L’ Thérapies ciblées anti-EGFR : traitement à la carte ? DOSSIER THÉMATIQUE

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DOSSIER THÉMATIQUE
Journée de la FFCD
Thérapies ciblées anti-EGFR :
traitement à la carte ?
Anti-EGFR targeted therapy: a tailored treatment?
F. Di Fiore*
L’
* Unité d’oncologie uro-digestive,
pôle viscéral, hôpital Charles-Nicolle,
Rouen.
émergence des thérapies ciblées a radicalement modifié la prise en charge des patients
atteints de cancer, et le ciblage thérapeutique de ces nouvelles molécules représente actuellement un défi majeur en oncologie. Si la connaissance
des principaux critères cliniques, radiologiques et
anatomopathologiques reste incontournable, le traitement à la carte des patients ne sera possible que si
les principales altérations moléculaires des cellules
tumorales sont identifiées et prises en compte dans
la classification des tumeurs. Les voies biologiques
du cancer ne sont pas encore totalement élucidées,
mais il est admis qu’un nombre limité d’altérations
génétiques concourt au phénotype tumoral, parmi
lesquelles on retrouve les voies de transduction,
et en particulier celle de l’epidermal growth factor
(EGF) [1-4]. Il existe actuellement deux classes de
molécules visant à inhiber les voies de transduction : les anticorps monoclonaux et les inhibiteurs
pharmacologiques. Les anticorps monoclonaux agissent au niveau du ligand ou du site de fixation extracellulaire du récepteur tyrosine kinase. Les inhibiteurs
pharmacologiques agissent en inhibant la fixation
de l’adénosine triphosphate (ATP) sur le domaine
effecteur intracellulaire du récepteur tyrosine kinase.
Le rationnel des molécules ciblées est d’interférer
sur la transduction de signaux impliqués dans la
prolifération, la différenciation, la néo-angiogenèse
et le potentiel métastatique des cellules tumorales.
Ces signaux naissent de l’interaction spécifique entre
un ligand (hormones, cytokines ou facteurs de croissance) et un récepteur tyrosine kinase cellulaire.
La transduction de ces signaux vers le noyau est
ensuite transmise par une cascade de protéines
intracellulaires impliquant principalement la voie
MAP kinase-RAS/RAF et Pi3 kinase (5).
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L’objectif du ciblage thérapeutique est donc de
déterminer quelles sont les altérations qui, situées
sur ces voies sont susceptibles d’interférer avec la
sensibilité de la molécule ciblée.
Thérapies ciblées anti-EGFR
et résultats cliniques
L’EGFR, ou HER1, glycoprotéine transmembranaire
de la famille ErbB, est composé d’un domaine
extracellulaire assurant la fixation avec le ligand
EGF, d’un domaine transmembranaire et d’un
domaine effecteur tyrosine kinase intracellulaire.
Les 3 autres récepteurs de la famille HER sont HER2
ou C-erbB2, HER3 et HER4. Schématiquement, la
fixation du ligand (EGF, TGFα principalement) sur
l’EGFR entraîne, après homo- et/ou hétérodimérisation du récepteur avec d’autres membres de
la famille ErbB tels que ErbB2R, l’activation par
phosphorylation du domaine intracellulaire, et du
même coup celle des effecteurs cytoplasmiques des
voies MAP kinase-RAS/RAF et Pi3 kinase impliqués
dans la prolifération, la migration, l’adhésion et
la différenciation cellulaire ainsi que dans l’apoptose (5). Le cétuximab et le panitumumab sont des
anticorps monoclonaux, l’un chimérique et l’autre
totalement humanisé, dont la cible est le domaine
extracellulaire de l’EGFR. En se fixant sur l’EGFR
par inhibition compétitive avec son ligand EGF,
l’anticorps a pour objectif d’inhiber les voies de la
prolifération tumorale induites par EGFR.
