L’Encéphale (2010) 36, 373—379 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP MÉMOIRE ORIGINAL Évolution du trouble de la personnalité borderline : revue de la littérature Course of borderline personality disorder: Literature review D. Karaklic ∗, C. Bungener EA 4057, laboratoire de psychopathologie et neuropsychologie cliniques, institut de psychologie, université Paris-Descartes, 71, boulevard Édouard-Vaillant, 92774 Boulogne-Billancourt, France Reçu le 9 juin 2009 ; accepté le 10 novembre 2009 Disponible sur Internet le 6 mars 2010 MOTS CLÉS Personnalité borderline ; Évolution ; Études rétrospectives ; Études prospectives KEYWORDS Borderline personality disorder; Course; Retrospective studies; Prospective studies ∗ Résumé Le trouble de la personnalité borderline (TPB) est le trouble de la personnalité le plus fréquent parmi les patients psychiatriques. Pendant longtemps, les patients borderline ont été considérés comme particulièrement résistants aux traitements et prédestinés à une évolution chronique. Cette vision pessimiste demeure toujours assez répandue chez les cliniciens, même si les données empiriques les plus récentes la contredisent en montrant qu’une évolution favorable du TPB est non seulement possible, mais même fréquente. L’objectif de ce travail est de proposer une synthèse des études longitudinales disponibles en les présentant dans l’ordre chronologique de leur parution, ce qui permet de voir l’évolution des idées sur le TPB. Les premiers travaux ont cherché à savoir si le TPB pouvait évoluait vers la schizophrénie, ce qui a été démenti. Après l’introduction des critères TPB dans le DSM en 1980, les études longitudinales se sont intéressées principalement à la stabilité et à la spécificité du diagnostic TPB. Enfin, les recherches prospectives les plus récentes, appliquant une méthodologie rigoureuse, ont exploré plusieurs aspects évolutifs en mettant en évidence l’évolution des différents symptômes. Malgré une réduction importante de la symptomatologie avec le temps, certains symptômes se résolvent relativement rapidement, tandis que d’autres ont tendance à persister. © L’Encéphale, Paris, 2010. Summary Introduction. — Borderline personality disorder (BPD) is a serious mental disorder associated with severe emotional, behavioral, cognitive and interpersonal dysfunction, extensive functional impairment and frequent self-destructive behaviour, including deliberate self-harm and suicidal behaviour. For quite some time, BPD has been viewed as a chronic disorder and borderline patients as extremely difficult to treat, doomed to a life of misery. However, those views are changing and there is an increasing recognition that BPD has a far more benign course than previously thought. The purpose of this study is to show how those views changed over time by reviewing longitudinal studies of the course of BPD. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (D. Karaklic). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2010. doi:10.1016/j.encep.2009.12.009 374 D. Karaklic, C. Bungener Methods. — We have reviewed the literature published from 1968 to March 2009, using the following key words: borderline personality disorder, outcome, follow-up studies with some additional references. Results. — The aim of the longitudinal studies conducted prior to the DSM definition of BPD criteria was to determine whether borderline patients could become psychotic over time, but no such evidence was found even though their functioning was at a relatively low level. The studies conducted after the introduction of BPD in the DSM in 1980 tested the stability and the specificity of BPD diagnosis, concluding that the criteria were relatively stable in the short run since the majority of patients continued to meet them at the follow-up assessments. However, those studies had many methodological drawbacks which limited their generalizability such as small sample sizes, high attrition rates, the absence of comparison groups, etc. Four retrospective studies of the 15-year outcome of borderline patients