CAS CLINIQUE Mots-clés : Mucormycose rhino-orbito-cérébrale – Phycomycète – Amphotéricine B – Cellulite. Keywords: Rhino-orbito-cerebral mucormycosis – Phycomycetes – Amphotericin B – Cellulitis. Mucormycose rhino-orbitocérébrale : un diagnostic à évoquer devant une cellulite de la face chez le patient diabétique Mucormycosis rhino-orbito-cerebral: diagnosis suggested in cases of cellulitis of the face in diabetic patient H. Sbai*, A. El Bouazzaoui*, B. Boukatta*, N. Kanjaa* Observation Une patiente âgée de 18 ans, suivie pour un diabète de type 1, est admise au service de réanimation pour un tableau de cellulite faciale avec une décompensation acido-cétosique. À l’admission, la patiente est confuse, tachycarde à 115 bpm, polypnéïque à 25 cycles/mn et fébrile à 38,5 °C. L’examen ophtalmologique objective une exophtalmie inflammatoire, une cellulite orbitaire gauche, une ophtalmoplégie et une ischémie rétinienne diffuse avec une cécité de l’œil gauche. L’examen oto-rhino-laryngologique montre un placard érythémateux œdématié de la joue gauche, une nécrose des os propres du nez et une lyse de la paroi interne du sinus maxillaire et du palais (figure 1). Les 2 diagnostics évoqués devant ce tableau de cellulite de la face avec état septique grave sont la staphylococcie maligne de la face et la mucormycose. L’examen des fosses nasales révèle des lésions noirâtres au niveau de la muqueuse nasale et de la muqueuse du palais, justifiant la prescription urgente d’amphotéricine B, de ceftriaxone et de métronidazole par voie parentérale après la réalisation d’un prélèvement bactériologique et mycologique. Le reste du traitement consiste en une insulinothérapie en perfusion continue, une oxygénothérapie et un remplissage vasculaire. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) met en évidence une ethmoïdite et une sinusite maxillaires gauches, une thrombose du sinus caverneux gauche, une tuméfaction en hyposignal des téguments fronto-palpébraux gauches non rehaussée par le produit de contraste, des anomalies de signal aux niveaux temporal, * Service d’anesthésie-réanimation A4, CHU Hassan II, Fès, Maroc. occipital gauche et bifrontal, compatibles avec une ischémie d’origine veineuse. Un débridement avec ablation des tissus nécrosés est effectué. Trois jours plus tard, et après extension de la nécrose, la patiente doit subir une énucléation, une exentération du contenu orbitaire, une résection et un nettoyage du tissu nécrosé du palais, des os propres du nez et de la paroi interne du sinus maxillaire gauche. L’examen bactériologique de pus prélevé en peropératoire retrouve un Escherichia coli sensible à l’antibiothérapie prescrite et l’examen histologique de la pièce opératoire objective un infiltrat inflammatoire polymorphe renfermant des filaments mycéliens courts et épais, portant quelques spores colorées par l’acide périodique de Schiff, ayant un tropisme vasculaire et réalisant focalement des thromboses vasculaires (figure 2). Le diagnostic retenu est une mucormycose rhino-orbito-cérébrale. La patiente décède à J7 dans un tableau de choc septique et de défaillance multiviscérale. Discussion La mucormycose est une affection fongique aiguë, opportuniste et rapidement évolutive. Elle a été décrite pour la première fois en 1943 par J.E. Gregory. Elle est due à des mycoses de l’ordre des mucorales de la classe des phycomycètes. Les principaux genres responsables de l’infection humaine sont Rhizopus, Mucor et Absidia (1). La mucormycose atteint surtout les patients immunodéprimés, en particulier des diabétiques mal équilibrés dans 60 à 80 % des cas (2). L’acidose est un facteur favorisant l’infection. Elle diminue la liaison du fer à la transferrine et augmente ainsi le pool du fer libre nécessaire à la pullulation fongique. 