Table ronde : anxiété-dépression MODÉRATEURS : J.-P. OLIÉ, O. DUBOIS RÔLES DU PSYCHIATRE : B. RIMLINGER GÉNÉRALISTE : P. BINDER PSYCHOTHÉRAPEUTE : CH. ANDRÉ Médecin généraliste à Lussant (Charentes-Maritimes), responsable d’un groupe de recherche en médecine générale pour l’accueil des « adolescents en difficulté », et du réseau « Ville-Hôpital Icare » pour les liens entre l’hôpital et la ville sur les addictions, P. Binder a évoqué le rôle du médecin généraliste pour dépister une anxiété ou une dépression. Les médecins généralistes éprouvent des difficultés à faire ce dépistage au quotidien. Des chiffres issus de l’observatoire permanent de médecine générale publiés par le CREDES et la CNAM il apparaît que 5,6 % des patients qui consultent en médecine générale souffrent d’une dépression. Or l’activité moyenne en médecine générale est de 19 actes par jour : le généraliste voit en moyenne un patient par jour qui présente des symptômes appartenant au registre de l’anxiété ou de la dépression. Selon P. Binder, la difficulté de dépistage de l’anxio-dépression en médecine générale peut être en rapport avec le motif de la consultation (dans 96 % des cas, la demande est somatique, administrative ou en lien avec des plaintes diverses), le manque de temps, le fait que les symptômes somatiques sont au premier plan masquant les problèmes psychiques, et enfin la difficulté pour le médecin généraliste de faire face à toutes les demandes de dépistages (HTA, ostéoporose, etc.) sans une formation spécifique. Selon P. Binder, pour améliorer le dépistage de l’anxiété, la dépression ou l’anxio-dépression en médecine générale il faudrait s’appuyer sur 4 points : – un outil facile, de passation rapide compatible avec le mode de fonctionnement en médecine générale : l’absence d’un tel outil peut expliquer l’absence d’étude sur cette question en médecine générale ; L’Encéphale, 2007 ; 33 : Septembre, cahier 3 – une méthode de psychothérapie rapide, simple, accessible au médecin généraliste pour aider le patient à réfléchir sur soi et contrôler ses symptômes ; l’absence d’un tel outil rend difficile le dépistage d’une anxiété ou d’une dépression ; – le médecin généraliste doit « fuir la bienveillante neutralité », car il suit des patients sur parfois plusieurs générations et il possède des informations réelles sur les antécédents anxio-dépressifs des patients, ce qui peut faciliter le dépistage ; – lorsque le dépistage est fait il faut mettre en place un traitement et un suivi, et si besoin obtenir la confirmation diagnostique par un psychiatre : cela est rendu difficile par la pénurie de psychiatres (libéral et institutionnel) dans la région. La conclusion est qu’en réalité la difficulté des troubles anxio-dépressifs en médecine générale est certes le dépistage, mais aussi l’introduction d’un traitement psychotrope et la mise en place d’une psychothérapie : de quel type ? à réaliser par qui ? dans quel délai acceptable ? C. André a repris deux points : – le manque d’outil diagnostique permettant de repérer les troubles avant qu’ils soient constitués : les médecins généralistes sont souvent en mesure de percevoir la vulnérabilité des patients même si le trouble n’est pas installé. Un des moyens d’aider le patient serait la psychoéducation, c’est-à-dire porter un diagnostic, expliquer les symptômes, donner quelques petits conseils de gestion des émotions et d’activités physiques régulières. L’ensemble de ces éléments permettent au patient d’acquérir une représentation psychique de son trouble, et de S705 J.-P. Olié et al. ne pas mettre en avant les symptômes physiques pour exprimer des problèmes psychologiques ; – l’accord pour dire que « la neutralité bienveillante » n’est pas une bonne chose en médecine générale : « il faut avoir de la compassion, sans se carboniser ». Elle est parfois nécessaire, voire indispensable dans le cadre de la cure psychanalytique, mais dès qu’on rentre dans un registre d’aide psychologique, on n’a pas forcément à devenir neutre, même si c’est de façon bienveillante. B. Rimlinger a souligné que la place du psychiatre dans le domaine de l’anxiété et de la dépression, n’est pas tellement dans la rupture ou dans la continuité, mais plutôt dans la comorbidité. Car les patients consultent le psychiatre à un stade évolutif avancé de la pathologie avec diverses comorbidités : souvent les troubles anxieux sont diagnostiqués avec un retard de 5 à 10 ans. Il y a principalement trois raisons à ce retard diagnostique : – la banalisation des symptômes psychiques dès le plus jeune âge. En effet les troubles anxieux généralisés sont considérés comme « des personnes soucieuses » parfois en se référant