obtained virtually identical results despite methodological differences, showing that the global functioning of borderline patients improved substantially over time with mean scores of the GAF scale falling within a mild range of impairment. One 27-year retrospective study showed that borderline patients continued to improve as they grew older, only 8% of the cohort still meeting criteria for BPD. Two recent carefully designed prospective studies showed that the majority of BPD patients experienced a substantial reduction in their symptoms far sooner than previously expected. After six years, 75% of patients diagnosed with BPD severe enough to be hospitalized achieve remission by standardized diagnostic criteria and after 10 years, the remission rate raises up to 88%. Recurrences are rare, no more than 6% over six years. The dramatic symptoms (suicidal behaviour, self-mutilation, queasy psychotic thoughts) resolve relatively quickly, but abandonment concerns, feeling of emptiness and vulnerability to dysphonic states is likely to remain in at least half the patients. Discussion. — This contrasts with the natural course of many Axis I disorders, such as mood disorders, where improvement rates may be somewhat higher and more rapid but recurrences are more frequent. The findings of longitudinal studies raise doubts about the validity of the definition in the DSM, which implies that personality disorders must necessarily be chronic. However, it should be noted that even the most encouraging findings do not show full recovery since the majority of patients seem to suffer from some residual symptoms. Conclusion. — These findings have very important clinical implications and borderline patients should be told that they can expect improvement, no matter how intense their current emotional pain. However, we still lack evidence-based findings on mechanisms that lie behind the recovery process in BPD. Future research should explore the mechanisms of recovery in BPD. © L’Encéphale, Paris, 2010. Introduction Le trouble de la personnalité borderline (TPB) est le trouble de la personnalité le plus fréquent chez les patients psychiatriques, représentant jusqu’à 50 % des patients hospitalisés et entre 11 et 15 % des patients suivis en ambulatoire [21]. Il s’agit d’un trouble grave se manifestant par des perturbations sévères dans le domaine des affects, du comportement et des relations interpersonnelles [3], mais sa gravité est liée avant tout à la fréquence élevée des comportements autodestructeurs (automutilations et tentatives de suicide) et à la mortalité suicidaire 20 fois plus élevée qu’en population générale (taux de suicide de 10 % [14]). Pendant longtemps, ce trouble a été considéré comme chronique et particulièrement difficile à traiter aussi bien par des approches pharmacologiques que par des méthodes psychothérapeutiques. Cependant, les études prospectives les plus récentes apportent des résultats prometteurs en éclairant l’évolution de ce trouble d’un jour nouveau. Or une synthèse de ces travaux n’a jamais fait l’objet d’une publication en langue française. L’objectif de ce travail est de présenter les principales études longitudinales disponibles dans la littérature sur l’évolution symptomatique du TPB et tout particuliè- rement les résultats concernant la stabilité des critères, l’évolution des différents symptômes et du fonctionnement global des patients borderline. Les travaux seront exposés dans l’ordre chronologique de leur parution, car les différences à la fois conceptuelles et méthodologiques entre les études anciennes et les études récentes rendent leurs données respectives difficilement comparables. Les études prospectives dont l’objectif était de tester l’efficacité des traitements médicamenteux et/ou psychologiques spécifiques n’ont pas été incluses dans cette revue de la littérature. Méthodologie Elle se base sur une revue de la littérature faite à partir de la base de données Medline, les articles parus entre 1968 à 2009 et comprenant les mots clés suivants : borderline personality disorder, longitudinal