La mission du secteur bancaire peut se définir en trois points :

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Document de travail de
l’IIEDH N° 17
Série : « Economie et droits humains »
L’économie politique des
services financiers
P. Meyer-Bisch, D. Vetterli
Avec la collaboration de Dorrit Novel
Février 2010
Il ne suffit pas de « rappeler des valeurs », il convient de les tracer, comme on
trace des chemins de responsabilité dans les dédales de la complexité
économique, sociale, culturelle et politique.
DT 17. Série éthique économique
L’économie politique des services et produits financiers
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Ce document de travail est le résultat d’une table ronde qui s’est tenue le 19 mai 2009 à l’Université de Fribourg dans le cadre du
séminaire de l’unité de master « éthique et économie politique » sur la multidimensionnalité des biens ; le fil conducteur était le traçage
des valeurs relatives au bien commun, comprises dans chaque bien ou service. Ont participé à la table ronde : Dominique Biedermann,
Directeur d’Ethos et chargé de cours en gouvernance d’entreprise et développement durable ; Paul Dembinski, professeur en éthique des affaires et
Directeur de l’Observatoire de la finance ; Robert de Guigné, Banque Lombard Odier ; Sergio Rossi, professeur en macroéconomie et politique
monétaire ; Patrice Meyer-Bisch, maître d’enseignement et de recherche en éthique économique.
Le document préparatoire a été composé par Dorrit Novel, économiste, David Vetterli, assistant en éthique économique et Patrice Meyer-Bisch. Il a
ensuite été corrigé et modifié grâce aux différents échanges, notamment lors d’entretiens avec Robert de Guigné ainsi qu’avec Anne Maillard et
Michel Gauthier de la Banque Cantonale de Fribourg.
Les opinions ici exprimées n’engagent que leurs auteurs qui adressent leurs remerciements à tous les partenaires et recevront volontiers de nouvelles
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DT
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L’économie politique des services et produits financiers
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Un objectif : cartographier les enjeux éthiques ................................................................................................................... 4
1. La valeur de la monnaie, véhicule de la ressource sociale ................................................................................................ 5
1.1. A pile ou face : où est passée la face de la monnaie ? ............................................................................................. 5
1.2. Monnaie, libertés économiques et droits de l'homme ............................................................................................... 7
2. Les missions / métiers du secteur bancaire ..................................................................................................................... 10
2.1. Les missions .......................................................................................................................................................... 10
2.2. Les risques et le droit à une information adéquate ................................................................................................. 10
3. Méthodes ........................................................................................................................................................................ 11
3.1. Carte des parties prenantes d’un acteur bancaire .................................................................................................. 11
3.2. Cartes des parties prenantes d’une chaîne de valeurs ........................................................................................... 13
4. Répertorier les risques, analysés en termes de droits humains ....................................................................................... 15
4.1. Sécurité des personnes et des systèmes ............................................................................................................... 15
4.2. Identification des risques et des responsabilités sur les cartes de PP .................................................................... 16
5. Concilier valeurs objectives et liberté des acteurs : l’hypothèse démocratique ................................................................ 17
L’économie politique d’un service et d’un produit signifie ici l’analyse en éthique politique de la multidimensionnalité des
biens et services qui sont en jeu dans l’activité économique concernée. L’économie politique des produits financiers est
particulièrement importante, non seulement à cause de la crise actuelle, mais parce que la monnaie est par essence
multidimensionnelle : sa valeur, indivisiblement éthique et économique – écoéthique – est sa fonction d’intermédiation
entre les hommes, leur travail et leurs ressources.
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L’économie politique des services et produits financiers
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Un objectif : cartographier les enjeux éthiques
Il ne suffit pas de « rappeler des valeurs », il convient de les tracer, comme on trace des chemins de responsabilité dans les dédales de
la complexité économique, sociale, culturelle et politique. Les valeurs fondamentales, au fondement des libertés et droits fondamentaux
reconnus en droit international, ne sont pas que des principes moraux, ce sont aussi des principes rationnels et des normes de
fonctionnement qui structurent, ou devraient structurer, l’activité économique dans les sociétés démocratiques.
