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L’Encéphale (2010) 36, 373—379
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
MÉMOIRE ORIGINAL
Évolution du trouble de la personnalité borderline :
revue de la littérature
Course of borderline personality disorder: Literature review
D. Karaklic ∗, C. Bungener
EA 4057, laboratoire de psychopathologie et neuropsychologie cliniques, institut de psychologie, université Paris-Descartes,
71, boulevard Édouard-Vaillant, 92774 Boulogne-Billancourt, France
Reçu le 9 juin 2009 ; accepté le 10 novembre 2009
Disponible sur Internet le 6 mars 2010
MOTS CLÉS
Personnalité
borderline ;
Évolution ;
Études
rétrospectives ;
Études prospectives
KEYWORDS
Borderline
personality disorder;
Course;
Retrospective
studies;
Prospective studies
∗
Résumé Le trouble de la personnalité borderline (TPB) est le trouble de la personnalité le
plus fréquent parmi les patients psychiatriques. Pendant longtemps, les patients borderline
ont été considérés comme particulièrement résistants aux traitements et prédestinés à une
évolution chronique. Cette vision pessimiste demeure toujours assez répandue chez les cliniciens, même si les données empiriques les plus récentes la contredisent en montrant qu’une
évolution favorable du TPB est non seulement possible, mais même fréquente. L’objectif de
ce travail est de proposer une synthèse des études longitudinales disponibles en les présentant
dans l’ordre chronologique de leur parution, ce qui permet de voir l’évolution des idées sur le
TPB. Les premiers travaux ont cherché à savoir si le TPB pouvait évoluait vers la schizophrénie,
ce qui a été démenti. Après l’introduction des critères TPB dans le DSM en 1980, les études
longitudinales se sont intéressées principalement à la stabilité et à la spécificité du diagnostic
TPB. Enfin, les recherches prospectives les plus récentes, appliquant une méthodologie rigoureuse, ont exploré plusieurs aspects évolutifs en mettant en évidence l’évolution des différents
symptômes. Malgré une réduction importante de la symptomatologie avec le temps, certains
symptômes se résolvent relativement rapidement, tandis que d’autres ont tendance à persister.
© L’Encéphale, Paris, 2010.
Summary
Introduction. — Borderline personality disorder (BPD) is a serious mental disorder associated
with severe emotional, behavioral, cognitive and interpersonal dysfunction, extensive functional impairment and frequent self-destructive behaviour, including deliberate self-harm and
suicidal behaviour. For quite some time, BPD has been viewed as a chronic disorder and borderline patients as extremely difficult to treat, doomed to a life of misery. However, those views
are changing and there is an increasing recognition that BPD has a far more benign course than
previously thought. The purpose of this study is to show how those views changed over time by
reviewing longitudinal studies of the course of BPD.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (D. Karaklic).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2010.
doi:10.1016/j.encep.2009.12.009
374
D. Karaklic, C. Bungener
Methods. — We have reviewed the literature published from 1968 to March 2009, using the
following key words: borderline personality disorder, outcome, follow-up studies with some
additional references.
Results. — The aim of the longitudinal studies conducted prior to the DSM definition of BPD criteria was to determine whether borderline patients could become psychotic over time, but no
such evidence was found even though their functioning was at a relatively low level. The studies
conducted after the introduction of BPD in the DSM in 1980 tested the stability and the specificity of BPD diagnosis, concluding that the criteria were relatively stable in the short run since
the majority of patients continued to meet them at the follow-up assessments. However, those
studies had many methodological drawbacks which limited their generalizability such as small
sample sizes, high attrition rates, the absence of comparison groups, etc. Four retrospective
studies of the 15-year outcome of borderline patients obtained virtually identical results despite
methodological differences, showing that the global functioning of borderline patients improved
substantially over time with mean scores of the GAF scale falling within a mild range of impairment. One 27-year retrospective study showed that borderline patients continued to improve
as they grew older, only 8% of the cohort still meeting criteria for BPD. Two recent carefully
designed prospective studies showed that the majority of BPD patients experienced a substantial reduction in their symptoms far sooner than previously expected. After six years, 75% of
patients diagnosed with BPD severe enough to be hospitalized achieve remission by standardized
diagnostic criteria and after 10 years, the remission rate raises up to 88%. Recurrences are rare,
no more than 6% over six years. The dramatic symptoms (suicidal behaviour, self-mutilation,
queasy psychotic thoughts) resolve relatively quickly, but abandonment concerns, feeling of
emptiness and vulnerability to dysphonic states is likely to remain in at least half the patients.