studies, outcome ont été sélectionnés. Toutefois, nous n’avons retenu que les études les plus fréquemment citées et omis certaines dont la méthodologie était peu rigoureuse (absence de groupe témoin, diagnostics TPB établis de façon intuitive par les cliniciens). Évolution du trouble de la personnalité borderline : revue de la littérature Études prospectives à court et moyen termes sur de petits échantillons Travaux parus avant l’introduction de la personnalité borderline dans le DSM Les travaux les plus anciens ont cherché à examiner l’évolution du fonctionnement social et professionnel de petits échantillons de patients. La première étude longitudinale est celle de Grinker et al. [6] qui ont suivi 41 patients atteints du syndrome borderline, tel qu’il est défini par les auteurs de l’étude, pendant deux ans et demi (51 patients au départ) en constatant très peu de progrès, car deux tiers des patients présentaient une chronicité des symptômes ou leur aggravation. Malgré un taux relativement élevé de réhospitalisations (un tiers des patients), au cours du suivi, la majorité des patients a réussi à garder un emploi stable, tout en occupant des postes de bas niveaux. Puisque, à l’époque, on croyait que le TPB correspondait à une forme de psychose, l’un des objectifs de l’étude était d’explorer une évolution éventuelle du TPB vers la schizophrénie. Cependant, après six à sept ans, aucun des 28 patients réévalués n’avait développé un épisode psychotique [23]. Études conduites après l’introduction des critères TPB dans le DSM-III Pope et al. [16] sont les premiers à avoir réalisé une étude prospective du TPB en se basant sur les critères du DSM-III [2]. Ils ont suivi 27 des 33 sujets borderline initialement inclus dans l’étude, sur une période variant de quatre à sept ans, ont montré que le diagnostic TPB était assez stable, car 67 % de sujets (18 sur 27) remplissaient toujours les critères et aucun n’avait développé une schizophrénie. Le fonctionnement global des sujets borderline s’est montré significativement plus altéré que celui des sujets bipolaires et des sujets souffrant d’un trouble schizoaffectif, mais comparable à celui des sujets schizophrènes, bien que significativement moins perturbé sur le plan professionnel. Akiskal et al. [1] ont suivi 100 sujets borderline sur une période variant entre six mois et trois ans. Au cours de cette période, 52 % des sujets ont développé un trouble de l’humeur : 29 sujets un épisode dépressif majeur, quatre sujets un épisode maniaque, 11 sujets un épisode hypomaniaque et six sujets au moins un épisode mixte. Il est à noter que presque la moitié des sujets (45 %) présentait déjà un trouble de l’humeur lors de l’inclusion dans l’étude. Mais même parmi ceux qui n’en présentaient pas, 11 sujets (20 %) ont développé un épisode dépressif majeur et quatre sujets (7 %) se sont suicidés. En s’appuyant sur cette comorbidité importante avec les troubles de l’humeur chez les sujets borderline, Akiskal et al. avancent l’hypothèse que le TPB fait partie du spectre bipolaire, correspondant à une forme subclinique (subaffective) du trouble bipolaire. Barasch et al. [4] ont suivi pendant trois ans dix sujets borderline (groupe expérimental) qu’ils ont comparé à 20 sujets présentant d’autres troubles de la personnalité 375 (groupe témoin) dans le but de tester la stabilité temporelle du diagnostic. À la fin du suivi, 60 % des sujets du groupe expérimental remplissaient toujours les critères TPB, tandis que 30 % répondaient à quatre au lieu de cinq critères. Parmi 20 sujets du groupe témoin, seulement trois sujets remplissaient les critères TPB lors de l’évaluation à trois ans. Les auteurs interprètent ces résultats comme une preuve de stabilité du diagnostic TPB dans le temps. L’étude de Links et al. [8] conduite auprès d’un échantillon de 88 sujets borderline diagnostiqués à l’aide du DIB-R [25] a montré qu’à deux ans de suivi, environ 40 % des 65 sujets réévalués ne remplissaient plus les critères TPB du DIB-R. Après cinq à sept ans, le taux de rémission a augmenté : 53 % des 