« Une gestionnaire de projets de

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« Une gestionnaire de projets de
promotion de la santé en centre de santé
intégré : qu’est-ce que ça change ? »
Marc VANMEERBEEK, MD, MPH
Christel HAULET, MPH
Centre de santé intégré de Tilleur, 2 rue Malgarny, 4420 Tilleur, Belgique
Résumé
Dans un souci de prise en charge globale de
ses patients, le centre de Santé intégré de
Tilleur (Liège) a décidé de renforcer son
équipe par de nouvelles compétences. Une
gestionnaire de projets a été engagée pour
soutenir l’équipe pluridisciplinaire dans ses
projets de soins, de santé communautaire et
de promotion de la santé.
En deux ans, ses interventions ont conduit à
des modifications structurelles, comme une
amélioration des procédures préventives et
un travail par objectifs.
M. Vanmeerbeek est médecin généraliste et C.
Haulet est master en santé publique au Centre de
Santé intégré de Tilleur (Liège).
C orrespondance : [email protected]
Pas de conflit d’intérêt déclaré.
Ce travail a été présenté à la journée de la qualité
2010.
Contexte
Le centre de Santé intégré de Tilleur
(CSI) est implanté dans le bassin
postindustriel liégeois habité par une
population multiculturelle. L’équipe
soignante, active depuis trente-cinq ans
dans cette commune, prend en charge
une patientèle de plus de 3500 patients.
L’équipe regroupe huit médecins
généralistes, cinq kinésithérapeutes,
quatre infirmières, un dentiste, une
psychologue, une diététicienne, une
assistante
sociale,
une
psychomotricienne, une gestionnaire de
projets de promotion de la santé, un
informaticien et quatre accueillantes /
administratives. Le financement de
l’équipe est assuré à 85% par le forfait
pour les honoraires, et à 15% par
diverses mesures de soutien à la
pratique : fonds Impulseo, soutien de la
Région wallonne aux activités de santé
communautaire dans les associations de
soins intégrés (ASI), Maribel social.
Malgré la richesse et la vision collective
que
peut
amener
une
équipe
pluridisciplinaire, la pratique de
médecine générale reste le plus souvent
centrée sur les soins en réponse à une
demande du patient et relevant d’une
dimension individuelle.
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Selon l’équipe, cette caractéristique peut
s’expliquer par :


Le cadre de référence des
soignants :
leur
formation
n’aborde que très peu les
concepts de promotion de la
santé ou actions collectives. La
multiplicité des cadres de
référence dans une équipe
pluridisciplinaire peut être une
difficulté supplémentaire à une
vision commune.
La fonction de soignant : la
réponse à la demande de soins
est toujours prioritaire ! Dès lors,
les actions de type préventif ou
de santé communautaire sont
reléguées au second plan, faute
de temps et de moyens
organisationnels.
Le futur de la médecine générale doit
pourtant envisager une plus grande
intégration de l’approche individuelle et
des objectifs de santé publique [1, 2].
Cette évolution est déterminée par une
triple
pression :
la
transition
épidémiologique et le poids des
maladies chroniques, la transition
technologique qui permet et justifie la
programmation
d’interventions
médicales tout au long de la vie et non
liées à des demandes primaires des
patients, la transition organisationnelle
qui pousse la médecine générale à
devenir le lieu de gestion de la
complexité des soins et des pathologies
intriquées [3-5].
Pour y parvenir, deux axes de travail
doivent être envisagés :


D’une part, au niveau de la prise
en charge individuelle, la santé
doit être gérée de façon globale
en prenant en compte ses
multiples
déterminants,
biologiques, comportementaux,
environnementaux et sociaux. La
place de la promotion de la santé
doit être redéfinie de façon à
obtenir un partenariat équilibré
entre le soignant et le patient.
D’autre part, les soignants
devraient envisager d’avoir une
vue sur la santé de l’ensemble de
leurs patients [6].
Les liens contractuels entre médecins et
patients tendent lentement à se
renforcer à travers le dossier médical
global et son extension préventive, et le
sentiment de responsabilité des
médecins envers la collectivité de leurs
patients devrait logiquement s’accroître
progressivement. Chaque soignant peut
s’interroger sur sa place personnelle sur
ces deux axes (figure 1).
Prise en charge globale de
la santé
Prise en
charge
individuelle
Attention à
la collectivité
Soins en réponses
aux plaintes
Figure 1 : Dimensions de la prise en charge en
santé
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Malgré une motivation importante,
l’équipe du CSI de Tilleur a du constater
que le manque de compétences internes
et le manque chronique de temps des
soignants limitaient fortement ses
aspirations à faire évoluer le modèle de
soins vers les objectifs de globalité de
prise en charge et pour l’ensemble des
patients.
un état des lieux et proposer des pistes
de changement pour une amélioration
de la qualité des soins. Parallèlement, sa
fonction de soutien aux projets existants
a abouti à des actions concrètes relevant
d’une dimension collective. Depuis juin
2010, le développement de ces actions a
rendu nécessaire l’engagement d’un mitemps de soutien administratif aux
groupes ou projets menés par le CSI.