Discussion. — This contrasts with the natural course of many Axis I disorders, such as mood
disorders, where improvement rates may be somewhat higher and more rapid but recurrences
are more frequent. The findings of longitudinal studies raise doubts about the validity of the
definition in the DSM, which implies that personality disorders must necessarily be chronic.
However, it should be noted that even the most encouraging findings do not show full recovery
since the majority of patients seem to suffer from some residual symptoms.
Conclusion. — These findings have very important clinical implications and borderline patients
should be told that they can expect improvement, no matter how intense their current emotional pain. However, we still lack evidence-based findings on mechanisms that lie behind the
recovery process in BPD. Future research should explore the mechanisms of recovery in BPD.
© L’Encéphale, Paris, 2010.
Introduction
Le trouble de la personnalité borderline (TPB) est le trouble
de la personnalité le plus fréquent chez les patients psychiatriques, représentant jusqu’à 50 % des patients hospitalisés
et entre 11 et 15 % des patients suivis en ambulatoire [21].
Il s’agit d’un trouble grave se manifestant par des perturbations sévères dans le domaine des affects, du comportement
et des relations interpersonnelles [3], mais sa gravité est liée
avant tout à la fréquence élevée des comportements autodestructeurs (automutilations et tentatives de suicide) et à
la mortalité suicidaire 20 fois plus élevée qu’en population
générale (taux de suicide de 10 % [14]).
Pendant longtemps, ce trouble a été considéré comme
chronique et particulièrement difficile à traiter aussi bien
par des approches pharmacologiques que par des méthodes
psychothérapeutiques. Cependant, les études prospectives
les plus récentes apportent des résultats prometteurs en
éclairant l’évolution de ce trouble d’un jour nouveau. Or
une synthèse de ces travaux n’a jamais fait l’objet d’une
publication en langue française.
L’objectif de ce travail est de présenter les principales études longitudinales disponibles dans la littérature
sur l’évolution symptomatique du TPB et tout particuliè-
rement les résultats concernant la stabilité des critères,
l’évolution des différents symptômes et du fonctionnement
global des patients borderline. Les travaux seront exposés
dans l’ordre chronologique de leur parution, car les différences à la fois conceptuelles et méthodologiques entre
les études anciennes et les études récentes rendent leurs
données respectives difficilement comparables. Les études
prospectives dont l’objectif était de tester l’efficacité
des traitements médicamenteux et/ou psychologiques spécifiques n’ont pas été incluses dans cette revue de la
littérature.
Méthodologie
Elle se base sur une revue de la littérature faite à partir de la base de données Medline, les articles parus entre
1968 à 2009 et comprenant les mots clés suivants : borderline personality disorder, longitudinal studies, outcome ont
été sélectionnés. Toutefois, nous n’avons retenu que les
études les plus fréquemment citées et omis certaines dont
la méthodologie était peu rigoureuse (absence de groupe
témoin, diagnostics TPB établis de façon intuitive par les
cliniciens).
Évolution du trouble de la personnalité borderline : revue de la littérature
Études prospectives à court et moyen termes
sur de petits échantillons
Travaux parus avant l’introduction de la
personnalité borderline dans le DSM
Les travaux les plus anciens ont cherché à examiner
l’évolution du fonctionnement social et professionnel de
petits échantillons de patients.
