S É R I E U R O D Y N A M I Q U E Troubles urinaires et syndromes extrapyramidaux ● B. Aranda* P O I N T S F O R T S P O I N T S F O R T S ■ Dans la maladie de Parkinson idiopathique, les patients souffrent essentiellement de mictions impérieuses, de pollakiurie et souvent d’incontinence en fin d’évolution. ■ Dans les autres syndromes extrapyramidaux, les troubles urinaires sont précoces et se présentent plus souvent comme un trouble de l’évacuation vésicale. ■ La gêne fonctionnelle peut devenir considérable quand la maladie s’aggrave, et a pour effet de réduire l’indépendance des patients. ■ L’hyperactivité vésicale et les symptômes qui en découlent sont directement dus à la carence en dopamine nigrostriée. ■ En conséquence, la L-dopa et les agonistes dopaminergiques améliorent les mictions impérieuses et la pollakiurie dues à l’hyperactivité vésicale. ■ L’hypoactivité vésicale semble être secondaire à un facteur pathogène neurogène périphérique. Dans l’AMS, elle s’intègre à la dysautonomie (atteinte du noyau d’Onuf). Dans la MPI, elle pourrait être la conséquence d’une neuropathie périphérique indépendante. ■ Le traitement des troubles urinaires des syndromes extrapyramidaux est difficile et doit faire intervenir une prise en charge globale orientée vers le confort du malade et de son entourage. L es troubles de la miction dans la maladie de Parkinson idiopathique (MPI) et les autres syndromes extrapyramidaux entraînent souvent, après quelques années d’évolution, une gêne importante dans la vie quotidienne des patients. Cette gêne s’accroît à mesure que les possibilités motrices s’altèrent. En fin d’évolution, les problèmes deviennent la plupart du temps très gênants pour le patient et son entourage, car ils aggravent la perte d’autonomie et occasion- nent un retentissement psychologique notable. Par ailleurs, ils s’intègrent dans un ensemble de troubles perturbant le confort et la vie sociale, et doivent donc être envisagés globalement et non simplement dans le cadre de la maladie neurologique. Nous aborderons notamment au cours de cette mise au point quelques sujets particuliers : la gravité des troubles vésicosphinctériens des syndromes extrapyramidaux avec dysautonomie, le rapport des troubles vésico-sphinctériens avec les fluctuations motrices de la maladie de Parkinson, leur différenciation vis-à-vis des troubles vésico-sphinctériens constatés chez les sujets âgés, au regard des troubles qu’ils peuvent présenter en rapport avec des pathologies fonctionnelles ou organiques, et, enfin, les modalités thérapeutiques ainsi que l’effet des traitements antiparkinsoniens sur le fonctionnement vésical. CLINIQUE Si dans certains cas les troubles de la miction peuvent apparaître au début de l’évolution d’une maladie de Parkinson, la survenue très précoce de troubles invalidants de la miction se présente d’emblée comme un argument pour une atrophie multisystématisée (AMS), où la dysautonomie peut précéder l’apparition des signes moteurs ou, en tous cas, les suivre au cours des deux premières années d’évolution (1, 2). Dans la maladie de Parkinson idiopathique (MPI), les mictions impérieuses avec pollakiurie sont les plus fréquemment constatées (3). Elles sont parfois associées à une dysurie légère qui peut, exceptionnellement, être isolée, laquelle s’accompagne rarement de rétention urinaire en dehors d’une pathologie intercurrente. L’incontinence urinaire par mictions impérieuses survient souvent plus tardivement dans l’évolution de la maladie. Chez la femme, une incontinence urinaire d’effort peut également être constatée, sans être forcément consécutive à la maladie elle-même mais plutôt aux désordres de la statique périnéale secondaires à l’accouchement. * 10, rue de la Montagne, Courbevoie. Service de médecine physique et rééducation, hôpital de Gonesse. Dans les syndromes extrapyramidaux avec dysautonomie, tels le syndrome de Shy-Drager (SSD), l’atrophie olivo-ponto-cérébelleuse (AOPC), la dégénérescence striatonigrique (DSN), les symptômes comportent beaucoup plus fréquemment une dysurie qui peut être associée à une rétention chronique génératrice d’incontinence