Chez les patients atteints d’un cancer colorectal
métastatique (CCRM), le cétuximab est considéré
comme une possibilité thérapeutique en première
ligne et après progression sous irinotécan. L’étude de
Mots-clés
D. Cunningham et al. a inclus 329 malades présentant un CCRM, ayant progressé sous irinotécan et
avec une expression positive de l’EGFR en immunohistochimie (IHC) [6]. Au total, 218 patients ont été
randomisés dans le bras comportant un traitement
par irinotécan plus cétuximab, et 111 patients dans
le bras cétuximab seul. L’objectif principal de l’étude
était l’évaluation radiologique de la réponse tumorale toutes les 6 semaines pendant 6 mois, puis
tous les 3 mois. En intention de traiter, une réponse
tumorale objective (réponse partielle + stabilité)
était observée chez 55 % des patients ayant reçu le
traitement combiné irinotécan-cétuximab, versus
32,4 % des patients traités par cétuximab seul
(p < 0,001). Le temps médian jusqu’à progression
était de 4,1 mois pour le traitement combiné versus
1,5 mois pour la monothérapie (hazard-ratio [HR] :
0,54 ; IC95 : 0,42-0,71 ; p < 0,001). La survie globale
n’était pas différente. Il n’existait pas de corrélation
entre le degré d’expression de la protéine EGFR
en IHC et la réponse tumorale. Par ailleurs, dans
le groupe ayant reçu le traitement combiné irinotécan-cétuximab, la réponse au traitement était
plus fréquente chez les patients présentant une
toxicité cutanée au cétuximab de type acné ou
éruption maculo-papuleuse du visage et du torse
(25,8 % versus 6,3 %, p = 0,005).
Les résultats de l’essai de phase III testant l’association FOLFIRI-cétuximab par rapport au FOLFIRI
en première ligne ont été communiqués à l’ASCO
en 2007 (7). Un total de 599 patients étaient inclus
dans chaque bras de traitement, et l’objectif principal
était la survie sans progression. Une réponse tumorale objective était observée chez 46,9 % des patients
ayant reçu FOLFIRI-cétuximab, versus 38,7 % des
malades traités par FOLFIRI (p = 0,005). Le temps
médian jusqu’à progression était de 8,9 mois pour
les patients traités par FOLFIRI-cétuximab, contre
8 mois pour ceux traités par FOLFIRI (HR : 0,851 ;
IC95 : 0,72-0,99 ; p = 0,0479). Les résultats de survie
globale sont en attente.
Une étude randomisée a évalué le bénéfice du
panitumumab chez des patients atteints de CCRM
progressant sous chimiothérapie (8). Un total de
231 patients étaient traités par panitumumab et
soins de support versus 232 traités par soins de
support seuls. À 1 an, le taux de réponse était de
10 % dans le groupe panitumumab versus 0 % dans
le groupe soins de support seuls (p < 0,0001). La
survie sans progression était de 8 semaines dans
le groupe panitumumab, versus 7,3 semaines (HR :
0,54 ; IC95 : 0,44-0,66 ; p < 0,0001). La survie globale
n’était pas différente.
Thérapies ciblées anti-EGFR
et facteurs prédictifs
L’expression du récepteur EGF en IHC, l’amplification
du gène EGFR et les mutations du gène KRAS ont
été les marqueurs les plus souvent étudiés, mais
des études récentes ont ouvert de nouvelles pistes
potentielles très intéressantes.
