DOssIeR ThÉmATIque Cancers de l’œsophage : quoi de neuf ? Esophageal cancer:what’s new? J.F. Seitz*, E. Norguet*, L. Dahan* L e cancer de l’œsophage est le huitième cancer le plus fréquent dans le monde (482 000 nouveaux cas annuels) et la sixième cause mondiale de mortalité par cancer (407 000 décès annuels) [1]. La mortalité reste donc assez proche de l’incidence. L’amélioration du pronostic passe par un diagnostic plus précoce, au stade de cancer superficiel, et par une progression des traitements combinés dans les formes invasives (chimiothérapie préopératoire, radiochimiothérapie préopératoire). L’apport des biothérapies ciblées est en cours d’évaluation. En 2011, il n’y a pas eu de publications changeant les standards de prise en charge, mais un certain nombre de confirmations. Diagnostic précoce : coloration vitale ou virtuelle ? En 2010, un essai randomisé japonais publié par M. Muto et al. (2) portant sur 320 patients à risque de cancer ORL ou œsophagien avait comparé un examen endoscopique avec NBI (Narrow Band Imaging) à un examen endoscopique conventionnel en lumière blanche et en haute définition. Le taux de cancers œsophagiens détectés était significativement plus élevé avec le NBI qu’avec l’endoscopie conventionnelle (97 % versus 55 % ; p < 0,001), de même le taux de cancers ORL (100 % versus 8 % ; p < 0,001). La seule critique que l’on peut émettre à l'encontre de cet essai majeur est que le NBI n’a pas été comparé à la technique de référence, qui est l’endoscopie avec coloration vitale, généralement le lugol. En 2011, une étude française (3) a comparé chez un petit nombre de patients à risque l’endoscopie conventionnelle, le NBI et la coloration vitale par le lugol : chez les 30 patients, les 4 cancers ont été diagnostiqués par les 3 techniques, alors que la lésion de dysplasie de haut grade a été manquée par l’examen conventionnel et diagnostiquée par le lugol et le NBI. Une étude japonaise menée chez 350 patients (4) a évalué le NBI par rapport au lugol pour le dépistage de la dysplasie de haut grade chez des sujets à risque, en fonction de l’expérience de l’endoscopiste, notamment pour le NBI (> 2 ans de pratique versus 3 mois) : comparé au gold standard (lugol), la sensibilité du NBI était de 100 % pour les endoscopistes les plus expérimentés, mais elle n’était que de 69 % pour les moins expérimentés (p = 0,04). Une étude française multicentrique, comparant NBI et lugol pour la détection des cancers de l’œsophage, est en cours, sous l’égide de la Société française d’endoscopie digestive : il est prévu d’inclure 666 patients. Traitements néo-adjuvants Une actualisation de la méta-analyse australienne de V. Gebski et al., effectuée en 2007 (5), a été publiée en 2011 par K. Sjoquist et al. dans Lancet Oncology (6). Comme la précédente, cette métaanalyse a évalué l’apport de la radiochimiothérapie préopératoire par rapport à celui de la chirurgie seule et l’apport de la chimiothérapie préopératoire par rapport à celui de la chirurgie seule. Elle a également réalisé une comparaison entre la radiochimiothérapie préopératoire et la chimiothérapie préopératoire : ➤ concernant l’apport de la radiochimiothérapie préopératoire par rapport à celui de la chirurgie seule, cette méta-analyse a inclus 13 essais et 1 932 patients (contre 10 essais et 1 209 patients Service d’oncologie digestive, pôle oncologie, spécialités médicales et chirurgicales, hôpital La Timone, AP-HP, université de la Méditerranée, Marseille. * La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XV - n° 2 - mars-avril 2012 | HGE 2(XV) MARS AVRIL 2012.indd 95 95 04/05/12 15:26 Mots-clés Cancer de l’œsophage Chromoendoscopie Chimiothérapie Chimioradiothérapie Traitement néoadjuvant Thérapies ciblées Highlights »» Narrow Band Imaging increases early detection of esophageal cancers compared to conventional white light imaging; a French study is ongoing to evaluate NBI vs lugol-chromoendoscopy. »» neoadjuvant chemotherapy when compared to surgery alone reduce the risk of death by 13%. »» neoadjuvant chemo-radiotherapy compared to surgery alone reduce the risk of death by 22%. »» the benefit of target therapies is not yet proved. Keywords Esophageal cancer Chromoendoscopy Chemotherapy Chemoradiotherapy Neoadjuvant treatment Target therapies Points forts »» L’endoscopie avec NBI (Narrow Band Imaging) améliore le taux de détection précoce des cancers œsophagiens par rapport à l’examen en lumière