C’est pourquoi une analyse éthique d’un circuit économique – ici les produits financiers – est à même d’utiliser les droits humains pour
tracer les responsabilités à travers le jeu complexe des relations entre acteurs qui participent au circuit économique considéré.
La monnaie sous ses différentes formes, des plus simples aux plus sophistiquées, est le véhicule de la « ressource sociale » : l’outil qui
permet la valorisation mutuelle des ressources humaines et non humaines. Elle est donc au cœur du décloisonnement entre économie
et éthique (1). C’est pourquoi il est essentiel de définir les missions des acteurs financiers, ici des banques, au service de la société (2),
puis de proposer une méthode pour cartographier les acteurs (3) et les risques (4). L’enjeu est de réconcilier l’analyse rationnelle fondée
sur des valeurs objectives et les libertés (5).
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1. La valeur de la monnaie, véhicule de la ressource sociale
1.1. A pile ou face : où est passée la face de la monnaie ?
Position éthique
De façon générale, la valeur de la monnaie est indivisiblement économique et éthique, elle est écoéthique, dans la mesure où elle est le
véhicule de l’énergie humaine / ressource sociale : elle permet la connexion et donc la valorisation des ressources. Elle est au contraire
non éthique lorsqu’elle devient fin de l’économie et que la logique financière domine l’activité économique. 1 Une privation de monnaie
(sous une forme ou une autre) est une privation de capacité sociale, vers autrui et vers soi-même, une privation de dignité, et,
proportionnellement, une privation de vie. Une rémunération ou une capitalisation injustes correspondent d’une part à une privation pour
autrui, et d’autre part à un détournement de valorisation sociale (confiance abusive dans la marque extérieure de « réussite »).
Valeur d’une monnaie : recto et verso du symbole
•
Côté face : l’unité commune ou référence, le bien commun de la communauté politique qui frappe et gère la monnaie, la marque
de l’unité politique (de responsabilité éthique), unité de sens ou globale, capital commun de confiance, ou bonté commune ;
•
Côté pile : le multiple, ou unité de compte, celle qui a été pilée, la marque de la quantité dans un environnement de rareté 2.
La monnaie ne mesure pas une simple quantité, cumulable à l’infini, mais une proportion entre une quantité et une valeur admise par
une communauté.
Le recto et le verso de la valeur comptent, et peuvent se décliner à partir des trois fonctions classiques de la monnaie (réserve de valeur,
moyen de paiement et unité de compte) 3, dans leurs dimensions écoéthiques : en principe indivisiblement économiques et éthiques. Une
1
2
Sur la notion de financiarisation, voir : Finance servante ou finance trompeuse ? Paul H. Dembinski, Paris, 2008, notamment p. 16 et sv.
Les pièces étaient frappées, par le pile du marteau à Rome dans l’atelier de Juno Moneta (Junon qui avertit ? C’est une étymologie possible).
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division entre les deux dimensions correspond à une dévaluation éthique. Mais la monnaie a bien souvent « perdu la face », à chaque
fois que, devenue abstraite pour les uns, elle est l’outil d’une discrimination aveugle, dont les conséquences peuvent être criminelles.
fonctions
économique
écoéthique
moyen de paiement
flux
connexion des ressources, fiabilité / flexibilité
réserve de valeur
stock
sécurité / liberté
unité de compte
appréciation, mesure
unité de référence / pour mesurer les différences
intermédiaire dans les échanges
transparence de communication / ajustement
Tableau 1 : Les dimensions de la monnaie
La monnaie est une capacité de liberté, frappée de la garantie publique.
Mais qui peut assurer cette indivision, cette convertibilité des valeurs et des capitaux ? A une unité de compte est-il toujours
possible de faire correspondre – au moins symboliquement - une unité de ressource, une unité d’ « énergie sociale » ? Ce
n’est en général pas possible, car la monnaie a une valeur d’intermédiation entre plusieurs ressources, synthèse d’estimations
des coûts et des opportunités composant un prix.