par regorgement. Cette dysurie s’associe aussi à des mictions impérieuses et à une pollakiurie. Dans toutes ces La Lettre du Neurologue - n° 6 - vol. II - décembre 1998 311 S É R I E U R O situations, on peut observer une fluctuation des signes urinaires et, en particulier, de l’impériosité, parallèlement aux fluctuations motrices. Enfin, polyurie et pollakiurie nocturnes, signes d’autant plus fréquents que le sujet est âgé, peuvent majorer le handicap fonctionnel, quand le conjoint est obligé d’aider à uriner à plusieurs reprises un parkinsonien ne pouvant se débrouiller seul en raison d’une akinésie nocturne. D Y N A M I Q U E gique, qui diminue l’hyperactivité vésicale cliniquement et de façon expérimentale, quand elle est injectée avant et après réalisation d’une cystomanométrie (figure 1) (7). EXAMEN URODYNAMIQUE Les explorations nécessaires s’appuient essentiellement sur les examens urodynamiques. Une hyperréflexie du détrusor est le plus fréquemment rencontrée dans la maladie de Parkinson idiopathique (3, 4). On peut observer également, mais plus rarement, un détrusor normal ou hypoactif (capacité normale ou augmentée, sans contraction vésicale), un trouble de la sensation du besoin d’uriner. Dans les atrophies multisystématisées, les vessies hypoactives sont beaucoup plus fréquentes, et on observe parfois des vessies mixtes à la fois hypo- et hyperréflexives (1). Les pressions urétrales sont, en moyenne, légèrement plus basses chez les patients atteints d’atrophie multisystématisée que chez les patients parkinsoniens. Les examens urodynamiques devront être complétés, si nécessaire, par une échographie vésico-rénale et prostatique, éventuellement par une urographie intraveineuse pour dépister une pathologie mécanique intriquée au dysfonctionnement neurologique. Avant injection ÉLECTROPHYSIOLOGIE Certains auteurs rapportent un aspect de dénervation et de réinnervation du sphincter urétral et du sphincter anal, attribué à l’atteinte des neurones moteurs du noyau d’Onuf, qui semble plus fréquent chez les patients atteints d’atrophie multisystématisée que chez les patients parkinsoniens (1, 4). Ils en font un moyen de différencier la MPI des autres syndromes extrapyramidaux au début de la maladie. Toutefois, une atteinte neurogène périphérique des membres inférieurs et du périnée est assez fréquente chez des patients atteints de MPI (communication personnelle, congrès SIFUD, Annecy 1997), cette atteinte pouvant avoir un rôle dans l’hypoactivité vésicale. L’étude électrophysiologique du périnée devrait donc être étendue systématiquement aux membres inférieurs, et mérite d’être effectuée plus fréquemment dans le bilan des troubles vésico-sphinctériens des parkinsoniens. 20 min après injection Figure 1. Test urodynamique à l’apomorphine (0,3 ml en sous-cutané) chez un patient parkinsonien sevré de L-dopa. La capacité vésicale passe de 88 ml à 329 ml vingt minutes après l’injection et la première sensation de besoin passe de 42 ml à 131 ml ; le résidu post-mictionnel absent avant l’injection d’apomorphine devient ensuite important. INTERPRÉTATION DE L’HYPERACTIVITÉ VÉSICALE L’hyperactivité vésicale est directement liée à la carence en dopamine nigrostriée responsable des symptômes de la maladie. Les arguments pour lier ces deux phénomènes sont nombreux chez l’animal et chez l’homme : stimulations stéréotaxiques et enregistrement des contractions vésicales chez l’animal (5), effet du MPTP (1-méthyl-4-phényl-1,2,3,6-tétrahydropyridine) chez les marmousets, qui entraîne une perte sélective des neurones dopaminergiques et une hyperactivité vésicale (6), et, enfin et surtout, effet de l’apomorphine, agoniste dopaminer312 L’identification récente chez l’homme, dans la paroi vésicale, de récepteurs dopaminergiques D1 et D2 éclaire d’un jour nouveau cette interprétation, mais il ne s’agit, pour l’instant, que d’une étude anatomique par autoradiographie, qui ne précise pas le rôle de ces récepteurs sur la fonction vésicale (8). Un autre argument plaidant en faveur de la relation directe entre la carence en dopamine nigrostriée et l’hyperactivité vésicale est la survenue