14 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 331 - octobre-novembre-décembre 2012 CAS CLINIQUE Figure 1. Aspect clinique à l’arrivée. Figure 2. Filaments mycéliens (flèches). Plusieurs formes ont été décrites. La plus fréquente est l’atteinte rhino-orbito-cérébrale. Le tableau clinique n’est pas spécifique. Il comprend habituellement de la fièvre, des céphalées associées à une diminution de l’acuité visuelle, voire une cécité. Des paresthésies et des douleurs sinusiennes avec une rhinorrhée parfois noirâtre sont aussi rapportées. L’examen clinique retrouve un aspect noirâtre du palais et de la muqueuse nasale, un proptosis, une ophtalmoplégie et des ulcérations nasales et faciales. La contamination cérébrale a été décrite, elle se traduit par des signes de focalisation ou un syndrome méningé (2, 3). Le diagnostic d’une mucormycose rhino-orbito-cérébrale est difficile. Il s’appuie sur un faisceau de critères cliniques, bactériologiques et radiologiques dont l’association conforte la suspicion diagnostique. Tout tableau de cellulite de la face doit systématiquement faire évoquer 2 diagnostics : la staphylococcie maligne de la face et la mucormycose. L’atteinte des parties orbitaires et sinusiennes et la présence de lésions noirâtres au niveau des muqueuses est en faveur de la mucormycose, alors que l’extension des lésions vers l’aile du nez est en faveur de la staphylococcie. Dans l’attente des résultats bactériologiques et mycéliens, une thérapeutique probabiliste (antistaphylococcique ou amphotéricine B), orientée vers l’un des 2 diagnostics potentiels, est établie en urgence. La confirmation de la mucormycose repose sur l’examen histologique qui montre une réponse inflammatoire importante – le plus souvent à neutrophiles –, des invasions vasculaires des filaments mycéliens ramifiés avec thromboses, nécroses et hémorragies des tissus avoisinants (1, 3). Il est évident que si les prélèvements sont envoyés seulement en bactériologie, les filaments mycéliens ne seront pas vus, d’où un retard diagnostique préjudiciable au patient. L’imagerie n’est pas spécifique, elle permet de faire le bilan d’extension, de chercher les signes d’agressivité et les complications intracrâniennes. Le scanner cérébral montre une atteinte sinusienne isolée ou, plus fréquemment, une atteinte pansinusienne, une infiltration de la graisse intraorbitaire, des septa sinusiens, des parois de l’orbite et de la base du crâne aux muscles oculomoteurs épaissis et une exophtalmie. L’angio-IRM peut objectiver une thrombose du sinus caverneux, de la carotide interne ou de ses branches (4). Le traitement est médico-chirurgical. L’amphotéricine B i.v., malgré quelques résistances décrites, reste la molécule de référence. Le débridement chirurgical et les exérèses larges des tissus nécrosés, parfois répétées, sont primordiaux dans le traitement, car ils diminuent la charge fongique et favorisent la pénétration et l’action des antifongiques. La maîtrise des facteurs favorisants est fondamentale, notamment l’équilibre du diabète décompensé. Le pronostic reste réservé, avec une mortalité globale pouvant atteindre 60 % (2, 5). Dans notre cas, le retard de consultation de la patiente et la gravité initiale du tableau clinique expliquent l’évolution défavorable. ■ Références bibliographiques 1. Prabhu RM, Patel R. Mucormycosis and entomophtoramycosis: a review of the clinical manifestations, diagnosis and treatment. Clin Microbiol Infect 2004;10(suppl. 1):31-47. 2. Bhadada S, Bhansali A, Reddy KS, Bhat RV, Khandelwal N, Gupta AK. Rhino-orbital-cerebral mucormycosis in type 1 diabetes mellitus. Indian J Pediatr 2005;72:671-4. 3. Peter L, Krolak-Salmon P, Pignat JC, Dardel P, Vighetto A. Une mucormycose rhinocérébrale. Rev Neurol (Paris) 2005;161:214-7. 4. Mnif N, Hmaied E, Oueslati S et al. L’imagerie dans la mucormycose rhinocérébrale. J Radiol 2005;86:1017-20. 5. Spellberg B, Walsh TJ, Kontoyiannis DP, Edwards J Jr, Ibrahim AS. Recent advances in the management of mucormycosis: from bench to bedside. Clin Infect Dis 2009;48:1743-51. La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 331 - octobre-novembre-décembre 2012 | 15