espace multiegocentre proposition reru

publicité
L’espace multi-égocentré : définition géographique
d’une nouvelle dimension du plan
Résumé
Si, depuis E. Kant, on savait que l’espace devait être conçu comme subjectif et non objectif en
Sciences Humaines, les théories portant sur la dimension de la perception ou de la cognition
ont tardé à faire leur entrée en Science Géographique.
Il faudra ainsi attendre près de 200 ans avec K.Lynch dans les pays anglo saxons et A. Moles
en France pour que des approches prenant acte de ce postulat parviennent à émerger dans
notre discipline.
Avec C.Cauvin, en 1984, un nouveau pas est franchi et la Science de la cognition se dote
d’outils mathématiques pour poursuivre son évolution.
Faisant référence à ces différents travaux, cet article se propose de redéfinir le plan
géographique et cela en introduisant deux aspects complémentaires : l’asymétrie spatiale (ou
approche égocentrée) comme référence géographique et la non homogénéité des mesures
géographiques en fonction de la distance à l’individu. On parvient alors à établir une
expression donnant in fine une courbe cognitive 3D théorique des espaces. Cette dernière sert
de support pour des déformations cartographiques par position.
Mots clés : espace multi égocentré, cognition, déformation cartographique, asymétrie spatiale,
espace non euclidien
Abstract
If, since E. Kant, we knew that the space must be conceived as subjective and not objective in
Human sciences, the theories concerning the dimension of the perception or the cognition
delayed making their entry to Geographical Science.
It will so be necessary to wait about 200 years with K.Lynch in countries Anglo-Saxon and
A.Moles in France so that approaches noting this postulate succeed in emerging in our
discipline.
With C.Cauvin in 1984, a new step is crossed and the Science of the cognition is equipped
with mathematical tools to pursue its evolution.
Making reference to these various works, this article suggests redefining the geographical
plan and it by introducing two complementary aspects: the spatial asymmetry (or approach
individual) as geographical reference and the not homogeneity of the geographical measures
according to the distance to the individual. We succeed then in establishing an expression
giving in fine a theoretical 3D cognitive curve of spaces. The latter serves as support for
cartographic deformations by position.
Keywords : individuals space, cognition, cartographic deformation, space asymmetry, non
Euclidian space.
Introduction
La dimension spatiale est au cœur de l’analyse géographique et peut, à bien
des égards, être considérée comme la raison d’être de la discipline. D’abord considérée
comme purement objectif, l’espace géographique est aujourd’hui davantage envisagé comme
subjectif.
Allant dans ce sens, cet espace n’était plus, depuis les années 50, un simple plan, mais bien
une forme complexe, comme a pu l’introduire « la time geography » de T.Hagerstrand (1952).
De nombreux progrès ont ainsi été réalisés en envisageant notamment de substituer l’espace
par les temps de déplacement (Chapelon 1997, L’Hostis 2003, Thevenin, Chardonnel et
Cochey 2007). Sur un autre terrain, d’autres tentatives tout aussi récentes ont procédé à
l’introduction d’une nouvelle géométrie au cœur même de la métrique géographique (la
géométrie fractal, Batty, Longley 1986, Frankhauser 1994, 1997). Les résultats, tout à fait
probants, laissent à penser que l’espace géographique pourrait receler en lui-même une
nouvelle dimension. La cognition pourrait expliquer pour partie cette bonne opérabilité de la
géométrie fractale.
Bien avant ces études, C.Cauvin (1984) avait pu proposer des travaux tout à fait intéressants
sur cette question et a jeté les bases à la fois conceptuelles mais également techniques d’une
nouvelle dimension de l’espace géographique allant même jusqu'à procéder à des
déformations cartographiques.
Aussi, la question de l’espace cognitif parait tout à fait centrale dans l’analyse géographique.
Mais alors, comment envisager ce type d’espace ? Nous émettons l’idée que le processus de
construction urbaine et le fonctionnement des villes, tant sur le temps long que court, obéit à
des lois dont la géométrie n’est pas celle de l’espace physique. Ainsi, on observera que les
déplacements domicile-travail se fondent largement sur des effets cognitifs de type « tunnel.
En ce qui concerne le temps long, l’installation des urbains semble, comme l’observe
classiquement A.Moles (1972) et d’autres phénoménologues, répondre à des logiques la
encore non euclidiennes (un monde construit à l’image de nos perceptions).
En cela, la géométrie fractale employée pour décrire la forme urbaine pourrait être
l’expression de ces homothéties successives de l’espace-temps. Dans ces conditions, comment
appréhender correctement la dynamique spatiale dès lors que l’on reste sur des
fonctionnements basés sur la géométrie euclidienne ?
Mais concrètement, quel apport peut on espérer d’une définition mathématique des espaces
cognitifs ? La question se pose alors en termes de limite ou de frontière. Toute la nuance
entre l’approche physique classique et cet espace cognitif réside en une solution continue pour
des problèmes de rupture d’espaces intermédiaires. Quand on définit une rupture entre
l’urbain et le périurbain au niveau des densités de population, ne pourrait-on pas y voir une
expression d’un changement graduel des métriques de type cognitives qui serait sous-jacent
dans la fonction de densité. La justification théorique d’une telle affirmation proviendrait de
notre propension à ne pas percevoir de la même manière à la ville et la campagne. La densité
serait une des clés de cette différenciation.
Il semble, dès lors, que la transformation cognitive de l’espace physique se présente comme
un révélateur purement géographique des territoires, en quelque sorte une spécificité
disciplinaire.
La question est, de fait, de définir l’espace cognitif tant d’un point de vue conceptuel que plus
formel, en quoi est-il spécifique ? Un premier élément de réponse pourrait être l’asymétrie de
la mesure géographique, s’opposant par conséquent à une approche par coordonnées
cartésiennes classique dans certaines analyses économiques comme dans la géographie
contemporaine. Ensuite, cette nouvelle mesure spatiale pourrait par nature être non homogène
comme l’intuition de la mesure fractale des lieux géographiques nous le suggère. Une
définition mathématique de cet espace semble envisageable et même souhaitable en vue d’une
opérabilité au sein d’études plus globales. Il reste toutefois à en trouver les composantes,
l’analyse empirique partagée avec une approche plus théorique pourrait nous apporter ces
réponses.
La démarche qui sera ainsi suivie envisage de décomposer le propos en trois ensembles
distincts. Un premier dans lequel nous montrerons en quoi une approche asymétrique de la
dimension spatiale est elle préférable. Un second qui exposera à la fois conceptuellement
mais également empiriquement les bases de l’analyse cognitive des espaces. Cette recherche
débouchera alors sur une solution mathématique pour l’espace cognitif.