L’étude de l’expression de l’EGFR en IHC et celle de
l’amplification du gène EGFR par fluorescence par
hybridation in situ (FISH) reposaient sur le même
rationnel, celui d’une meilleure sensibilité au traitement en cas de surexpression du récepteur EGFR ou
d’amplification du gène EGFR. Des études portant
sur l’IHC EGFR et menées chez des patients traités
par cétuximab pour un CCRM ont particulièrement
illustré le manque de performance de l’IHC dans le
ciblage thérapeutique (9, 10), mettant en évidence
chez certains patients une réponse au traitement
malgré l’absence d’expression en IHC de la protéine
EGFR au sein de la tumeur. En 2005, M. Moroni et
al. ont étudié la réponse aux anti-EGFR en fonction
de l’amplification du gène EGFR et des mutations
des gènes KRAS, BRAF et Pi3 kinase sur une série de
31 patients atteints de CCRM (11). Dans cette étude,
la réponse au traitement n’était pas liée aux mutations des gènes étudiés, alors que l’amplification de
l’EGFR était un marqueur prédictif de la réponse
aux anti-EGFR. Toutefois, les résultats des autres
études sur le sujet suggèrent que le rôle prédictif de
l’amplification du gène EGFR reste débattu (12-18).
Il semble en effet que l’une des principales limites
actuelles réside dans les modalités d’interprétation
de la FISH, qui restent hétérogènes au regard tant
du nombre de noyaux tumoraux analysés que des
méthodes d’analyse (polysomie, amplification du
gène EGFR, etc.).
Le proto-oncogène KRAS est muté dans environ 40 %
des cancers colorectaux. Les mutations sont situées
dans plus de 90 % des cas sur les codons 12 et 13 de
l’exon 2, et entraînent une activation continue de la
protéine vis-à-vis de ces effecteurs situés en aval. À
ce jour, le rôle prédictif des mutations du gène KRAS
dans la non-réponse aux anti-EGFR fait l’objet de
9 études rétrospectives et d’une étude randomisée,
la majorité des patients ayant reçu au minimum
une ligne de chimiothérapie avant de recevoir le
traitement anti-EGFR (11-13, 19-24). Toutes ces
études, excepté une, ont clairement mis en évidence
une association significative entre la présence d’une
mutation du gène KRAS dans la tumeur et une nonréponse au traitement par anti-EGFR. Le lien entre
les mutations du gène KRAS et la non-réponse aux
Cancer du côlon
Récepteur tyrosine
kinase
EGFR
Facteur prédictif
Keywords
Colon cancer
Tyrosine kinase receptor
EGFR
Predictive factor
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Thérapies ciblées anti-EGFR :
traitement à la carte ?
anti-EGFR est donc actuellement clairement établi
chez les patients traités en deuxième ligne ou plus
du CCRM, les données relatives au traitement de
première ligne (étude CRYSTAL) n’étant pas encore
disponibles. La recherche de la mutation chez ces
patients représente donc une avancée majeure
dans la prise en charge thérapeutique “à la carte”
et doit rapidement être généralisée. Elle peut être
réalisée sur ADN extrait de blocs fixés en paraffine ou
congelés, et est actuellement réalisée en routine dans
certains CHU (hôpital européen Georges-Pompidou,
CHU de Rouen, etc.).
D’autres études ont récemment fait état de résultats
intéressants sur de nouvelles pistes dans le ciblage
de la voie EGF. Les altérations du gène suppresseur
de tumeur PTEN, impliqué dans la régulation de la
voie PI3K/Akt, ont été identifiées comme étant un
marqueur de résistance aux anti-EGFR, dans une
étude portant sur une petite série de 27 patients
(13). Il semble par ailleurs que le taux d’expression
des ligands de la voie EGF puisse être directement
corrélé à l’importance de la voie dans le processus
tumoral et, par conséquent, à l’effet du traitement
anti-EGFR (24). Enfin, une étude de pharmacogénomique a suggéré que l’intensité de la réponse
immunitaire antibody-dependent cell-mediated cytotoxicity (ADCC) induite par la présence d’anticorps
anti-EGFR pouvait être modulée par la présence de
polymorphismes constitutionnels modifiant l’affinité des fragments FC des récepteurs des cellules
immunes (25). De nouvelles études sont donc nécessaires, d’une part, pour confirmer la pertinence de
ces nouvelles hypothèses et, d’autre part pour déterminer clairement l’impact de ces altérations selon
le statut KRAS des patients traités par anti-EGFR
pour un CCRM.
O
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