DOSSIER THÉMATIQUE Traitement chirurgical du prolapsus rectal et de la rectocèle : ce qui a changé depuis 10 ans Rectal prolapse and rectocele: what’s new? Frédéric Bretagnol* D ès que la chirurgie a un caractère “fonctionnel” et non plus “organique”, il est difficile de penser que le traitement chirurgical puisse être immobile ou statique. Sans jeu de mots évident, justement, les troubles de la statique pelvienne que sont le prolapsus du rectum extériorisé et la rectocèle ont une prise en charge chirurgicale qui reste débattue dans la littérature, puisque cette dernière ne permet pas actuellement de définir des standards. Il en résulte donc un manque d’uniformité des techniques, particulièrement dans la voie d’abord (abdominale ou périnéale). De même, l’évaluation des résultats opératoires et fonctionnels est souvent imparfaite et peu objective. Pourtant, plusieurs points ou avancées sont à souligner dans cette prise en charge chirurgicale : le développement de la rectopexie antérieure laparoscopique de A. D’Hoore et al. (1) qui semble s’imposer comme l’intervention de référence ; la chirurgie robotique dont la place est encore à trouver et les bénéfices, à prouver ; la littérature factuelle peine à définir des standards dans la stratégie chirurgicale ; enfin, il faut rappeler la particularité “fonctionnelle” de cette chirurgie qui nécessite non seulement une approche multidisciplinaire mais aussi une évaluation conjointe des résultats fonctionnels et de la qualité de vie. Rectopexie antérieure laparoscopique Voilà une intervention qui semble progressivement s’imposer, pour un grand nombre de chirurgiens, comme l’intervention de référence dans le traitement du prolapsus rectal extériorisé ainsi que de la rectocèle. En effet, elle correspond à l’intervention idéale pour ces 2 indications, notamment sur le plan de l’anatomie, en réalisant une pexie rectale pour lutter contre l’intussusception rectale (à l’origine du prolapsus) et pour renforcer la cloison rectovaginale (à l’origine de la rectocèle). C’est en 2004 que A. D’Hoore et al. ont proposé la rectopexie antérieure, qui consiste en une chirurgie de no touch rectal et une dissection a minima du rectum (1). Le principe est de disséquer seulement la face antérieure du rectum jusqu’au plancher des muscles releveurs de l’anus et de fixer une prothèse entre la face antérieure rectale et le promontoire pour réaliser une pexie rectale. Cette technique comporte 3 avantages majeurs : ➤➤ Tout d’abord, cette chirurgie est réalisée par laparoscopie et a donc les avantages de cette voie mini-invasive en termes de résultats opératoires. Plusieurs études, dont une randomisée (2) et une méta-analyse (3), ont montré les avantages de la laparoscopie en ce qui concerne la diminution de la durée d’hospitalisation (3,5 jours ; p <0,01) et des complications postopératoires (15 versus 47 % ; p = 0,03), ce qui permet de proposer cette chirurgie à des patients âgés, qui bénéficient alors d’une chirurgie efficace et peu morbide (autant que la voie périnéale). Le taux de complications postopératoires varie dans la littérature de 1,4 à 47 % ; il s’agit surtout de complications mineures (4). A. D’Hoore et al. notaient une morbidité de 7 %, avec notamment des infections urinaires et * Service de chirurgie colorectale, pôle des maladies de l’appareil digestif (PMAD), hôpital Beaujon, Clichy. La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XV - n° 5 - septembre-octobre 2012 | 221 Points forts Mots-clés Prolapsus du rectum Rectocèle Rectopexie antérieure laparoscopique Qualité de vie Highlights »» Laparoscopic rectopexy is a safe and effective procedure with low morbidity and recurrence rates, inducing low postoperative constipation rate. »» Robotic surgery is more and more used but to date, none study is available to show benefit. »» There is no consensus comparing abdominal and perineal approaches for rectal prolapse. Abdominal surgery could be proposed leading to very low recurrence risk. Keywords Rectal prolapse Rectocele Laparoscopic ventral rectopexy Quality of life »» La rectopexie antérieure laparoscopique est une technique sûre et efficace, avec une morbidité faible, un taux de récidive bas (< 5 %) et un risque de constipation postopératoire peu élevé. »» La chirurgie robotique a une place grandissante mais aucune étude n’a à ce jour démontré son bénéfice. »» Il n’y a pas de consensus sur le choix entre la voie abdominale ou