1. Pour une géographie de la centralité : l’asymétrie spatiale comme
référence géographique
Contrairement à l’image que nous avons du monde actuel, les premières cartographies du 2ième
siècle après JC offraient un visage bien déformé de la surface terrestre. La notion de
Géocentrisme était ainsi au cœur de la théorie astronomique mais également des états du
monde de Ptolémée et cela jusqu’au 15ième siècle. L’erreur métrique de la mesure de Ptolémée
était autant le fait d’une méconnaissance de la réalité des espaces lointains que de l’incapacité
à établir une mesure fiable des espaces. De fait, l’imaginaire avait alors pris le pas sur la vérité
scientifique. Mais comment expliquer la forme prise par cette théorie post antique si ce n’est
par l’intuition transcendantale de notre esthétique de l’espace1?
Aussi, parler aujourd’hui de centralité géographique, c’est aussi en partie explorer les
mécanismes qui ont conduit en son temps Ptolémée à produire le géocentrisme. L’esprit
humain à ainsi cette propension à explorer le lieu en fonction de lui-même, il n’est donc pas
étonnant que la plupart des grandes théories actuelles de l’Economie urbaine se fondent sur
cette notion de centralité géographique.
Dans ce paragraphe, nous aborderons les hypothèses spatiales de la théorie économique
urbaine puis nous proposerons de définir les fondements psychologiques de la notion
d’asymétrie spatiale. En quoi, toutes ces théories urbaines sont elles, en réalité, l’expression
du concept d’espace égocentré ?
Dans ces conditions, définir l’espace dans cette géographie de la centralité n’est plus tout fait
conforme aux habitudes cartésiennes des mathématiques ou de la physique de base. D’autres
voies, pourraient renvoyer ainsi à un espace qui ne serait que purement géographique :
l’espace multi-égocentré.
1.1.L’asymétrie spatiale en Economie urbaine
Il faut remonter à 1868 avec la théorie de Von Thünen, et ses enchères foncières, pour voir
apparaitre les premières approches centre-périphérie en Economie. Cette théorie reprise plus
tard par W.Alonso (1964) et développé par la suite entre autre par R.D.Muth (1969), consacre
1
En somme la conception inconsciente d’un espace subjectif
un cadre spécifiquement urbain. Il s’agit de l’approche naturelle de la Nouvelle Economie
Urbaine.
On a coutume d’y définir alors une ville comme un marché d’enchère foncière avec une partie
centrale (le CBD) et des périphéries concentriques.
Dans cette approche néoclassique, plus on s’éloigne du centre, plus les courbes d’enchère des
rentes s’affaissent jusqu’à tendre vers un minimum à l’infini de la ville.
Cette vision géographique de l’économie a pourtant paru incomplète voire à certains égards
partiellement inexacts avec l’apparition des premières théories de l’Economie géographique
au début des années 1980 (Ogawa, Fujita 1982). Largement inspirée par les évolutions des
villes américaines et en particulier de leurs périphéries (Edges Cities Cervero 1989, Garreau
1991), les économistes ont proposé des approches morphologiques2 basées non plus sur un
unique centre urbain (monocentrisme) mais sur plusieurs centres (polycentrisme) voire une
infinité de centres (multicentrisme).
La ville contemporaine serait alors d’avantage un ensemble plus ou moins cohérent
caractérisé par de multiples CBD, eux mêmes hiérarchisés entre eux. Dans ce lieu, la notion
d’espace intervient de manière cruciale et cela par des courbes d’enchères multipolaires.
On envisage alors un territoire agencé par de multiples centres concentriques se recoupant les
uns avec les autres.
Dans un manuel, C.Baumont (1993) nous donne quelques formes possibles pour exprimer les
morphologies de ces villes (dont ici la plus communément admise).
Di = ∑i M i e −α i X i [1]
Di densité de population au lieu i, Mi densité extrapolée au centre i, Xi distance radiale au
centre i, α, gradient de densité.
1.2. L’origine de ces centralités : la théorie égocentrée
L’idée principale défendue dans ce paragraphe est que toute forme urbaine est à l’image de
nos perceptions.
Or, contrairement à l’approche classique des Sciences Physiques ou des Mathématiques,
l’approche de l’espace des Sciences Humaines relève de l’homme. Elle devrait donc
considérer que la métrique du lieu serait relative à l’individu. Dans ce contexte, toute
perception du monde se trouve guidée par une vision centrée sur le « moi ».
Dans son ouvrage, Psychologie de l’espace, A. Moles (1972) propose de définir l’espace
comme « égocentré », c'est-à-dire centré sur le corps de l’individu.
A. Moles et E. Rohmer (1972) développent le concept de « coquilles de l’homme ».
L’individu développerait alors inconsciemment 9 « peaux » autour de lui. Les coquilles de
l’homme se trouveraient emboitées les unes dans les autres, allant de l’échelle micro (le geste)
à l’échelle macro (la géographie des territoires). L’ensemble du territoire ne pourrait pas être
affecté par des ruptures, ce qui suppose une continuité complète au niveau des représentations
mentales.
2
Par approche morphologique il faut entendre étude des densités de population
Figure 1. « Les Coquilles de l’homme »
Dans un article plus récent (1992), A. Moles expose la notion de proxémique3 comme « loi »
définissant nos comportements. Elle réside, selon l’auteur sur le postulat suivant :
Ce qui est proche nous parait plus important
Cette approche « individu centrée » est de plus en plus courante en Science Sociale et sert du
reste de cœur à l’analyse par système multi agents.
A une échelle macroscopique, il n’est pas absurde de raisonner selon les mêmes principes et
ainsi notre territoire serait une conséquence phénoménologique de notre cognition. Apprendre
à connaitre la manière dont fonctionne notre perception du monde, c’est donc aussi découvrir
comment s’agencent les grandes structures de nos villes et de nos campagnes.
S’il existe un territoire géographique individu centré, ou encore égocentré, comment en
définir mathématiquement les bases ?
1.3. Définition mathématique des centralités géographiques.
Commençons d’abord par la base de la définition de l’espace. On a coutume en Sciences
Physiques comme en Mathématiques, voire dans la plupart des Sciences Sociales de faire
encore reposer l’espace sur une définition par coordonnées cartésiennes. Il s’agit alors d’un
espace physique à deux ou trois coordonnées (x,y, z), ce qui permet d’identifier précisément
la position des objets géographiques en un point donné de l’espace.
Ce principe a ensuite été spécifiquement appliqué à la géographie avec les projections, ce qui,
pour de grande distance, contribue à ne plus considérer des espaces euclidiens mais d’autres
formes avec des repères n’offrant plus nécessairement la perpendicularité comme référence.
Néanmoins, sur de petites distances et à l’échelle d’un territoire d’étude (ville, département,
région), on ne décèle pas de déformation spatiale et par conséquent le repère peut être
considéré comme orthonormé comme défini dans le schéma suivant (fig. 2).
3
La proxémique vient du terme proxémie introduit par Hall 1963. La proxémie est la distance physique qui
s'établit entre des personnes prises dans une interaction
Figure 2. Système de coordonnées cartésiennes
En se référant aux paragraphes précédents, on peut ensuite réduire les coordonnées
cartésiennes à une unique coordonnée dite « radiale » à partir d’un point donné dans l’espace.