La première étude longitudinale est celle de Grinker et
al. [6] qui ont suivi 41 patients atteints du syndrome borderline, tel qu’il est défini par les auteurs de l’étude, pendant
deux ans et demi (51 patients au départ) en constatant très
peu de progrès, car deux tiers des patients présentaient une
chronicité des symptômes ou leur aggravation. Malgré un
taux relativement élevé de réhospitalisations (un tiers des
patients), au cours du suivi, la majorité des patients a réussi
à garder un emploi stable, tout en occupant des postes de
bas niveaux.
Puisque, à l’époque, on croyait que le TPB correspondait à une forme de psychose, l’un des objectifs de l’étude
était d’explorer une évolution éventuelle du TPB vers la
schizophrénie. Cependant, après six à sept ans, aucun des
28 patients réévalués n’avait développé un épisode psychotique [23].
Études conduites après l’introduction des critères
TPB dans le DSM-III
Pope et al. [16] sont les premiers à avoir réalisé une
étude prospective du TPB en se basant sur les critères
du DSM-III [2]. Ils ont suivi 27 des 33 sujets borderline initialement inclus dans l’étude, sur une période variant de
quatre à sept ans, ont montré que le diagnostic TPB était
assez stable, car 67 % de sujets (18 sur 27) remplissaient
toujours les critères et aucun n’avait développé une schizophrénie. Le fonctionnement global des sujets borderline
s’est montré significativement plus altéré que celui des
sujets bipolaires et des sujets souffrant d’un trouble schizoaffectif, mais comparable à celui des sujets schizophrènes,
bien que significativement moins perturbé sur le plan
professionnel.
Akiskal et al. [1] ont suivi 100 sujets borderline sur une
période variant entre six mois et trois ans. Au cours de
cette période, 52 % des sujets ont développé un trouble
de l’humeur : 29 sujets un épisode dépressif majeur, quatre
sujets un épisode maniaque, 11 sujets un épisode hypomaniaque et six sujets au moins un épisode mixte. Il est à noter
que presque la moitié des sujets (45 %) présentait déjà un
trouble de l’humeur lors de l’inclusion dans l’étude. Mais
même parmi ceux qui n’en présentaient pas, 11 sujets (20 %)
ont développé un épisode dépressif majeur et quatre sujets
(7 %) se sont suicidés. En s’appuyant sur cette comorbidité
importante avec les troubles de l’humeur chez les sujets
borderline, Akiskal et al. avancent l’hypothèse que le TPB
fait partie du spectre bipolaire, correspondant à une forme
subclinique (subaffective) du trouble bipolaire.
Barasch et al. [4] ont suivi pendant trois ans dix sujets
borderline (groupe expérimental) qu’ils ont comparé à
20 sujets présentant d’autres troubles de la personnalité
375
(groupe témoin) dans le but de tester la stabilité temporelle
du diagnostic. À la fin du suivi, 60 % des sujets du groupe
expérimental remplissaient toujours les critères TPB, tandis que 30 % répondaient à quatre au lieu de cinq critères.
Parmi 20 sujets du groupe témoin, seulement trois sujets
remplissaient les critères TPB lors de l’évaluation à trois ans.
Les auteurs interprètent ces résultats comme une preuve de
stabilité du diagnostic TPB dans le temps.
L’étude de Links et al. [8] conduite auprès d’un échantillon de 88 sujets borderline diagnostiqués à l’aide du DIB-R
[25] a montré qu’à deux ans de suivi, environ 40 % des
65 sujets réévalués ne remplissaient plus les critères TPB
du DIB-R. Après cinq à sept ans, le taux de rémission a augmenté : 53 % des 57 sujets réévalués ne répondaient plus aux
critères TPB.
Najavits et Gunderson [11] ont suivi 37 patientes borderline, diagnostiquées à l’aide du DIB-R et qui débutaient une
prise en charge psychothérapeutique. Trente-trois patientes
ont été réévaluées après un an, 23 patientes après deux
ans et 20 patientes trois ans après l’évaluation initiale. Une
diminution significative des symptômes affectifs et des comportements impulsifs, tels qu’ils sont appréciés par le DIB-R,
a été observée.
