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Dépressions et âges de la vie
La médecine
des adolescents déprimés
F. Raffaitin
17 rue des Marroniers, 75016 Paris
Dans certaines régions les délais d’un rendez-vous auprès
d’un pédopsychiatre sont extrêmement longs, 4 à 5 mois à
Paris. Le médecin généraliste
se trouve donc en première
ligne pour prendre en charge
des adolescents souffrant d’une
pathologie dépressive. De ce
fait, plusieurs interrogations se
sont posées sur la prise en
charge de ces adolescents.
DIAGNOSTIC POSITIF
La dépression des adolescents
n’est pas isomorphe à celle de
l’adulte.
La tristesse pathologique est
souvent remplacée par de l’irritabilité et de l’hostilité. Des
modifications comportementales peuvent dominer le tableau ayant valeur de symptômes d’appel. C’est le cas des
scarifications répétées qui dépassent le degré d’une identification à un groupe, des utilisations excessives de jeux vidéo
et des troubles du comportement alimentaire. Les troubles
du sommeil sont aussi assez
fréquents.
Comme chez l’adulte, les notions de rupture avec un état
antérieur et de durée prolongée
(supérieure à deux semaines)
sont deux éléments importants
à prendre en compte, les modifications comportementales
surtout si elles durent dans le
temps sont également un bon
indice.
Il est parfois difficile de trouver
cer tains signes lors de la
consultation d’où l’importance
des bulletins scolaires qui peuvent constituer un des éléments diagnostiques : un fléchissement net des résultats
constitue un symptôme d’appel.
La question du deuil associé à
une perte d’étayage affectif est
délicate. C’est parfois le cas
lors du décès d’un aieul avec
qui l’adolescent avait des relations très importantes notamment de confiance.
Au moment de l’examen somatique, le médecin généraliste
est amené à aborder avec
l’adolescent les questions du
corps en transformation et de
la sexualité. Le discours de
l’adolescent autour de ces
questions peut être révélateur
L’auteur a déclaré participer sur invitation aux conférences organisées par les laboratoires Lundbeck, Pierre Fabre et Lilly.
© L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés.
d’une souffrance. Le discours
du praticien autour du corps
doit être restructurant et procurer à l’adolescent un sentiment d’apaisement avec ce
corps.
Enfin, une fois le diagnostic retenu, il ne faut pas réduire
l’adolescent à sa dépression : il
faut éviter les phrases de style
« vous êtes déprimé » et plutôt
lui dire « vous avez des signes
de souffrance évoquant des
plaintes dépressives ».
ÉVALUATION DU RISQUE
SUICIDAIRE
La prévalence du suicide est
élevée chez les adolescents et
au cours du troisième âge. Cependant, le fait que l’adolescent a des pensées autour du
suicide n’est pas toujours anormal et ne signe pas systématiquement une dépression : c’est
aussi pour lui un moyen d’évaluer ses propres limites psychiques et physiques.
Le médecin doit poser des
questions claires et directes
pour repérer une éventuelle
idéation suicidaire le niveau
Dépressions et âges de la vie
F. Raffaitin
d’intentionnalité. Si le patient a
un plan de suicide, il faut explorer comment et quand il envisage de passer à l’acte. Il est
donc indispensable de rechercher et le cas échéant déceler
les manifestations explicites
d’idées ou d’intentions suicidaires. Les antécédents de tentatives de suicides sont importants à rechercher aussi bien au
niveau personnel qu’au niveau
familial.
Certains facteurs de risques
constituent un indice de gravité
du risque suicidaire :
– les abus des substances
toxiques et/ou alcool, les
troubles des conduites, les
symptômes psychotiques… La
comorbidité entre dépression
et autres pathologies psychiatriques chez l’adolescent est de
l’ordre de 50 à 80 % ce qui
rend le diagnostic encore plus
difficile. On note particulièrement les troubles des conduites
alimentaires et la prise de
toxiques ;
– les facteurs de stress familiaux et sociaux ;
– les comportements suspects :
isolement, dons, messages étonnant, apaisement chez un adolescent qui était très irritable…
Des conseils pratiques, à visée
préventive, peuvent être donnés aux parents : limiter l’accessibilité aux médicaments en
fermant l’armoire à pharmacie
et éviter la présence d’arme à
feu.
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L’Encéphale (2008) Hors-série 2, 27-28
ATTITUDE DU MÉDECIN
Le médecin généraliste a d’une
part une position privilégiée,
puisqu’il connaît l’histoire de la
famille, et d’autre part une position difficile dans la mesure où
quand un adolescent vient le
voir et lui confier ses secrets il
peut avoir l’idée que tout sera
répété à ses parents. Ainsi, il
est impor tant de déf inir le
cadre, de manière pas trop rigide c’est-à-dire signifier que ce
qui est dit dans le cadre de la
consultation ne sera pas répété
à la famille. Cependant dans le
cas d’un problème sérieux et
grave on pourra, avec son accord, convenir d’en parler aux
proches.
Sans qu’il y ait de règles générales, il vaut mieux vouvoyer
des patients vus pour la première fois. Ceci per met de
mettre en place une différenciation des générations, importante en termes de qualité de
soins. Il faut bien évidemment
éviter d’instaurer une relation
copain-copain.
TRAITEMENT
Face à une dépression caractérisée chez un adolescent l’usage des antidépresseurs est indispensable mais non suffisant :
la psychothérapie peut être
d’un apport important.
Il faut essayer d’utiliser des produits qui ont l’AMM dans cette
indication avec une surveillance
rapprochée (tous les 2 à
3 jours) au moins en début du
traitement.
Une psychoéducation autour
du traitement antidépresseur
est indispensable. Il faut expliquer pourquoi ces médicaments, les possibles effets secondaires : en effet il importe
que ces traitements soient pris
de manière très régulière.
HOSPITALISATION
L’indication d’une hospitalisation en psychiatrie ou en pédopsychiatrie dépend du contexte
familial, social, de la qualité de
l’environnement, de la capacité
de la famille à contenir l’angoisse du patient, de la relation du
patient avec son entourage, de
la tolérance des symptômes par
l’entourage et évidemment de
la gravité du tableau clinique.
En cas d’urgence, en l’absence
de structures spécialisées de
proximité il faut avoir recours à
l’hospitalisation au moindre
doute. C’est une décision souvent bien acceptée par l’adolescent si on lui explique que le
cadre de l’hospitalisation permettra de mieux évaluer sa
souffrance pendant une période plus longue que le temps
d’une simple consultation
L’hospitalisation peut aussi être
un espace de négociation,
d’apaisement permettant à
l’adolescent d’élaborer quelque
chose autour de sa souffrance.
En plus, elle permet de mettre
en route un traitement et d’instaurer une alliance thérapeutique.
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