On aura donc une définition centrale de cet objet géographique sans toutefois que l’on puisse
en connaitre précisément la position géographique. On sait, en effet qu’il se situe à une
distance de z mètres ou kilomètres du point de référence, ce qui décrit un cercle de centre A
(point de référence) et de rayon z. On pourrait noter alors ce point ainsi :
M ( A( x A , y A ), z M )
[2]
Une des solutions pour repérer précisément le point M est de définir un angle α à partir de A
α
Figure 3. Système de coordonnées radiales
Mathématiquement, les opportunités de repérer un objet dans l’espace sont encore plus
importantes dès lors que l’on raisonne non plus sur un unique point de référence A.
On peut ainsi introduire A, B et C afin de cerner le point M. Rappelons à ce titre qu’il s’agit
ici de la seule voie (sans introduire d’angleα) pour que M soit connu. Deux points A et B,
nous permettent de définir deux lieux potentiels pour M (les deux intersections des deux
cercles de centre A et B et de rayon zA et zB.). Le troisième cercle distingue les deux
positions et permet de placer M précisément comme le montre la figure 4.
Figure 4 . Systèmes à 3 coordonnées radiales.
Mathématiquement, on définira le point M comme suit :
A( x A , y A )
M ( z AM , z BM , z CM ) avec B( x B , y B ) [3]
C ( xC , y C )
L’asymétrie spatiale peut donc être considérée comme une solution pour signifier l’espace.
Même si cette approche reste souvent encore marginale en géographie, elle est aujourd’hui
relativement courante en Economie urbaine. Le fondement théorique « individu centré » tend
toutefois à émerger dans notre discipline et ce depuis l’introduction des automates cellulaires,
il reste à exploiter ce potentiel pour des approches plus formelles de nature mathématique.
Nous avons établi ici une proposition pour représenter l’espace selon cette approche. La
nature même des références de coordonnées change alors. Aller plus loin dans cette voie, c’est
à présent comprendre comment les distances se comportent au regard d’une définition plus
conventionnelle de l’espace et sur ce point un apport conceptuel est nécessaire.
2. Conceptualiser et expérimenter l’espace cognitif
Depuis le milieu des années 70, il est clairement montré que l’espace est un acteur
en tant que tel dans les dynamiques du peuplement. Il intervient sous la forme de ce que l’on
qualifie d’espace cognitif. Mais comment alors doit-on l’envisager ? Est-il semblable à
l’espace physique ? En existe-t-il des variantes selon les individus ? Nous proposons de
commencer cet exposé par des définitions, puis de cerner plus en avant, à l’aide d’une
enquête.
2.1 Approche conceptuelle de la notion d’espace cognitif
L’espace cognitif apparait principalement dans les études de psychologie et de géographie à
partir des années 70 avec les travaux de J.Pailhous (1970). Ce dernier auteur démontre que
l’action semble sous tendue par une image mentale du lieu. Cette période voit le jour de
théories psychologiques centrées sur le sujet et plus particulièrement de théorie sur l’image
mentale.
Toutefois, pour bien comprendre ces écrits, il faut remonter à 1960 avec K.Lynch. Ce dernier
note alors que « l’image de l’espace est produite à la fois par les sensations immédiates, par le
souvenir de l’expérience passée ». L’acte de perception comprend donc une dimension
inconsciente.
Plus récemment, on a observé deux visions sensiblement différentes sur le sujet :
- Pour Z.W.Pylyshin (1981), il n’existe pas de carte mentale mais des représentations
verbales conceptuelles et prépositionnelles. Cette approche est aujourd’hui plus ou
moins remise en question.
- Pour S.M.Kosselyn (1981), en revanche, « La représentation mentale serait comme
une image, c'est-à-dire bidimensionnelle, continue, analogique, dans ce cas les
configurations cognitive seraient bien comme des cartes » « La perception de l’espace
est donc essentiellement une appréhension visuelle, l’exemple de représentation
internes de l’espace sous forme de carte est conditionnées par la vision ».
L’espace cognitif est donc bien réel, s’impose sur une cartographie spécifique.
Selon C.Cauvin (1984), il existe trois types d’espace : l’espace physique ou chorotaxique,
l’espace fonctionnel et enfin l’espace cognitif.
2.1.1. L’espace physique ou chorotaxique
E.Vurpillot (1971) le définit comme « le lieu des actions et des déplacements des êtres
vivants ». Cet espace est « l’absolu » de Poincaré et P.Forer (1978) observe que les attributs
sont « statistiques, indépendants des objets qui s’y trouvent et non reliés aux processus qui le
traversent ». Pour L.S.Liben (1981), c’est « une espace conçu dans un cadre qui existe
indépendamment de ce qu’il contient ».
Pour C.Cauvin (1984), l’espace physique se définit sommairement comme « l’espace concret,
celui que l’on peut toujours mesurer d’une manière identique, quel que soit le lieu ou le
moment ».
L’auteur reprend par la suite par une définition plus précise de l’espace physique : « L’espace
chorotaxique est l’espace étendue qui contient l’homme et l’entoure, déterminé par les lieux et
les arrangements entre les lieux avec des attributs spécifiques mesurables universellement
(mais reconnu en fonction de motivations particulières…Il peut être représenté sur le plan
sous la forme d’une carte de localisation ».
2.1.2. Espace fonctionnel
Cet espace peut par exemple être la distance-temps ou l’espace coût.
J.C.Muller (1982) opte pour la définition générale suivante « espace dans lesquels l’homme
vit ».
L.S.Liben (1981) considère que « ce sont des espaces relatifs où l’espace change si la position
des objets ou l’observateur change ». D.Wood (1978) parle même de « cartographie de la
réalité »
C.Cauvin le définit au final comme il suit : « Les espaces fonctionnels sont des espaces
dérivés de l’espace chorotaxique, modifié par les caractéristiques possibles retenues pour les
lieux et les liens entre les lieux. Ce sont les espaces où peuvent s’effectuer les mouvements, le
déplacement en fonction d’un but donné. Ils peuvent être matérialisés par une carte de la
réalité aux déformations plus ou moins marquées, irrégulières mais mesurables ».
2.1.3. L’espace cognitif
Pour définir l’espace cognitif, C.Cauvin propose de partir de l’espace sensoriel. A. Bailly
(1977) note alors que « L’individu se trouve placé dans un univers matériel qu’il perçoit à
travers tous les sens ». On définit alors l’espace perçu
D.C.D.Pocock (1978) note que « La perception est une étape intermédiaire dans le processus
hiérarchique de la conscience sensorielle entre la sensation qui est la réponse initiale non
organisée à un stimulus, et la cognition qui représente une conscience générale, un résumé de
tous les stimuli précédents, aucun d’eux n’ayant besoin d’être réellement présents ».
C.Cauvin propose une définition synthétique de cet espace perçu :
« Il est donc l’espace fonctionnel avec lequel on a eu une expérience sensorielle directe, à un
moment donné, espace auquel on a prêté attention et dont on a gardé certaines caractéristiques
en mémoire. ».
