est encore récente ou dont l’état de santé exige un sevrage des opiacés. Dans l’expérience de l’auteur, la buprénorphine haut dosage était à disposition depuis 18 mois. Le sevrage s’est déroulé sur 14 jours avec une dose initiale de 60 mg par jour et une diminution progressive ensuite. Résultats : 84 % des patients ont été compliants et sont arrivés au terme du sevrage, contre 32 % en l’absence de buprénorphine haut dosage ; la buprénorphine haut dosage a permis de mener à terme plus de sevrages qu’avec la clonidine ; 20 % n’ont pas eu besoin de médicaments complémentaires, 80 % en ont reçu au moins un en institution ; les résultats sont comparables en ambulatoire. On a constaté également que les thérapies comportementales étaient compatibles avec la buprénorphine haut dosage, lorsqu’elles sont combinées avec un sevrage médicalisé. tations du manque ; – les résultats aux tests cognitifs et de conduite automobile sont meilleurs avec la buprénorphine haut dosage qu’avec la méthadone, ce qui ne peut s’expliquer ni par la posologie ni par les caractéristiques individuelles des patients. Quatre ou 5 autres études non randomisées, retrouvées dans la littérature, sont également en faveur d’une supériorité de la buprénorphine haut dosage. D’autres, randomisées, sont cependant nécessaires. Et les implants de buprénorphine haut dosage ? On en parle beaucoup, de façon récurrente : les implants et/ou formes retard de la buprénorphine haut dosage sont en cours de développement. Ils ont l’inconvénient d’être irréversibles, une fois mis en place. Une intervention chirurgicale est nécessaire pour les enlever. Le Courrier des addictions (6), n° 4, octobre-novembre-décembre 2004 176 r Cong è s Con grès Cong rès Cong è s Con grès r À travers les ateliers Pour les experts qui se sont exprimés au cours des différents ateliers, même constat qu’au cours du symposium : la buprénorphine haut dosage n’est pas seulement une molécule dotée de propriétés pharmacologiques spécifiques, mais un médicament prescrit et dispensé à un patient donné, dans le cadre d’un dispositif de soins défini par des politiques sanitaires et sociales qui sont propres à chaque pays. L’induction du traitement, aisée, facilite la compliance. Son efficacité est réelle, mais elle est dose-dépendante. Il faut donc être attentif à ne pas sous-doser les patients. W. Ling (Los Angeles), dans une perspective analytique globale, a insisté sur la notion selon laquelle l’efficacité des traitements de substitution et notamment de la buprénorphine haut dosage, ne doit pas être jugée sur les seuls critères pharmacologiques : au-delà du point de vue strictement médical, son utilisation clinique, son succès ou son échec doivent être examinés selon l’angle politique et social. E.C. Strain (Baltimore) présente les résultats d’une recherche sur les aspects pharmacologiques de la buprénorphine haut dosage associée à la naloxone (Suboxone®), médicament uniquement disponible aux États-Unis. Menée avec une méthodologie rigoureuse chez des petits groupes volontaires, ces études ont montré : • Une efficacité dose-dépendante de la buprénorphine haut dosage d’une durée de 25 heures, non modifiée par l’adjonction de naloxone. • Après un passage brutal au placebo, les manifestations de manque ne sont que minimes au cours des trois premiers jours, ce qui témoigne d’une durée d’action longue, supérieure à 74 heures. • La proportion des allongements de QTc à l’ECG est beaucoup moins importante qu’avec la méthadone et le LAAM. • Certains patients peuvent tolérer des doses uniques élevées de Suboxone® sans développer de symptômes de manque significatifs. Si le syndrome de sevrage apparaît, il est possible d’administrer des doses faibles répétées de buprénorphine haut dosage. L. Amass (Los Angeles), à propos également de Suboxone®, arrive à des conclusions similaires : il existe une équivalence entre buprénorphine haut dosage seule et Suboxone® en termes d’efficacité, de sécurité et de facilité d’emploi dans la maintenance comme dans le sevrage