L Spécificités du sujet âgé dans la gestion pré- et postopératoire

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DOSSIER THÉMATIQUE
Cœur et anesthésie
Spécificités du sujet âgé
dans la gestion
pré- et postopératoire
Perioperative management of elderly patients
J. Cohen-Bittan*, A. Breining*, J. Boddaert*
J. Cohen-Bittan
L
a chirurgie concerne de plus en plus de patients
âgés, comme le confirme l’enquête de la Société
française d’anesthésie et de réanimation (SFAR),
qui rapportait une augmentation des actes d’anesthésie de 200 % chez les patients âgés entre 1980
et 1996 (1). La difficulté dans la prise en charge des
patients âgés en périopératoire ne réside que peu
dans l’âge du patient, mais surtout dans le cumul
de comorbidités, qui peut favoriser la survenue de
complications. L’enjeu est d’autant plus important
lors de la prise en charge que, dans le même temps,
le patient risque de perdre tout ou partie de son
autonomie, de sa qualité de vie, et les traitements
utilisés peuvent aboutir à des complications indépendantes de tous ces éléments.
Du sujet âgé au patient âgé
Vieillir peut se résumer de manière simplifiée à une
perte des capacités de réserve fonctionnelle d’organe.
Dans des conditions basales, en dehors de tout stress
comme une pathologie aiguë ou une chirurgie, le
fonctionnement de l’organisme âgé est adapté. Mais
Facteur de stress :
fracture, chirurgie
Déclin des capacités
lié à l’âge seul
Capacités
de réserve
fonctionnelle
Réponse
à 50 ans
Réponse à 80 ans
Réponse à 80 ans
avec des comorbidités
Déclin des capacités lié à l’âge
et aux comorbidités associées
* Unité périopératoire gériatrique
(UPOG), hôpital de la Pitié-Salpêtrière, université Pierre-et-MarieCurie, Paris.
50
Figure. Réponse au stress chirurgical selon l’âge et les comorbidités.
28 | La Lettre du Cardiologue • n° 461-462 - janvier-février 2013
80
Âge
Points forts
»» L’âge représente une vulnérabilité à prendre en compte dans la période périopératoire.
»» La gestion des comorbidités devient une étape essentielle de la prise en charge périopératoire chez
les patients âgés.
»» En raison des risques cumulés de la pathologie aiguë, des comorbidités, de l’anesthésie et de la chirurgie,
une approche multidisciplinaire devient essentielle chez le patient âgé.
»» Le bénéfice de la création de filières de soins dédiées, déja rapporté dans la littérature dans le domaine
de l’orthogériatrie, doit être évalué.
en cas de situation aiguë, comme l’anesthésie et la
chirurgie, l’organisme est soumis à un niveau de stress
qui peut le mener à une décompensation d’organe.
Ainsi, un trouble de la relaxation myocardique auparavant parfaitement asymptomatique peut se révéler
sous la forme d’un œdème aigu pulmonaire lors du
remplissage ou d’un passage en fibrillation atriale ;
une réduction néphronique peut être démasquée par
des médicaments néphrotoxiques et une déshydratation. Gardons à l’esprit dans la gestion de ces patients
le manque de réserve pour affronter un stress.
Mais la grande difficulté revient surtout au cumul
de pathologies. Si les capacités de réserve étaient
déjà amoindries par l’âge, elles sont effondrées par
la pathologie surajoutée (figure). Au-delà de 75 ans,
on recense en moyenne 5 à 7 maladies ; près de
40 % des sujets de plus de 80 ans présentent une
affection cardiovasculaire symptomatique, et plus de
20 % une pathologie neurodégénérative. Ainsi, dans
le cadre de la fracture du col du fémur, seuls moins
de 5 % des patients ne présentent aucune comorbidité (2). Insistons sur la pathologie iatrogène,
car “nous faisons tous du iatrogène sans le vouloir”.
Une étude de 2002 montrait que près de 90 % des
personnes âgées de plus de 70 ans consommaient
quotidiennement 1 ou plusieurs médicaments (3),
et 10 à 20 % des admissions en urgence étaient
liées à un effet indésirable médicamenteux chez
les patients âgés (4), alors que l’élément iatrogène
peut être évité dans 28 % des accidents, et 42 %
des accidents sévères (5).