Il faut donc bien faire attention et ne pas confondre cet espace avec l’espace cognitif a
proprement parlé. Ce dernier est « l’espace fonctionnel, reconnu par le sujet, même s’il n’a
pas « vécu » cet espace, à l’aide des informations perçues ou des croyances émises en
l’absence de cet espace, et des informations obtenues par des éléments non directement en
relation avec cet espace. Il donne en nous ce que l’on appelle une représentation cognitive de
l’espace ».
Mais pour aller plus loin encore, C.Levy Leboyer (1980) note que cette représentation
mentale est « à la fois une abstraction et une synthèse réalisée à partir des expériences vécues,
des perceptions répétées et des déplacements dans l’environnement ». « Toute représentation
cognitive de l’environnement est déterminée… par quatre besoins fondamentaux et communs
à tous : reconnaitre, prédire, évaluer et agir (Kaplan, in Levy Leboyer 1980).
2.1.4. Eléments de différenciation des espaces cognitifs
On observera trois types de facteurs pour différencier ces espaces :
1/ les facteurs liés à l’individu :
Il s’agit autant du contexte familial, de l’enfance donc de l’individu en tant que tel, de l’âge,
du sexe et du statut social matrimonial. On ajoutera à cela le contexte socio-éco-politique
ainsi que les caractéristiques personnelles. P.Burnett (1978) observait ainsi que les distances
intra urbaines étaient surestimées chez les individus aux revenus les plus faibles. S.Coren et
C.Porac (1976) note, quant à eux, qu’il existe un lien élevé entre distance cognitive et
influence politique avec un R² de 0.95.
2/ Les facteurs environnementaux
On observe que la forme des objets influe sur la manière dont on se les représente. Ainsi, une
route tortueuse sera largement surestimée de même que la taille d’une grande ville.
3/ Enfin, il reste les facteurs liés à l’action, la manière de pratiquer l’espace.
Si d’un point de vue théorique, on voit bien, à présent, comment définir nos différents termes
et en cerner les contours, qu’en est-il dès lors que l’on cherche concrètement à en comprendre
les principes. Sur ce point, l’enquête semble la voie la plus raisonnable pour poursuivre
l’investigation.
2.2.Définir l’espace cognitif : une démarche empirique
Il est difficile a priori de fixer les règles strictes pour notre espace cognitif. Aussi, on ne peut
qu’émettre des suppositions d’un point de vue théorique. L’enquête, conduite d’une manière
scientifique permet d’approcher les principes et les grandes logiques présidents au cognitif.
2.2.1. Grands principes de l’enquête et premier traitement
2.2.1.1.Base de l’enquête
Commençons d’abord par aborder la composition de l’échantillon. Il s’agit de 37 individus
appartenant toutes au même service du Conseil General du Val de Marne. Le service SCESR
(Service de Coordination, d’Exploitation et de Sécurité Routière) comprend trois
subdivisions : Parcival, Etude, Technique et Coordination et enfin Sécurité Routière.
L’échantillon est plus ou moins homogène avec des différences au niveau de la catégorie des
personnels (A, B ou C). Il est supposé que la plupart des agents ont une connaissance correcte
à très bonne de l’ensemble du département de part leur métier (régulation des feux tricolores
ou études portant sur les routes). Cette activité se manifeste par de fréquents déplacements sur
l’ensemble du territoire.
L’enquête est réalisée sur la base du volontariat en différée par rapport à la demande.
Il est demandé aux enquêtés de réaliser une « cartographie du Val de Marne à main levée » à
partir d’une liste de lieux et de grands axes de circulation dans le département du Val de
Marne.
La figure suivante reproduit la feuille adressée à chaque agent du service.
Cette enquête est strictement anonyme et ne débouche en aucune façon sur des résultats
personnels.
Représentation du Département du Val de Marne
Pouvez-vous, sans vous aider d’un atlas ou d’une carte, sur une feuille vierge de type A4,
indiquer votre lieu de domicile, votre ancienneté dans le service en années ainsi que
représenter les éléments suivants :
Axes routiers et ferrées:
RER A, B et C
RD4, RD86, RD19, RD7, RD5, RN6, A86, A6A, A6B, A6, A86, A4
Les lieux suivants
- Centre commercial Belle Epine
- Pointe du Lac de Créteil
- Immeuble Pyramide Créteil
- Périgny sur Yerres Centre-ville
- Porte D’Ivry
- Carrefour Rouget de Lisle
- Gare Cachan
- Gare Ardoines
- Porte d’Orléans
- Eglise de Créteil
- Hôpital Henri Mondor
- Pont de Charenton
- Ivry Centre Commercial
- Aéroport Orly
- Pont de Bry sur Marne
- Carrefour Fourchette de Bry
- Pont de Nogent sur Marne
- Carrefour des Canadiens
- Carrefour Pompadour
- La Queue en Brie (Centre-ville)
- Mandres les Roses (Centre-ville)
- Villeneuve Saint Georges (pont de…)
Figure 5. Enquête distribuée à l’ensemble des agents du service.
Figure 6. Localisation réelle de l’ensemble des éléments à placer sur la carte
Le choix des noms de lieux et des grands axes de circulation n’est pas aléatoire. Pour les axes,
nous avons pris les plus grands axes structurants du département afin que l’enquêté ne soit pas
troublé par une feuille vide pour placer les noms de lieux. Il s’agit donc plus d’un cadre. Deux
type d’axes ont été retenus : les grandes Départementales (RN et RD inférieures à 10) et enfin
les lignes de RER.
Pour les noms de lieux, Le choix s’est porté sur des stations remarquables pour le RER
intervenant dans des études du service, et pour les routes, soit sur des grandes infrastructures
connues de tous (Orly) ou les carrefours cruciaux pour le service (Ex le Pont de Charenton ou
le Pont de Nogent).
Enfin, il reste le problème de la taille de la feuille, l’option préconisée est A4, mais nous
aurions pu tout aussi bien opter pour du A3. L’important était que les agents réalisent des
cartes sur le même format afin de pouvoir comparer par la suite les distances.
Une petite note précise que dans le cas où l’agent ne saurait pas positionner un lieu alors il ne
l’indiquera pas sur la carte afin d’éviter les mesures aberrantes.
2.2.1.2. Première exploitation des résultats
Les différentes cartes produites sont analysées individuellement. Elles sont scannées et
intégrées dans un système d’information géographique. L’image n’est pas calée afin de
disposer d’un repère propre à l’image (donc non terrestre).
On repère ensuite l’ensemble des points en créant une couche « déformation ».
La macro distance de mapinfo permet ensuite de calculer l’ensemble des distances métriques
à vol d’oiseau de point à point. On obtient donc une matrice carrée sous la forme d’une liste
avec des identifiants propres pour chaque distance.
L’ensemble est ensuite exporté sous Excel pour traitement ou transformés en shp pour la
réalisation de cartes mentales avec le logiciel Darcy 2.0.
2.2.2. Les cartes de Darcy : Principal enseignement des différenciations internes de
l’échantillon
L’approche individuelle met en lumière des « lois » générales en matière de différenciations
interpersonnelles.
