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Facteurs étiologiques et dépistage
du cancer épidermoïde de l’œsophage
Etiology and screening of esophageal squamous cell carcinoma
● R. Benamouzig*
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■ Les fa c t e u rsétiologiques du cancer épidermoïde de l’œsophage sont multiples, mais, en Europe occidentale, plus de
90 % des cancers épidermoïdes de l’œsophage sont liés à la
consommation d’alcool et de tabac.
■ L’association synchrone ou métachrone à un cancer épidermoïde ORL est fréquente.
■ Des conditions précancéreuses (lésions caustiques, ach alasie, etc.) sont clairement identifiées.
■ Le dépistage endoscopique de lésions précoces est possible, en particulier chez les patients à risque.
Ce risque est décrit pour presque tous les types de boissons alcoolisées. Il semble plus important, à consommation égale, pour les
substances à fo rte teneur en alcool. Certaines études ont aussi
mis en évidence un risque augmenté pour tel ou tel type de boissons alcoolisées. Dans ce cas, le rôle de congénères (présence de
substances mutagènes) peut être suspecté. Ces congénères sont
les nitrosamines dans le cidre, les mycotoxines dans la bière de
maïs en Afrique du Sud, certains tanins du vin, la présence de
résidus pesticides, voire d’arsenic.
L’alcool pourrait aussi agir indirectement par son action de solvant, favo risant l’accès des carc i n ogènes à la mu q u e u s e, ainsi
que par le biais du terrain alcoolique pouvant être associé à un
déficit nu t ritionnel, vo i re par une induction de certaines enzymes
h é p atiques ou, enfin, par insuffisance hépatique avec insuffisance
de détoxification de substances carcinogènes.
Tabac
cancer épidermoïde de l’œsophage est
en France de 9 pour 100 000 chez l’homme. Après
avoir été longtemps stable dans le temps, elle diminue d’environ 2 % par an en Europe occidentale ( 1 ). Les très
importantes variations de l’incidence de ce cancer dans l’espace
et dans le temps ainsi que celle du sex-ratio suggèrent un rôle
majeur de facteurs étiologiques environnementaux. Ce sont ces
facteurs que nous allons préciser (2-5).
L’
INCIDENCE du
Le tabac est un facteur de risque indépendant. À quantité équivalente, la consommation de ciga rettes roulées à la main et l’usage
de tabac brun semblent associés à un risque légèrement supérieur. Ce risque diminue après sevrage avec un palier au seuil de
10 ans et une quasi-disparition du risque après 15 ans ( 6 ). Ce
risque est lié à la présence de substances toxiques dans les produits de combustion du tabac, et en particulier de nitrosamines.
Association alcool-tabac
FACTEURS ÉTIOLOGIQUES EXOGÈNES
Alcool
Une consommation élevée d’alcool est un facteur indépendant
de survenue du cancer épidermoïde de l’œsophage. Il existe une
relation dose-effet. L’effet d’une consommation modérée d’alcool, mathématiquement mis en évidence, reste cependant difficile à démontrer par les études d’observation.
* Service d’hépato-gastroentérologie, hôpital Avicenne, Bobigny.
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. VII - mai-juin 2004
L’association d’une intoxication alcoolique et d’une intoxication
t ab agique entraîne un risque mu l t i p l i c at i f. Ce cara c t è re mu l t ip l i c atif témoigne de l’absence d’interaction des deux facteurs.
En Europe occidentale, plus de 90 % des cancer épidermoïdes
de l’œsophage sont liés à cette consommation d’alcool et de tab a c.
Facteurs de risque alimentaires
De nombreuses études concernant le rôle éventuel des facteurs
nu t ritionnels sont disponibles. La seule re l ation clairement
démontrée est le rôle protecteur d’une alimentation ri che en fru i t s
et en légumes frais, le risque relatif étant d’environ 0,5.
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Les principaux autres facteurs alimentaires discutés sont une alimentation exclusive à base de céréales, associée à un risque plus
important qui pourrait être lié à des déficits en microéléments et
en vitamines, et l’utilisation de conserves de légumes artisanales
fermentées avec présence de mycotoxines dans certaines régions
chinoises. Le rôle de l’ap p o rt pro t é i q u e, de l’ap p o rt lipidique,
celui de la consommation d’épices et de l’apport hydrique ont
été discutés, sans qu’aucune conclusion puisse être tirée.