D’importance cruciale, cette liberté d’estimation, condition de tellement de libertés, doit être publiquement garantie contre les
excès.
Une juste circulation des monnaies permet une valorisation juste et ajustée (justice et justesse) des ressources humaines et non
humaines. La valeur multidimensionnelle de la monnaie, indivisiblement éthique et économique – écoéthique – exprimée par sa fonction
d’intermédiation entre les hommes, leur travail et leurs ressources doit être objet permanent de débat public et de soin.
3
Aristote, Ethique à Nicomaque, V,8.
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Il n’est pas exagéré de dire que la monnaie a une valeur « spirituelle » : elle atteint la capacité humaine de donner et de recevoir (ce qui
signifie plus qu’échanger, car on ne reçoit jamais exactement ce que l’on donne, la différence étant assurée par le niveau de confiance)
et sa valeur permet d’établir des ponts dans l’espace et dans le temps : du capital.
Son gaspillage peut alors être évalué avec beaucoup plus de gravité humaine.
1.2. Monnaie, libertés économiques et droits de l'homme
En ce sens, la monnaie n’est pas qu’une condition nécessaire au respect des droits humains, elle est indissolublement liée à l’exercice
de leurs dimensions économiques, et notamment aux libertés et droits économiques.
Les libertés économiques sont parties intégrantes des droits du système des droits humains, même si elles n’y sont pas assez
développées. Il s’agit principalement des:
•
Libertés d’acheter et de vendre, de donner et de recevoir : droit à la propriété
•
Liberté d’embaucher et d’entreprendre : droit au travail.
Le droit à un crédit adéquat (conditions équitables), est au service des deux libertés / droits / responsabilités précédents.
A cela s’ajoutent les autres droits de l'homme, et en particulier le droit à une information adéquate, sans lequel aucune transaction ne
peut être libre et rationnelle et le principe de non-discrimination, sans lequel l’égalité de base n’est pas respectée.
Figure 1 : les droits de l'homme sont aussi des droits économiques
La doctrine en droits de l'homme n’est à l’heure actuelle pas très explicite sur les droits de l'homme spécifiquement économiques. La
définition de ces droits est politiquement très sensible et entachée d’aprioris idéologiques. Il n’est pas difficile, cependant, de considérer
deux droits fondamentaux : le droit au travail et le droit à la propriété. La nature du droit au crédit est moins claire. L’importance du
microcrédit pour garantir un minimum de libertés économiques aux familles les plus démunies a contribué à faire émerger la
compréhension du droit au crédit en tant que droit de l’homme, car sans un crédit adéquat, il n’est pas possible dans de nombreuses
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situations, d’exercer ses libertés économiques, elles-mêmes indispensables pour les autres libertés fondamentales. On peut aussi
considérer que le droit au crédit appartient au droit à la propriété, en tant que droit d’acheter, de vendre, ou de prêter du crédit. Quoiqu’il
en soit, il est utile ici de le distinguer en sa nature fondamentale, puisqu’il définit la mission essentielle de la banque.
•
Le droit à un crédit adéquat est considéré ici comme un droit de l’homme dans la mesure où il conditionne directement
l’exercice des deux autres droits économiques, ainsi que, plus ou moins directement, la plupart des autres droits de l'homme :
logement, santé, éducation, accès à la justice.
•
L’adjectif « adéquat » signifie que l’exercice d’un droit est justifié et défini (délimité) par le fait qu’il permet l’exercice des autres
libertés fondamentales, pour soi et pour autrui. En bref, un travail adéquat est un travail qui épanouit la personne en lui
permettant d’être utile, de participer à la création de richesse humaine ; une propriété adéquate est la jouissance, individuelle ou
en commun, des biens nécessaires à l’exercice des libertés ; un crédit adéquat permet au sujet d’entrer dans une relation
d’échange digne, libre et responsable. S’il a besoin d’un crédit et qu’il n’est pas solvable, il convient que d’autres acteurs puissent
lui venir en aide.
