Médecine & enfance Diagnostic anténatal des cardiopathies congénitales : quelle étude cytogénétique pour quelle malformation ? CARDIOLOGIE F. Bajolle, centre de référence Malformations cardiaques congénitales complexes, M3C-Necker, hôpital Necker-Enfants Malades, Paris Le diagnostic anténatal des cardiopathies congénitales impose une démarche diagnostique précise. On peut retenir cinq règles d’or : 첸 une échographie d’expert est toujours nécessaire pour rechercher des signes extracardiaques associés ; 첸 dans 15 % des cas, les cardiopathies congénitales sont associées à des anomalies génétiques ; 첸 un diagnostic anténatal de cardiopathie impose une enquête cytogénétique ; 첸 un caryotype standard doit être réalisé devant toute cardiopathie, excepté la transposition des gros vaisseaux ; 첸 une microdélétion 22q11.2 doit être recherchée devant toute malformation conotroncale. B ien que la majorité des cardiopathies congénitales soient isolées, leur caractère familial ou syndromique justifie la réalisation d’une échographie d’expert, qui précisera le type de cardiopathie et les éventuels signes extracardiaques associés [1]. Une analyse cytogénétique à la recherche d’une anomalie de nombre ou de structure des chromosomes est donc indiquée pour toutes les cardiopathies. La grande exception à souligner est la transposition simple des gros vaisseaux (TGV), qui n’est jamais associée à une anomalie de nombre des chromosomes. Les indications d’une analyse cytogénétique anténatale ont des objectifs précis, qui dépendront non seulement du type et du pronostic supposé de la malformation, mais aussi du terme de la grossesse. Nous décrivons dans un premier temps les indications communément admises, puis nous discutons leurs limites. Exceptions à l’étude cytogénétique Rubrique dirigée par F. Bajolle Toute découverte anténatale d’une cardiopathie congénitale justifie la réalisamai 2013 page 151 tion d’une analyse cytogénétique à la recherche d’une anomalie de nombre ou de structure des chromosomes. La principale exception est la TGV, qui n’est jamais associée à une anomalie cytogénétique. Cependant le diagnostic anténatal de cette cardiopathie doit être confirmé par un expert pour ne pas méconnaître une malposition vasculaire pouvant s’intégrer dans un syndrome. Un certain nombre d’autres cardiopathies isolées, telles que l’atrésie pulmonaire à septum intact et les communications inter ventriculaires musculaires isolées, sont peu suspectes d’anomalies chromosomiques associées. Indication d’un caryotype à la recherche d’une anomalie de nombre ou de structure chromosomique devant toute cardiopathie Hormis les exceptions sus-citées, la détection in utero d’une cardiopathie congénitale doit faire l’objet d’un caryotype. Toutes les séries rapportent un taux d’anomalies chromosomiques élevé, compris entre 13 et 17 % (voir tableau) [1-3]. Médecine & enfance Indication d’une recherche de microdélétion 22q11.2 en présence de toute malformation conotroncale Les cardiopathies conotroncales (interruption de l’arche aortique, tronc artériel commun, tétralogie de Fallot, atrésie pulmonaire à septum ouvert, agénésie des valves pulmonaires, communication interventriculaire conoventriculaire ou malposition vasculaire) (voir figure) sont fréquemment associées à une microdélétion 22q11.2 [4]. L’indication d’une recherche de microdélétion 22q11.2 par la technique de FISH sur liquide amniotique est formelle pour ce groupe de cardiopathies. La suspicion de syndrome de Di George à l’échographie peut être renforcée par des signes extracardiaques, tels qu’un hydramnios, l’absence de thymus et/ou une fente palatine, mais aussi par le type anatomique de la malformation. En effet, l’interruption de l’arche aortique de type B (entre la carotide gauche et l’artère sous-clavière gauche) est associée à une microdélétion 22q11.2 dans 45 % à 90 % des cas selon les séries [5]. Un tronc artériel commun avec une dysplasie sévère de la valve troncale est un argument orientant vers une délétion 22q11.2 [1]. Enfin, une atrésie pulmonaire à septum ouvert avec une hypoplasie sévère des artères pulmonaires associée à d’importantes collatérales aorto-pulmonaires (MAPCA) est aussi très évocatrice de délétion 22q11.2 [5]. Anomalies chromosomiques et cardiopathies fœtales [1] Cardiopathie Pourcentage de cas associés à une anomalie chromosomique Cardiopathies conotroncales : 첸 tétralogie de Fallot ......................................6-20 %.......................................T21, T18, T13, dél 22q11.2 첸 atrésie pulmonaire à septum ouvert ..........20-35 %.....................................dél 22q11.2 첸 interruption de l’arche aortique .................25-50 %.....................................dél 22q11.2 첸 tronc artériel commun.................................40 % ..........................................dél 22q11.2 첸 agénésie des valves pulmonaires...............35 % ..........................................dél 22q11.2 Canal atrioventriculaire 50 % T21, T18, T13, dél 8p Communication interventriculaire 10-20 % T21, T18 Cardiopathies obstructives du cœur gauche 10 % Monosomie X, T18, dél 11, dél 7q23 Ventricule unique et atrésie tricuspide 8% T18 Malpositions vasculaires 5-20 % T13, T18 Transposition des gros vaisseaux 0% Atrésie pulmonaire à septum intact 0% dél : délétion, T : trisomie Schéma des cardiopathies conotroncales Cœur normal Tétralogie de Fallot (T4F) Atrésie pulmonaire à septum ouvert (APSO) Agénésie des valves pulmonaires (AVP) Interruption de l’arche aortique (IAA) Tronc artériel commun (TAC) Malposition vasculaire (MV) Communication interventriculaire (CIV) Aucune indication de recherche d’anomalie génétique sans une échographie d’expert précisant l’anatomie cardiaque et recherchant des signes extracardiaques associés L’intérêt de l’échographie cardiaque spécialisée est de déterminer précisément la forme anatomique de la cardiopathie pour une parfaite définition du phénotype cardiaque, étape indispensable à l’identification du syndrome associé. En effet, une dysplasie valvulaire pulmonaire est un marqueur anatomique spécifique du syndrome de Noonan ; elle n’est jamais observée chez les patients non syndromiques présentant une sténose Type d’anomalie chromosomique valvulaire pulmonaire [2]. L’échographie d’expert à la recherche de signes extracardiaques permettra de suspecter avec une très bonne sensibilité différents synmai 2013 page 152 dromes associés aux défauts atrioventriculaires (CAV) : le syndrome d’Ellis-Van Creveld, celui de Smith-Lemli-Opitz ou l’association CHARGE. Le diagnostic Médecine & enfance moléculaire fœtal ne sera justifié que si la cardiopathie est d’une particulière gravité ou si elle s’intègre dans un syndrome polymalformatif permettant de proposer une interruption thérapeutique de grossesse. Le diagnostic moléculaire prénatal de l’association CHARGE par identification de la mutation CHD7 a déjà été rapporté [6] . La recherche anténatale de la mutation PTPN11 du syndrome de Noonan n’est pas justifiée avant la naissance. Indication d’un examen fœtopathologique et d’une étude moléculaire en cas d’interruption médicale de grossesse Toute cardiopathie congénitale isolée ou syndromique ayant justifié une interruption médicale de grossesse doit être expertisée par un examen fœtopathologique. Il s’agit en effet d’un contrôle de qualité indispensable du diagnostic échographique. D’autre part, il est justifié que l’autopsie soit complète, et non pas limitée au cœur, pour dépister les associations évocatrices de syndromes éventuellement hérités et permettre un conseil génétique adéquat. S’il n’y a pas eu de caryotype avant l’interruption, celui-ci doit être proposé systématiquement. Références [1] MANNING N., KAUFMAN L., ROBERTS P. : « Genetics of cardiological