Parmi les micronutriments, le rôle des vitamines A, B2, C et E a
aussi été discuté sans résultat clair. Il est à noter que l’ap p o rt
d’acide rétinoïque paraît protecteur. Enfin, l’effet protecteur du
sélénium et du zinc semble probable, mais reste à confirmer. Les
données concernant les autres ions reste controversées (sodium,
calcium, magnésium, cuivre, molybdène).
Autres facteurs
L’irri t ation thermique liée à la consommation de maté ch a u d
(70 °) pourrait être un facteur de risque important en Amérique
du Sud. Cette boisson est ingérée directement à l’aide d’une paille
métallique déposée sur le fond de la langue et immédiatement
déglutie. Certaines études retrouvent cependant un risque accru
avec la consommation de maté fro i d. Le rôle spécifique de la ch aleur et/ou de composés carc i n ogènes reste donc à déterm i n e r.
Le rôle des nitrosamines présents dans diff é rentes boissons alcoolisées ainsi que dans l’eau de boisson de certaines régions du
monde est discuté. La présence de mycotoxines a été incriminée
sans qu’une conclusion définitive puisse être apportée. L’infection œsophagienne par papillomavirus humain pourrait intervenir, mais le rôle de ces virus en France semble faible, voire nul.
Un antécédent de radiothérapie médiastinale est associé à un
risque augmenté de cancer de l’œsophage. En France, ce facteur
i n t e rvient pour moins d’un cas sur 300. L’immunosuppression
peut aussi favo riser l’ap p a rition d’un cancer épidermoïde de
l’œsophage.
Il existe de nombreuses données concernant le risque pro fe ssionnel, mais il est délicat de séparer la part exacte de cette exposition de celle qui pourrait être liée à la consommation d’alcool
et de tabac chez ces patients. De même, un statut socio-économique bas est associé à un risque augmenté de cancer épidermoïde de l’œsophage, sans qu’il soit possible d’évaluer l’importance exacte de ce facteur.
SUSCEPTIBILITÉ GÉNÉTIQUE
La tylose, ou kératodermie palmo-plantaire héréditaire, est une
affection transmise sur le mode autosomal dominant. Sa prévalence est estimée à 1 pour 40 000 personnes. Dans certains
cas, cette pathologie s’associe à la survenue d’un cancer de l’œsophage réalisant le syndrome de Howel-Evans. Le risque de
d é velopper un cancer de l’œsophage est de près de 100 % à
65 ans dans ces familles. Le gène responsable de cette pathologie est situé dans la région 17q25.2-25.3. Son rôle exact reste
à préciser.
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Différentes études d’agrégation familiale ont été réalisées pour
essayer d’identifier un facteur génétique de sensibilité au cancer
épidermoïde de l’œsophage. Les résultats actuellement disponibles restent discordants.
Enfin, le rôle de différents polymorphismes, notamment enzymatiques, comme facteur de sensibilité au développement tumoral en présence de facteurs de risque a été récemment souligné,
aussi bien par des travaux expérimentaux que par des études épidémiologiques.
CONDITIONS PRÉCANCÉREUSES
Les conditions précancéreuses identifiées sont rapportées dans
le tableau.
Tableau. Conditions précancéreuses du carcinome épidermoïde de
l’œsophage.
Pathologie
RR* ou prévalence
Syndrome de Plummer-Vinson
10 % des patients
Achalasie
Risque relatif de 7 à 33 fois
Œsophagite caustique ancienne étendue Risque relatif de 12 à 1 000 fois
Diverticule de Zenker
Risque relatif de 10 fois
Localisation tumorale épidermoïde
ORL ou bronchopulmonaire
7 % des patients (extrêmes 3-21 %)
Anémie de Fanconi
* RR : risque relatif.
PRÉVENTION
Prévention primaire
La prévention de la survenue du cancer épidermoïde de l’œsophage repose sur l’information de la population pour limiter au
m a x i mum l’intox i c ation éthy l o - t ab agi q u e. La diffusion de
conseils alimentaires incitant à la consommation de fruits et de
légumes paraît également importante.
Prévention secondaire
La prévention secondaire peut être envisagée, soit en population
g é n é rale dans les zones de très haute incidence, comme en Chine,
soit chez les populations à haut risque.
Ainsi, en Chine, un dépistage systématique des lésions d’œsophagite chronique et de dysplasie a été proposé dans certaines
régions tests comprenant plusieurs centaines de milliers de personnes. Ce dépistage est réalisé par des techniques de cytologie
au ballonnet ou par endoscopie. On estime en effet que le risque
de développement d’un cancer de l’œsophage est d’environ 5 %
lorsqu’une dysplasie de bas grade est observ é e, mais de 65 %
pour une dysplasie de haut grade. Environ 2 à 3 % des patients
présentent une dysplasie lors de ces campagnes de dépistage.