•
Les droits fondamentaux, ou « droits à » (un travail, une propriété, un crédit adéquats) sont complétés par les « droits du »
(travail, de la propriété, du crédit) qui en définissent le champ et la régulation : les droits fondamentaux (droits à) doivent être
définis par la loi de manière à en assurer la compatibilité avec les autres droits de l'homme et en tenant compte des particularités
de situation.
•
Deux droits traversent le champ des droits économiques comme l’ensemble du champ des droits de l'homme : le droit à une
information adéquate (l’information dont l’acteur a besoin pour exercer un acte libre), et le droit à la non-discrimination, qui assure
l’accès ouvert aux relations d’échange en égalité de droit.
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FIGURE 1 : LES DROITS DE L’HOMME SONT AUSSI DES
DROITS ECONOMIQUES
Droit de propriété
Droit du travail
Définition des capacités d’usus,
fructus et abusus
Définition spatiale, temporelle
Rapport avec les biens d’autrui
Rapport avec les biens publics
Droit au repos
Liberté syndicale
Salaire équitable
Allocation chômage
DROIT A UN TRAVAIL ADEQUAT
participation a la création de
richesse
•
•
•
Liberté d’accéder à un marché
du travail équilibré
Liberté d’entreprendre et
d’employer
Liberté de chercher et choisir un
emploi
DROIT A UNE PROPRIETE ADEQUATE
jouissance et capacité de disposition
des biens nécessaires à l’exercice des
libertés
•
•
Droit à la non-discrimination
Droit à l’information adéquate
Liberté d’achat, de vente, de location
Liberté de donner, de recevoir, de prêter
(libertés d’échange, commerciales et non
commerciales : choix des parties prenantes
et respect de leur indépendance)
D
DROIT A UN CREDIT
DROITS LIES :
Education
Formation professionnelle
Sécurité sociale
Logement….
ADEQUAT
nécessaire à l’exercice
des libertés et
responsabilités
Droit du crédit
conditions équitables
Taux d’intérêt soutenable
Traçabilité des produits
Traçabilité des partenaires
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2. Les missions / métiers du secteur bancaire
2.1. Les missions
Les responsabilités des professionnels de la finance sont essentielles dans la mesure où ces derniers interviennent directement sur la
disponiblité et la circulation de la monnaie, et par conséquent sur les possibilités de valorisation des ressources, en s’appuyant sur une
unité de compte stable et transparente, essentiellement sur un capital de confiance. Il est nécessaire d’identifier les libertés et
responsabilités attachées à ces métiers.
•
Trafic des paiements
•
Gestion de l’épargne
•
Commerce du crédit
•
Services financiers aux agents économiques (gestion de patrimoine, de titres ou de portefeuilles, change, …)
2.2. Les risques et le droit à une information adéquate
Outre les risques financiers (risques de crédit, de marché, de liquidité) qui atteignent la banque et /ou le client, on peut définir deux types
de risques éthiques, ou écoéthiques :
•
Une atteinte directe ou indirecte à un droit de l’homme d’une personne ou d’un groupe de personnes
•
Un dommage à l’équilibre dynamique d’un système économique, écologique, culturel, social ou politique : l’entretien et
l’amélioration de ces équilibres étant la condition du respect et de la réalisation des droits fondamentaux des personnes
La première condition pour que le service et le produit financiers servent les partenaires est qu’ils soient vecteurs de l’information
adéquate, celle qui permet à chacun d’exercer son libre choix. Cela suppose que, comme pour le risque financier, une telle information
soit explicite sur les risques et leur complexité. Le risque calculable doit être distingué de l’incertitude présente et future.
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L’information, en particulier quantitative, ne peut masquer cette incertitude ; elle doit au contraire présenter de manière qualitative et
dynamique une complexité raisonnable de facteurs. Cette complexité demande à être considérée dans un débat ouvert.