médicalisé des opiacés, à une posologie optimale de 16 à 24 mg par jour. L’association des benzodiazépines à la buprénorphine haut dosage, fréquente chez les patients sous traitement de substitution, a retenu l’attention de M. Auriacombe (Bordeaux) qui a cherché à en déterminer la prévalence, et à savoir s’il est possible de trouver des critères pertinents pour évaluer leur dépendance aux benzodiazépines. L’étude a inclus 169 patients chez qui on a pu constater : – l’absence de différences entre des nonutilisateurs et des non-dépendants ; – d’importantes différences entre nondépendants et dépendants avec, chez ces derniers, des scores de dépression et d’anxiété plus élevés, une moins bonne qualité de vie, plus d’utilisation de benzodiazépines à fortes doses, plus de pro- Imprimé en France - EDIPS - Paris - Dépôt légal 4e trimestre 2004 © décembre 1998 - DaTeBe édition. Les articles publiés dans Le Courrier des addictions le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. 177 blèmes physiques, médicaux et sociaux. L’injection de buprénorphine haut dosage était corrélée à une dépendance aux benzodiazépines. Deux motifs sont évoqués pour expliquer leur utilisation : l’automédication de l’anxiété, et la recherche d’un effet “planant”. Il est rappelé que, de 1996 à 2000, la buprénorphine haut dosage a été impliquée dans 137 décès, associée dans 136 cas à d’autres produits dont 70 % à des benzodiazépines. En fait, la buprénorphine haut dosage, seule, ne peut pas être comptable de ces décès liés à la polytoxicomanie de rue. T.G. Gilhooly (Glasgow) a rapporté l’expérience du centre de crises de Glasgow où de très fortes doses de méthadone (600 à 900 mg) étaient prescrites chez un certain nombre de patients. Beaucoup d’entre eux sont “passés” à la buprénorphine haut dosage et ont été stabilisés par ce médicament moyennant de hautes posologies pouvant aller jusqu’à 72 mg par jour. Un autre groupe, composé de consommateurs de codéine (50 à 200 cps par jour), moins marginalisés, possédant souvent un travail, a été stabilisé avec des doses de 16 à 32 mg de buprénorphine haut dosage. Enfin W. Ling (Los Angeles) a exposé une méthodologie de l’induction du traitement par la buprénorphine haut dosage à partir de l’étude d’un échantillon de 59 patients, surtout toxicomanes et abuseurs de prescriptions, exclus des programmes méthadone. Ils ont reçu : – 8 mg le premier jour, en 2 prises (4 mg à la clinique, 4 mg à leur domicile) ; – 12 mg à J2, 16 mg à J3, J4 étant consacré à la définition de la dose d’équilibre (24 mg au maximum) ; – aucun autre médicament n’a été prescrit. Cela montre bien, selon lui, que les pratiques cliniques s’éloignant des données de la recherche conduisent à voir l’intérêt d’une augmentation des posologies de buprénorphine haut dosage. r Cong è s Con grès Cong r Cong è s Con grès r La méthadone à Europad : priorité à la pharmacologie Impression dominante : il existe un accord, au moins tacite, pour considérer la méthadone comme la molécule de référence en matière de traitement de substitution. Elle ne soulève pas ou plus de polémique quant à ses posologies utiles. Du coup, seulement deux communications cliniques ont été consacrées à ce médicament de substitution, les autres étant centrées sur ses aspects pharmacologiques. Souvent, des hautes doses M.S. Shinderman (Chicago) a justifié l’utilisation de doses supérieures à 100 mg par jour. Allant même dans certains cas jusqu’ à 1 000 mg, à partir de son expérience et de diverses publications. Il estime que l’obtention d’une abstinence de produits illicites (opiacés, cocaïne) chez 90 % au moins des toxicomanes dépendants aux opiacés nécessite, dans la plupart des cas, un ajustement dans le sens de doses bien plus importantes que celles que l’on prescrit habituellement car il existe une grande variabilité individuelle dans la réponse à ce médicament. Dans l’ensemble, les posologies les plus élevées sont corrélées à la diminution des autres substances et à une meilleure rétention. Les différences interindividuelles