57 sujets réévalués ne répondaient plus aux critères TPB. Najavits et Gunderson [11] ont suivi 37 patientes borderline, diagnostiquées à l’aide du DIB-R et qui débutaient une prise en charge psychothérapeutique. Trente-trois patientes ont été réévaluées après un an, 23 patientes après deux ans et 20 patientes trois ans après l’évaluation initiale. Une diminution significative des symptômes affectifs et des comportements impulsifs, tels qu’ils sont appréciés par le DIB-R, a été observée. Les études précédemment citées ont des limites méthodologiques importantes, qui les rendent difficilement généralisables : tailles réduites des échantillons, pourcentages relativement élevés de sujets perdus de vue, absence de groupe témoin ou groupe témoin inapproprié (sujets psychotiques), non-utilisation des critères diagnostiques valides de la personnalité borderline, outils d’évaluation non standardisés, réévaluations longitudinales non réalisées en insu, absence de plusieurs évaluations au cours des suivis. Toutefois, malgré ces limites, quatre résultats principaux, concernant l’évolution à court terme du TPB, peuvent être dégagés de ces études. Premièrement, le pourcentage des sujets qui remplissaient toujours les critères TPB à la fin des suivis était assez élevé, variant entre 60 % et 96 %, ce qui a été interprété comme une preuve de stabilité du diagnostic TPB à court terme. Deuxièmement, parmi tous les symptômes, les comportements impulsifs sont ceux qui ont le plus ont diminué dans sept études ayant exploré l’évolution symptomatique. Troisièmement, ces études ont montré que le TPB n’évoluait pas vers la schizophrénie, malgré la survenue transitoire de symptômes d’allure psychotiques lors des périodes de stress. Ce constat, actuellement évident, était sujet à controverse dans les années 1960—1980. Quatrièmement, l’évolution du TPB à court terme était marquée par une fréquence élevée de troubles comorbides, notamment du trouble dépressif majeur et de l’abus de substances psychoactives. Études rétrospectives Cinq études rétrospectives consacrées à l’évolution à long terme du TPB ont été conduites, dont trois sur 15 ans, une sur 13 ans et une sur 27 ans. À l’exception de l’étude sur 27 ans de Paris et Zweig-Frank [13] qui a évalué à la fois l’évolution symptomatique et l’évolution du fonctionnement global, toutes les autres études ont exploré uniquement l’évolution du fonctionnement global des patients borderline. 376 D. Karaklic, C. Bungener McGlashan [9] a réalisé un suivi rétrospectif sur 15 ans de 81 patients borderline hospitalisés entre 1950 et 1975. À la fin du suivi, le fonctionnement global de ces sujets s’était nettement amélioré en atteignant le score moyen de 64 à l’échelle de fonctionnement global (EGF) [5], ce qui correspond à un dysfonctionnement léger. Le taux de suicide était faible, de seulement 3 % (quatre sujets). Plakun et al. [15] ont suivi rétrospectivement 100 sujets borderline, ayant été hospitalisés entre 1950 et 1976. La méthodologie utilisée n’était pas aussi rigoureuse que celle de l’étude précédente, car les sujets ont été évalués à l’aide d’un questionnaire qui leur avait été adressé par courrier et non pas au cours d’un entretien téléphonique. Néanmoins, les résultats étaient similaires : après 15 ans, la plupart des patients s’étaient améliorés, comme le témoigne le score moyen de 67 à l’EGF. L’étude rétrospective de Michael Stone [20] conduite auprès de 200 sujets borderline sur 15 ans a également mis en évidence une évolution favorable du fonctionnement global, avec un score moyen de 63 à l’EGF. Le taux de suicide était de 9 %. L’étude de Paris et al. [12,13] est la seule étude rétrospective ayant exploré l’évolution du TPB sur 15 et sur 27 ans. Cent des 322 sujets inclus ont pu être réévalués après 15 ans. Seulement 25 % de patients remplissaient toujours les critères DIB-R [26]. Une diminution nette de tous les quatre types de symptômes du DIB-R et une amélioration significative du fonctionnement global (score moyen de 63 à l’EGF) ont été constatées. Le taux de suicide était de 