Les études précédemment citées ont des limites méthodologiques importantes, qui les rendent difficilement
généralisables : tailles réduites des échantillons, pourcentages relativement élevés de sujets perdus de vue, absence
de groupe témoin ou groupe témoin inapproprié (sujets psychotiques), non-utilisation des critères diagnostiques valides
de la personnalité borderline, outils d’évaluation non standardisés, réévaluations longitudinales non réalisées en insu,
absence de plusieurs évaluations au cours des suivis.
Toutefois, malgré ces limites, quatre résultats principaux, concernant l’évolution à court terme du TPB, peuvent
être dégagés de ces études. Premièrement, le pourcentage des sujets qui remplissaient toujours les critères TPB
à la fin des suivis était assez élevé, variant entre 60 % et
96 %, ce qui a été interprété comme une preuve de stabilité du diagnostic TPB à court terme. Deuxièmement,
parmi tous les symptômes, les comportements impulsifs
sont ceux qui ont le plus ont diminué dans sept études
ayant exploré l’évolution symptomatique. Troisièmement,
ces études ont montré que le TPB n’évoluait pas vers
la schizophrénie, malgré la survenue transitoire de symptômes d’allure psychotiques lors des périodes de stress. Ce
constat, actuellement évident, était sujet à controverse
dans les années 1960—1980. Quatrièmement, l’évolution du
TPB à court terme était marquée par une fréquence élevée
de troubles comorbides, notamment du trouble dépressif
majeur et de l’abus de substances psychoactives.
Études rétrospectives
Cinq études rétrospectives consacrées à l’évolution à
long terme du TPB ont été conduites, dont trois sur
15 ans, une sur 13 ans et une sur 27 ans. À l’exception
de l’étude sur 27 ans de Paris et Zweig-Frank [13] qui a
évalué à la fois l’évolution symptomatique et l’évolution
du fonctionnement global, toutes les autres études ont
exploré uniquement l’évolution du fonctionnement global
des patients borderline.
376
D. Karaklic, C. Bungener
McGlashan [9] a réalisé un suivi rétrospectif sur 15 ans de
81 patients borderline hospitalisés entre 1950 et 1975. À la
fin du suivi, le fonctionnement global de ces sujets s’était
nettement amélioré en atteignant le score moyen de 64 à
l’échelle de fonctionnement global (EGF) [5], ce qui correspond à un dysfonctionnement léger. Le taux de suicide était
faible, de seulement 3 % (quatre sujets).
Plakun et al. [15] ont suivi rétrospectivement 100 sujets
borderline, ayant été hospitalisés entre 1950 et 1976. La
méthodologie utilisée n’était pas aussi rigoureuse que celle
de l’étude précédente, car les sujets ont été évalués à l’aide
d’un questionnaire qui leur avait été adressé par courrier et
non pas au cours d’un entretien téléphonique. Néanmoins,
les résultats étaient similaires : après 15 ans, la plupart des
patients s’étaient améliorés, comme le témoigne le score
moyen de 67 à l’EGF.
L’étude rétrospective de Michael Stone [20] conduite
auprès de 200 sujets borderline sur 15 ans a également mis
en évidence une évolution favorable du fonctionnement global, avec un score moyen de 63 à l’EGF. Le taux de suicide
était de 9 %.
L’étude de Paris et al. [12,13] est la seule étude rétrospective ayant exploré l’évolution du TPB sur 15 et sur 27 ans.
Cent des 322 sujets inclus ont pu être réévalués après 15 ans.
Seulement 25 % de patients remplissaient toujours les critères DIB-R [26]. Une diminution nette de tous les quatre
types de symptômes du DIB-R et une amélioration significative du fonctionnement global (score moyen de 63 à l’EGF)
ont été constatées. Le taux de suicide était de 8,5 %.