quant aux doses nécessaires dépendent de variations métaboliques en partie génétiques, en partie acquises et, pour un patient donné, le fait d’avoir besoin de posologies plus importantes n’entraîne pas un risque supérieur de sortie du programme. En pratique, pour être équilibrés 40 à 60 % des patients peuvent s’abstenir d’opiacés illicites avec des doses inférieures à 101 mg par jour. Vingt à 30 % ont besoin de 101 à 200 mg, 8 à 15 %, de 201 à 300 mg, 6 à 10 % de plus de 300 mg par jour et 2 % de plus de 900 mg. Mieux, leur recours à la cocaïne diminue lorsqu’on leur prescrit des doses supérieures à 100 mg par jour. L’ensemble des études consacrées à la pharmacologie de la méthadone a une base commune : la constatation de la variabilité individuelle des réponses au médicament, sa/ses relation(s) avec ses taux sériques et plasmatiques, la recherche des facteurs pouvant en rendre compte. Pour C.B. Eap (Prilly, Suisse), une partie de la réponse (environ la moitié) est d’ordre génétique. En effet, dans le métabolisme de la méthadone sont impliqués plusieurs isozymes de la famille du cytochrome P450 dont le polymorphisme génétique explique, en grande partie, la variabilité interindividuelle de la pharmacocinétique du médicament. L’auteur avait antérieurement montré l’importance des différents génotypes du CYP2D6 dans la détermination des taux plasmatiques de la méthadone, mais ils interviennent également dans les interactions métaboliques : l’effet de la paroxétine sur la méthadone, par exemple, est fonction du génotype CYP2D6 du patient. Une étude multicentrique en cours cherche à déterminer l’influence de facteurs génétiques multiples sur la réponse au traitement de substitution par la méthadone. K. Dyer (université d’Australie Occidentale) a exploré pour sa part les relations entre les concentrations plasmatiques des méthadones (S) - et (R) - et les troubles de l’humeur. Quelques conclusions de son étude : • Des modifications de la méthadonémie entraînent des variations thymiques plus prononcées chez les sujets ayant déjà présenté un état de manque. • Il n’existe pas de relation claire entre posologie médicamenteuse et trouble de l’humeur • Les symptômes de manque ne semblent pas dépendre des concentrations plasmatiques, mais de leur diminution rapide, ce qui pourrait renvoyer à une variabilité indi- Le Courrier des addictions (6), n° 4, octobre-novembre-décembre 2004 178 Aspects de la lutte contre la toxicomanie aux opiacés aux États-Unis Marc Parrino, New York Mauvais bilan : l’âge moyen des consommateurs d’héroïne est passé à 17,6 ans en 1997, contre 20,9 ans en 1987. Et le nombre des arrestations pour usage et/ou trafic de drogues à 1,56 million en 1998 contre 1,01 million en 1991. Devant cette situation, un projet ambitieux a été lancé pour permettre aux détenus d’avoir accès à des traitements par la méthadone, et réduire le coût social des toxicomanies. Celui-ci comportait la formation/ information des personnels judiciaires et pénitentiaires. Ainsi, le programme de Riskers Island, lancé en 2000, a coûté 18 400 dollars par détenu et par an, contre 4 700 dollars pour un patient suivi en ambulatoire, somme comprenant les soins médicaux et le volet socio-éducatif. Résultats : le programme a traité 3 985 détenus en 2000. La substitution a été poursuivie dans 55 % des cas après la libération, interrompue dans 19,5 %. Dans tous les cas, le recours aux injections fréquentes, aux opiacés, à la cocaïne, à l’alcool ainsi que la délinquance, ont diminué après traitement. Le programme, visant le retour à un fonctionnement ‘’productif’’ du sujet, semble donc avoir, en grande partie, atteint son but : la consommation de drogues et la délinquance ont baissé de 40 à 60 % dans la population traitée, le nombre des recherches d’emploi a augmenté de 40 % et le traitement de l’addiction aux opiacés est apparu aussi efficace que ceux du diabète, de l’asthme ou de l’HTA. viduelle génotypique comme à des facteurs tels que les maladies somatiques et la compliance au