8,5 %. Soixante-quatre de ces 100 sujets ont été réévalués 12 ans plus tard. Seulement 7,8 % (cinq sujets) remplissaient toujours les critères du DIB-R. Parmi tous les symptômes, ce sont les difficultés dans les relations interpersonnelles qui ont le plus diminué. Quant aux troubles comorbides, 22 % des sujets présentaient une dysthymie, 3 % un épisode dépressif majeur et 5 % un abus de substances. Le taux relativement élevé de dysthymie témoigne de la chronicité des symptômes affectifs chez les sujets borderline, constatée également dans les études prospectives récentes présentées ci-dessous. Il est intéressant de noter que le fonctionnement global n’a pas évolué pendant les 12 dernières années de suivi, c’est-à-dire entre l’évaluation à 15 ans et celle à 27 ans, ce que les auteurs interprètent comme l’atteinte d’un plafond au-delà duquel celui-ci ne s’améliore plus. Autrement Tableau 1 dit, l’évolution du TPB à long terme semble se caractériser par la persistance d’un dysfonctionnement psychosocial léger qui serait liée à la chronicité de certains symptômes (notamment affectifs). Une étude rétrospective sur 13 ans a été réalisée au Japon auprès de 19 sujets borderline [24]. Environ 7 % de sujets se sont suicidés, tandis que les autres ont évolué favorablement, comme le montre le score moyen de 60,7 à l’EGF, ce qui rejoint les résultats des études précédemment citées. Après 13 ans, la plupart des sujets vivaient toujours avec leur famille d’origine et la trop grande implication des relations familiales s’est avéré être un facteur de mauvais pronostic. Ce résultat est surprenant dans la mesure où il contraste avec les données des études nord-américaines qui montrent que la plupart des sujets borderline suivis à long terme vivaient seuls [13,20]. Cela suggère que, malgré un pattern d’évolution commun, il existe des différences entre les populations japonaises et les populations occidentales des patients borderline. Toutefois, la taille de l’échantillon de cette étude est trop réduite pour que ses résultats puissent être généralisés. Les études rétrospectives citées ci-dessus présentent des limites méthodologiques importantes. Premièrement, la fiabilité des diagnostics posés rétrospectivement peut être remise en question, car les informations disponibles dans les dossiers médicaux des patients sont variables et peuvent être insuffisantes. Deuxièmement, dans certaines études, les autoquestionnaires postés et les entretiens téléphoniques ont été utilisés comme la source principale d’information. Troisièmement, dans quatre des ces cinq études, les sujets n’ont été évalués qu’une seule fois, c’est-à-dire à la fin du suivi. Or plusieurs évaluations auraient permis de mieux caractériser l’évolution du TPB à long terme, c’est-à-dire de savoir si celui-ci évolue favorablement de façon linéaire ou par alternance de phases d’exacerbation et de rémission symptomatique. Une autre limite méthodologique est liée aux caractéristiques sociales des populations étudiées. En effet, dans toutes ces études, sauf celle de Paris et Zweig-Frank [13], les participants appartenaient exclusivement aux classes socioéconomiques moyenne ou élevée. Malgré ces limites, toutes ces études rétrospectives montrent, sans exception, que l’évolution du TPB à long terme est favorable et que les patients borderline s’améliorent considérablement avec l’âge (Tableau 1). Études rétrospectives de l’évolution du trouble de la personnalité borderline. Site de recrutement des patients Chestnut Lodge [9] Columbia [15] Austen Riggs [20] Montréal [12,13] Nombre d’années de suivi % de sujets évalués Âge moyen % hommes versus femmes Statut socioéconomique EGF (moyenne) % de rémission % de morts par suicides Âge moyen de suicide 15 81 47 46 versus 54 Élevé 64 ? 3 ? 15 206 37 30 versus 70 Élevé 67 ? 9 30 15 54 40 27 versus 73 Élevé 67 ? ? ? 