3. Méthodes
3.1. Carte des parties prenantes d’un acteur bancaire
La méthode présentée ici est la méthode des parties prenantes (PP). Elle consiste à cartographier l’environnement économique d’un
agent, en le plaçant au centre des autres agents qui sont parties prenantes à tous les niveaux de son activité économique,
indépendamment de leur taille économique. Les PP sont listées, les métiers de l’agent sont détaillés. De cette manière, l’intégralité des
intervenants peut être observée, ce qui représente un avantage sur la méthode shareholders.
Annexe 2 : carte des PP d’une banque universelle
Les relations et échanges socio-économiques auxquels donnent lieu les contacts entre l’agent et ses parties prenantes sont ensuite
examinés sous l’angle des risques éthiques. Des solutions peuvent alors être proposées.
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FIGURE 2 : CARTES DES PARTIES PRENANTES DE LA BANQUE
BAILLEURS DE FONDS
ACTEURS DU DEBAT PUBLIC ET
PRODUCTEURS DE NORMES :
INFORMATION-DEBAT-
Actionnaires
Obligationnaires
Banques centrales
Institutionnels
Fonds souverains
FOURNISSEURS
Liquidités (acteurs du marché
interbancaire)
Savoir-faire (agences de
notation, modélisations)
Communication
Technologies de l’information
Open-architecture (émetteurs
de fonds, produits structurés)
REGULATION SURVEILLANCE
COLLABORATEURS
Employés
Direction générale
Conseil d’administration
Institutions publiques
nationales et internationales
Médias
Associations de
professionnels,
d’actionnaires et de
consommateurs
Organes de surveillance et
d’audit
CONFRERES
COTRAITANTS
CONCURRENTS
BANQUE
UNIVERSELLE
Communautés locales
Banques
Institutions
financières
Métier 1 : gestion de
l’épargne
Métier 2 : commerce du
crédit
Métier 3 : gestion de
fortune, conseil, analyse et
services financiers
CLIENTS
Personnes physiques
Personnes morales
(entreprises, ONG,
institutions)
Métier 4 : services de
paiements
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3.2. Cartes des parties prenantes d’une chaîne de valeurs
Parallèlement aux cartes de PP d’un acteur économique, ici d’une banque, des cartes de PP de la chaîne de valeur ajoutée sont
établies. Ces cartes représentent un service et/ou un produit, et détaillent son cycle de vie économique, ainsi que les risques liés à cette
activité. Tout au long du cycle interviennent des agents qui participent à la création ou au retranchement de valeur. Il s’agit de les
identifier, comme on peut le faire lorsqu’on cherche à assurer la sécurité d’un produit alimentaire par sa traçabilité. Il s’agit, à partir de la
description du processus, d’identifier les risques et valeurs en jeu à chaque étape. Les risques écoéthiques sont considérés avec leurs
dimensions économique et éthique, le plus souvent entremêlées.
Figure 3 : chaîne de valeurs et risques du processus d’élaboration d’un produit financier
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FIGURE 3 : PROCESSUS DE TITRISATION AVEC RISQUES, DROITS ET
DEVOIRS LIES
Risques
Surendettement
Désinformation
Mésinformation
Non-financement
Taux excessif
Conflits d’intérêts
Couverture fonds propres
Risque économique
Rating biaisé
Rente prédatrice
Mise hors bilan
Droits de la
personne
Rupture du lien
commercial
Non-traçabilité
Couverture fonds propres
Rating biaisé
Retitrisation excessive
Rente prédatrice
Mise hors-bilan
Obligation de diligence des personnes et des organisations
Crédit
Evaluation et répartition des risques et des bénéfices
Info adéquate
Garantie de traçabilité du produit et celle des institutions
confidentialité raisonnable
Obligation de gestion responsable, obligation pour tous les acteurs de rendre compte
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Contagion
Equilibre
systémique
Diversité des acteurs
et taille adéquate
Concurrence saine
Durabilité des
activités
Règles claires
Profits proportionnés
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Dans une perspective de gouvernance, de réforme interne ou d’analyse externe, la lecture combinée de la carte des PP d’une banque et
de la carte des PP de la chaîne de valeur ajoutée permet une analyse aussi exhaustive que possible des risques éthiques dans un
circuit/secteur donné, et un repérage. Elle permet également de localiser clairement les responsabilités inhérentes à chaque étape des
processus. Dans ce cas, la séquence de titrisation d’une collateralized debt obligation (CDO, titre financier adossé à des portefeuilles de
titres ; MBS, mortgage-backed security, titre financier adossé à une hypothèque ; CMO, collateralized mortgage obligation, obligation
basée sur une hypothèque).
