« La méthadone pour les nuls » Philippe Poulain USP – Polyclinique de l’Ormeau 65000 – Tarbes [email protected] C21H27NO Méthadone Morphine MISE AU POINT SUR L’UTILISATION PRATIQUE DE LA MÉTHADONE DANS LE CADRE DES DOULEURS EN ONCOLOGIE « Douleurs » sous presse 06 2013 Généralités La méthadone est un opioïde fort synthétique • Agoniste sur les récepteurs mu opioïde • Antagoniste sur les récepteurs NMDA • Agirait aussi sur la recapture de la noradrénaline Méthadone Par son action antagoniste sur les récepteurs NMDA, Elle diminue la sensibilisation centrale secondaire à la somation des stimuli nociceptifs lors de l’activité neuronale répétée ; Elle éviterait l’hyperalgésie opioïdo-induite En faveur d’une action ciblée supplémentaire sur les douleurs de mécanisme de type neuropathique. Pharmacocinétique • Retrouvée dès 15 à 30 minutes après une prise per os, pic plasmatique entre 2 et 4 h • Longue demi vie d’élimination variable: 15 à 60h médiane 22h • Métabolisée par le CYP 450 (risque d’interactions médicamenteuses) • Métabolites inactifs et non toxiques (pas de contre indication en cas d’insuffisance rénale) • Grande variabilité intra et interindividuelle Méthadone per os • Absorption intestinale quasi complète modifiée par la perfusion, la mobilité intestinale et par le pH. • La baisse de la motilité intestinale et l’acidité du pH augmentent son absorption • Chez le patient cancéreux, la fraction liée à l’alpha 1 glycoprotéine plasmatique (orosomucoïde) est importante ce qui réduit d’autant la concentration plasmatique de la méthadone active, libre. • La méthadone s’accumule dans les tissus et est ensuite lentement relarguée dans le plasma depuis le réservoir tissulaire, ce qui explique sa longue demi-vie d’élimination. • Risque de surdosage à 4-6 jours au moment du relarguage Données AMM • Pas d’AMM en France dans l’indication douleur. • Cependant l’ANSM (ex AFSSAPS) stipule que la méthadone peut être envisagée après une évaluation effectuée par une équipe spécialisée (soins palliatifs ou douleur), la méthadone ne devant être prescrite qu’en dernier recours après les autres opioïdes et traitements adjuvants bien conduits. (recommandations de juin 2010 portant sur les douleurs cancéreuses rebelles) Recommandations d’utilisation La méthadone étant un opioïde, elle suit les règles de prescription et de délivrance des stupéfiants. La prescription de la méthadone est limitée à 14 jours sur ordonnance sécurisée La délivrance est limitée à 7 jours (sauf autre mention indiquée par le médecin). L’ANSM prévoyait que, dans l’indication douleur, la méthadone soit disponible par le biais d’une rétrocession hospitalière (traitement fourni par le pharmacien hospitalier sur présentation de l’ordonnance). Recommandations • La forme sirop sera prescrite en première intention • La forme gélule sera réservée à des situations d’exception (notamment doses élevées qui nécessiteraient des volumes trop importants à absorber, intolérance au sirop). Passage d’un opioïde vers la méthadone • Une revue de la littérature récente, publiée en 2011 par Mercadante, ne permet pas d’établir un ratio de conversion entre le divers opioïdes et la méthadone. • Les opioïdes sont d’abord ramenés à une estimation de la dose de morphine orale équivalent (EMO) puis convertis en dose de méthadone orale à l’exception du fentanyl. Ce double calcul peut être à l’origine d’erreurs. • Morphine / Méthadone varient de 10 : 1 à 5 : 1. • La valeur de ce ratio semble dépendre : 1. De la dose d’opioïde antérieure, 2. De la raison du changement 3. Du sens dans lequel est effectué ce changement (Morphine vers Méthadone, ou Méthadone vers Morphine). 4. En cas de changement pour inefficacité le ratio serait plus bas 5. En cas de changement pour effet indésirable le ratio serait plus élevé. Modalités de relais Pour une majorité des auteurs: • lnitiation de la méthadone après arrêt de l’opioïde antérieur • Sans chevauchement (Säwe1981, Scholes 1999, Tse 2003, Mercadante 1999, Santiago 2001, Mercadante 2001, Mercadante 2003, Benitez 2004, Moryl 2005, Mercadante 2005, Auret 2006, Mercadante 2007, Mercadante 2009, Mercadante 2012). • Prises régulières ou par autocontrôle par le patient Recommandations du groupe de travail sur les modalités du relais Les experts du groupe de travail préconisent un relais immédiat sans chevauchement (relais le plus utilisé dans la littérature) avec une nouvelle phase de titration. En effet, étant donné les imprécisions concernant les ratio de conversion « opioïde : méthadone », il apparaît préférable de procéder à une nouvelle équilibration pour éviter les sous et surdosages. Les sous dosages exposent à un retard au contrôle de la douleur, voire à un syndrome de manque. Une dose initiale excessive majore le risque de surdosage lors de la phase de relargage. De plus, compte tenu des effets indésirables apparus dans l’étude de