de mictions impérieuses, avec éventuellement incontinence, lors des phases OFF chez les patients fluctuants. Ces mictions impéLa Lettre du Neurologue - n° 6 - vol. II - décembre 1998 rieuses s’accompagnent souvent de dysurie, certains patients restant parfois un temps prolongé à essayer d’uriner sans résultat, la miction ne devenant possible qu’avec le déblocage spontané ou provoqué par l’apomorphine. L’effet favorable de l’apomorphine sur l’hyperactivité vésicale des parkinsoniens, alors qu’elle n’a pas d’effet sur les vessies hypoactives, apporte un argument supplémentaire pour présumer que la carence en dopamine n’est pas la seule cause des troubles urinaires de la MPI. Les phénomènes moteurs paroxystiques s’associent parfois à des sensations très gênantes de ténesme ano-rectal douloureux, qui peuvent être traitées par la toxine botulinique mais avec des résultats inconstants. Il s’agit alors de patients évolués, porteurs de complications multiples notamment motrices, difficiles à traiter. Il faut remarquer que la toxine botulinique, qui est utilisée chez les paraplégiques, n’a pas a priori d’indication dans la dysurie rencontrée lors de symptômes extrapyramidaux, puisque celle-ci n’est pas liée à une dyssynergie vésico-sphinctérienne striée. R. Gray et coll. (9) ont comparé les données urodynamiques de sujets âgés indemnes de maladie neurologique, de sujets atteints de la maladie de Parkinson, de sujets souffrant d’une maladie cérébro-vasculaire et de sujets déments. Ils ont constaté que la capacité vésicale était réduite chez les parkinsoniens hommes et femmes par comparaison à celle des patients indemnes de maladie neurologique, mais que la contractilité du détrusor était similaire dans les deux populations. L’étude des populations atteintes de maladie cérébro-vasculaire ou de démence ne montrait pas d’anomalie spécifique. R. Gray et coll. en ont conclu que les troubles du fonctionnement urinaire dans la maladie de Parkinson pourraient ne pas être directement liés à la maladie mais simplement à l’âge. non publiées), est efficace sur les vessies hyperactives (figure 2), et peut, assez facilement, être utilisé per os, mais les autres agonistes dopaminergiques sont également actifs. Les anticholinergiques, telle l’oxybutinine, sont efficaces dans l’hyperactivité mais ont des effets secondaires qui limiteront leur utilisation en raison de la constipation fréquente des parkinsoniens et de leur propension à entraîner des troubles des fonctions cognitives chez les sujets les plus âgés (hallucinations, troubles du comportement, confusion). La desmopressine (Minirin®), en surveillant l’apparition d’une éventuelle hyponatrémie, peut être très utile pour réduire ou supprimer la pollakiurie nocturne. De même, l’utilisation des formes de dopa à libération prolongée, en prise vespérale, peut parfois être efficace sur la pollakiurie nocturne, et aider, au moins, à préserver l’indépendance nocturne des patients pour accomplir leurs besoins. Avant injection Il est probable que la vérité se situe dans un terme médian avec, d’une part, une hyperactivité vésicale en rapport avec les lésions encéphaliques dans la maladie de Parkinson, et, d’autre part, des troubles liés à l’âge avec la possibilité d’une hypoactivité secondaire à une neuropathie périphérique, ainsi qu’à une diminution de la contractilité du détrusor, qui peut réduire l’efficacité vésicale et entraîner ainsi une vidange incomplète, à l’origine d’une incontinence, comme cela a été démontré par Resnick et Yalla (10). THÉRAPEUTIQUE La prise en charge des troubles urinaires dans la maladie de Parkinson et les syndromes extrapyramidaux est difficile. Au début, de simples mictions impérieuses peuvent être acceptées, si tant est qu’elles n’entraînent pas de gêne, ce d’autant que l’on connaît l’effet favorable de la L-dopa et des agonistes dopaminergiques sur l’hyperactivité du détrusor (7). Ces symptômes peuvent, en effet, complètement disparaître lors de la mise en route ou du renforcement du traitement. Parmi les agonistes dopaminergiques, le piribédil, utilisable par voie intraveineuse en test urodynamique (données personnelles La Lettre du Neurologue - n° 6 - vol. II - décembre 1998 26 min après injection Figure 2. Test au piribédil (3 mg en intraveineux) chez un patient parkinsonien sevré de L-dopa. La capacité vésicale passe de 215 ml à 259 ml vingt-six minutes après l’injection et la première sensation de besoin passe de 68 ml à 113 ml avec un léger accroissement du résidu post-mictionnel. 