4. Répertorier les risques, analysés en termes de droits humains
4.1. Sécurité des personnes et des systèmes
Le plus important est d’identifier, par une clarification des droits de l’homme en jeu, les risques de porter atteinte à la sécurité des
personnes et des systèmes. Les risques sont, là aussi, à la fois éthiques et économiques : les droits humains protègent, en effet, les
capacités des personnes et donc leurs ressources, pour elles-mêmes et pour la société.
L’inventaire des droits concernés peut se faire au niveau individuel direct et indirect, et au niveau systémique.
• Niveau individuel, direct et indirect
o
Les droits des collaborateurs comme dans toute entreprise, qu’il s’agisse de droits civils (comme le respect de la vie
privée), économiques comme le droit au travail (droit à un salaire équitable, libre accès au marché du travail, liberté
d’entreprendre, libre choix de la formation professionnelle), culturels (information et formation), sociaux ou politiques.
o
Les libertés économiques (voir ci-dessus).
o
De façon indirecte, tous les droits impliqués par l’activité financière concernée, potentiellement tous les droits de
l'homme : droit à la propriété pour une hypothèque, droit au travail pour une entreprise, et droits concernés par l’activité de
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cette entreprise (par ex. droit à l’alimentation, s’il s’agit d’une agro-alimentaire : l’entreprise a la responsabilité de fournir un
produit qui respecte, garantisse et permette le renforcement du droit à l’alimentation).
• Niveau systémique
o
Une atteinte aux équilibres des grands systèmes (économiques, culturels, écologiques, sociaux et politiques) diminue les
capacités de prendre en compte les droits des personnes concernées. Par ex. pour l’équilibre des systèmes financiers :
liquidité, fluidité du marché, transparence de l’information, confiance dans le fonctionnement des marchés et les systèmes de
régulation…
4.2. Identification des risques et des responsabilités sur les cartes de PP
Il s’agit d’établir une continuité entre les droits fondamentaux de la personne (risques éthiques) et les obligations qui y
correspondent pour les personnes au sein des organisations et pour les organisations elles-mêmes. Les risques liés à l’équilibre
des systèmes sont indiqués à droite du tableau.
Ces différents risques pour les personnes et pour l’équilibre des systèmes devraient être systématiquement répertoriés dans les
bilans sociétaux de la banque et peuvent être, le cas échéant, situés sur une carte des parties prenantes.
Voir le bas de la figure 3 : Processus de titrisation avec risques, droits et devoirs liés
DT 17. Série éthique économique
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5. Concilier valeurs objectives et liberté des acteurs : l’hypothèse démocratique
Le principe : les droits de l'homme sont des seuils de liberté et non des cadres restrictifs
Les droits de l'homme étant des libertés fondées en raison, ils ne restreignent pas, mais au contraire assurent la cohérence dans
l’exercice des diverses libertés par tous, y compris pour les plus démunis. Ils cadrent, certes, les activités d’un acteur, mais assurent les
libertés pour tous et l’équilibre de systèmes fondés en raison. Les atteintes aux droits humains et à l’équilibre des systèmes constituent
des non-valeurs qui, dans la mesure où elles peuvent être objectivement repérables, doivent être dénoncées.
Le corollaire : une normativité ouverte
Mais cette approche normative n’est pas une morale simple définissant un bien et un mal. Si des activités économiques « néfastes »,
contraires au respect et au développement des droits de l'homme, peuvent être repérées et dénoncées, les activités favorables à
l’épanouissement des libertés fondamentales sont beaucoup plus variées. Les valeurs positives inverses aux violations des libertés ne
sont pas évidentes ; elles ne sont, en général, pas réductibles à un pôle. La transparence, par exemple, doit être équilibrée avec la
confidentialité, dans le respect d’une information adéquate.