15 et 27 100 et 64 39 et 51 16 versus 84 et 17 versus 83 Tous 63 et 63 75 et 92 9 et 10 30 et 37 EGF : échelle de fonctionnement global. Évolution du trouble de la personnalité borderline : revue de la littérature Études prospectives récentes sur des échantillons importants Deux recherches prospectives du TPB sont en cours depuis environ 15 ans aux États-Unis : Mc Lean study of adult development (MSAD), comparant le TPB à d’autres personnalités pathologiques, et Collaborative longitudinal personality disorder study (CLPS), comparant l’évolution des personnalités borderline, évitante, obsessionnelle—compulsive et schizotypique. Comparativement aux études précédemment présentées, celles-ci sont réalisées auprès d’échantillons plus importants, elles explorent plus d’aspects évolutifs du TPB et utilisent une méthodologie plus rigoureuse, comprenant des évaluations répétées par des examinateurs non avertis et des analyses statistiques plus sophistiquées. Étude Mc Lean study of adult developement [28,29,30,31] Cette étude a débuté, il y a 16 ans, avec un échantillon de 290 sujets borderline hospitalisés, répondant à la fois aux critères DSM-III et aux critères DIB-R. Le groupe témoin comportait 72 sujets présentant d’autres troubles de la personnalité. Lors de l’inclusion dans l’étude, le fonctionnement global des sujets borderline était très perturbé, comme le montre le score moyen de 39,8 à l’EGF. L’âge des sujets s’étalait de 18 à 35 ans (âge moyen : 27 ans) et ils bénéficiaient tous de traitements médicamenteux et psychothérapiques intenses tout au long du suivi. La plupart des résultats publiés à ce jour concernent la période des six premières années de suivi, mais certains résultats concernant la période de dix ans sont également disponibles. Après six ans de suivi, le taux de suicide a été faible, de 3,8 % (11 sujets). L’évolution du fonctionnement global a été favorable, 60 % de sujets présentant un fonctionnement jugé satisfaisant. Quant à l’évolution symptomatique, cette étude a montré que les rémissions sont plus fréquentes et obtenues dans des délais plus brefs que ce qui avait été constaté dans les études précédentes. Parmi 275 sujets ayant été réévalués, au moins une fois au cours des dix ans, environ 34 % (95 sujets) ont été considérés en rémission au cours des deux premières années, 54 % (149 sujets) après quatre ans, 73 % (202 sujets) après six ans, 85 % (233 sujets) après huit ans et 88 % (242 sujets) après dix ans. En ce qui concerne le temps de rémission, parmi 242 sujets ayant atteint la rémission au cours de ces dix années, 95 sujets (39,3 %) étaient en rémission pour la première fois lors de l’évaluation à deux ans, 54 sujets (22,3 %) après quatre ans, 53 sujets (21,9 %) après six ans, 31 sujets (12,8 %) après huit ans et neuf sujets (3,7 %) après dix ans. Il est intéressant de noter que la plupart des sujets se sont rétablis au cours des deux premières années du suivi. Par ailleurs, les récurrences se sont montrées rares, environ 6 % après six ans de suivi (le taux de récurrence sur dix ans n’a pas été précisé). Compte tenu de ce taux de rémission élevé associé à un taux de récurrence faible, la personnalité borderline semble présenter deux potentialités évolutives opposées : soit une évolution positive aboutissant à des rémissions stables (la plupart des 377 patients), soit une évolution chronique sans phase de rémission. En ce qui concerne l’évolution des symptômes spécifiques, malgré une diminution globale de la symptomatologie, tous les symptômes n’ont pas évolué au même rythme. Les comportements autodestructeurs (automutilations, tentatives de suicides) et les symptômes d’allure psychotique se sont résolus assez rapidement, tandis que les symptômes affectifs (sentiment chronique de vide, accès de colère) et les difficultés liées aux relations interpersonnelles (intolérance à la solitude, peur de l’abandon et méfiance) se sont améliorés peu et lentement. Il est à noter que la dysphorie et l’hyperréactivité de l’humeur (instabilité affective) persistent chez la plupart des sujets borderline malgré les traitements médicamenteux intenses tout au long du suivi, suggérant qu’il s’agit vraisemblablement de caractéristiques constitutionnelles. En ce qui concerne l’évolution des troubles comorbides, leur taux