Angiologie et cancer (III) Accès veineux en oncologie V. Andriambolona, S. Piperno-Neumann, J.F. Morère* U ne grande partie des agents cytotoxiques utilisés en chimiothérapie anticancéreuse nécessite une administration parentérale. Certains tels que les alcaloïdes de la pervenche ou les anthracyclines sont vésicants et nécessitent une administration intraveineuse stricte. De plus, la chimiothérapie anticancéreuse est administrée en règle sur une période de plusieurs mois. Un abord veineux facilement accessible et fiable est donc une des conditions essentielles à la réalisation d’une chimiothérapie anticancéreuse optimale. * Service d’oncologie médicale, CHU Avicenne, Bobigny. Act. Méd. Int. - Angiologie (15) n° 7, septembre 1999 Types de cathéters Globalement, deux types de matériels sont utilisés : – soit des cathéters de type Hickman ou Broviac. Ces cathéters sont constitués de silastique (gomme siliconée imprégnée de baryum). Ils existent en différentes tailles : pédiatriques ou adultes et peuvent être à simple ou double lumière ; – soit des chambres implantables utilisées maintenant depuis une vingtaine d’années. Les chambres sont généralement construites en titane ou en plastique et comprennent un diaphragme en silicone accessible à des ponctions répétées au moyen d’aiguilles de Huber. Sélection du site et du cathéter Le choix entre cathéter externe et chambre implantable dépend bien entendu avant tout des habitudes des équipes, mais aussi du type de traitement à réaliser. Une chimiothérapie conventionnelle prolongée sera aisément réalisable à l’aide d’une chambre implantable. Un traitement plus intensif impliquant une nutrition parentérale, la transfusion fréquente de produits sanguins ou des prélèvements sanguins répétés lui feront préférer un cathéter externe. De même, le risque éventuel de déplacement d’une aiguille de Huber avec fuite de l’agent cytotoxique hors de la loge du boîtier de perfusion peut faire préférer la pose d’un cathéter externe pour des perfusions prolongées de substances potentiellement toxiques. De toute façon, en cas de perfusion prolongée, les aiguilles de Huber doivent être utilisées de façon adéquate, en bonne position et contrôlées à intervalles réguliers. La pose de ces accès vasculaires est parfois effectuée chez des patients pour lequel le traitement a déjà débuté. Un grand nombre d’agents cytotoxiques 118 entraîne une baisse transitoire mais parfois profonde (proche de l’aplasie médullaire) des éléments figurés du sang, dont la conséquence est un risque infectieux et hématologique, le plus souvent de courte durée. La période de chute des chiffres globulaires (nadir) doit donc être prise en compte lors du choix de la date de mise en place. Un retour à un compte de neutrophiles supérieur à 1 500/ml, significatif d’une immunocompétence correcte, autorise la pose d’un cathéter dans de bonnes conditions. La thrombopénie, fréquente chez ces patients, n’est pas une contre-indication absolue à la pose de ce type d’appareil, à condition qu’un chiffre supérieur à 50 000/ml soit maintenu pendant la période péri-opératoire. Le choix du site d’insertion doit prendre en compte les antécédents du patient. L’implantation doit être réalisée dans la mesure du possible en peau saine, non irradiée, n’ayant pas fait l’objet d’une chirurgie avec volet. L’intégrité de l’anatomie vasculaire doit être évaluée en cas de tumeur envahissant ou comprimant le médiastin ou les creux susclaviculaires, ou en cas de radiothérapies antérieures. Une imagerie thoracique peut être réalisée par doppler, voire par angiographie. Technique d’insertion La pose de ces cathéters et chambres implantables se fait au bloc opératoire dans des conditions optimales d’aseptie. Ils sont posés dans la majorité des cas sous anesthésie locale. Une incision est réalisée au niveau du sillon deltopectoral et on dissèque la veine céphalique pour introduire un cathéter qui va être poussé jusqu’au niveau de la veine cave supérieure sous contrôle radiologique. Si la veine céphalique est de faible calibre, le cathéter est mis dans la veine jugulaire externe ou interne. Les cathéters de Broviac et Hickman sont tunnélisés sous la peau et l’extrémité externe est suturée à la peau entre le sternum et le mamelon. On procède de la même façon pour les boîtiers de perfusion et les chambres implantables sont, en revanche, placées dans une logette cutanée à proximité du site d’insertion veineuse. Entretien du cathéter L’entretien régulier de ces cathéters est nécessaire pour leur assurer une longue durée de vie. La fréquence de l’héparinisation et la quantité d’héparine utilisée diffèrent