Données de la littérature :
exemple de la fracture du col
du fémur
La fracture de l’extrémité supérieure du fémur
(FESF) représente une pathologie traumatologique fréquente et grave, touchant principalement
le patient âgé, avec une incidence de 1,7/1 000 dans
la population générale à 8/1 000 chez les personnes
de plus de 80 ans. En France, les FESF représentaient 79 200 séjours dans les services de médecine,
chirurgie et obstétrique (MCO) en 2009. Concernant
le pronostic, une étude rétrospective américaine
sur 32 135 patients âgés rapportait une mortalité
intrahospitalière de 2,3 %, passant à 10,0 % à J30
après la sortie de l’hôpital et 30,0 % à 1 an (6). Dans
une étude monocentrique australienne réalisée chez
1 177 patients opérés d’une FESF, à 4 mois, la marche
sans aide ne concernait plus que 2 % des patients de
plus de 85 ans (versus 23 % des patients de moins
de 65 ans), le retour à domicile, 20 % (versus 77 %),
et la mortalité était de 31 % (versus 12 %) [7]. Il
reste donc beaucoup à faire pour la prise en charge
périopératoire gériatrique, qui doit prioritairement
s’orienter vers l’amélioration de l’autonomie, la
qualité de vie, et aussi de la réduction de la mortalité.
Complications “gériatriques”
à craindre : confusion, escarre,
perte d’autonomie
De manière générale, en chirurgie non cardiaque,
la fréquence des complications périopératoires
majeures augmente avec l’âge, passant de 5 à 13 %,
ainsi que la durée moyenne de séjour (8). Pour la
FESF, la survenue d’une complication concerne 40 %
des patients, et les principales complications attendues sont représentées par la confusion et les infections (9). Certaines de ces complications mettent
souvent les équipes en difficulté. Ainsi la confusion,
définie par 4 critères (altération de la conscience
avec déficit de l’attention et altération cognitive
ou perceptive et installation rapide avec fluctuation
dans la journée et qui nécessite la recherche d’un
facteur déclenchant), dont la fréquence est estimée
à 35 % et qui reste associée à un mauvais pronostic.
Autre exemple, celui des escarres, qui surviennent
chez plus de 30 % des patients hospitalisés pour une
FESF. Leur prévention repose sur une évaluation et
une supplémentation nutritionnelle, la commande
de supports adaptés ainsi que la mobilisation
précoce des patients. En bruit de fond, trop souvent
négligée, la dépendance liée à la chirurgie, démasquant parfois une dépendance préexistante parfois
limite, est un enjeu majeur de la prise en charge
gériatrique. Gardons à l’esprit qu’un jour alité nécessite 2 à 3 jours de réadaptation pour comprendre la
gravité du décubitus, favorisant escarre, douleurs,
Mots-clés
Patient âgé
Comorbidités
Vulnérabilité
liée à l’âge
Highlights
»» Age associated vulnerability
has to be considered in surgery
of elderly patients.
»» Management of comorbidities becomes a keystone of the
perioperative period in elderly
patients.
»» A multidisciplinary approach,
including surgeon, anesthesiologist, geriatrician, is
required to optimize perioperative management in elderly
patients.
»» Interest of orthogeriatric
units implicating geriatrician
and orthopedic surgeon, has to
be validated.
Keywords
Elderly patient
Comorbidities
Age associated vulnerability
La Lettre du Cardiologue • n° 461-462 - janvier-février 2013 | 29 DOSSIER THÉMATIQUE
Cœur et anesthésie
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Spécificités du sujet âgé dans la gestion pré- et postopératoire
dépression, amyotrophie, rétraction tendineuse et
complications thromboemboliques. L’alitement d’un
patient âgé doit attirer l’attention du clinicien, en
raison de ces enjeux. La reprise de la marche peut
requérir un certain nombre d’intervenants, comme
le kinésithérapeute ou le psychologue en cas de
syndrome postchute, mais rien ne doit différer une
verticalisation précoce.