Intervention
Dans une grande équipe, dotée de
moyens financiers solides, il a été décidé
d’internaliser les compétences jugées
manquantes. Le processus de réflexion,
initié en 2006, a abouti à la décision
d’engager une personne non soignante,
dont la fonction est de soutenir l’équipe
pluridisciplinaire dans ses projets de
soins, de santé communautaire et de
promotion de la santé.
Le processus de sélection a abouti à
l’engagement en 2008, à mi-temps et sur
fonds propres, d’une diplômée en santé
publique, donc une travailleuse ayant
des connaissances approfondies en
santé, mais sans formation de base
médicale ou paramédicale stricto sensu.
Le choix de cette profession est une
contribution explicite au rapprochement
entre, d’une part la pratique clinique,
centrée
sur
les
individus
et
consommateurs de soins, et d’autre part
la santé publique, orientée vers la
communauté et les déterminants de
santé.
Avec l’appui du comité de pilotage
redéfini comme un groupe de suivi, la
gestionnaire de projets (GP) a pu faire
Points forts
La médecine générale du futur devra
s’interroger sur l’intégration des objectifs de
santé publique dans des soins centrés sur
l’approche individuelle.
La fonction de gestionnaire de projet est un
pont jeté sur le fossé entre, d’une part la
pratique clinique dispensée par les
prestataires de soins à des individus, et
d’autre part la santé publique, orientée vers
la communauté et les déterminants de
santé.
La culture de santé communautaire amenée
par la fonction de gestion de projet a fait
évoluer l’équipe vers un travail par objectif
et une évaluation.
Le soutien des autorités de santé dans un
cadre financier distinct de la masse des
honoraires est indispensable pour assurer la
viabilité et la reproductibilité de semblables
expériences.
Résultats
A partir des constats issus de l’état des
lieux des projets existants dans la
maison médicale, la GP a pu établir
plusieurs axes de travail.
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Amélioration de procédures
Chaque procédure des projets existants
a été décortiquée, analysée avec le
membre de l’équipe référent. Une
clarification des procédures a été
réalisée et leur systématisation a été
expliquée à l’équipe.
Les chiffres de couverture de diverses
procédures préventives (vaccination
contre
la
grippe
saisonnière,
mammographies de dépistage) se sont
améliorés entre 2008 et 2009, soit dès
l’année d’entrée en fonction de la GP.
Pour les groupes cibles déjà bien
identifiés comme les personnes de plus
de 65 ans, le gain est présent, mais il est
marginal ; pour des populations qui
étaient moins bien identifiées par les
soignants, comme les diabétiques ou les
patients présentant une bronchopneumopathie chronique obstructive
(BPCO), le gain est plus important
(figure 2). Cette augmentation est due
en partie à l’encodage systématique des
pathologies comme éléments de soins
dans les dossiers informatisés.
Les chiffres de 2010 montrent une
stagnation, voire une légère baisse de
ces chiffres. Ceci peut s’expliquer par un
effet de saturation parmi les patients.
Dans l’exemple de la vaccination
antigrippale des personnes âgées, les
personnes non vaccinées et les raisons
de non vaccination ont pour la plupart
été identifiées : refus (9 %), absences
(déménagement, voyage) ou décès. Pour
les mammographies, une réflexion
complémentaire doit avoir lieu pour
expliquer les résistances, tant chez les
médecins que chez les patientes.
Vaccination grippe, > 65 ans (400
patients)
Vaccination grippe, diabétiques (212
patients)
Vaccination grippe, BPCO (71
patients)
Mammographies (348 patientes)
90,00%
85,00%
80,00%
75,00%
70,00%
65,00%
60,00%
55,00%
50,00%
2008
2009
2010
Figure 2 : Evolution des taux de couverture de
procédures préventives
Culture de la qualité
Auparavant, les actions étaient menées
de façon intuitive, et les résultats
difficiles à apprécier. La culture de santé
publique introduite par la GP a apporté à
l’équipe les notions de travail par
objectif et d’évaluation qui manquaient
aux soignants.
La dynamique du cycle de la qualité a
permis de formaliser les étapes de
définition d’objectifs, de planification et
d’évaluation [7]. Cette gestion renforce
la dynamique du groupe, car celui-ci
peut alors prendre conscience du
chemin à parcourir et du temps
nécessaire. La communication des
résultats à l’équipe est une étape
extrêmement importante, qui motive à
poursuivre ou modifier l’action. Il s’agit
d’aller au-delà du « nous sommes
satisfaits » pour évaluer si effectivement
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le choix des moyens mis en place était le
plus adéquat pour atteindre l’objectif.