Moknes, l’administration à la demande est préférable lors d’un relai immédiat. Protocole 1: Auto contrôlée • l’équilibration se fait par une administration à la demande par le patient • Arrêter l’opioïde précédent et faire le relais d’emblée avec la méthadone sans chevauchement. • Le délai d’action rapide de la méthadone (15 minutes) permet la réalisation de cet antalgie autocontrôlée • Convertir la posologie de l’opioïde à stopper en Morphine Equivalent Oral (MEO) selon les ratios habituels • La dose unitaire de méthadone représente 10% de la dose en MEO par 24 h, sans dépasser 30 mg par prise, • Après une 1ère dose, une 2ème dose peut être administrée au bout d’une heure en cas de douleur résiduelle sans dépasser 6 prises/jour, • Une évaluation quotidienne est nécessaire : si le patient a pris plus de 3 doses/24h la dose unitaire est augmentée de 30 à 50%, Protocole 1 • A partir du 6ème jour possibilité de passer à 2 prises/jour en cas de dose stable depuis 48 heures. • La dose des 48h divisée par 4 sera administrée toutes les 12h. • De plus, en cas de nécessité d’interdose, 1/6ème de la dose fixe des 24h pourra être administrée toutes les 3h. Protocole 2: Relai progressif • Ce protocole repose sur le principe d’un relai progressif pour éviter un syndrome de sevrage lié à l’arrêt de l’opioïde antérieur • Convertir la posologie de l’opioïde à stopper en Morphine Equivalent Oral (MEO) selon les ratios habituels. • Posologie variable selon MEO de l’ancien opioïde ; – 4 : 1 pour les patients qui recevaient entre 30 et 90 mg de MEO par jour – 6 : 1 pour les patients qui recevaient entre 90 et 300 mg de MEO par jour – 8 : 1 pour les patients qui recevaient plus de 300 mg de MEO par jour • Répartir la méthadone en 3 prises (dose de 24h/3) par voie orale sur 24heures sans dépasser 30 mg par prise Conditions de prescription • Le traitement par méthadone doit être initié par une équipe hospitalière spécialisée dans la prise en charge de la douleur ou des soins palliatifs et formée à son utilisation. • Après stabilisation, le traitement peut être poursuivi à domicile aux conditions suivantes : – collaboration avec le médecin traitant éventuellement dans le cadre d’une HAD ou d’un réseau de soins palliatifs, – formation du médecin traitant et du personnel infirmier, – protocolisation des actes réalisés et de la conduite à tenir en cas d’urgence, – nécessité d’un suivi régulier en lien étroit avec l’équipe qui a initié le traitement, – information donnée aux patients. Surveillance • Pendant la première semaine, une évaluation de la douleur et des effets indésirables (somnolence et fréquence respiratoire) devra être réalisée tous les jours. Il faudra également réaliser une surveillance cardiovasculaire (pouls, pression artérielle, ECG). • La surveillance et l’évaluation des patients pendant la première semaine sont primordiales. En effet, lors de l’administration de méthadone l’état d’équilibre est obtenu tardivement avec en particulier un risque de relargage de la méthadone depuis les tissus entre le 4ème et le 6ème jour d’où une vigilance accrue pendant cette période. • Si les effets indésirables sont trop importants (somnolence en particulier), la dose doit être réduite de 50%. Conseils et précautions d’utilisation • Des cas d’allongement de l’intervalle QT et des torsades de pointe ont été rapportés au cours de traitements par la méthadone, principalement pour des posologies supérieures à 120 mg/j. • La méthadone doit donc être administrée avec prudence, sous surveillance clinique, électrolytique et ECG, pour les patients présentant un risque d’allongement de l’intervalle QT, une hypokaliémie, ou une association à des médicaments connus pour allonger le QT. Conseils et précautions d’utilisation • La méthadone entraîne les mêmes effets que tous les opioïdes, mais également des risques cardiovasculaires (flush facial, bradycardie, palpitation, hypotension artérielle symptomatique, rares cas d’allongement de l’intervalle QT et de torsades de pointe). • Il est nécessaire d’informer l’entourage du risque lié à l’utilisation de la méthadone. Il est recommandé d’être extrêmement vigilant, notamment vis-à-vis des enfants car une dose de 1mg/kg peut être létale chez toute personne naïve d’opioïde fort. • Les flacons de sirop disposent d’un bouchon de sécurité rendant leur ouverture plus difficile par les enfants. Les gélules sont conditionnées dans des blisters sécurisés. Cas Clinique • Homme de 50 ans • Orchidectomie droite 4 ans auparavant pour une tumeur germinale non séminomateuse, lésions de type tératome et de type rhabdomyosarcome, classée alors pT1NxM0. • Pas de traitement complémentaire car VIH + connu depuis plus de 20 ans sans traitement (pas d’antécédent de toxicomanie). • Surveillance régulière a été effectuée. • Hypoacousie congénitale bilatérale importante, une HTA traitée et un tabagisme actif