Gélules de méthadone : une délégation permanente de prescription serait préférable

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Gélules de méthadone : une délégation
permanente de prescription
serait préférable
Stéphane Robinet*
Présentation du résultat de l’enquête menée auprès de quarante-trois pharmaciens
d’officine délivrant des gélules de méthadone au cours de la première semaine de février
2010. But : évaluer le niveau d’application du cadre de prescription et de délivrance.
Avec la question sous-jacente : le cadre actuel, concernant notamment le renouvellement de la délégation (semestriel ou annuel, en discussion) est-il pertinent du point de
vue du pharmacien d’officine et surtout, est-il applicable ? Résultat : l’enquête semble
plaider, au moins du point de vue des pharmaciens d’officine, en faveur de l’évolution du
cadre de prescription des gélules de méthadone, dans le sens d’une délégation permanente de la prescription spécialisée aux médecins de ville.
LE CONTEXTE ET LA MéTHODE
LES RéSULTATS
Lors de la réunion trimestrielle du 1er février
2010 et dans le cadre du Plan de gestion des
risques (PGR) accompagnant la mise sur le
marché des gélules de méthadone, il a été décidé entre les différents participants (Afssaps,
CRPV, CAPTV, CEIP de Marseille et les laboratoires Bouchara-Recordati) de procéder
à une enquête auprès de pharmaciens d’officine, délivrant des gélules de méthadone. Les
résultats de cette enquête ont alimenté les
discussions lors du processus de réévaluation
des conditions de prescription des gélules de
méthadone par les commissions en charge du
dossier (notamment commission d’AMM et
Commission nationale des stupéfiants et psychotropes) au premier semestre 2010.
En qualité de pharmacien d’officine, membre
de la Commission nationale des stupéfiants et
psychotropes (CNSP) et du groupe Traitements
de substitution aux opiacés (TSO) de la Commission nationale addiction, j’ai été sollicité par
le laboratoire Bouchara-Recordati pour élaborer un questionnaire. Le 2 février 2010, une
proposition de questionnaire a été adressée aux
services de l’Afssaps en charge du PGR. Dans
un premier temps, il a été adressé par mail aux
membres de Pharm’Addict, association de pharmaciens d’officine impliqués dans le domaine
des pathologies de l’addiction. Dans un second
temps, il a été administré, par les attachés scientifiques régionaux (ASR) du laboratoire Bouchara-Recordati, à d’autres pharmaciens, dans
le but d’élargir le panel. Quarante-trois pharmaciens d’officine ont donc rempli le questionnaire
dans la période du 2 au 9 février 2010.
Les 43 pharmaciens ayant répondu au questionnaire assurent la délivrance de méthadone
(sirop et gélule) à 832 patients, dont 314 reçoivent un traitement par gélule. Soit, près de
38 % de patients qui bénéficiaient d’une délivrance de gélule, (pourcentage supérieur à la
moyenne nationale de ± 23 %). Cet écart est lié
au fait que ce questionnaire a été adressé aux
pharmaciens qui délivrent des gélules de méthadone (et pour lesquels répondre au questionnaire présente un intérêt). Les pharmacies
ne délivrant que du sirop de méthadone ont,
en effet, été exclues de l’enquête.
Sur les 314 patients recevant un traitement
par gélule de méthadone, moins de la moitié
(46 %) ont une délégation ("population DEL")
émanant d’un médecin de service spécialisé
(Centres de soins spécialisés en toxicomanie/
Centres de soins d'accompagnement et de
prévention en addictologie ou service hospitalier) vers un médecin généraliste. Les autres,
la majorité, sont suivis directement par des
médecins de service spécialisé (PPM), donc
sans délégation de prescription puisqu’il s’agit
de primo-prescripteurs autorisés. Notons également que certains médecins de Centres de
soins spécialisés en toxicomanie/Centres de
soins d'accompagnement et de prévention en
addictologie (CSST/CSAPA) sont également
médecins généralistes et font des délégations
de prescription vers eux-mêmes. Ils ont alors
été comptabilisés dans le groupe DEL. Cela
confirme les observations déjà faites antérieurement dans le cadre du PGR : une grande majorité de patients sous gélules de méthadone
est directement suivie par des médecins des
services spécialisés. Une partie d’entre eux a
une délivrance en pharmacie d’officine (ceux
de cette enquête). Une autre partie se voit dé-
* Sociologue, CEMEA, réseau national "Jeunes en errance".
L'auteur déclare : aucun conflit d’intérêt avec la firme qui commercialise les gélules de méthadone (aucune rémunération).
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livrer les gélules de méthadone directement à
partir de la dotation du centre ou de l’hôpital.
Dans cette enquête, seuls 3 patients ont une
prescription hors-cadre, émanant d’un médecin généraliste et qui fait l’objet d’une délivrance.