blanche ; une étude française est en cours pour l’évaluer par rapport à l’endoscopie avec coloration vitale par le lugol. »» La chimiothérapie néo-adjuvante réduit le risque de décès de 13 % par rapport à la chirurgie seule. »» La radiochimiothérapie néo-adjuvante réduit le risque de décès de 22 % par rapport à la chirurgie seule. »» L’apport des biothérapies n’est pas prouvé. pour la précédente) : le bénéfice de la radiochimiothérapie pré­opératoire est toujours très significatif (p = 0,0001), avec une réduction du risque de décès de 22 % ; il reste significatif dans les 2 types histologiques ; ➤➤ concernant l’apport de la chimiothérapie pré­opératoire par rapport à celui de la chirurgie seule, cette nouvelle méta-analyse a inclus 10 essais et 2 062 patients (contre 8 essais et 1 724 patients pour la précédente) : le bénéfice de la chimiothérapie préopératoire est devenu nettement significatif (p = 0,005), avec une réduction du risque de décès de 13 % ; comme dans la méta-analyse de V. Gebski et al. (5), ce bénéfice reste significatif dans les adénocarcinomes et non significatif dans les carcinomes épidermoïdes. Le tableau I résume les résultats de ces 2 métaanalyses comparées à celles de P. Thirion et al. (présentées à l’ASCO® 2008 et à l’ESTRO 2008, mais non publiées depuis) et montre que le gain de survie à 2 ans escompté avec la radiochimiothérapie est un peu plus important (+ 9 % en valeur absolue) qu’avec la chimiothérapie préopératoire (+ 5 %). ➤➤ Enfin, une comparaison entre la radiochimio­ thérapie préopératoire et la chimiothérapie préopératoire a été faite à partir des 2 essais de la littérature (portant sur les seuls adénocarcinomes) : l’essai allemand de Stahl et al., publié en 2009, portant sur les adénocarcinomes de la jonction œso­gastrique, n’avait pu inclure que 126 patients du fait d’un recrutement insuffisant. Les patients traités par radiochimiothérapie avaient eu plus de réponses pathologiques complètes (ypRC : 16 % versus 2 % ; p = 0,03) et plus de downstaging ganglionnaire, mais l’amélioration du taux de survie à 3 ans (47 % versus 28 %) n’était pas statistiquement significative (p = 0,07). Un second essai randomisé comparant chimiothérapie et radiochimiothérapie préopératoire vient d’être publié en 2011 par l’équipe australienne de B.H. Burmeister et al. : maheureusement, il s’agit d’un essai de faisabilité de la radiochimiothérapie préopératoire, et il n’a inclus que 75 patients (adénocarcinomes œsocardiaux). On retrouve une augmentation du taux de ypRC (13 % versus 0 % ; p = 0,04), une amélioration du taux de résection R0, mais pas de différence de survie. La méta-analyse de ces 2 essais (6) ne permet pas non plus de montrer un gain significatif de survie (HR = 0,77 ; IC95 : 0,53-1,12). Radiochimiothérapie et biothérapies ? Deux essais de phase II évaluant la triple association chimiothérapie + radiothérapie + biothérapie par anti-Epidermal Growth Factor Receptor (EGFR) ont été publiés en 2011 (tableau II) : ➤➤ L’étude de F. De Vita et al. (7) a inclus 41 patients qui ont reçu un traitement systémique par FOLFOX + cétuximab, puis une association radiothérapie + cétuximab : il y a eu 1 décès pendant le traitement néo-adjuvant, 9 progressions tumorales et 1 refus de la chirurgie, si bien que 30 patients ont pu être opérés : 8 ypRC (soit 19,5 % en intention de traiter) ont été observés. Il y a eu 2 décès postopératoires (6 %) avec 1 lâchage anastomotique et 1 choc septique. Tableau I. Résultats des méta-analyses récentes sur la radiochimiothérapie et la chimiothérapie préopératoires dans les cancers de l’œsophage. Radiochimiothérapie préopératoire Chimiothérapie préopératoire Sjoquist (6) Gebski (5) Thirion (ASCO® 2008) Sjoquist (6) Gebski (5) Thirion (7) [ESTRO 2008] – 22 % oui oui – 19 % oui oui – 18 % oui oui – 13 % oui NS – 10 % oui NS – 13 % Pas d’interaction Gain de survie à 2 ans + 9 % + 13 % + 7 % + 5 % + 7 % + 5 % Gain de survie à 5 ans _ _ + 6,5 % _ _ + 4 % Diminution risque décès Adénocarcinome Spino 96 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XV - n° 2 - mars-avril 2012 HGE 2(XV) MARS AVRIL 2012.indd 96 04/05/12 15:26 DOSSIER THÉMATIQUE Tableau II. Essais de phase II évaluant l’association radiochimiothérapie + cétuximab dans les cancers localement avancés de l’œsophage. n SCC/ADC Chimiothérapie + biothérapie Dose d’irradiation (Gy) pRC (%) Survie médiane (mois) Safran et al. 2008 (in 7) 60 12/48 Paclitaxel + carboplatine + cétuximab 50,4 27 De Vita et al. 2011 (7) 41 28/13 FOLFOX + cétuximab 50,4 19,5 17,3 Ruhstaller et al. 2011 (8) 28 13/15 CDDP + docétaxel + cétuximab 45 32 (TRG 1 + 2 = 68 %) 86 % à 1 an Lledo et al. 2011 (9) 80 53/25 FOLFOX + cétuximab 50,4 ORR = 77,2 % SCC : squamous cell carcinoma ; ADC : adénocarcinome ; pRC : pathological complete response ; TRG : Tumor Regression Grade ; ORR : overall response rate. Les auteurs expliquent le taux plutôt faible (en tout cas pas supérieur aux résultats habituels) de ypRC par le caractère séquentiel de l’administration des traitements. ➤➤ L’étude du groupe suisse (SAKK 75/06) publiée par T. Ruhstaller et al. (8) a inclus 28 patients qui ont reçu une chimiothérapie par docétaxel + cisplatine associée à cétuximab, puis une radiothérapie + cisplatine et cétuximab. La toxicité du traitement néo-adjuvant a été assez marquée, avec notamment 21 % de neutropénies fébriles et 26 % d’œsophagites de grade 3, mais il n’y a pas eu de décès liés au traitement ; 25 patients ont pu être opérés et ont tous eu une résection R0 : il y a eu 9 ypRC (32 % en intention de traiter), et si l’on additionne ces 9 réponses complètes (TRG 1) aux 10 résidus microscopiques minimes (TRG 2), on obtient un taux de réponses complètes ou presque complètes de 68 %. Aucun décès postopératoire n’a été noté. Compte tenu de ces résultats encourageants, une étude de phase III a été lancée, à laquelle vont se joindre certains centres français, sous l’égide de la Fédération francophone de cancérologie digestive (FFCD) et du groupe FRENCH. ➤➤ L’étude française ERaFOX présentée à l’ASCO®-GI (9) s’est, elle aussi, intéressée à la triple association chimiothérapie (FOLFOX) + cétuximab, radiothérapie et a porté sur 80 patients : le taux de réponses cliniques est excellent (77 %) ; la chirurgie était au choix des investigateurs, et la plupart des patients n’ont pas été opérés ; les résultats chez les opérés sont en cours d’analyse. Conclusion L’année 2012 devrait être une année riche pour les équipes françaises avec la présentation et la publication des résultats de l’étude phase I-II PRODIGE 3 (5FU-cisplatine + cétuximab + radiothérapie en situation néo-adjuvante), de l’étude de phase III FFCD 9901, et de l’essai ERaFOX. ■ Références bibliographiques 1. Ferlay J, Shin HR, Bray F, Forman D, Mathers C, Parkin DM. Estimates of worldwide burden of cancer in 2008: GLOBOCAN 2008. Int J Cancer 2010;127:2893-917. 2. Muto M, Minashi K, Yano T et al. Early detection of superficial squamous cell carcinoma in head and neck region and esophagus by Narrow Band Imaging: a multicenter randomized controlled trial. J Clin Oncol 2010;28:1566-72. 3. Lecleire S, Antonietti M, Iwanicki-Caron I et al. Lugol chromo-endoscopy versus Narrow Band Imaging for endoscopic screening of esophageal squamous-cell carcinoma in patients with a history of cured esophageal cancer: a feasibility study. Diseases of the Esophagus 2011;24:418-22. 4. Ishihara R, Takeuchi Y, Chatani R et al. Prospective evaluation of narrow-band imaging endoscopy for screening of esophageal squamous mucosal high-grade neoplasia in experienced and less experienced endoscopists. Diseases of the Esophagus 2010;23:480-6. 5. Gebski V, Burmeister BH, Smithers BM et al. Survival benefits from neoadjuvant chemoradiotherapy or chemotherapy in oesophageal carcinoma: a meta-analysis. Lancet Oncol 2007;8:226-34. 6. Sjoquist K, Burmeister BH, Smithers BM et al. Survival after neoadjuvant chemotherapy or chemoradiotherapy for resectable oesophageal carcinoma: an updated metaanalysis. Lancet Oncol 2011;12:681-92. 7. De Vita F, Orditura M, Martinelli E et al. A multicenter phase II study of induction chemotherapy with FOLFOX-4 and cetuximab followed by radiation and cetuximab in locally advanced oesophageal cancer. Br J Cancer 2011; 104:427-32. 8. Ruhstaller T, Pless M, Dietrich D et al. Cetuximab in combination with chemoradiotherapy before surgery in patients with resectable, locally advanced esophageal carcinoma: a prospective, multicenter phase IB/II Trial (SAKK 75/06). J Clin Oncol 2011;29:626-31. 9. Lledo G, Michel P, Dahan L et al. Chemoradiation with FOLFOX plus cetuximab in locally advanced cardia or esophageal cancer: final results of a GERCOR phase II trial (ERaFOX). J Clin Oncol 2011;29(4):Abstract 8. La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XV - n° 2 - mars-avril 2012 | 97 HGE 2(XV) MARS AVRIL 2012.indd 97 04/05/12 15:26