Procédures perçues comme
“banales” chez le patient âgé
mais à éviter
L’infection urinaire sur sonde est la première cause
d’infection liée aux soins aux États-Unis, et le risque
de développer une bactériurie sur sonde est estimé
à 25 %, avec un risque qui augmente de 5 % par
jour où la sonde est laissée en place (10). La pose
d’une sonde urinaire représente une procédure
invasive, souvent indispensable en peropératoire.
Elle doit être retirée au plus tôt, en raison de son
caractère douloureux et du risque de complications
infectieuses, avec si possible, après le retrait, la
surveillance de la diurèse, la recherche d’un globe
ou l’utilisation d’un bladder-scan1, dont une métaanalyse récente confirmait l’efficacité pour éviter le
recours à la sonde urinaire, et a montré qu’il réduit
les infections urinaires sur sonde (11).
La contention chimique et physique
La gestion des troubles du comportement, généralement dans le cadre de la confusion, met souvent les
équipes en difficulté. En particulier chez les patients
ayant des troubles cognitifs, le recours à des psychotropes, dont les neuroleptiques, est associé à une
augmentation du risque de pneumonie (12). Il faut
savoir s’appuyer sur l’entourage et le faire venir
auprès du patient pour atténuer la composante
anxieuse de la situation. Si l’option médicamenteuse est jugée indispensable, elle devra toujours
essayer d’obtenir un effet rapidement progressif
plutôt que brutal, en maintenant un état de vigilance
suffisant pour ne pas aggraver les troubles de la
déglutition (13). De même, le recours à une contention physique, qui doit répondre à une prescription
1. Instrument portable destiné à la mesure du volume de la vessie. Le
volume de la vessie est échantillonné à l’aide d’un capteur volumétrique 3D.
30 | La Lettre du Cardiologue • n° 461-462 - janvier-février 2013
médicale, représente le symbole de la procédure
invasive, faussement rassurante puisqu’associée
aux risques allant de la chute du lit au décès (14).
Quelle évaluation
pour quelle décision ?
La gériatrie ne se résume pas à la réalisation
d’échelles, tant cognitive que nutritionnelle ou
autre. Dans le cadre de la chirurgie programmée, il
faut réfléchir à des collaborations avec les gériatres
(pour l’instant peu structurées) afin d’évaluer le
risque de complications selon les comorbidités
bien plus que selon l’âge. Tel patient présentant
de nombreuses comorbidités pourra être pris en
charge en gériatrie, et ce précocement. La gériatrie possède une expertise qui ne s’applique pas à
tous les patients, et vouloir transférer en gériatrie
des patients sur le simple fait de l’âge n’est pas
une démarche adaptée. À l’opposé, vouloir y transférer un patient qui ne possède aucune marge de
progression ou de récupération n’a pas de sens non
plus. Il faut donc cibler, et évaluer avant même la
chirurgie, les patients qui bénéficieront d’un séjour
en gériatrie : en priorité, les patients cumulant de
nombreuses comorbidités, les patients à risque
de syndrome confusionnel (patients présentant
un syndrome démentiel connu), dont la survenue
met en difficulté tous les services, et les patients
à risque de perte d’autonomie (à travers le risque
nutritionnel, fonctionnel ou encore thymique).
Encore faut-il, pour cela, que le service de gériatrie
correspondant soit suffisamment dimensionné…
Exemple de filière
périopératoire gériatrique
La filière du groupe hospitalier de la Pitié-Salpêtrière repose sur l’implication de tous les acteurs
de la prise en charge gériatrique, de l’urgentiste
au médecin de rééducation, en passant par l’anesthésiste, le chirurgien et le gériatre. Sa création a
permis la prise en charge de plus de 500 patients
en unité périopératoire gériatrique depuis son
ouverture. Comparée à une prise en charge usuelle
dans le cadre de la FESF, elle a permis la réduction
d’événements tels que les escarres ou la contention physique, et a diminué la durée moyenne de
séjour, ainsi que la mortalité à 6 mois. Ce type de
collaboration doit être développé, mais nécessite
des moyens spécifiques adaptés.
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