La première d’entre elle est sans doute l’enracinement ou encore ce que A. Moles (1972)
définissait comme « loi d’appropriation ». L’espace est d’autant mieux perçu qu’il est occupé
dans le temps par l’individu. L’absence efface progressivement cette connaissance.
C’est sans doute le principal enseignement de nos cartographies. Nous présentons ici deux
cartes réalisées par le logiciel Darcy, l’une pour un agent dont la connaissance du département
et récente (moins de 6 mois) et une autre pour un personnel qui y réside et y travaille depuis
20 ans.
1
2
Figure 7. Deux images mentales du département du Val de Marne (à gauche agent récent
dans le service, à droite agent ancien dans le service)
Dans le cas n°1, la déformation porte sur la quasi-totalité de l’espace de référence avec une
exagération des espaces proches du lieu de travail et d’emploi. L’ensemble est contracté et
laisse apparaitre un écrasement sur la partie centrale du département. La partie est quant à elle
est largement sous-estimée.
Cas n°2 : L’agent concerné est présent dans le Val de Marne depuis de nombreuses années et
dispose à ce titre d’une connaissance bonne à très bonne des métriques de l’espace. La
représentation du département correspond approximativement à la forme réelle pour les ¾ de
l’espace. Toutefois, on remarque, y compris pour cet individu, l’existence de « zones
d’ombre ». Les portes de Paris sont ainsi moins bien évaluées et surtout les zones
périphériques moins urbaines du Sud Est.
2.3. Choix d’une métrique : comparaison de a distance chorotaxique et de la distance
cognitif
La thèse d’Etat de C.Cauvin (1984) a bien montré l’existence d’une forte corrélation entre
espace chorotaxique et cognitif. Si au niveau de l’individu, la corrélation entre les deux types
d’espace est faible (0.481), il en est tout autrement à un niveau agrégé (0.986).
L’auteur, dans ce même volume, propose de comparer l’ajustement d’une série de fonctions
pour appréhender le lien entre la distance chorotaxique et la distance cognitive.
Y = aX + b R² = 0.986
logY = a logX + logb
R² = 0.969
logY = aX + logb R² = 0.958
Y = a logX + b R² = 0.921
R² = 0.989
Y = aX² + bX + C
Tableau 1. Fonctions testées par C.Cauvin (1984)
Notre objectif, au regard des enquêtes réalisées au sein du Département du Val de Marne,
consiste à revérifier la cohérence de ces fonctions mais également les confronter avec une
autre fonction que nous définirons par la suite dans notre étude.
Y = a 1 − bX
[4]
Pour ce faire, nous avons procédé de la manière suivante :
1) acquisition des données de distances cognitives (vol d’oiseau) au regard des distance
(vol doiseau) chorotaxique.
2) Fusion de l’ensemble des données individuelles de distance
3) calcul de moyennes de distance par pas de 1 km de distance physique.
(
)
On observe alors une bonne corrélation à la fois au niveau des individus 0.88 en moyenne
mais le meilleur résultat est donné au niveau agrégé. Ici, ont été testées la plupart des
fonctions de C.Cauvin, auxquelles nous avons ajouté notre modèle [4]
Distance cognitive (en m)
2ième Meilleur
ajustement :
Y = a* (1 – b^X)
Ln Y = a*ln X + ln b
R² = 0.9447
Meilleur ajustement
Distance chorotaxique (en km)
Figure 8. Comparaison des ajustements de fonctions entre l’espace chorotaxique et l’espace
cognitif
Sur l’ensemble des fonctions envisagées, c’est bien le modèle bi-logarithmique qui semble
l’emporter. Nous noterons néanmoins que l’ajustement, au regard de la distance en
exponentiel bX , est très voisin ( à 0.0016 près) donc les deux fonctions peuvent être a priori
retenues. Nous faisons le choix de la fonction en bX. La suite de notre travail explicitera plus
en détail les éléments qui ont présidés à ce choix.
•
De la distance cognitive à la distance égocentrée
On a pu montrer que la distance chorotaxique s’ajustait à partir de deux fonctions :
1) Ln Y = a*lnX + ln b soit Y = b*Xa
2) Y = a*(1-bX)
Du point de vue de la définition purement mathématique, en positionnant des points A et B
avec respectivement XA et XB les abscisses et YA et YB les ordonnées, cela revient à dire que :
( X − X A )2 + (YB − YA )2 
Y = a1 − b B



(
Y = b (XB − X A )
2
+ (YB − YA )
)
2 1/ a
Le raisonnement présenté porte sur l’ensemble des distances mais il est clair que la cognition
est le fait de l’individu. Aussi, dès lors qu’on l’envisage, il faut donc se reporter à une
référence spatiale qui n’est pas le centre du repère géographique (arbitraire) mais bien le
« moi » de l’individu (faisant ainsi référence à notre premier chapitre). Tout se produit comme
si pour notre distance donnée, l’un des points était fixé.
En fixant par exemple le point A comme centre de repère, on obtient une géométrie de la
« centralité » ou « individu centrée », cela conduit à supprimer la coordonnée de l’expression.
(
)
1/ a
X 2 + Y2
Y = a1 − b B B  ou Y = b X B2 + YB2


Mathématiquement, nous en avons l’expression, mais comment alors justifier plus
précisément cette approche spécifique de la cognition.
L’apport conceptuel est d’un grand secours dès lors que l’on cherche à fouiller une notion
floue comme l’espace cognitif. Il en ressort une partition avec trois grandes transformations
du plan pour définir cet espace : espace chorotaxique, espace fonctionnel et enfin espace
cognitif.
Mais au delà de cette démarche, il convenait d’approcher plus en avant « la loi » cognitive
liant notre espace à un espace physique classique. Sur ce point, nous apportons ici quelques
réponses mais qui se doivent d’être doublée d’une vision plus théorique que la seule démarche
empirique présentée ici.
3. Définition théorique de l’espace cognitif : un espace multi-égocentré
Par espace, il faut entendre au moins deux dimensions, comme nous l’avons
suggéré en première partie. Cette définition ne fonctionne toutefois que pour un espace
euclidien. Que se produit-il alors si l’on introduit des dimensions autres que celles que l’on a
coutume de pratiquer en dans le repère orthonormé ?
C’est l’interrogation principale de cette partie. Comment établir une relation ou des relations
pour mesurer l’espace cognitif à partir du plan géographique euclidien ? Trois étapes sont
alors nécessaires pour parvenir à un résultat formel théorique satisfaisant.
La première consiste à définir les tailles d’espace ou comment exprimer la métrique de la
cognition. La seconde propose de fusionner toutes les métriques afin d’avoir une idée de la
notion de distance cognitive. Enfin, la dernière étape envisage l’espace cognitif comme
synthèse des dimensions de la cognition.
A l’issue de cet exposé, il reste à visualiser la nature de ce nouvel espace cognitif. C’est
l’objet du système de transfert de coordonnées cartésiennes selon les logiques de l’espace
cognitif.