estimé à 60 paquets/année. Cas Clinique • Adressé par son médecin traitant pour un avis oncologique suite à des douleurs testiculaires gauches irradiant au flanc gauche à type de décharges électriques répondant assez bien au Tramadol. • Un nodule thyroïdien ayant été noté à l’examen du généraliste, retrouvant un volumineux nodule thyroïdien de 44 mm avec adénopathie satellite ainsi qu’une adénopathie préaortique en région ombilicale polylobée de 47x59 mm. • Le testicule gauche apparaît normal. Cas Clinique • Un syndrome de masse rétropéritonéal de 15 cm de grand axe, • La présence d’une adénopathie inframédiastinale postérieure droite de 3 cm et un micronodule de 6 mm, non spécifique en regard du culmen. • La cytologie du nodule thyroïdien objective la présence de rares placards de cellules atypiques. • La biopsie du rétropéritoine retient le diagnostic de tumeur peu différenciée de type rhabdomyosarcome. Cas Clinique • Recrudescence algique abdominale importante avec perte de 9 kg en un mois (85 kg contre 94 kg) dans un contexte d’anorexie. • Oxycodone per os à doses progressivement avec au maximum (80 mg LP matin et soir avec interdoses à 20 mg) peu efficace. • Relais par une PCA sous-cutanée de morphine à 30 mg/heure et des bolus de 30 mg ainsi que du paracétamol 3g/24heures. • Le patient reste hyperalgique au niveau de l’abdomen, de la masse jugulocarotidienne ainsi que du testicule en place. Il est alors évalué OMS 3. • Il lui est proposé une chimiothérapie, une prise en charge de son infection par le VIH ainsi qu’une optimisation de son traitement antalgique. Cas Clinique • A l’entrée il reçoit par voie sous-cutanée par PCA : 30 mg/heure de morphine avec possibilité de bolus de 30 mg et une période réfractaire de la pompe à 15 minutes (dernière augmentation réalisée 24 heures auparavant), il côte alors sa douleur à 10/10 sur une échelle numérique. • Devant cette inefficacité de la morphine injectable, nous lui proposons de participer à l’étude EQUIMETH2. • Après obtention de son consentement, le patient est randomisé dans le groupe A (auto-contrôle). Cas Clinique • MEO = # 4g : 30x 24 = 720 + Bolus 40 x 30 = 1200 Total 1920 x 2 • Dose unitaire de méthadone de 30 mg après arrêt de sa PCA de morphine. • Au J1 : dans les 24 premières heures, il prend 5 doses de 30 mg (EVA au moment des prises respectivement à 5.5, 4.5, 2.5, 7.5 et 6.5 sur 10). • Au J2 : la posologie est donc augmentée de 50% et passe à 45 mg ; le patient réalise alors 4 prises sur 24 heures (EVA lors des prises : 7.5, 8, 6 et 8.5/10). • Au J3 : la posologie passe à 60mg par prise et le patient va alors prendre de la méthadone 3 fois en 24 heures (EVA : 7, 7 et 0) • Au J4 : la posologie n’est donc pas modifiée et le patient utilisera à nouveau 3 fois de la méthadone à 60 mg les 24 heures suivantes (EVA : 5.5, 5 et 4). Cas Clinique • Notons une bradypnée transitoire à 8 cycles/min dans la nuit du J4 au J5 qui fait l’objet d’une surveillance renforcée de la part de notre équipe. • Au cours du J5, le patient prend également 3 fois de la méthadone (EVA : 4, 5 et 5) ; la fréquence respiratoire est normale. • Il désire rester à l’autocontrôle pour la suite du traitement (dose unitaire de 60 mg) Cas Clinique • Il quitte alors notre service pour débuter son traitement chimiothérapeutique. • Nous programmons des consultations régulières toutes les semaines (dans le cadre du protocole) jusqu’à J56 (fin de l’essai) puis il bénéficie de la poursuite du traitement antalgique par méthadone hors protocole. • Pas de modification des doses Cas Clinique • Du fait de la bonne réponse pendant plusieurs mois à la chimiothérapie, le patient sera progressivement sevré du traitement antalgique par méthadone et il l’interrompra après environ 5 mois. • L’échappement thérapeutique de son cancer associé à la réapparition de douleurs intenses nous fera débuter à nouveau un traitement par méthadone aux mêmes doses. • Malheureusement, des troubles de déglutition progressivement croissants devront faire arrêter la méthadone, qui était toujours efficace, au profit d’une PCA d’oyxcodone à forte dose (nouvelle titration). Conclusion • Notre patient a pu stabiliser rapidement les doses de son traitement après une période de 48 heures où les pics douloureux ont été assez intenses (probablement en lien avec une MEO d’attaque trop basse compte-tenu des doses de morphine administrées auparavant. Le protocole, par sécurité, est prévu ainsi). • Les effets indésirables liés à l’accumulation et au relargage ont été très modérés et ont cédé rapidement (quelques heures). • En l’état, nous ne pouvons que déplorer l’absence de disponibilité de méthadone injectable en France ; nous aurions probablement pu proposer la poursuite d’un traitement efficace et bien toléré par notre patient au moment où des troubles de déglutition nous ont contraints à changer de molécule antalgique.