Soixante-quatre de ces 100 sujets ont été réévalués
12 ans plus tard. Seulement 7,8 % (cinq sujets) remplissaient
toujours les critères du DIB-R. Parmi tous les symptômes,
ce sont les difficultés dans les relations interpersonnelles
qui ont le plus diminué. Quant aux troubles comorbides,
22 % des sujets présentaient une dysthymie, 3 % un épisode
dépressif majeur et 5 % un abus de substances. Le taux relativement élevé de dysthymie témoigne de la chronicité des
symptômes affectifs chez les sujets borderline, constatée
également dans les études prospectives récentes présentées
ci-dessous.
Il est intéressant de noter que le fonctionnement global n’a pas évolué pendant les 12 dernières années de suivi,
c’est-à-dire entre l’évaluation à 15 ans et celle à 27 ans,
ce que les auteurs interprètent comme l’atteinte d’un plafond au-delà duquel celui-ci ne s’améliore plus. Autrement
Tableau 1
dit, l’évolution du TPB à long terme semble se caractériser par la persistance d’un dysfonctionnement psychosocial
léger qui serait liée à la chronicité de certains symptômes
(notamment affectifs).
Une étude rétrospective sur 13 ans a été réalisée au
Japon auprès de 19 sujets borderline [24]. Environ 7 % de
sujets se sont suicidés, tandis que les autres ont évolué favorablement, comme le montre le score moyen de 60,7 à l’EGF,
ce qui rejoint les résultats des études précédemment citées.
Après 13 ans, la plupart des sujets vivaient toujours avec leur
famille d’origine et la trop grande implication des relations
familiales s’est avéré être un facteur de mauvais pronostic.
Ce résultat est surprenant dans la mesure où il contraste
avec les données des études nord-américaines qui montrent
que la plupart des sujets borderline suivis à long terme
vivaient seuls [13,20]. Cela suggère que, malgré un pattern d’évolution commun, il existe des différences entre les
populations japonaises et les populations occidentales des
patients borderline. Toutefois, la taille de l’échantillon de
cette étude est trop réduite pour que ses résultats puissent
être généralisés.
Les études rétrospectives citées ci-dessus présentent
des limites méthodologiques importantes. Premièrement,
la fiabilité des diagnostics posés rétrospectivement peut
être remise en question, car les informations disponibles
dans les dossiers médicaux des patients sont variables et
peuvent être insuffisantes. Deuxièmement, dans certaines
études, les autoquestionnaires postés et les entretiens
téléphoniques ont été utilisés comme la source principale d’information. Troisièmement, dans quatre des ces
cinq études, les sujets n’ont été évalués qu’une seule
fois, c’est-à-dire à la fin du suivi. Or plusieurs évaluations
auraient permis de mieux caractériser l’évolution du TPB à
long terme, c’est-à-dire de savoir si celui-ci évolue favorablement de façon linéaire ou par alternance de phases
d’exacerbation et de rémission symptomatique.
Une autre limite méthodologique est liée aux caractéristiques sociales des populations étudiées. En effet, dans
toutes ces études, sauf celle de Paris et Zweig-Frank [13],
les participants appartenaient exclusivement aux classes
socioéconomiques moyenne ou élevée.
Malgré ces limites, toutes ces études rétrospectives
montrent, sans exception, que l’évolution du TPB à
long terme est favorable et que les patients borderline
s’améliorent considérablement avec l’âge (Tableau 1).
Études rétrospectives de l’évolution du trouble de la personnalité borderline.
Site de recrutement des patients
Chestnut Lodge [9]
Columbia [15]
Austen Riggs [20]
Montréal [12,13]
Nombre d’années de suivi
% de sujets évalués
Âge moyen
% hommes versus femmes
Statut socioéconomique
EGF (moyenne)
% de rémission
% de morts par suicides
Âge moyen de suicide
15
81
47
46 versus 54
Élevé
64
?
3
?
15
206
37
30 versus 70
Élevé
67
?
9
30
15
54
40
27 versus 73
Élevé
67
?
?
?
15 et 27
100 et 64
39 et 51
16 versus 84 et 17 versus 83
Tous
63 et 63
75 et 92
9 et 10
30 et 37
EGF : échelle de fonctionnement global.