313 S É R I E U R O En cas de vessie hypoactive avec ou sans dysurie, le traitement est délicat, car les médicaments pouvant renforcer la contraction du détrusor sont difficiles à utiliser dans la maladie de Parkinson. Le betanechol chloride (Urecholine®-ATU) est, en principe, contre-indiqué, car il risque d’augmenter le tremblement ; de plus les anticholinestérasiques sont rarement efficaces. C’est dans le traitement d’un éventuel obstacle prostatique (médicalement par alpha-bloquants ou chirurgicalement) que la prise en charge de la dysurie est la plus efficace chez l’homme, alors que chez la femme il n’y a guère de solution thérapeutique une fois éliminée une sténose de l’urètre. Il faut également souligner la difficulté de la réalisation des autosondages chez ces patients âgés ayant une motricité réduite. Les hétérosondages par le conjoint sont également difficiles à mettre en œuvre. D Y N A M I Q U E 6. Albanese A., Jenner P., Marsden C.D., Stephenson J.D. Bladder hyperreflexia induced in marmosets by 1-methyl-4-phenyl-1,2,3,6-tetrahydropyridine. Neurosci Letters 1988 ; 87 : 46-50. 7. Aranda B., Cramer P. Effects of apomorphine and L-dopa on the parkinsonian bladder. Neurol Urodyn 1993 ; 12 : 203-9. 8. Escaf S., Cavallotti C., Ricci A. et coll. Dopamine D1 and D2 receptors in human ureter and urinary bladder : a radioligand binding and autoradiographic study. Brit J Urol 1994 ; 73 : 473-9. 9. Gray R., Stern G., Malone-Lee J. Lower urinary tract dysfunction in Parkinson’s disease : changes relate to age and not disease. Age and ageing. 1995 ; 24 : 499-50. 10. Resnick N.M., Yalla S.V. Detrusor hyperactivity with impaired contractile function. JAMA 1987 ; 257 : 3076-81. En ce qui concerne les autres syndromes extrapyramidaux, il n’y a pas de spécificité thérapeutique. La rétention urinaire y est toutefois plus fréquente, et il faut parfois se résoudre à la mise en place d’une sonde à demeure qui, si elle a des inconvénients, présente néammoins l’avantage de la simplicité. Le port d’étuis péniens en permanence, ou seulement la nuit, peut aussi être conseillé, à condition que l’on ait acquis la certitude d’une vidange vésicale complète. Il faut toutefois souligner le peu de complications urologiques rencontrées au cours de l’évolution de la maladie de Parkinson et des syndromes extrapyramidaux. La survenue d’infections urinaires récidivantes, en cas d’hypoactivité vésicale avec vidange incomplète, nécessite une prise en charge spécialisée avec contrôle soigneux du transit intestinal et de la flore intestinale, ainsi que la mise en place d’une antibiothérapie adaptée initialement sur l’antibiogramme urinaire, puis poursuivie de façon discontinue, en essayant d’améliorer le résidu post-mictionnel. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Stocchi F., Carbone A., Inghilleri M. et coll. Urodynamic and neurophysiological evaluation in Parkinson’s disease and multiple system atrophy. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1997 ; 62 : 507-11. 2. Bonnet A.M., Pichon J., Vidailhet M. et coll. Urinary disturbances in striatonigral degeneration and Parkinson’s disease. Clinical and urodynamic aspects. Mov Disord 1997 ; 12, 4 : 509-13. 3. Aranda B. Les troubles vésico-sphinctériens de la maladie de Parkinson. Rev Neurol (Paris) 1993 ; 149 : 476-80. 4. Eardley I., Quinn N.P., Fowler C.J. et coll. The value of urethral sphincter electromyography in the differential diagnosis of parkinsonism. Brit J Urol 1989 ; 64 : 360-2. 5. Yoshimura N., Sasa M., Yoshida O., Takaori S. Dopamine D1 receptor-mediated inhibition of micturition reflex by central dopamine from the substantia nigra. Neurol Urodyn 1992 ; 11 : 535-45. 314 La Lettre du Neurologue - n° 6 - vol. II - décembre 1998