Chez les patients ayant une cytologie positive, l’endoscopie cou-
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plée à une coloration au Lugol augmente alors la sensibilité pour
dépister des lésions de dysplasie de haut grade ou des carcinomes
(96 % avec coloration au lieu de 64 % sans).
Pour les populations à haut risque, en particulier pour les sujets
ayant présenté un antécédent de lésion épidermoïde ORL, la réalisation d’une endoscopie de surveillance régulière est proposée.
Elle n’est cependant pas encore de pratique systémat i q u e. La réalisation d’une endoscopie de surveillance avec coloration vitale
au Lugol permet de dépister des lésions cancéreuses ou précancéreuses (7). Elle permet aussi de mettre en évidence une atteinte
plus importante que celle suspectée lorsque l’endoscopie est réalisée sans coloration vitale.
Une endoscopie de suivi est aussi habituellement proposée chez
les patients présentant une ach a l a s i e, ainsi que chez ceux présentant un antécédent d’œsophagite caustique étendue ancienne
(> 15 ans). Le rythme de surveillance optimal n’est pas connu.
Il varie en général entre un et trois ans selon les équipes. Il est à
noter que le niveau de pre u ve pour établir ces pratiques re s t e
insuffisant.
E n fi n , des strat é gies de ch i m i o p r é vention ont été proposées,
notamment en Chine, dans les régions à haut ri s q u e, chez les
patients atteints de dysplasie, avec des résultats mettant en évidence un effet protecteur d’un composé à base d’herbe médicinale (anti-tumeur B) ou de rétinoïde. En Europe et aux ÉtatsUnis, la consommation d’anti-inflammatoires non stéroïdiens et
d’aspirine semble protéger de la survenue du carcinome épidermoïde de l’œsophage, mais aucune donnée prospective n’est disponible pour confi rmer fo rmellement cette observation. Une
étude est aussi en cours avec des inhibiteurs de la cyclo-oxygénase de type 2.
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Enfin, chez les sujets ayant présenté un antécédent de cancer
ORL, la prescription de rétinoïde permet de diminuer le risque
de survenue d’une deuxième tumeur (4 % versus 24 % au cours
du suivi). Cette prat i q u e,dont l’efficacité est pro u v é e,reste confidentielle.
■
Mots-clés : Cancer de l’œsophage - Carcinome épidermoïde Alcool - Tabac - Dépistage.
Keywo rd s : Esophageal cancer - Squamous cell carcinoma Alcohol - Tabacco - Screening.
R ÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Remontet L, Esteve J, Bouvier AM et al. Cancer incidence and mortality in
France over the period 1978-2000. Rev Epidemiol Sante Publique 2003;51:3-30.
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epidermoid cancer of the esophagus. 2: Pathology, cellular and molecular
mechanisms associated with tumoral development. Gastroenterol Clin Biol
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Gupta A. Etiology and chemoprevention of esophageal squamous cell carcinoma. Carcinogenesis 2001;22,11:1737-46.
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6. Castellsague X, Munoz N, de Stefani E et al. Smoking and drinking cessation and risk of oesophageal cancer in Spain. Cancer Cases Control
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lesions with synchronous and metachronous esophageal squamous cell carcinoma
in patients with head and neck cancer. Gastrointest Endosc 2002;56:517-21.
Lab’infos
Des résultats favorables pour l’association
pegasys/Copegus chez les patients
co-infectés par le VIH et le VHC
Les laboratoires Roche ont présenté les résultats de l’essai
Apricot, ayant randomisé 869 patients de 19 pays, co-infectés
par le VIH et le VHC en trois groupes thérapeutiques (Pegasys
180 µg par semaine + Copegus (riba virine) 800 mg par jour,
Pegasys 180 µg par semaine en monothéra pie, traitement
classique par interféron alpha-2a, 3MUI trois fois par semaine
+ ribavirine 800 mg par jour).
Les meilleurs résultats ont été obtenus dans le premier groupe de traitement avec une réponse virologique prolongée
chez 40 % des patients (29 % en cas de génotype 1,62 % en
cas de génotype 2/3) tandis qu’une réponse virologique prolongée n’était obtenue que chez 20 % des patients recevant la
monothérapie et 12 % des patients recevant un traitement
classique.
Il s’agit du plus vaste essai dans la population des patients
co-infectés, dont les résultats offrent un réel espoir thérapeutique à ces malades.
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