périnéale mais la voie abdominale doit être privilégiée car elle permet une diminution des récidives. des complications sur orifice de trocart (éventration et hématome) [1]. Dans notre expérience portant sur 33 patients opérés, il n’y a eu aucune complication peropératoire, et un seul patient (3 %) avait dû être converti en laparotomie du fait d’adhérences postopératoires (résultats non publiés). ➤➤ Le second avantage de cette technique concerne les résultats pour la récidive à long terme. Le taux rapporté dans la littérature varie entre 0 et 15 % (4). Dans l’étude de A. D’Hoore et al., ce taux était de 5 %, avec un recul médian de 5 ans (1). Dans notre expérience chez 33 patients opérés, avec un recul moyen de 3,5 ans, nous avons montré que le taux de récidive était de 6 %. Enfin, selon la Cochrane Library, il n’y a pas de différence entre la technique de rectopexie antérieure et la technique classique avec dissection plus large du rectum (5). ➤➤ Mais le principal atout de cette intervention réside dans le risque très faible d’induction ou d’aggravation de la constipation postopératoire. En effet, l’inconvénient majeur de la technique de rectopexie conventionnelle (type Orr-Loygue), qui consiste en une mobilisation complète et circonférentielle du rectum, est d’induire ou d’aggraver une constipation (risque de 30 à 50 %). La cause reste peu claire, mais il semble que le risque de constipation postopératoire soit essentiellement lié à la mobilisation complète du rectum, qui induit une dénervation complète (6). À l’inverse, la rectopexie antérieure réalise une dissection a minima du rectum, c’est-à-dire seulement de sa face antérieure jusqu’au plancher des muscles releveurs de l’anus en préservant les ligaments latéraux. Cette chirurgie limitée va donc permettre une amélioration de la continence anale chez près de la moitié des patients et, surtout, une amélioration postopératoire de la constipation dans plus de 80 % des cas et une constipation de novo dans moins de 15 % des cas (1, 6). En résumé, la rectopexie antérieure constitue une véritable avancée chirurgicale vers l’intervention idéale, à la fois facile sur le plan technique, réalisable par voie laparoscopique, sûre et efficace, avec un taux très bas de récidive (< 5 %) et un risque faible d’aggravation de la constipation et de constipation de novo. 222 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XV - n° 5 - septembre-octobre 2012 Place de la chirurgie robotisée Toujours en matière de technique chirurgicale, la chirurgie robotique occupe une place croissante, particulièrement en urologie. De la même façon, la chirurgie colorectale et, en particulier, la chirurgie des troubles de la statique pourrait bénéficier de l’aide du robot du fait de l’étroitesse de l’espace de travail (pelvis) et de la nécessité (même à l’heure de l’agrafage mécanique par des clips résorbables) de suturer la prothèse au rectum et au promontoire. Plusieurs études ont évalué l’approche robotique dans cette chirurgie (7). Tous les auteurs soulignent les avantages qu’offre le robot en termes de qualité optique et de vision en 3D sur à la laparoscopie. De plus, il faut souligner l’ergonomie des instruments et l’aisance avec laquelle les mouvements sont réalisés, ce qui conduit à une réduction significative de la courbe d’apprentissage en cas d’utilisation du robot par rapport à la laparoscopie. L’exemple principal est celui de la suture réalisée avec beaucoup de facilité à l’aide du robot, poussant certains chirurgiens à revenir aux sutures systématiques dans les rectopexies assistées par robot alors qu’ils avaient recours aux agrafes en laparoscopie. À l’inverse, le robot présente plusieurs faiblesses. Ainsi, on peut lui reprocher, pour le moment, le manque de sensation tactile et l’absence de retour de force ainsi que le coût très élevé de l’achat du matériel, mais aussi du matériel consommable pour chaque intervention, alors qu’aucune étude n’a pu démontrer actuellement un réel bénéfice en termes de résultats opératoires et de récidive à long terme. En pratique, il n’est pas encore admis que la chirurgie robotisée apporte un bénéfice en termes de résultats opératoires et de coûts, bien qu’elle constitue une avancée sur le plan purement technique. Prolapsus rectal et résultats factuels Plusieurs interventions ont été décrites dans la prise en charge chirurgicale du prolapus rectal extériorisé, qui peuvent schématiquement se diviser