Évolution du trouble de la personnalité borderline : revue de la littérature
Études prospectives récentes sur des
échantillons importants
Deux recherches prospectives du TPB sont en cours depuis
environ 15 ans aux États-Unis : Mc Lean study of adult development (MSAD), comparant le TPB à d’autres personnalités
pathologiques, et Collaborative longitudinal personality
disorder study (CLPS), comparant l’évolution des personnalités borderline, évitante, obsessionnelle—compulsive et
schizotypique.
Comparativement aux études précédemment présentées, celles-ci sont réalisées auprès d’échantillons plus
importants, elles explorent plus d’aspects évolutifs du TPB
et utilisent une méthodologie plus rigoureuse, comprenant
des évaluations répétées par des examinateurs non avertis
et des analyses statistiques plus sophistiquées.
Étude Mc Lean study of adult developement
[28,29,30,31]
Cette étude a débuté, il y a 16 ans, avec un échantillon
de 290 sujets borderline hospitalisés, répondant à la fois
aux critères DSM-III et aux critères DIB-R. Le groupe témoin
comportait 72 sujets présentant d’autres troubles de la
personnalité. Lors de l’inclusion dans l’étude, le fonctionnement global des sujets borderline était très perturbé,
comme le montre le score moyen de 39,8 à l’EGF. L’âge
des sujets s’étalait de 18 à 35 ans (âge moyen : 27 ans) et
ils bénéficiaient tous de traitements médicamenteux et psychothérapiques intenses tout au long du suivi. La plupart des
résultats publiés à ce jour concernent la période des six premières années de suivi, mais certains résultats concernant
la période de dix ans sont également disponibles.
Après six ans de suivi, le taux de suicide a été faible,
de 3,8 % (11 sujets). L’évolution du fonctionnement global a
été favorable, 60 % de sujets présentant un fonctionnement
jugé satisfaisant.
Quant à l’évolution symptomatique, cette étude a montré que les rémissions sont plus fréquentes et obtenues dans
des délais plus brefs que ce qui avait été constaté dans
les études précédentes. Parmi 275 sujets ayant été réévalués, au moins une fois au cours des dix ans, environ 34 %
(95 sujets) ont été considérés en rémission au cours des deux
premières années, 54 % (149 sujets) après quatre ans, 73 %
(202 sujets) après six ans, 85 % (233 sujets) après huit ans
et 88 % (242 sujets) après dix ans. En ce qui concerne le
temps de rémission, parmi 242 sujets ayant atteint la rémission au cours de ces dix années, 95 sujets (39,3 %) étaient en
rémission pour la première fois lors de l’évaluation à deux
ans, 54 sujets (22,3 %) après quatre ans, 53 sujets (21,9 %)
après six ans, 31 sujets (12,8 %) après huit ans et neuf sujets
(3,7 %) après dix ans. Il est intéressant de noter que la plupart des sujets se sont rétablis au cours des deux premières
années du suivi. Par ailleurs, les récurrences se sont montrées rares, environ 6 % après six ans de suivi (le taux de
récurrence sur dix ans n’a pas été précisé). Compte tenu
de ce taux de rémission élevé associé à un taux de récurrence faible, la personnalité borderline semble présenter
deux potentialités évolutives opposées : soit une évolution
positive aboutissant à des rémissions stables (la plupart des
377
patients), soit une évolution chronique sans phase de rémission.
En ce qui concerne l’évolution des symptômes spécifiques, malgré une diminution globale de la symptomatologie, tous les symptômes n’ont pas évolué au même rythme.
Les comportements autodestructeurs (automutilations, tentatives de suicides) et les symptômes d’allure psychotique
se sont résolus assez rapidement, tandis que les symptômes
affectifs (sentiment chronique de vide, accès de colère) et
les difficultés liées aux relations interpersonnelles (intolérance à la solitude, peur de l’abandon et méfiance) se sont
améliorés peu et lentement. Il est à noter que la dysphorie et l’hyperréactivité de l’humeur (instabilité affective)
persistent chez la plupart des sujets borderline malgré
les traitements médicamenteux intenses tout au long du
suivi, suggérant qu’il s’agit vraisemblablement de caractéristiques constitutionnelles.