traitement. • Avec des doses inférieures à 100 mg par jour, des expositions relatives plus fortes à la méthadone (S) - qu’à la méthadone (R) - sont associées à une plus grande intensité des troubles négatifs de l’humeur et à une plus grande sévérité symptomatique du manque. En pratique, chez des patients présentant des troubles thymiques, il semble que la division de la dose de la méthadone en deux prises quotidiennes puisse améliorer leur état, moyennant une éducation, une alliance thérapeutique avec eux et donc leur coopération. L’auteur estime, par ailleurs, que les dosages salivaires peuvent avoir un rôle à jouer dans l’avenir pour déterminer la concentration et les effets des méthadones (S) - et (R)-. Cette variabilité des réponses à la méthadone a retenu également l’attention de P. Pani (Cagliari) pour qui elle relève à la fois de facteurs génétiques et acquis. Si l’on considère généralement que des taux sériques de 150 à 600 ng/l de méthadone peuvent supprimer le besoin d’héroïne, des études plus r Cong è s Con grès Cong rès Cong è s Con grès r méthadone en pratique clinique : la surveillance de la prise de méthadone 4 jours par semaine ne suffit pas pour affirmer une corrélation significative entre dose et concentration sérique du médicament si 3 jours consécutifs de prise au domicile les ont précédés ; la corrélation apparaît après passage à une surveillance quotidienne de l’administration. Par ailleurs, une relation linéaire entre dose de la méthadone et sB Brèv sBrèv récentes suggèrent et proposent un taux seuil de 250 ng/l. L. Okruhlica et al. (Bratislava) ont cherché à mieux cerner l’utilisation des dosages de la méthadonémie dans la surveillance et la compliance au traitement. Les résultats de leur recherche suggèrent que le nombre hebdomadaire des prises à domicile du médicament devrait être pris en compte dans l’appréciation des taux sériques de Conférence de consensus de Lille Grossesse et tabac : des risques encore sous-estimés Gros succès pour la dernière conférence de consensus organisée à Lille sous le patronage du ministère de la Santé. Plus de 500 personnes, spécialistes de tabacologie (tabacologues, gynécologues, sages-femmes…), venus de 18 pays y ont participé. Le tabagisme des femmes enceintes est devenu une préoccupation de santé publique car les taux de fumeuses en France avoisinent les 50 % et même si bien des femmes arrêtent momentanément de fumer lorsqu’elles attendent un bébé (37 % sont fumeuses), elles sont encore 19,5 % à continuer à le faire dont près de 7 % fument plus de 10 cigarettes par jour. Les risques liés au tabagisme maternel sont désormais parfaitement documentés et ont été rappelés lors de cette conférence de consensus sans, bien sûr, susciter de contestation : il augmente le risque de survenue d’accidents gravidiques (hématomes rétro-placentaires, placentas bas-insérés), de retard de croissance intra-utérins, de prématurités, de morts subites des nourrissons. De plus, il est un facteur de risque d’une consommation de soins plus importante durant la petite enfance. Les recommandations rédigées par le jury de la conférence ont porté sur trois chapîtres : les modalités de prise en charge du tabagisme chez la femme avant, pendant et juste après la grossesse ; les propositions d’études à mener sur ce sujet ; les mesures de santé publique à prendre. Parmi celles qui sont incluses dans ce premier chapître, le jury s’est prononcé pour un renforcement des actions de sensibilisation durant l’adolescence dans les milieux scolaire, parascolaire et familial, en s’appuyant sur tous les réseaux associatifs et les organismes d’éducation sanitaire ; la mobilisation des médecins du travail afin qu’ils fassent respecter la loi qui impose de soustraire la femme enceinte non fumeuse au tabagisme passif et lui proposent une aide à l’arrêt si elle est fumeuse. Toutes les maternités doivent être des e e Société contre fumeur : une analyse psychosociale de l’influence des experts Juan Manuel Falomir Pichastor et Georges Mugny Presses universitaires