a significativement diminué chez les sujets borderline en rémission, mais il est resté stable tout au long du suivi chez ceux qui remplissaient toujours les critères TPB. Ces résultats impliquent que la rémission du TPB favorise la rémission des troubles comorbides de l’Axe I. La seule exception sont les troubles liés à l’utilisation des substances psychoactives qui interfèrent avec l’évolution favorable du TPB en aggravant tous ses symptômes. En effet, l’alcoolisme et/ou la toxicomanie augmentent l’impulsivité, la rage et les symptômes dépressifs, exacerbent la méfiance, tout entraînant des conséquences graves sur le fonctionnement interpersonnel [29]. Étude Collaborative longitudinal personality disorder study [21] Cette étude a commencé, il y a 12 ans, sur un échantillon de 668 sujets dont 175 sujets borderline. L’âge des sujets s’étalait entre 18 et 45 ans. Les troubles de la personnalité ont été diagnostiqués à l’aide du diagnostic interview for DSM-IV personality disorders (DIPD-IV [30]). Même si les participants de l’étude CLPS ont été suivis depuis plus de dix ans, la majorité des résultats publiés jusque-là concernent la période des deux premières années de suivi. Cent cinquante-huit (88 %) de 175 sujets borderline inclus ont été réévalués à trois reprises sur deux ans : à six mois, à 12 mois et 24 mois. Pour ce qui est de l’évolution symptomatique, cette étude a montré que le taux de rémission variait en fonction de la façon dont cette dernière est définie. Ainsi, lors de l’évaluation à deux ans de suivi, 56 % de sujets ne remplissaient plus les critères TPB, c’est-à-dire répondaient à moins de cinq des neuf critères. En revanche, lorsque deux définitions plus restreintes de la rémission ont été appliquées, les taux de rémission se sont révélés plus bas : 42 % de sujets répondaient à moins de trois critères depuis deux mois consécutifs et seulement 28 % répondaient à moins de trois critères depuis 12 mois consécutifs. Cependant, même le taux de rémission de 28 % peut être considéré comme élevé pour un trouble de la personnalité comme le TPB, supposé être stable. Quant à la stabilité des différents critères du TPB, certains critères se sont montrés plus stables que d’autres. 378 D. Karaklic, C. Bungener L’instabilité affective a été le critère le plus stable au cours des deux années, suivie par les colères intenses et inappropriées [10]. En revanche, les automutilations et les efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou imaginés se sont révélés être les critères les moins stables. Cette étude a donc confirmé l’existence de deux types de symptômes du TPB mis en évidence par Zanarini et al. [30], mais la relation entre ces symptômes a été conceptualisée de façon quelque peu différente. En effet, comme les différences dans la stabilité des critères ont été constatées pour toutes les autres personnalités pathologiques explorées, les auteurs en déduisent que les TP peuvent être envisagés comme un mélange de deux éléments : • des traits de personnalité stables qui peuvent avoir des variantes normales, mais sont exagérées ou rigides dans les TP ; • des comportements dysfonctionnels qui correspondent à des tentatives de compensation, de défense, de coping ou d’adaptation à ces traits de personnalités pathologiques (par ex. recours aux automutilations pour réduire les affects négatifs intenses). Il est intéressant de noter que l’intensité des traitements n’avait d’impact ni sur la stabilité catégorielle, ni sur la stabilité dimensionnelle des troubles de la personnalité [17]. Pour ce qui est de l’impact des troubles comorbides sur l’évolution du TPB, les résultats varient en fonction de la durée de période de suivi. Après deux ans de suivi, Shea et al. [18] ont constaté que la rémission du trouble dépressif majeur et celle de l’état de stress post-traumatique favorise la rémission du TPB. En revanche, après trois ans de suivi, Gunderson et al. [7] observent que le taux de rémission du TPB n’est pas influencé par l’évolution positive du trouble dépressif majeur, tandis que les améliorations du