L’ Un train peut en cacher un autre... Le patient TRIBUNE

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TRIBUNE
Un train peut en cacher un autre...
Le patient “N of 1” en séquençage complet du génome
L’
article le plus important relatif au cancer de la prostate
publié en 2013 est pratiquement passé inaperçu dans
le monde des cliniciens : il s’agit de celui de M.C. Haffner,
publié au mois de novembre 2013 dans un journal peu lu des
cliniciens, The Journal of Clinical Investigation (1).
Que dit cet article ?
Un patient de 47 ans traité par prostatectomie radicale
est décédé 17 ans plus tard, à l’âge de 64 ans, de métastases
multiples pulmonaires, hépatiques, ganglionnaires après
avoir été traité lors de la rechute d’abord en tant que cancer
de la prostate métastatique hormonosensible, puis par
vaccinothérapie, chimiothérapie et hormonothérapie de
seconde ligne (acétate d’abiratérone) en traitements successifs une fois devenu hormonorésistant.
Une analyse génomique complète a été réalisée au niveau
de 3 des 7 sites métastatiques et sur la tumeur initiale, disponible puisque le patient avait été traité par chirurgie radicale,
ce qui en fait le premier cas mondial publié pouvant faire
état d’une telle analyse longitudinale (patient “N of 1” de la
littérature), c’est-à-dire disposant à la fois de l’analyse génomique des métastases et de la tumeur primitive. Les auteurs
ont ainsi pu “tracer” les anomalies génomiques létales et
remonter au clone initial, à l’origine de ce clone mortel
17 ans plus tard. Et c’est là que l’histoire devient renversante :
le clone qui a tué le patient est le grade 3 bien différencié
de la classification de Gleason (ce qui donne en pratique
courante le score de Gleason 6, 3+3 [2]) et non pas le cancer
de grade 4, indifférencié (score de Gleason 8 [4+4]).
De plus, cette tumeur originelle paraissait extrêmement
inoffensive sur la pièce de prostatectomie puisqu’elle a été
décrite en ces termes : “a small, well-differentiated Gleason
pattern 3 primary lesion….not coming from the prevalent
pattern 4 cancer”. Un ganglion ôté en même temps que la
prostatectomie était envahi, mais n’était pas relié non plus,
pas plus que le grade 4, au clone finalement létal.
Quels enseignements pouvons-nous
tirer de cet article ?
➤ En 2012 paraissait sous de grandes signatures, dans le
journal de référence Journal of Clinical Oncology (3), un
article intitulé Gleason score 6 adenocarcinoma: should it
be labeled as cancer? dans lequel A.W. Partin, J.I. Epstein,
E.A. Singer et al. interrogeaient sur un éventuel surtraitement
de ce type de tumeurs Gleason 6 et insistaient sur le côté
“indolent” de ces tumeurs. Ce côté indolent devrait-il être
remis en cause aujourd’hui ?
➤ Si, au contraire, nous admettons que les formes de bon
pronostic histologique, tel le Gleason 6, doivent être traitées,
cet article nous laisse tout de même dans le désarroi : en effet,
justement, ce patient a été traité puisqu’il a eu une prostatectomie radicale, certes occasionnée par le type 4 prédominant, mais néanmoins, la tumeur “Gleason 6 de petite taille”
a également été ôtée, ce qui n’a pas empêché sa résurgence.
➤ D’où venait cette résurgence ? a priori pas des ganglions,
puisque le ganglion enlevé n’était pas Gleason 6. De métastases
infracliniques déjà présentes lors de la prostatectomie radicale ? Les auteurs posent la question de savoir si un Gleason
bien différencié accompagné d’un Gleason plus indifférencié
est identique ou non à une tumeur Gleason 6 isolée... en
d’autres termes, si des interactions entre les différentes formes
histologiques ne sont pas possibles. Mais si on se fie au schéma
de la prostatectomie qui figure dans cet article, la tumeur
bien différenciée était largement à distance du reste de la
tumeur index. Comment justifier cette interaction dans l’état
actuel de nos connaissances ? Par des réactions immunitaires
locales ? Faut-il imaginer que la forme bien différenciée soit
moins “visible” pour le système immunologique (lymphocytes,
par exemple) qu’une forme indifférenciée et qu’elle bénéficie
plus facilement du “dont eat me signal” ?
➤ Cela nous amène à la question suivante qui n’est pas la
moins complexe : la forme Gleason 8 semble, dans ce cas,
avoir été guérie par la chirurgie, et ce, malgré la présence
d’un ganglion positif. N’y aurait-il, dans les formes de
mauvais pronostic, que 2 voies possibles, soit une évolution
rapide, visible cliniquement dans les 5 ou 10 ans qui suivent
le traitement initial, soit si la récidive n’est pas précoce, “obligatoirement” une guérison ?
➤ Les principales séries qui sont nos références dans le
cadre de traitements conservateurs ont à peine 10 ans de
recul (4-6). Est-ce trop tôt pour conclure dans les formes de
bon pronostic qui devraient bénéficier d’un recul plus important ? Quid des essais de phase III dans ces conditions, pour
les cancers dits de bon pronostic ?
➤ La génomique va bousculer nos valeurs, nous y sommes
prêts... Mais sommes-nous préparés à ce qu’elle les renverse ?
F. Pêne, A. Toledano
Centre de radiothérapie Hartmann, Levallois-Perret.
La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 6 - juin 2014 | 193
TRIBUNE
Un train peut en cacher un autre...
Le patient “N of 1” en séquençage complet du génome
F. Pêne, A. Toledano
Références bibliographiques (suite de la p. 193)
1. Haffner MC, Mosbruger T, Esopi DM et al. Tracking
the clonal origin of lethal prostate cancer. J Clin Invest
2013;123(11):4918-22.
3. Carter HB, Partin AW, Walsh PC et al. Gleason score 6
adenocarcinoma: should it be labeled as cancer? J Clin Oncol
2012;30(35):4294-6.
2. Srigley JR, Humphrey PA, Amin MB et al.; Members of
the Cancer Committee, College of American Pathologists.
Protocol for the examination of specimens from patients
with carcinoma of the prostate gland. Arch Pathol Lab Med
2009;133(10):1568-76.
4. Bolla M, van Tienhoven G, Warde P et al. External irradiation with or without long-term androgen suppression
for prostate cancer with high metastastic risk:10 years
result of an EORTC study. Lancet Oncol 2010;1(11):
1066-73.
5. Spratt DE, Pei X, Yamada J et al. Long-term survival and
toxicity in patients treated with high-dose intensity modulated therapy for localized prostate cancer. Int J Radiat Oncol
Biol Phys 2013;85(3):686-92.
6. Dearnaley DP, Jovic G, Syndikus I et al. Escalated-dose
versus control-dose conformal radiotherapy for prostate
cancer: long-term results from the MRC RT01 randomised
controlled trial. Lancet Oncol 2014;15(4):464-73.
La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 6 - juin 2014 | 233
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