Dieu et la souffrance de l'homme Père Grégoire Cieutat - Homélie du 5ème Dim. Temps Ord. 2012 - année B Voilà un homme dont la Parole de Dieu met la vie par écrit pour nous parler de la souffrance humaine: Job. En une journée on vient lui apprendre successivement dans un premier temps la perte de tous ses biens matériels razziés par une bande de nomade, puis dans la même journée la mort de tous ses enfants réunis pour une fête et dont la maison où ils festoyaient s'écroula, les écrasant tous. Alors nous dit l'Ecriture Sainte: "Job se leva. Il déchira son manteau et se rasa la tête. Puis il se jeta à terre, adora et dit: "Sorti nu du ventre de ma mère, nu j'y retournerai. Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté: que le nom du Seigneur soit béni !". En tout cela, Job ne pêcha pas. Il n'imputa rien d'indigne à Dieu." Mais cela ne suffisait pas et voilà qu'une lèpre maligne frappa Job depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête. Son corps n'était plus qu'une plaie ouverte. Alors, ajoute l’Écriture Sainte: "Sa femme lui dit: "Vas-tu persister dans ton intégrité ? Maudis Dieu, et meurs !". Il lui dit: "Tu parles comme une folle. Nous acceptons le bonheur comme un don de Dieu. Et le malheur, pourquoi ne l'accepterions-nous pas aussi ?" En tout cela, Job ne pécha point par ses lèvres." Oh, Job n'a pas manqué de se lamenter et de crier sa souffrance insupportable à force de passer des nuits sans sommeil. Il va questionner Dieu sans jamais l'accuser même si ses meilleurs amis sous prétexte de venir le consoler, se mettent à vouloir défendre Dieu et finissent pas culpabiliser Job, le juger. Car enfin, qui est le responsable de la souffrance qui s'est abattu si durement sur cet homme ? Est-ce lui, est-ce Dieu, est-ce un ennemi invisible ? Car, disons-le d'un trait: la souffrance de l'innocent est une injustice à laquelle il faut trouver un coupable ! Or le livre de Job désigne d'emblée le Satan comme l'instigateur qui tire les ficelles de cette souffrance. Satan, donc, s'introduit dans la cour céleste, parmi les anges, pour accuser Job d'être un hypocrite. Et Dieu accepte le défi de Satan et l'épreuve que ce dernier souhaite pour Job: "Peau pour peau ! Tout ce qu'un homme possède, il le donne pour sa vie. Mais veuille étendre ta main, touche à ses os et à sa chair. Je parie qu'il te maudira en face." Cette explication est reprise différemment par le livre de la Sagesse qui affirme plus explicitement: "Oui, Dieu a créé l'homme pour l'incorruptibilité, il en a fait une image de sa propre nature; c'est par l'envie du diable que la mort est entrée dans le monde ils en font l'expérience, ceux qui lui appartiennent! En une phrase donc: Dieu est innocent du mal, Satan en est l'instigateur et l'homme l'applicateur. Car, comme le dit Fabrice Hadjadj, dans son livre "La foi des démons", tout mal qui se fait dans le monde porte une empreinte humaine. Même lorsque le mal frappe à travers des cataclysmes qui dépassent largement la taille humaine. Car l'homme en se rebellant contre Dieu a entraîné toute la création dans sa chute. Voilà l'explication que nous donne la Parole de Dieu révélée dans la Bible. J'y crois parce que je suis catholique et j'y crois d'autant plus que j'ai fait un jour l'expérience personnelle de l'amour inconditionnelle de ce Dieu dont nous parle la Bible. Ce Dieu innocent du mal dont parle si admirablement Jean-Miguel Garrigues. Oui, mais voilà, tout n'est pas dit, loin de là ! Car autant l'identité catholique n'est pas transmissible par héritage mais est le fruit d'une expérience de Dieu aux racines mêmes de mon existence d'homme, à la fois incommunicable et qui me met en communion plus ou moins intensément avec toute la création, autant la souffrance est une anti-expérience de Dieu incommunicable et qui m'isole plus ou moins intensément de toute la création. Pour le dire autrement, je ne peux jamais rejoindre complètement une personne dans sa souffrance ni ne sait par avance comment je réagirais si la souffrance me frappe. Ajoutons aussi que plus une personne a vécu une expérience intime et forte du Dieu vivant, créateur du Ciel et de la terre, et plus elle est susceptible d'expérimenter intensément la souffrance comme anti-expérience de Dieu, un isolement abyssal. Tout cela est illustrée par la vie de Jésus depuis son agonie au jardin des Oliviers jusque sa mort sur la croix. Il est celui qui a le plus communier avec Dieu son Père. En cela son expérience de Dieu est inégalable. Et il est à la fois celui qui a le plus expérimenté la souffrance comme anti-expérience de Dieu, du jardin de l'agonie où de son front s'est écoulée une sueur de sang, à la croix de son supplice où il a crié: "Eli Eli lama sabactani" "Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m'as-tu abandonné ?". C'est aussi cela la bonne nouvelle: depuis que Jésus a accepté, dans l'abandon total entre les mains de son Père, de descendre dans les abîmes les plus profonds de la souffrance humaine, plus aucun homme, plus aucune femme n'est vraiment seul dans sa propre souffrance. "Je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde", dit Jésus en envoyant ses apôtres répandre la Bonne Nouvelle. Ce toujours inclut aussi les jours de souffrance, de la mienne et celles de tous les hommes, de tous les temps. Ce mystère est grand, c'est la mystère de la foi qui se renouvelle à chaque eucharistie. Mystère de la souffrance inouïe et inégalable de Jésus qui s'actualise à chaque fois que le sacrifice de la messe est célébré. Cet autel n'est donc pas seulement la table d'un repas d'où nous communions au corps et au sang du Christ, il est aussi l'autel du Calvaire où s'actualise la mort de Jésus-Christ sur la croix et sa résurrection du séjour des morts. C'est pourquoi il est stipulé dans la présentation générale du Missel Romain, texte qui fait autorité dans toute l’Église catholique pour définir les normes de la liturgie: "sur l´autel ou à proximité, il y aura une croix, bien visible pour l ´assemblée, et portant l’effigie du Christ crucifié. Il convient que cette croix demeure près de l’autel même en dehors des célébrations liturgiques, pour rappeler aux fidèles la passion rédemptrice du Seigneur." Jésus se fait donc solidaire de chaque personne qui souffre en souffrant encore et encore sa propre passion à chaque fois que le sacrement de l'eucharistie est célébrée par le prêtre dans la foi de l’Église et selon les normes de la liturgie qu'elle définit. Cette solidarité que Jésus opère dans la liturgie est la solidarité la plus haute et la plus précieuse. C'est pourquoi nous rappelle notre évêque Alain Castet dans sa dernière lettre pastorale de Pentecôte 2011 citant Mgr. Dagens dans un rapport destiné à tous les évêques de France: "aujourd'hui, il est évident, pour la plupart des catholiques, que la vie, la communion et la mission de l’Église ont leur source dans la prière, dans la liturgie, dans la pratique sacramentelle." Puissions-nous donc aussi approfondir le sens de ce mystère de la foi en célébrant des liturgies toujours plus dignes et priante en respectant ce que l’Église nous demande pour qu'à travers notre obéissance de la foi Jésus se fasse toujours plus proche de chaque homme qui souffre. Amen.