entre la voie abdominale (rectopexie) et la voie périnéale (intervention de Delorme ou d’Altemeier). DOSSIER THÉMATIQUE Malheureusement, il existe peu d’“avancées” dans la littérature, ce qui ne nous aide guère pour le choix de la stratégie thérapeutique. En effet, l’analyse de la littérature factuelle est plutôt décevante, car elle ne permet pas de conclure à la supériorité de l’une de ces 2 approches. La conclusion de la méta-analyse récente de la Cochrane (5) en est la preuve : “It is impossible to identify or refute clinically important differences between the alternative surgical operations.” Pourtant, une méta-analyse (4) concluait au bénéfice de la rectopexie abdominale comparée à la chirurgie périnéale en termes de récidive : 4 % (extrêmes : 0-6 %) versus 18 % (extrêmes : 4-38 %). Rectocèle et résultats factuels Il existe un grand nombre d’interventions chirurgicales proposées pour la cure de la rectocèle, qui se divisent entre chirurgie abdominale (rectopexie), périnéovaginale (intervention de Richter) et trans­ anale (intervention de Sullivan, STARR). Là encore, l’étude de la littérature ne permet pas de privilégier une technique par rapport à une autre. Ainsi, l’approche abdominale (rectopexie) a bénéficié de la rectopexie antérieure laparoscopique avec une technique facile, reproductible et des résultats très satisfaisants. L’approche périnéovaginale est développée par les gynécologues et consiste en une plicature de la paroi rectale par voie vaginale. L’approche transanale consiste en une plicature de la paroi rectale antérieure par voie endorectale. Il n’existe malheureusement aucune étude qui compare les 3 techniques. Cependant, une métaanalyse (8) a conclu à la supériorité de la voie abdominale, qui était associée à un risque moindre de récidive, de réinterventions et de dyspareunie par rapport aux techniques périnéovaginales. Pourtant, contrairement au traitement du prolapsus rectal extériorisé, il faut souligner qu’une nouvelle technique de chirurgie transanale (STARR) a relancé la voie transanale. Cette intervention consiste en une plicature de la face antérieure du rectum par voie transanale en effectuant un agrafage à l’aide des pinces agrafeuses circulaires. Une étude randomisée récente italienne a comparé, chez 100 patientes, les résultats opératoires et fonctionnels de l’agrafage circulaire en fonction de 2 types d’agrafage : STARR et TRANSTARR (9). Le taux de récidive à 3 ans était de 12 % (STARR) versus 0 % (TRANSTARR), sans différence significative en termes de morbidité. La continence anale était améliorée dans les 2 groupes sans différence significative. Il apparaît que la meilleure indication de cette technique est la rectocèle isolée sans élytrocèle qui entraîne une constipation terminale chez une patiente avec un périnée tonique sans trouble de la continence et sans autre prolapsus associé. Une chirurgie reconnue fonctionnelle ! Une avancée majeure réside dans la prise en compte du caractère “fonctionnel” de cette chirurgie et du fait que la stratégie chirurgicale ne se résume pas seulement au choix de la voie d’abord ou de la technique chirurgicale. Ceci se traduit concrètement par la mise en place de réunions multidisciplinaires (comme en cancérologie) de pelvipérinéologie regroupant des compétences médicales (gastro­ entérologues, proctologues, radiologues) et chirurgicales (chirurgiens colorectaux, gynécologues et urologues), et permettant de discuter de la meilleure stratégie chirurgicale, voire de proposer une chirurgie combinée. De plus, dans ce type de chirurgie, il n’existe pas de corrélation entre la sévérité des anomalies anatomiques et le vécu du patient. Ainsi, la correction des anomalies mises en évidence sur l’imagerie préopératoire (colpocystodéfécographie et/ou IRM dynamique) ne garantit pas l’assurance de bons résultats fonctionnels. L’évaluation et le recours à des scores validés sont donc indispensables pour rendre objective une plainte subjective. Plus encore, l’évaluation des résultats d’une technique chirurgicale ne sera pas seulement l’étude des résultats fonctionnels, mais devra inclure une étude de la qualité de vie, qui n’est pas toujours corrélée à la fonction digestive. En effet, des troubles anodins peuvent avoir un retentissement majeur sur la qualité de vie, et inversement. Si les résultats fonctionnels postopératoires ont été bien démontrés dans la littérature, seules 2 études (10, 11) ont évalué la