Changements structurels et
décloisonnement des secteurs
L’arrivée de la GP a favorisé le
décloisonnement entre les secteurs
professionnels, dans la conception et la
réalisation de projets.
L’état des lieux a mis en évidence une
dispersion des énergies et le manque de
liens entre les actions menées par
différents groupes de travail mis en
place au fil des années précédentes :
responsables de campagnes (vaccins
adultes et enfants, mammographies),
groupe d’animation des salles d’attente,
tableau de bord (Fédération des Maisons
médicales, Région wallonne, Région de
Bruxelles capitale [8]), réunions sur la
prévention de l’InterGroupe liégeois des
Maisons médicales.
Dorénavant, un groupe « prévention »
rassemble trimestriellement tous les
acteurs concernés de l’équipe pour une
réunion pluridisciplinaire de partage et
d’échange, animée par la GP. Cette
dynamique permet d’intégrer les actions
individuelles des individus dans une
réflexion plus globale.
Un exemple de décloisonnement est
illustré par l’évolution du groupe
« diabète ». La réflexion a conduit à
l’expérimentation d’un partage du suivi
de certains patients entre les médecins
généralistes et les infirmières. L’idée de
départ était de systématiser le suivi
biologique
de
tous
les
patients diabétiques
dans
des
consultations spécialement dédiées au
diabète (pesée, mesure de pression
artérielle, dosages sanguins, examen des
pieds) ; l’évolution du groupe (et les avis
des patients, voir ci-dessous) a conduit à
proposer un suivi partagé uniquement
dans certains cas de mauvaise
compliance thérapeutique, de façon à
offrir à ces patients un autre cadre
d’expression de leurs difficultés dans
l’espoir d’améliorer progressivement
leur qualité de vie. Cette évolution des
soignants les a amenés à se rapprocher
sans le savoir de recommandations
récentes de prise en charge globale de
pathologies chroniques dans un esprit
d’empowerment individuel [9].
Promotion de la santé
Une étape importante de la promotion
de la santé est de permettre la prise de
parole des patients. Celle-ci peut avoir
lieu dans la relation individuelle avec les
soignants, mais aussi de façon collective.
Dans ce domaine, l’équipe n’avait que
l’expérience de réunions générales
d’information,
par
exemple
sur
l’alimentation et le diabète.
A l’initiative de la GP, des focus groups et
une enquête individuelle centrés sur la
prise en charge du diabète par la maison
médicale ont été organisés, de façon à
mieux percevoir les attentes des
patients. L’idée du partage du suivi entre
médecins et infirmières y a été abordée
et les groupes ont fortement influencé
les modalités de réalisation qui sont
actuellement
en
cours
d’expérimentation.
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Une vue globale de la santé ne peut
ignorer les déterminants non médicaux,
environnementaux et sociaux. Quelques
expériences ont été tentées en
réunissant patients et soignants dans
des balades ludiques ou par la visite
d’expositions sur des thèmes de société
(changements climatiques, grève de
1960). La participation de plusieurs
dizaines de patients à chaque fois
encourage à répéter ce type d’activité et
à les organiser à différents moments clés
de l’année.
Conclusion
En deux ans, la GP est devenue un lien
entre différents secteurs professionnels
du CSI et entre différentes initiatives
jusque
là
disparates.
L’apport
méthodologique propre à la santé
publique en fait le point d’ancrage entre
la conception d’un projet et sa
réalisation concrète dans la pratique
quotidienne.
Malgré une résistance naturelle au
changement,
des
modifications
structurelles commencent à apparaître
parmi les soignants et des exemples de
prise en charge globale de certaines
pathologies ou actions préventives sont
observés. La promotion de la santé, tant
au
niveau individuel que collectif,
trouve une nouvelle place au sein d’une
équipe principalement dédiée aux soins.
Les difficultés usuelles de collaboration
dans notre système de santé entre
soignants et acteurs de promotion de la
santé est un argument qui plaide pour
l’intégration de leurs compétences au
sein de structures pluridisciplinaires [3].
La réalisation de ce projet n’a été
possible que parce l’équipe dispose
d’une taille critique, permettant de
dégager les moyens humains et
financiers nécessaires. Le soutien des
autorités de santé dans un cadre
financier distinct de la masse des
honoraires est indispensable pour
assurer la viabilité et la reproductibilité
de
semblables
expériences.
Une
évaluation à plus long terme des
bénéfices pour les patients et pour les
soignants est nécessaire sur une plus
large échelle.
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