En ce qui concerne l’évolution des troubles comorbides,
leur taux a significativement diminué chez les sujets borderline en rémission, mais il est resté stable tout au long
du suivi chez ceux qui remplissaient toujours les critères
TPB. Ces résultats impliquent que la rémission du TPB favorise la rémission des troubles comorbides de l’Axe I. La seule
exception sont les troubles liés à l’utilisation des substances
psychoactives qui interfèrent avec l’évolution favorable du
TPB en aggravant tous ses symptômes. En effet, l’alcoolisme
et/ou la toxicomanie augmentent l’impulsivité, la rage et
les symptômes dépressifs, exacerbent la méfiance, tout
entraînant des conséquences graves sur le fonctionnement
interpersonnel [29].
Étude Collaborative longitudinal personality
disorder study [21]
Cette étude a commencé, il y a 12 ans, sur un échantillon
de 668 sujets dont 175 sujets borderline. L’âge des sujets
s’étalait entre 18 et 45 ans. Les troubles de la personnalité ont été diagnostiqués à l’aide du diagnostic interview
for DSM-IV personality disorders (DIPD-IV [30]). Même si
les participants de l’étude CLPS ont été suivis depuis plus
de dix ans, la majorité des résultats publiés jusque-là
concernent la période des deux premières années de suivi.
Cent cinquante-huit (88 %) de 175 sujets borderline inclus
ont été réévalués à trois reprises sur deux ans : à six mois,
à 12 mois et 24 mois.
Pour ce qui est de l’évolution symptomatique, cette
étude a montré que le taux de rémission variait en fonction de la façon dont cette dernière est définie. Ainsi, lors
de l’évaluation à deux ans de suivi, 56 % de sujets ne remplissaient plus les critères TPB, c’est-à-dire répondaient à
moins de cinq des neuf critères. En revanche, lorsque deux
définitions plus restreintes de la rémission ont été appliquées, les taux de rémission se sont révélés plus bas : 42 %
de sujets répondaient à moins de trois critères depuis deux
mois consécutifs et seulement 28 % répondaient à moins de
trois critères depuis 12 mois consécutifs. Cependant, même
le taux de rémission de 28 % peut être considéré comme
élevé pour un trouble de la personnalité comme le TPB,
supposé être stable.
Quant à la stabilité des différents critères du TPB, certains critères se sont montrés plus stables que d’autres.
378
D. Karaklic, C. Bungener
L’instabilité affective a été le critère le plus stable au cours
des deux années, suivie par les colères intenses et inappropriées [10]. En revanche, les automutilations et les efforts
effrénés pour éviter les abandons réels ou imaginés se sont
révélés être les critères les moins stables. Cette étude a
donc confirmé l’existence de deux types de symptômes du
TPB mis en évidence par Zanarini et al. [30], mais la relation
entre ces symptômes a été conceptualisée de façon quelque
peu différente. En effet, comme les différences dans la
stabilité des critères ont été constatées pour toutes les
autres personnalités pathologiques explorées, les auteurs
en déduisent que les TP peuvent être envisagés comme un
mélange de deux éléments :
• des traits de personnalité stables qui peuvent avoir des
variantes normales, mais sont exagérées ou rigides dans
les TP ;
• des comportements dysfonctionnels qui correspondent à
des tentatives de compensation, de défense, de coping
ou d’adaptation à ces traits de personnalités pathologiques (par ex. recours aux automutilations pour réduire
les affects négatifs intenses).
Il est intéressant de noter que l’intensité des traitements
n’avait d’impact ni sur la stabilité catégorielle, ni sur la
stabilité dimensionnelle des troubles de la personnalité [17].