selon les équipes. Habituellement, les cathéters externes sont héparinés tous les jours quand ils ne sont plus utilisés, tandis que pour les chambres implantables une héparinisation mensuelle suffit. Dans le service, nous utilisons de l’héparine à la dose de 500 UI/5 ml et tous les mois. Complications Plusieurs complications peuvent être observées chez les patients porteurs de cathéters. Les plus importantes sont : Obstruction du cathéter Elles sont dues à une malposition du cathéter, soit à une obstruction de la lumière par des précipitations médicamenteuses et/ou par des produits sanguins. On les reconnaît facilement par l’impossibilité de perfuser. Une radiographie thoracique permet de voir une malposition du cathéter. Si le cathéter est en place, il s’agit d’une observation de la lumière nécessitant des agents thrombolytique pour la désobstruction. L’administration de 250 000 UI d’urokinase dans 150 ml de soluté glucosé pendant 90 min permet de lever l’occlusion dans 90 % des cas selon Tschirhart J.M. et coll. (1). Deux millilitres d’urokinase à la concentration de 2 500 à 5 000 UI/ml, administrés dans la lumière du cathéter puis laissés pendant 30 min à 2 heures est aussi efficace selon Gillius H. et coll. (2). L’activateur tissulaire du plasminogène (t-PA) a aussi été utilisé avec succès pour la désobstruction des cathéters (3). Dans le service, nous utilisons un millilitre d’urokinase à la concentration de 5 000 UI/ml. Thromboses veineuses La présence d’un cathéter dans la veine sous-clavière est un facteur prédisposant au développement d’une thrombose. Il s’agit souvent d’une thrombose de la veine sous-clavière ou axillaire. L’incidence de thrombose veineuse est plus élevée chez les patients dont le taux d’hémoglobine est supérieur à 12,7 g/dl et chez les patients porteurs d’adénocarcinome bronchique que chez les patients porteurs de carcinome épidermoïde bronchique, de l’œsophage ou ORL (5, 6). La fréquence des embolies pulmonaires est d’environ 12 % dans ce cas de thrombose (4). Dans une étude réalisée dans le service, sur 185 malades recevant une chimiothérapie par l’intermédiaire d’une chambre implantable, 16 (8,6 %) ont développé une thrombose veineuse jugulaire ou sous-clavière (7). La plupart de ces thromboses sont asymptomatiques. Le tableau clinique complet associe des douleurs, une circulation veineuse collatérale et un œdème inflammatoire du bras homolatéral au cathéter. Un échodoppler veineux confirme le diagnostic. Le cathéter doit être enlevé si on ne l’utilise plus. Certains auteurs chez les patients asymptomatiques préconisent uniquement l’ablation du cathéter et surveillance simple (8). D’autres auteurs mettent en garde contre le risque d’une embolie pulmonaire (9). Une héparino- 119 thérapie par voie systémique est nécessaire d’emblée. L’échodoppler confirmera si l’extrémité du cathéter est thrombosée. Dans ce cas et/ou si les signes cliniques ne s’amendent pas sous héparinothérapie, l’ablation du cathéter peut alors être discutée et recommandée. Du fait de la fréquence des thromboses veineuses associées au cancer, les patients “à risque”, tels ceux qui reçoivent de l’hormonothérapie, peuvent recevoir un traitement anticoagulant préventif ou antiagrégant (7). Infections du cathéter Elles sont plus fréquentes chez les patients porteurs de cathéter externe que chez ceux porteurs de chambre implantable. Elles surviennent souvent au moment du nadir des globules blancs. Il existe trois types d’infection : – infection locale qui se manifeste par un érythème et une induration cutanée sans syndrome infectieux. Elle est souvent due au Staphylococcus epidermidis (10, 11). Un traitement local et une antibiothérapie systémique suffisent pour enrayer cette infection (12-14) ; – infection du cathéter ou de la chambre implantable. Elle se manifeste par une suppuration voire une cellulite au niveau de la chambre ou au niveau du point de suture du cathéter externe. Cette symptomatologie s’accompagne d’un syndrome infectieux. Le germe responsable est souvent le Pseudomonas. Une antibiothérapie systémique est instituée et on procède à l’ablation du cathéter et de la chambre (15) ; – septicémie dont le point de départ est le cathéter. Elle se manifeste par un syndrome infectieux sans point d’appel clinique. Les hémocultures prélevées sur les veines périphériques et sur le cathéter confirment le diagnostic. Dans une étude réalisée dans le service, sur 1 496 malades ayant reçu une chimiothérapie par l’intermédiaire d’un boîtier Angiologie et cancer (III) de perfusion implanté, 94 patients (6 %) ont eu de la fièvre associée à des hémocultures positives (16). Parmi eux, 18 (19 %) ont eu une infection liée à la chambre. Les caractéristiques de ces sepsis reliés au cathéter ont pu être mieux précisés dans une étude prospective multicentrique de cohorte réalisée dans douze hôpitaux de l’Assistance publique hôpitaux de Paris. Dans cette étude, l’incidence et les facteurs de risque ont été évalués chez les patients atteints de cancer et comparés à ceux de patients immunodéprimés (VIH). Deux cent cinquante-huit cathéters veineux, reliés ou non à des chambres implantables, ont été disposés chez 250 patients atteints de cancer et 209 mis en place chez 201 patients immunodéprimés. Un suivi de la maintenance de ces cathéters et de leurs complications a été réalisé dans les six mois suivant leur pose. Les patients étaient atteints de tumeur du sein (35 %), des bronches (16 %), du côlon (16 %), ORL (6 %) et avaient, en majorité (94 %), une maladie très évoluée. Une neutropénie d’une durée médiane de quinze jours a été observée chez 24 % d’entre eux. Un sepsis relié au cathéter, défini sur des critères cliniques et microbiologiques a été observé chez 5 % de patients atteints de cancer contre 31,6 % des patients immunodéprimés. Les principaux germes isolés consistaient en staphylocoques coagulase négative (n = 45), Staphylococcus aureus (n = 14), bacille gram négatif (n = 22). Cette incidence de sepsis pour 1 000 jours d’implantation était huit fois moins fréquente chez les patients atteints de cancer que chez les patients immunodéprimés. Chez les patients atteints de cancer, le risque infectieux était plus élevé chez les patients ayant un indice de Karnofsky bas (p = 0,001) et chez les patients ayant eu une infection bactérienne dans le mois précédant Act. Méd. Int. - Angiologie (15) n° 7, septembre 1999 l’implantation du cathéter. Enfin, le risque de complications est identique dans les cathéters et les chambres implantables (p = 0,63) (18). Dans ces cas, en plus de l’antibiothérapie systémique, l’ablation du cathéter est bien entendu indiquée. D’autres complications ont pu être rapportées dans quelques cas, heureusement rares L’arythmie cardiaque est en général consécutive à une malposition du cathéter descendu trop bas au niveau de l’oreillette. Le déplacement du cathéter peut se faire soit spontanément lors des mouvements, soit dans le cadre d’un syndrome de Twidler ; le cathéter est alors déplacé lors de palpations et de massages répétés de la zone du boîtier implantable et du cathéter à la suite de la gêne créée par ce corps étranger. En cas de rupture du cathéter, une migration de celui-ci peut nécessiter son extraction par des équipes de radiologistes interventionnels, voire par une intervention chirurgicale. Une malposition initiale peut être source de pneumothorax et hémothorax, voire d’extravasation de produit plus ou moins vésicant dans la plèvre ou le médiastin lorsqu’elle passe inaperçue avant l’utilisation de l’abord veineux. Les complications cependant sont relativement rares, eu égard à l’utilisation de plus en plus répandue. Le taux de complications des chambres implantables est ainsi évalué dans une étude récente à 0,23 pour 1 000 jours d’utilisation. Ces accès périphériques par chambres implantables semblent diminuer l’anxiété et la douleur reliées à l’accès veineux même si elles ne permettent pas d’enregistrer une amélioration significative de la qualité de vie évaluée par le questionnaire du Functional Living index Cancer (19). 120 Conclusion La mise en place de procédés de perfusion de longue durée apporte un meilleur confort au patient sous chimiothérapie pour un cancer avancé. Une vigilance constante de l’équipe soignante est cependant nécessaire pour éviter la “banalisation” de l’abord veineux afin de minimiser le risque de complication. Références bibliographiques 1. Tschirhart J.M., Rao M.K. : Mechanism and management of persistent withdrawal occlusion. Am. Surg., 1988, 54 : 326. 2. Gillius H., Rogers H.J., Johnson J. et coll. : Is repeated flushing of Hickman catheter necessary ? Br. Med. J., 1985, 290 : 1708. 3. Atkinson J.B., Bagnall H.A., Gomperts E. : Investigational use of tissue plasminogen activator (t-PA) for occluded central venous catheters. J. Parenteral Enteral Nutr., 1990, 14 : 310. 4. Horattas M.C., Wright D.J., Fenton A.M. et coll. : Changing concepts of deep venous thrombosis of the upper extremity. Report of series and review of litterature. Surgery, 1988, 104 : 561. 5. Anderson A.J., Krasnow S.H., Boyer M.W. et coll. : Thrombosis : the major Hickman catheter complication in patients with solid tumor. Chest, 1989, 95 : 71. 6. 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