Quel(s) résultat(s) cartographique(s) peut-on alors en tirer ?
3.1. Quantifier la taille des espaces
Sur des petites distances, la vision contribue dans une certaine mesure à donner la taille des
espaces4 et cela est directement mesurable. Plus on s’éloigne de l’individu, plus les distances
sont grandes pour une représentation équivalente dans l’esprit. On en déduit que la taille des
espaces diminue donc avec la distance au corps.
4
On définira par taille d’espace la valeur métrique dans l’esprit de l’unité de distance kilométrique physique ou
chorotaxique.
Figure 9. La contraction des distances physiques dans le cerveau, cliché Ile de la Réunion
cirque de Mafate
Si cette hypothèse est valide pour les distances les plus courtes, qu’en est-il dès lors que l’on
s’éloigne encore de l’individu et que l’on sort de son champ de perception visuelle ?
Sur ce point nous reprendrons les théories de A. Moles et E.Rhomer (1972) et cela pour
envisager la question de la centralité géographique. Toute mesure de l’espace cognitif doit
partir d’une référence à un point unique : « le moi » de l’individu.
La loi énoncée en première partie est alors valide5.
V.Schwarch (1993) met un nom à cela en qualifiant alors de « loi d’airain » ou de
proxémique, une loi de la philosophie de la centralité, où chaque individu est le centre du
monde. La formulation qui en découle est la suivante : « L’importance de toute chose diminue
avec sa distance au point ici ».
Pour cette loi, A. Moles propose même une formalisation de type Y = 1/X avec Y taille de
l’espace et X distance physique à l’individu.
Plus généralement, il est tout à fait envisageable et même préférable6 de proposer pour cette
même fonction une logique exponentielle négative de type :
L(x ) =
Lr x
[5]
Avec L(x) taille d’un espace ou métrique du mètre physique, L le mètre physique, r un facteur
de réduction et x distance physique à l’individu.
Cette « loi » peut être assimilée à la loi d’airain, elle sous tend toute la démarche pour
l’obtention des expressions de l’espace cognitif.
5
Ce qui est proche nous parait plus important.
Notons à ce titre que le choix d’une fonction hyperbolique conduit à une taille d’espace infinie au niveau de
l’individu. Cela n’est pas possible car notre surestimation des distances les plus courtes est par nature limitée.
Aussi, le choix préférentiel pourrait se porter sur une fonction exponentielle négative disposant des mêmes
caractéristiques de décroissance sans avoir les inconvénients théoriques des distances proches de l’individu.
6
3.2. De la métrique cognitive à la distance cognitive
La loi d’airain signifie l’expression de la métrique des espaces. Pour obtenir la distance
cognitive, il convient de réaliser une opération mathématique.
La différence entre taille d’espace (loi d’airain) et distance cognitive tient alors à un
processus d’agrégation.
La distance cognitive se réalise par la somme des tailles d’espace entre l’individu et l’infini
des distances à l’individu.
Pour comprendre, il convient d’expliquer que dans un espace physique, toutes les unités
d’espace sont équivalentes en tout lieu du plan. La distance représente donc la somme de
l’ensemble des unités physiques (1mètre + 1 mètre + … = Distance)
En admettant à présent que l’espace ne soit plus physique, mais cognitif, le territoire devient
par nature non euclidien ; les tailles d’espace diffèrent en fonction de la distance au corps du
sujet.
Reprenons notre expression [5], la distance cognitive X(x) est donc la somme de ces tailles
d’espace7 soit :
X (x ) =
∫
x
0
x
Lr dx
En résolvant, on obtient :
X (x ) = −
(
L
1 − rx
Lnr
)
[6]
Où X(x) représente la distance cognitive à l’individu ou distance cognitive radiale, L est la
métrique physique dans le réel, r un paramètre de réduction et x la distance physique à
l’individu. Notons que cette expression [6] correspond en tout point à la fonction que nous
avions utilisée pour notre enquête8 ([4])
Cette fonction [6] est donc l’expression de la distance cognitive à l’individu dans l’hypothèse
d’un unique protagoniste. Mais qu’en est-il si l’on fait intervenir plusieurs sujets (plusieurs
centres).
3.3. Du territoire « individu centré » au territoire multi-égocentré : le territoire
envisagé par i individus
Dans l’hypothèse d’un seul individu, l’ensemble des espaces environnants est déformé selon
une fonction de type [6]. A présent, considérons l’existence de i individus. Quelle sera alors la
forme de l’espace cognitif 9.
L’idée de base consiste à supposer que l’espace cognitif repose sur une moyenne de
l’ensemble des tailles d’espace des individus, ce qui revient comme définition à une moyenne
de l’ensemble des distances cognitives des individus. De même qu’il existe des modèles
polycentriques de densité de population dans les villes, on peut envisager aussi l’existence de
logiques semblables pour les « représentations mentales » des espaces. Pour les tailles
d’espace cognitif, on obtient donc la fonction suivante (généralisation de [5] à i individus) :
7
L’intégrale d’une fonction est équivalente à la somme de cette fonction pour chaque valeur de x
Moyennant quelques paramètres à réduire
9
Différentions bien distance cognitive (distance radiale pour un individu) et espace cognitif (courbe 3D pour i
individus)
8
∑
N
L(xi ) =
i =0
Lr xi
[7]
i
Dans cette relation les valeurs L et r peuvent être relatives à l’individu ou non selon que l’on
considère une cognition moyennée des populations10. i représente le nombre d’individus ou
par extension le nombre de groupe d’individus (un quartier, une commune…).
Le graphique suivant nous donne l’image stylisée des tailles d’espace cognitif.
Espace cognitif i individus
Figure 10. Le territoire déformé par i individus11.
En poursuivant ce raisonnement, il est possible de représenter non plus les tailles d’espace
cognitif mais les espaces cognitifs à proprement parlé. Il suffit pour cela de moyenner
l’expression [6] en fonction de i individus soit :
N
L
∑i=0 − Lnr 1 − r xi
X ( xi ) =
[8]
i
Graphiquement, une géométrie multi-égocentrée cognitive correspond à cela :
(
10
)
On pourrait imaginer plus que de raisonner à l’échelle individuelle de considérer une cognition par un groupe
d’individus, par exemple une couche de la société, une catégorie sociale. Dans tout autre cas, il est possible
d’homogénéiser les facteurs L et r et de les concevoir comme des constantes absolue.
11
A noté que la métrique a été à chaque fois pondérée ici par un nombre d’individus présent en i.
Figure 11. Espace cognitif pour un territoire multi-égocentré.
A l’issue de ce paragraphe, nous parvenons à définir l’espace cognitif en le réduisant à une
géométrie multi égocentrée, ce qui revient à l’établir en le centrant sur i individus. Par nature,
dans ce type de géométrie, il existe autant de repères que d’individus et les distances xi sont
radiales.
L’expression [8] peut être représentée sous la forme d’une courbe 3D comme nous l’avons
observé dans la figure 11 mais il existe d’autres possibilités comme par exemple introduire
directement cette fonction [8] dans la représentation du plan. On obtient alors une
transformation cartographique de position multipolaire comme définie par C.Cauvin (2002).