Sur les 145 patients bénéficiant d’une délégation de prescription ("population DEL"),
devant en théorie faire l’objet d’un renouvellement semestriel, près des deux tiers (soit
94) ont une délégation qui remonte à plus de
6 mois. Malgré cela, la délivrance est toujours
effectuée. Pour le tiers restant (49 patients),
soit la délégation date de moins de 6 mois, soit
elle a fait l’objet d’un renouvellement. Pour 28
patients pour lesquels la délégation a été renouvelée, c’est à l’initiative du pharmacien, celui-ci ayant remarqué que la durée de validité
avait expiré. Cette nécessité d’intervention
a fait l’objet de nombreux commentaires qui
sont développés ci-après.
Pour la partie de l’enquête portant sur l’appréciation qu’ont les pharmaciens concernant le
cadre de prescription et de délivrance, nous
avons traité uniquement les réponses de ceux
qui ont des patients du groupe DEL : soit 27
pharmaciens, qu’ils aient ou non des patients
avec une délégation dont la durée de validité
a expiré (supérieure à 6 mois). À la question :
"L’application du renouvellement semestriel de
la délégation vous pose-t-elle un problème ?",
19 ont répondu par l’affirmative. Pour ceux
qui on répondu "oui" à cette question (ou qui
"ne savent pas" si cela leur pose problème), un
peu moins des trois quarts (soit14) ont déclaré
que "la délégation annuelle" n’améliorerait pas
les choses. Ils sont 17 à dire qu’une délégation
permanente améliorerait les choses (comme
pour le sirop) et seulement 3 à dire que celleci ne changerait rien.
DISCUSSION
Malgré un échantillon relativement peu important, les résultats de cette enquête confirment les informations recueillies auprès des
pharmaciens d’officine depuis la mise à disposition des gélules de méthadone par les
remontées d’informations recueillies dans le
cadre du PGR.
Les pharmaciens d’officine, ceux notamment
impliqués dans la délivrance de gélules de
méthadone prescrites par des médecins généralistes qui ont obtenu au préalable une
délégation de prescription d’un médecin de
service spécialisé, rencontrent des difficultés à
appliquer un cadre de prescription et de délivrance exigeant un renouvellement semestriel
de cette délégation.
La grande majorité d’entre eux souhaiterait
que la délégation de prescription soit permanente comme pour le sirop de méthadone.
Le fait que près de 2 patients sur 3 dans cette
Le Courrier des addictions (12) ­– n ° 3 – juillet-août-septembre 2010
VERBATIM
Les commentaires des pharmaciens donnent une bonne idée de leur état d’esprit concernant
les obligations du cadre actuel de prescription des gélules de méthadone. Pour des raisons de
concision, ceux qui soulignent l’aspect pratique des gélules pour les patients et leur satisfaction (5) n’ont pas été intégrés. Nous n’avons retenu que ceux qui ont un rapport direct avec le
cadre de prescription et de délivrance.
• Je pensais que le CSST devait s’occuper des renouvellements de délégation de prescription,
que cela concernait le médecin spécialiste et le généraliste. Le fait de devoir m’en préoccuper me
pose problème.
• Le réseau AREVO constitué de 4 médecins généralistes et d’un primo-prescripteur hospitalier et de pharmaciens d’officine se réunit régulièrement. Les délégations sont faites lors de ces
réunions. L’ensemble des intervenants n’est donc pas gêné par le cadre légal mis en place.
• Parmi les patients sous méthadone sirop, beaucoup sont stabilisés et pourraient bénéficier
d’un traitement par gélule. Le cadre de prescription et de délivrance actuel les en dissuade, tout
particulièrement le retour en CSST ou en service hospitalier obligatoire.
• Un patient sous gélule est suivi par un médecin de CSST, les 6 autres sont suivis par deux
généralistes ayant une vacation en CSST. L’application du renouvellement de délégation ne pose
pas de problème car les médecins "s’auto-délèguent" la prescription de gélule et font le renouvellement sur demande. Malgré cela, nous sommes très favorables au passage de la délégation
de semestrielle à permanente.
• Si la bioéquivalence entre la gélule et le sirop est confirmée, pourquoi faut-il que le cadre de
prescription et de délivrance soit différent ? Si c’est la même chose, mise à part la galénique, à
quoi cela sert-il de tout compliquer ?
• Ce cadre est ridicule ! C’est mettre des bâtons dans les roues des patients et des équipes soignantes. Prendre la décision d’arrêter une drogue dure pour passer à un traitement de substitution, ce n’est pas anodin, c’est déjà difficile. Si, en plus, on complique son parcours, il y a de fortes
chances que le patient ne le suive pas. Le sirop, c’est obsolète, la gélule est beaucoup mieux, car
elle ne contient pas de sucre… Le fait d’avoir une délégation permanente comme pour le sirop
améliorerait les choses pour les patients.
• Je ne suis pas concerné par cette histoire de délégation car mon officine est à côté du cabinet
du médecin généraliste qui a une vacation au CSST/CSAPA. Mais je ne comprends pas ce
cadre très contraignant qui crée pour le pharmacien des lourdeurs administratives. C’est encore
sur nous, en bout de chaîne, que repose la responsabilité du contrôle : la délégation annuelle
simplifierait tout.