Les désordres sont identifiables mais les réponses sont diverses et multiculturelles, car il y a de nombreuses façons de combiner les
valeurs rationnelles.
Notre hypothèse est que les valeurs qui paraissent nécessaires par leur rationalité se présentent par couples sur la scène publique, pour
autant que celle-ci se libère des idéologies. Elles tracent alors, pour le choix et la construction des réponses, des espaces légitimes
d’interprétation et de créativité adaptés à la singularité des situations.
Figure 4 : quatre versants de fiabilité de la relation d’échange
DT 17. Série éthique économique
L’économie politique des services et produits financiers
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La présentation sous forme de nœud met en évidence que chaque choix s’inscrit en des enjeux dialectiques qui demandent à être
explicités publiquement : au moins quatre permettent de définir la nature d’un espace marchand, inscrit dans un espace démocratique.
Il est alors possible de réconcilier l’obligation de respecter des valeurs rationnelles et l'exercice des libertés et des responsabilités dans
un espace réaliste et cohérent, fondé sur le débat régulièrement institutionnalisé. Le fonctionnement démocratique repose sur le principe
que les valeurs rationnelles constituent des oppositions à interpréter, et ne peuvent être réduites à des principes politiquement corrects.
L’espace de confiance, commun à la démocratie et à l’éthique économique, est ainsi sous-tendu à la fois par des valeurs fondamentales
clarifiées.
Figure 4 : quatre versants de fiabilité de la relation d’échange
DT 17. Série éthique économique
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Valeurs en opposition
Facteurs de performances écoéthiques
Dommages
Marchand /
non marchand
Synergie : insertion des biens privés dans les
biens communs ;
propriété adéquate
Gaspillage de ressources dû au cloisonnement
privé /public
Espace /
territoire
Cohérence d’échelles territoriales (territorialités
adéquates)
Déliaison avec les territoires
Durabilité /
flexibilité
Cohérence d’échelles temporelles
(temporalités adéquates)
Priorité au court terme (myopie)
Sécurité / risque
Définition des seuils de sécurité et répartition
claire des risques pertinents
Poids du risque sur le plus faible ; précarisation
des PME et des emplois
Concurrence, diversification /
Coopération, concentration
Diversité des acteurs ;
équilibre des libertés dans la valorisation des
ressources
Destruction de la diversité ;
gaspillages de ressources et d’information ;
destruction des marges
Transparence /
confidentialité
Information adéquate
Perte d’information et désinformation
dialectique
Tableau 2 : Equilibre et déséquilibre des valeurs
Ce tableau est une présentation des couples de valeurs en opposition, dont l’équilibre assure un facteur de performance écoéthique et
dont le déséquilibre au contraire est source de dommages. Par rapport à la figure précédente, les couples durabilité / flexibilité et
sécurité / risques, sont dissociés et le critère de l’information est mis à part à cause de sa transversalité. Le tableau suivant présente
schématiquement la même logique appliquée à la sphère financière.
DT 17. Série éthique économique
L’économie politique des services et produits financiers
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Equilibres entre valeurs
opposées et nécessaires
Dommages
Liquidité / stabilité
→
fluidité du marché financier
Assèchement de l’accès au crédit, surendettement, volatilité
Transparence / confidentialité
→
information adéquate
Opacité, augmentation des coûts de transaction,
asymétrie de l’information
Bonne foi dans les relations économiques / contrôle
possible des partenaires
→
confiance dans le fonctionnement du marché
Mauvaise allocation des ressources (monétaires,
compétences, ressources), atteinte à la propriété privé,
désagrégation du tissu économique, aléa moral
Spécialisation / diversification
→
compétence
Cloisonnement, émiettement des responsabilités,
marchés aveugles
Concurrence / coopération
→
partenariat
Collusion, abus de position dominante, comportements
anticoncurrentiels
Tableau 3 : équilibres des valeurs et dommages dans la sphère financière
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