3.4. Lien mathématique entre coordonnées cartésiennes et espace cognitif
L’enjeu de ce paragraphe est la recherche théorique de la transformation mathématique
permettant de passer d’un espace orthonormé à un espace cognitif. Cela revient à comprendre
la transformation géométrique associée.
3.4.1. Démonstration des formules analytiques de position : transformation pour un
point de l’espace physique
Pour commencer assimilons le repère Lambert à un repère cartésien classique ℜ. Dans ce
dernier, chaque point de l’espace dispose de coordonnées en x et en y. De fait les distances
euclidiennes s’expriment par la relation suivante : OM =
x2 + y2
On note A, le point central à partir duquel, on veut déformer la carte. O, l’origine du repère
Lambert, M un point de l’espace et M’ son image dans la transformation cartographique de
position. Les coordonnées cartésiennes dans le système Lambert sont respectivement xA, yA,
xO, yO, xM, yM et xM’, yM’.
Par définition
AM
x A xM
=
AM '
AM
et
x A xM '
y A yM
=
AM '
y A yM '
Figure 12. Transformation de coordonnées cartésiennes par le point A
On en déduit donc que
x A x M AM '
y A y M AM '
et y A y M ' =
AM
AM
On introduit alors le point O pour obtenir les coordonnées de l’image M’ soit
x A x M ' = x A O + Ox M '
y A y M ' = y A O + Oy M '
D’où
Ox M ' = x A x M ' + Ox A
Oy M ' = y A y M ' + Oy A
On en déduit alors que
x A x M AM '
xM ' =
+ xA
AM
y A y M AM '
yM ' =
+ yA
AM
Par définition, la distance transformée de AM est AM’ et cette dernière se calcule selon la
formule [6] de la première partie d’où
2
2
− L( x M − x A )1 − r ( xA − xM ) +( yA − yM ) 


x
= x
+
=
x A xM '
M'
A
ln r
yM '
=
yA
+
(x A
− L( y M
−
ln r
(x A
− xM )
2
+
y A )1 − r

− xM )
2
+
(y A
( xA
−
yM )
− xM )2 + ( yA −
(yA
−
2
yM )2
yM )
2


[9]
3.4.2. Passer de la déformation à un point à une représentation multi-égocentrée
La transformation est assez évidente au regard de [9] dans la mesure où l’on doit simplement
introduire une somme comme définie en [8]. On obtient :

1 − r ( xAi − xM )2 +( yAi − yM )2  
−
L
(
x
−
x
)
M
Ai
i = n1 


x M ' = ∑i =1  x Ai +

2
2
i
ln r ( x Ai − x M ) + ( y Ai − y M )



[10]
2
2
(
xAi
−
xM
)
+
(
yAi
−
yM
)



− L( y M − y Ai )1 − r
i = n1 


y M ' = ∑i =1  y Ai +

2
2
i
i * ln r ( x Ai − x M ) + ( y Ai − y M )



Les points Ai(xi,yi) sont les centres des déformations, r le paramètre de réduction, L la
métrique physique et M(xM, yM) le point à transformer.
3.4.3. Quelques exemples cartographiques
Pour le principe d’application, on utilisera un système d’information géographique pour
préparer une grille d’information puis les points de position. On retient alors les coordonnées
dans le système de projection (à l’échelle d’une région ou même de la France, le système est
assimilable à un repère cartésien).
L’ensemble est exporté dans Excel qui se charge alors de calculer les formules [10], on
obtient une matrice que l’on exporte dans le SIG et cela permet de cartographier la
déformation.
Dans le détail, chaque objet géographique est découpé en cellules dont on obtient les
coordonnées des centroides en X et Y.
Les cellules sont alors effacées et il ne reste que la base de données avec les coordonnées. Elle
est exportée sous Excel pour des traitements sur les transformations géométriques.
On obtient dans le SIG les résultats suivants.
1ier cas : déformation unipolaire de la France à partir de Paris
Figure 13. Déformation de la France selon un point de déformation (Paris).
L’ensemble de la France du sud apparaît aplatie de même que la Bretagne et le bout de la
Corse. Les différentes cartes indiquent la France pour chaque valeur de paramètre de
réduction r.
D’un point de vue quantitatif, plus la valeur de r est proche de 1, plus forte est la réduction.
Pour exemple, une valeur de 0.99997 donnera un visage de France en forme de sphère autour
de Paris.
Nous noterons également qu’il subsiste des artefacts caractérisés par deux lignes l’une
horizontale et l’autre verticale au concours des tangentes de la projection Lambert, ce qui est
normal.
2ième exemple : la déformation de Dijon à partir de 13 centres.
Une autre possibilité est d’introduire simultanément plusieurs déformations en plusieurs
points, ce qui revient à raisonner sur des coordonnées barycentriques et non plus un unique
couple pour un point M de l’espace. On donnera comme illustration cette cartographie du bâti
dijonnais.
Figure 14. Cartographie déformée du bâti dijonnais : 13 points de déformation
Dans cette carte nous avons également mis un poids différent en fonction des points de
déformation.
On décèle bien deux types d’espace : les zones extrudées, celles qui sont fréquentées par un
individu donné et les territoires contractés, qui eux, sont plus absents dans la pensée du sujet.
3ième exemple : la carte chiffonnée de l’Est de Dijon.
Figure 15. Carte chiffonnée de l’est de Dijon
Toujours selon le même procédé avec cette fois ci, 4 points de déformation, on retrouve une
vision de l’espace dijonnais perçu par un habitant particulier. Ce qui est plus gros est plus
important pour lui. A contrario, les espaces de marge sont noircis et très fins.
Conclusion
Au regard de définitions plus conventionnelles de l’espace, la dimension
géographique recèle des éléments qui lui sont spécifiques. Nous avions évoqué ces tentatives
récentes d’introduction des temps au sein de la métrique, innovation majeure pour redéfinir
les formes de l’espace géographique.
Dans une démarche qui n’est ici pas opposée à ces évolutions antérieures, nous avons cherché
à apporter des éléments relevant de la psychologie environnementale. Ainsi, la taille des
espaces, la distance cognitive et l’espace cognitif constituent un ensemble cohérent pour une
représentation différente du plan géographique. C.Cauvin (1984) avait été à l’origine de ce
type d’études et ces travaux ont du reste largement inspiré ce texte.
Dans une démarche associant le conceptuel, l’empirie avec une approche exploratoire des
perceptions des distances et le théorique pure, nous sommes parvenus à établir ce qui pourrait
peut être faire figure de « loi »12 ; « loi » portant sur les représentations du plan et ses
déformations basée sur ce que l’on pourrait qualifier de « géographie de la centralité » ou
asymétrie géographique mais encore la distorsion des distances en fonction du « moi » (de
l’individu).
Une généralisation de cette expression associée à un individu conduit à l’espace cognitif.