qualité de vie après rectopexie avec simple suture rectale sans matériel prothétique. Aucune donnée n’est disponible sur la qualité de vie après rectopexie antérieure laparoscopique. Ainsi, une étude rétrospective a comparé la qualité de vie après rectopexie et sigmoïdectomie laparoscopique et rectopexie (10). Les auteurs ont montré une amélioration de la qualité de vie après rectopexie associée à la résection, mais le recul était très court (12 mois). La seconde étude (11) a comparé la qualité La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XV - n° 5 - septembre-octobre 2012 | 223 DOSSIER THÉMATIQUE Prolapsus rectal et rectocèle Traitement chirurgical du prolapsus rectal et de la rectocèle : ce qui a changé depuis 10 ans de vie entre rectopexie-sigmoïdectomie (n = 18) et chirurgie périnéale type Altemeier (résection rectosigmoïdienne). Les auteurs concluaient à la supériorité de l’approche périnéale, mais seuls 11 patients ont été évalués. Dans notre centre, nous avons analysé les résultats fonctionnels et la qualité de vie chez 30 patients opérés d’une rectopexie antérieure laparoscopique pour prolapsus rectal extériorisé et/ou rectocèle (publication en cours). Avec un recul moyen de 3,5 ans, nous avons montré que la constipation était améliorée dans 72 % des cas et qu’une constipation de novo était notée dans 7 % des cas, avec une amélioration significative de la continence chez tous les patients. De plus, par rapport à l’état préopératoire, il existait une amélioration significative et durable du score de qualité de vie (score GIQLI). En résumé, le recours systématique aux questionnaires d’évaluation postopératoire de la qualité de vie devrait aider et améliorer la prise en charge chirurgicale des troubles de la statique pelvienne. Conclusion La prise en charge des troubles de la statique pelvienne doit se faire au sein de réunions multidisciplinaires de pelvipérinéologie regroupant tous les acteurs médicaux et chirurgicaux. Les données factuelles concernant le choix de la technique chirurgicale font défaut et ne permettent pas actuellement de définir des standards. Cependant, la rectopexie antérieure laparoscopique s’impose parmi la communauté chirurgicale comme l’intervention idéale, que ce soit pour le prolapsus rectal extériorisé ou la rectocèle. En effet, c’est une intervention facile et efficace, qui combine une faible morbidité postopératoire à un taux de récidive bas, et entraîne peu de séquelles fonctionnelles digestives, notamment en termes de constipation.■ Références bibliographiques 1. D’Hoore A, Cadoni R, Penninckx F. Long-term outcome of laparoscopic ventral rectopexy for total rectal prolapse. Br J Surg 2004;91:1500-5. 2. Solomon MJ, Young CJ, Eyers AA, Roberts RA. Randomized clinical trial of laparosocpic versus open abdominal rectopexy for rectal prolapse. Br J Surg 2002;89:35-9. 3. Purkayastha S, Tekkis P, Athanasiou T et al. A comparison of open vs laparoscopic abdominal rectopexy for full-thickness rectal prolapse: A meta-analysis. Dis Colon Rectum 2005;48:1930-40. 4. Samaranayake CB, Luo C, Plank AW, Merrie AEH, Plank LD, Bissett IP. Systematic review on ventral rectopexy for rectal prolapse and intussusception. Colorectal Dis 2010;12:504-14. 5. Tou SBS, Malik AI, Nelson RL. Surgery for complete rectal prolapse in adults. Cochrane Database Syst Rev 2008;4:CD001758. 6. Madiba TE, Baig MK, Wexner SD. Surgical management of rectal prolapse. Arch Surg 2005;140:63-73. 7. Heemskerk J, De Hoog D, van Gemert W et al. Robotassisted vs conventional laparoscopic rectopexy for rectal prolapse: a comparative study of costs and time. Int J Colorectal Dis 2009;24:1201-6. 8. Mahler C, Baessler K, Glazener CM et al. Surgical manage- 224 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XV - n° 5 - septembre-octobre 2012 ment of pelvic organ prolapse in women. Cochrane Database Syst Rev 2004;18:CD004014. 9. Boccasanta P, Venturi M, Roviaro G. What is the benefit of a new stapler device in the surgical treatment of obstructed defecation? Three-year outcomes from a randomized controlled trial. Dis Colon Rectum 2011;54:77-84. 10. Sezai D, Demirbas S, Akin L, Kurt Y, Ogun I, Celenk T. The impact of laparoscopic resection rectopexy in patients with total rectal prolapse. Mil Med 2005;170:743-7. 11. Kim M, Reibetanz J, Boenicke L, Germer CT, Jayne D, Isbert C. Quality of life after laparoscopic resection rectopexy. Int J Colorectal Dis 2012;27(4):489-95.