de Grenoble 2004, 296 p. Internet : http://www.pug.fr Quelle merveille que l’ouvrage de ces deux psychologues de l’université de Genève ! Ce devrait être la Bible, le véritable bréviaire que devraient lire tous les matins tous ceux qui concoctent des actions destinées à prévenir ou à réduire le tabagisme, mais également ceux qui pensent aider individuellement un fumeur à s’arrêter… Enfin, on comprend quelque chose à la résistance des fumeurs à modifier un comportement qu’ils savent coûteux et nocif ! Il ne s’agit pas de réflexions éthérées, mais de travaux expérimentaux solides. Nous avions déjà eu le plaisir d’entendre Juan Falomir et Georges Mugny lors de la 12e journée de tabacologie à Paris, en 1997. Leur expérience s’est enrichie. Une des clés pour déchif- 179 concentration sérique n’existe que pour les posologies les plus basses, inférieures à 80 mg par jour. Enfin, M. Torrens (Barcelone), confirmant la variabilité individuelle des méthadonémies, met en évidence, parmi les principaux facteurs en cause, l’influence de comorbidités psychiatriques (dépression) et médicales (séropositivité HIV), selon qu’elles sont ou non traitées. espaces strictement non fumeurs. Un entretien prénatal avec une sage-femme par exemple, est à généraliser au premier trimestre de la grossesse (il a été, depuis la conférence, annoncé dans le cadre du nouveau Plan périnatalité) et ce tabagisme maternel doit être noté dans son carnet de maternité. Pour objectiver le degré de l’intoxication tabagique, les professionnels devront recourir aux analyseurs de CO, outil très facile à utiliser au cours de toute consultation pré- et postnatale. Pour celles qui sont vraiment dépendantes, le recours aux substituts nicotiniques reste une bonne solution. Lors de son arrivée à la maternité pour accoucher, la femme fumeuse devra être particulièrement surveillée. Enfin, les professionnels de la santé doivent promouvoir l’allaitement maternel dans tous les cas, y compris chez les mères fumeuses ou sous traitement par substituts. Au deuxième chapitre, celui des études futures, les jurés ont préconisé une enquête nationale pour évaluer, avec l’aide d’un marqueur du tabagisme, la prévalence du tabagisme actif et passif chez la femme enceinte et des recherches complémentaires afin de leur adapter individuellement les traitements par substituts. Il serait souhaitable également de conduire des travaux pour mieux connaître les effets de ces substituts sur le fœtus et de mettre sur pied un registre des malformations fœtales incluant les paramètres alcool, tabac et cannabis. Quant aux mesures de santé publique, elles comptent : l’inscription du tabagisme maternel dans le prochain dossier médical personnalisé et dans les certificats des 8e jour, 9e et 24e mois de l’enfant ; l’interdiction de la vente des cigarettes sans tabac qui apportent un taux élevé de CO ; l’aide à l’arrêt des femmes enceintes avec, notamment, la prise en charge du coût financier des substituts. Pour avoir le texte long de ces recommandations : www.anaes.fr, rubrique “Publications”. F.A.R. frer les résistances des fumeurs au changement est que fumer est un constituant majeur de leur identité sociale. Toute attaque de front est une agression à leur intégrité. Ce qui peut renforcer cette identité de fumeur, une simple ségrégation, renforce les résistances. À partir de cette notion, comment faire passer les messages de façon efficace ? Comment éviter que le discours d’un expert stigmatisant le tabagisme n’ait pas l’effet pervers d’enfermer le fumeur dans une situation de paria d’où il aura d’autant plus de peine à s’extraire ? Des expériences originales démontent ces mécanismes de résistance et mettent en évidence aussi bien les approches efficaces que les erreurs monstrueuses qu’on peut commettre au nom du “bons sens”. L’âme humaine est complexe. Il faut essayer de bien connaître ses ressorts avant de se lancer dans des actions qui peuvent être tout à fait contre-productives. Enfin un peu d’approche vraiment scientifique. Robert Molimard