Au-delà d’une vision très théorique sous forme de formules, les expressions de l’espace
cognitif sont aussi une solution technique pour appréhender les déformations cartographiques
particulières de type position. Quelques exemples ont pu même être proposés ici.
Ainsi, l’apport mathématique de cet article pour la géographie de la perception est aussi une
voie pour des travaux appliqués et reproductibles.
Un des enjeux de ce type d’expression pourrait être ainsi de substituer les distances
euclidiennes physiques par cette nouvelle métrique. Peut être en tirerait-on des bénéfices pour
appréhender plus aisément les dynamiques et structures spatiales. Nous suggérons en
particulier d’appliquer ce type de fonction pour redéfinir les espaces de marges (villes,
périurbain) et cela afin d’éliminer les discontinuités spatiales.
Références
ALONSO W. (1964) Localisation and land use, Harvard University Press
BAILLY A. (1977) La perception de l’espace urbain les concepts, les méthodes d’études,
leur utilisation dans la recherche géographique, these de d’Etat, Paris Sorbonne, 4 tomes
BATTY M., LONGLEY P. (1986), « The fractal simulation of urban structure », Environment
and Planning A, 18, pp 1143-1179
BAUMONT C. (1993) Analyse des espaces urbains multicentriques : la localisation
résidentielle, LATEC, Bibliothèque d’analyse économique, Dijon
CANTER D. (1977) The psychology of place, The architectural Press, Ltd London 198 p
CAUVIN.C. (1984) « Espaces cognitifs et transformations cartographiques, les conditions de
comparaison des espaces cognitifs : de la carte aux configurations : l’exemple de l’espace
urbain strasbourgeois », Thèse de doctorat d’Etat sous la dir de H.Reymond
CAUVIN C., (2002) « Cognitive and cartographic representations : towards a comprehensive
approach », Cybergeo : European Journal of Geography, Cartographie, Imagerie, SIG,
document 206
CERVERO R. (1989) America’s Suburban Centre, Boston, Hunwin Hyman
CHAPELON L, (1997), Offre de transport et aménagement du territoire : évaluation spatiotemporelle des projets de modification de l'offre par modélisation multi-échelles des systèmes
de transport, thèse de doctorat en aménagement de l'espace et urbanisme, université François
Rabelais, Tours. 558 p.
COHEN R., WEATHERFORD D.L., BURD D. 1980, « Distance estimates of children as a
function of acquit and Reponses activities », Journal of experimental Child Psychology, n°30,
p. 464-472
COMTER D., TAGG S.K. 1975, « Distance estimation in cities », Environment and
Behaviour, n°7, 5980
12
Le qualificatif de « loi » reste ici largement en débat. Notre point de vue est que tous les éléments nous semble
ici réuni : définition conceptuelle de l’objet, démarche expérimentale et mise en évidence d’une relation
caractéristique, explication et support théorique pour étayer la relation, enfin test de l’expression sous forme de
déformation cartographique.
COREN S., PORAC C. (1976) « Distance makes the heart grow fonder : attributes and
metrics in cognitive macromaps », in Suedfeld Russel (ed) The Behavioral basis design Book
1, Pennsylvanny pp 81 -85 881 p
DOWNS R.M. 1970, « geography space perception », Progress in Human geography, Ed.
Arnold, vol. 2, p. 67-107
FRANKHAUSER P. (1994) Les fractalités des structures urbaines, Paris, Anthropos
FRANKHAUSER P. (1997) « L’approche fractale : un nouvel outil de réflexion dans
l’analyse spatiale des agglomérations urbaines », Population, n°4, pp. 1005-1040
FUJITA M., OGAWA H. (1982) « Multiple equilibria and structural transition of non
monocentric urban configurations », Regional Science and Urban Economics, vol 12, n°2, pp
161-196
GARREAU J. (1991) Edge City, New York, Doubleday
HAGERSTRAND, T. (1952). « The propogation of innovation waves. » Lund Studies in
Geography B: 4
L'HOSTIS A. (2003). « De l'Espace contracté à l'espace chiffonné : Apports de l'animation à
la cartographie en relief des distances-temps modifiées par les réseaux de transport rapides ».
Revue internationale de Géomatique, , 13, pp. 69-80
LIBEN L.S., PATTERSON A.H., NEWCOMBE N. (1981) Spatial Representation and
behavior across the lifespan, Theory and application, Academic Press, New York, 404 p
LYNCH K. (1960), L’image de la Cité, 1ière édition, trad. Venard MF Coll Aspects de
l’urbanisme Dunod 222 p
MOLES A. ROHMER E. (1972), Psychologie de l’espace, Tournai, Casterman
MOLES, A. (1992), « vers une psycho-géographie », In Bailly, A., Ferras, R. et Pumain, D.
Encyclopédie de la géographie. Paris : Economica, p. 177-205.
MULLER J.C. (1982) « Non Euclidean geographic space : mapping functional distance »,
Geo Analysis Vol 14, n°3, pp 189-203
PAILHOUS J.( 1970) « La représentation d’image spatiale et de règles de déplacement : une
étude sur l’espace urbain », le travail humain, Vol 34, n°2, pp 299-324
PIAGET J. INHELDER B, SZEMINSK A. 1960, The child’s conception of geometry, New
York
PIAGET J., INHELDER B. 1967, The child’s conception of space, New York, Norton 1967
POCOCK D.C.D., (1978), « The cognition of intra urban distances : a summary. » Scottish
geographical Magazine, pp. 31-35
PYLYSHIN Z.W. (1981) « The imagery debate: analogue media versus tacit knowledge »,
Psychological Review 88, n°1, pp 16-45
ROSSLYN S.M. (1981) « The medium and the message mental imagery: a theory »,
Psychological Review 88, n°46 60
SCHWARCH V. (1993) « Phénoménologie et proxémique, la methode d’Abraham Moles »,
Congrès Internationale de Sociologie Sorbonne, Publication Bulletin de micropsychologie
n°24
THEVENIN T., CHARDONNEL S., COCHEY E., (2007). Explorer les temporalités urbaines
de l'agglomération de Dijon. Espaces, Populations, Sociétés, (2-3) : 159-164.
TILLOUS M. (2009) Le voyageur au sein des espaces de mobilité : un individu face à une
machine ou un être socialisé en interaction avec un territoire ? Les déterminants de l’aisance
au cours du déplacement urbain, thèse de doctorat en géographie aménagement sous la
direction de Francis Beaucire, Paris I la Sorbonne
VURPILLOT E. (1971) « Introduction à l’étude du rôle des déterminants perceptifs dans
l’organisation spatiale », Cahiers de Psychologie Vol 14, n°4 pp 317-325
WHITE S. H., SIEGEL A.W. 1984, « Cognitive development in time and Space », in Rogoff
and Lave (ed) Every Day cognition Its development in Social Context Cambridge Mass.
Harvard University Press
WOOD D. (1978) « Introducing the cartography of reality », in Samuel Levy (ed),
Humanistic geography Maaroufa Press pp 206-219
Téléchargement