Pour ce qui est de l’impact des troubles comorbides sur
l’évolution du TPB, les résultats varient en fonction de la
durée de période de suivi. Après deux ans de suivi, Shea et
al. [18] ont constaté que la rémission du trouble dépressif
majeur et celle de l’état de stress post-traumatique favorise la rémission du TPB. En revanche, après trois ans de
suivi, Gunderson et al. [7] observent que le taux de rémission du TPB n’est pas influencé par l’évolution positive du
trouble dépressif majeur, tandis que les améliorations du
TPB s’accompagnent souvent de celles du trouble dépressif
majeur. Ces derniers auteurs concluent que les deux troubles
peuvent évoluer indépendamment l’un de l’autre, mais que
le plus souvent l’amélioration du trouble dépressif majeur
est prédite par celle du TPB.
Malgré une amélioration importante et relativement
rapide de la symptomatologie borderline, le fonctionnement
global des patients n’a pas significativement progressé au
cours des deux années, les scores moyens à l’échelle EGF
étant restés stables [19]. Ces résultats impliquent que le
Tableau 2
Conclusion
Cette revue de la littérature montre que les études prospectives les plus récentes rapportent une évolution du TPB bien
plus favorable que non seulement les études prospectives
plus anciennes, mais aussi que les études rétrospectives à
très long terme. Ainsi, le taux de rémission de 75 % a été
constaté après 27 ans dans l’étude rétrospective de Paris et
Zweig-Frank [13] et après seulement six ans dans le suivi
prospectif de Zanarini et al. [30].
Ces divergences de résultats fort surprenantes peuvent
être liées aux différences méthodologiques. Ainsi, on
peut supposer que les sujets acceptant de participer aux
recherches prospectives longues représentent un sousgroupe particulier de patients borderline se caractérisant
par une compliance plus élevée et une stabilité plus
importante que les patients évalués dans les études rétrospectives. Par ailleurs, leur évolution plus favorable peut être
expliquée par l’efficacité des traitements, car les auteurs
des études prospectives s’assurent que les participants aient
accès aux soins intensifs à long terme afin de diminuer le
pourcentage des sujets perdus de vue [14]. En revanche,
dans l’étude rétrospective de Paris et Zweig-Frank [13],
seule une minorité de sujets bénéficiaient d’un suivi thérapeutique régulier.
Cependant, malgré toutes leurs limites méthodologiques,
les études longitudinales du TPB remettent en cause la stabilité du diagnostic catégoriel du TPB qui exige la chronicité
des symptômes. Par ailleurs, ces études ont des implications
cliniques très importantes en montrant que le TPB évolue favorablement avec le temps, contredisant ainsi l’idée
répandue selon laquelle les patients borderline sont prédestinés à une évolution chronique. À l’heure actuelle, on sait
Études prospectives principales du trouble de la personnalité borderline.
n
Critères diagnostiques
Nombre d’années du suivi
Âge moyen à j0
Sexe
Statut socioéconomique
% de rémission
% de suicide
a
fonctionnement global n’évolue pas au même rythme que
les symptômes TPB.
La limite principale de ces deux études prospectives
concerne le type des populations étudiées. S’agissant de
patients hospitalisés et intensément traités tout au long
des suivis, il est possible que l’évolution des patients
n’ayant jamais été hospitalisés soit différente de même
que l’évolution des sujets borderline non traités (qui ne
consultent pas). Malheureusement, à l’heure actuelle, on
ne dispose toujours pas de données concernant l’évolution
de ces deux dernières populations (Tableau 2).
Grilo et al. (2004).
Hamilton [8]
Collaborative longitudinal
personality disorder study [19]a
McLean [30]
88
DIB-R
7
34
15—85
Bas
53 %
7,7 %
155
DSM-IV
2
18—45 (étendue)
25—75
Divers
56 %
Non rapporté
290
DIB-R et DSM-III-R
10
27
23—77
Divers
88 %
4%
Évolution du trouble de la personnalité borderline : revue de la littérature
que cela n’est pas vrai et les cliniciens devraient être encouragés à dire aux patients que, même si leur détresse actuelle
est très intense, ils peuvent s’attendre à une atténuation des
symptômes dans l’avenir.
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