• Ce n’est pas à nous de vérifier si la délégation est encore valable. Techniquement, vu notre
mode de classement des ordonnances des stupéfiants par mois et non par patient, c’est beaucoup trop compliqué à rechercher.
• Ce sont des patients bien stabilisés. Pourquoi leur en demander plus que ceux qui sont sous
sirop ?
• Nous ne nous étions pas préoccupés des délégations semestrielles. Nous faisons confiance
aux médecins. Cette vérification est trop compliquée pour nous et se surajoute aux autres
contraintes liées à la gestion des stupéfiants.
• Éviter de stigmatiser les patients surtout stabilisés et réinsérés. Les patients sous sirop suivis
en ville retournent au centre si nécessaire sans qu’il y ait d’obligation.
• La délégation ne doit pas empêcher un suivi régulier au centre.
• Oui pour une délégation permanente, pour le confort du patient, car c’est déjà compliqué
pour lui de retourner la première fois au CSST.
• Lorsque la délégation n’est plus valable, je repasse systématiquement les patients sous sirop.
Dans les CSST ou les deux médecins généralistes ont une vacation, il y a des commissions de
passage sous gélule tous les 15 jours. Si le médecin oublie de renouveler sa délégation, le patient
repasse donc sous sirop jusqu’à la prochaine commission. Beaucoup de médecins généralistes de
Toulouse freinent la prescription de gélules de méthadone, car ils ne veulent pas avoir à faire
aux médecins de centre. Il serait souhaitable que, dans certains cas, le pharmacien puisse "passer" des patients sous gélule, surtout lorsque la situation du patient le permet.
• Aucun renouvellement de délégation semestrielle. Le pharmacien ne peut pas penser à tout.
Ce sont des patients que l’on connaît pour la plupart, donc on n’est pas inquiet. Ce n’est pas notre
rôle de vérifier. Nous n’avons pas le temps. C’est au médecin de prendre ses responsabilités.
• Je suis favorable à une délégation pour 12 mois bien que je n’ai pas encore été concernée par
le renouvellement à 6 mois. Le retour en CSST mal vécu par les patients.
• Aucun renouvellement de délégation semestrielle. Pas le temps de gérer ça, trop compliqué
pour nous les pharmaciens.
Le Courrier des addictions (12) – n ° 3 – juillet-août-septembre 2010
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enquête aient une délégation de prescription
dont la durée de validité a expiré et que la délivrance se fasse malgré cela, tend à démonter
le caractère inapplicable du renouvellement
semestriel tel que l’exige le cadre actuel. De
facto, les pharmaciens continuent de délivrer
des gélules de méthadone à des patients dont
les délégations ne sont plus valables. Cela est
probablement lié à plusieurs facteurs, notamment le fait que presque tous ces patients font
l’objet d’un protocole de soins CPAM (ALD
non exonérante) qui incite les médecins généralistes qui ont contracté des protocoles
souvent pour 2 à 3 ans, à continuer la prescription. Et donc, le pharmacien à assurer la
délivrance.
Par ailleurs, le fait que les pharmaciens d’officine délivrent déjà du sirop de méthadone
avec des délégations permanentes, les incite à
faire de même avec les gélules de méthadone.
En effet, les gélules de méthadone étant commercialisées depuis un peu plus de 18 mois
au moment de l’enquête, la question du renouvellement annuel de la délégation se pose
naturellement. Les difficultés que soulève le
renouvellement semestriel se poseront de plus
en plus, avec la même acuité, pour un renouvellement annuel.
L’enquête semble donc plaider, au moins du
point de vue des pharmaciens d’officine, en
faveur de l’évolution du cadre de prescription
des gélules de méthadone, notamment vers
une délégation permanente de la prescription
spécialisée aux médecins de ville.
Cette évolution ne changerait pas le profil
des patients. Les gélules de méthadone seront
toujours accessibles aux seuls patients acceptant un passage dans une structure spécialisée
(hospitalière ou CSST/CSPA associatif) et relayés ensuite par le médecin traitant qui leur
prescrivait déjà du sirop. Elle ne toucherait
qu’une faible partie des patients, la plupart
étant directement suivie par des médecins
spécialisés (la notion de délégation n’étant pas
applicable pour ces médecins prescripteurs
autorisés). Elle n’engendrerait probablement
pas, de son seul fait, une augmentation du
nombre de patients traités par gélules de méthadone. Elle n’aurait donc que peu d’impact
sur le profil de sécurité et de mésusage potentiel des gélules de méthadone.
Elle simplifierait la tâche des pharmaciens
d’officine impliqués dans la délivrance des médicaments de substitution aux opiacés ainsi,
probablement, que celle des médecins de ville,
et plus encore celle des médecins qui doivent
renouveler (semestriellement ou éventuellement annuellement) les délégations de prescription. Enfin, la délégation permanente ‘régulariserait’ les quelques milliers de patients
(en extrapolant à partir des données de cette
enquête), suivis par des centaines de pharmaciens d’officine dont un renouvellement de la
délégation est difficile à mettre en œuvre. v
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