TPB s’accompagnent souvent de celles du trouble dépressif majeur. Ces derniers auteurs concluent que les deux troubles peuvent évoluer indépendamment l’un de l’autre, mais que le plus souvent l’amélioration du trouble dépressif majeur est prédite par celle du TPB. Malgré une amélioration importante et relativement rapide de la symptomatologie borderline, le fonctionnement global des patients n’a pas significativement progressé au cours des deux années, les scores moyens à l’échelle EGF étant restés stables [19]. Ces résultats impliquent que le Tableau 2 Conclusion Cette revue de la littérature montre que les études prospectives les plus récentes rapportent une évolution du TPB bien plus favorable que non seulement les études prospectives plus anciennes, mais aussi que les études rétrospectives à très long terme. Ainsi, le taux de rémission de 75 % a été constaté après 27 ans dans l’étude rétrospective de Paris et Zweig-Frank [13] et après seulement six ans dans le suivi prospectif de Zanarini et al. [30]. Ces divergences de résultats fort surprenantes peuvent être liées aux différences méthodologiques. Ainsi, on peut supposer que les sujets acceptant de participer aux recherches prospectives longues représentent un sousgroupe particulier de patients borderline se caractérisant par une compliance plus élevée et une stabilité plus importante que les patients évalués dans les études rétrospectives. Par ailleurs, leur évolution plus favorable peut être expliquée par l’efficacité des traitements, car les auteurs des études prospectives s’assurent que les participants aient accès aux soins intensifs à long terme afin de diminuer le pourcentage des sujets perdus de vue [14]. En revanche, dans l’étude rétrospective de Paris et Zweig-Frank [13], seule une minorité de sujets bénéficiaient d’un suivi thérapeutique régulier. Cependant, malgré toutes leurs limites méthodologiques, les études longitudinales du TPB remettent en cause la stabilité du diagnostic catégoriel du TPB qui exige la chronicité des symptômes. Par ailleurs, ces études ont des implications cliniques très importantes en montrant que le TPB évolue favorablement avec le temps, contredisant ainsi l’idée répandue selon laquelle les patients borderline sont prédestinés à une évolution chronique. À l’heure actuelle, on sait Études prospectives principales du trouble de la personnalité borderline. n Critères diagnostiques Nombre d’années du suivi Âge moyen à j0 Sexe Statut socioéconomique % de rémission % de suicide a fonctionnement global n’évolue pas au même rythme que les symptômes TPB. La limite principale de ces deux études prospectives concerne le type des populations étudiées. S’agissant de patients hospitalisés et intensément traités tout au long des suivis, il est possible que l’évolution des patients n’ayant jamais été hospitalisés soit différente de même que l’évolution des sujets borderline non traités (qui ne consultent pas). Malheureusement, à l’heure actuelle, on ne dispose toujours pas de données concernant l’évolution de ces deux dernières populations (Tableau 2). Grilo et al. (2004). Hamilton [8] Collaborative longitudinal personality disorder study [19]a McLean [30] 88 DIB-R 7 34 15—85 Bas 53 % 7,7 % 155 DSM-IV 2 18—45 (étendue) 25—75 Divers 56 % Non rapporté 290 DIB-R et DSM-III-R 10 27 23—77 Divers 88 % 4% Évolution du trouble de la personnalité borderline : revue de la littérature que cela n’est pas vrai et les cliniciens devraient être encouragés à dire aux patients que, même si leur détresse actuelle est très intense, ils peuvent s’attendre à une atténuation des symptômes dans l’avenir. Références [1] Akiskal HS, Chen SE, Davis GC, et al. Borderline: an adjective in search of a noun. J Clin Psychiatry 1985;46:41—8. [2] American Psychiatric Association. DSM-III, Washington DC, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 3e édition — Texte révisé, Washington DC, 1980. Traduction française coordonnée par JD Guelfi. Paris: Masson; 1983. [3] American Psychiatric Association. 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