disorders », Semin. Fetal Neonatal Med., 2005 ; 10 : 259-69. [2] MARINO B., DIGILIO M.C. : « Congenital heart disease and genetic syndromes : specific correlation between cardiac phenotype and genotype », Cardiovasc. Pathol., 2000 ; 9 : 303-15. [3] BAJOLLE F., ZAFFRAN S., BONNET D. : « Molecular aspects of congenital heart diseases », Arch. Mal. Cœur Vaiss., 2007 ; 100 : 484-9. En raison du risque connu de récurrence de cardiopathie congénitale, on proposera, de façon systématique, un conseil génétique et un suivi échographique anténatal d’expert pour les grossesses ultérieures gauche), une pénétrance croissante avec l’âge (mutation NKX2.5 et troubles de la conduction) et l’impossibilité de faire un diagnostic direct de l’anomalie congénitale (QT long congénital) [9-10]. Aucune indication de diagnostic génétique préimplantatoire Les familles doivent être informées du risque statistique de récurrence de gravité différente (variabilité d’expression intrafamiliale) [7]. Les limites des études cytogénétiques devront être soulignées. Elles sont liées à différents facteurs, et en premier lieu à l’hétérogénéité génétique de toutes les cardiopathies congénitales [3]. La récente identification du second champ cardiaque chez la souris et le poulet, ainsi que les travaux en cours sur les gènes régulant sa participation dans la formation du cœur devraient nous permettre de proposer des données moléculaires supplémentaires sur les cardiopathies congénitales et ainsi de proposer de nouveaux gènes candidats [8]. Les autres limites des études cytogénétiques sont la variabilité d’expression intrafamiliale (en particulier pour les manifestations extracardiaques), un défaut de pénétrance pour les porteurs de gènes morbides (mutation dans le gène NOTCH1 et variabilité du phénotype allant de la bicuspidie aortique à l’hypoplasie du cœur L’expertise échographique est un préalable indispensable à toute étude cytogénétique. La description du phénotype cardiaque doit être d’une grande précision anatomique pour permettre un conseil génétique aussi précis que possible [8]. Les signes extracardiaques permettent de poser fréquemment un diagnostic syndromique, comme dans le syndrome de Di George. Le diagnostic échographique ne dispense pas encore de l’étude cytogénétique, qui permet de proposer une interruption médicale de grossesse. L’exception principale à l’étude cytogénétique est indiscutablement la découverte anténatale d’une TGV après confirmation du phénotype par 첸 un cardiopédiatre expert. [4] BOUDJEMLINE Y., FERMONT L., LE BIDOIS J. et al. : « Prevalence of 22q11 deletion in fetuses with conotruncal cardiac defects : a 6-year prospective study », J. Pediatr., 2001 ; 138 : 520-4. [5] BOUDJEMLINE Y., FERMONT L., LE BIDOIS J. et al. : « Can we predict 22q11 status of fetuses with tetralogy of Fallot ? », Prenat. Diagn., 2002 ; 22 : 231-4. [6] SANLAVILLE D., ETCHEVERS H.C., GONZALES M. et al. : « Phenotypic spectrum of CHARGE syndrome in fetuses with CHD7 truncating mutations correlates with expression during human development », J. Med. Genet., 2006 ; 43 : 211-7. [7] OYEN N., POULSEN G., BOYD H.A. et al. : « Recurrence of congenital heart defects in families », Circulation, 2009 ; 120 : 295-301. [8] BAJOLLE F., ZAFFRAN S., BONNET D. : « Genetics and embryological mechanisms of congenital heart diseases », Arch. Cardiovasc. Dis., 2009 ; 102 : 59-63. [9] GARG V., MUTH A.N., RANSOM J.F. et al. : « Mutations in NOTCH1 cause aortic valve disease », Nature, 2005 ; 437 : 270-4. [10] BENSON D.W., SILBERBACH G.M., KAVANAUGHMCHUGH A. et al. : « Mutations in the cardiac transcription factor NKX2.5 affect diverse cardiac developmental pathways », J. Clin. Invest., 1999 ; 104 : 1567-73. mai 2013 page 153 Il n’existe pas aujourd’hui de malformation cardiaque associée à une anomalie génétique spécifique qui autorise un diagnostic préimplantatoire. Conclusion