à un membre de la famille « comme son père » et les troubles phobiques sont considérés comme « une timidité » ; ces troubles sont souvent associés à un trait de personnalité constitutionnelle, ce qui fait qu’il y a une sorte d’adaptation du patient, de l’entourage, et qu’on n’évalue pas forcément le seuil de gravité ni le pronostic ; – les troubles anxieux sont souvent masqués par des symptômes somatiques. Par exemple la douleur est associée à un trouble anxiodépressif dans 40 % des cas. En se basant sur son expérience personnelle, le Dr Rimlinger rapporte que les patients qui souffrent physiquement scindent leur discours : ils parlent de leurs douleurs physiques avec les médecins généralistes et de leurs douleurs psychiques avec les psychiatres. Il est donc important d’interroger le patient pour recréer l’unité somato-psychique ; – l’abus de substances toxiques et/ou d’alcool dans les troubles anxieux, parfois « à but thérapeutique » : l’on retrouve l’abus d’alcool dans 30 % des dépressions unipolaires et dans 50 % des dépressions bipolaires. Par exemple un jeune adolescent qui fume du cannabis tous les jours, dont un des parents est anxieux ou dépressif et un père alcoolique, doit être informé (lui et sa famille) du risque ultérieur de développer une dépression sévère et donc de la nécessité d’arrêter l’utilisation des produits toxiques, et de mettre en place une prise en charge adaptée. En conclusion, il faut tenir compte des antécédents personnels et familiaux, essayer de ne pas banaliser les symptômes et bien explorer les symptômes psychiques. Le meilleur moyen est le travail collaboratif entre le psychiatre et le médecin généraliste. S706 L’Encéphale, 2007 ; 33 : 705-707, cahier 3 DISCUSSION O. Dubois Je suis d’accord avec le Dr Binder : l’utilisation d’un outil d’évaluation est nécessaire dans la pratique quotidienne. Il peut non seulement aider le praticien à déterminer l’efficacité d’un traitement psychotrope ou d’une psychothérapie, mais aussi favoriser le lien thérapeutique avec le patient. Il peut aussi aider le patient à se sentir reconnu dans sa pathologie qui fait l’objet d’une mesure objective de sévérité et dont l’amélioration grâce à la prise peut être chiffrée. Lors de l’étude STOP-TAG, nous avons pu percevoir à quel point l’utilisation des échelles HAMA et MADRS était intéressante pour la mise en place d’un lien thérapeutique avec les patients. P. Binder Je suis d’accord avec les propos du Dr Dubois, puisqu’une étude menée avec le groupe de recherche en médecine générale de Charentes-Maritimes, sur le dépistage du mal-être chez les adolescents de 12 à 20 ans, nous a montré que l’utilisation d’une échelle d’évaluation permet de repérer les adolescents souffrant d’un malêtre dans 40 % des cas, alors qu’ils venaient pour une cause somatique. Dés lors le médecin généraliste fixe un rendez-vous, je dis bien fixer un rendez-vous car je pense qu’il faut sortir de la neutralité bienveillante. J. Tignol Je pense que pour diminuer la tentative du patient de parler somatique au médecin généraliste et psyché au psychiatre il faut former des médecins généralistes pour dépister les maladie psychiques et être en quelque sorte « généralistes du psyché ». Pour cela les formations post-universitaires peuvent être très utiles. J.L. Salvy Je voulais poser une question administrative. J’ai l’impression que le non remboursement des psychologues est le fait du corporatisme des médecins généralistes et des psychiatres et que si on forçait un peu ils pourraient être remboursés même sur prescription du psychiatre. Je pense que cela allègerait beaucoup le travail de ces derniers et j’ai l’impression dans la pratique qu’il y a beaucoup de patients qui utilisent les soins kinésithérapiques comme une forme de psychothérapie massante et de l’orthophonie comme une forme de psychothérapie scolaire. Donc je me demande s’il n’y a pas une dérive et qu’il ne serait pas temps de faire rembourser la psychothérapie par la sécurité sociale. L’Encéphale, 2007 ; 33 : 705-707, cahier 3 J.-P. Olié Merci de cette remarque. Je voulais quand même préciser qu’on souligne ici à juste titre ce problème du nombre de psychiatre et répète à l’envie cette contre-vérité selon laquelle nous sommes le pays où il y a le plus grand nombre trop faible de psychiatres, ce qui est inexact, puisque dans d’autres pays par exemple l’Allemagne on classe Table ronde : anxiété-dépression d’une part les psychiatres, d’autre part les psychothérapeutes, d’autre part les neuropsychiatres, d’autre part les psychosomaticiens. Bien sûr il y a davantage de psychiatres en France puisque sous le terme générique psychiatres, il y a les psychiatres, les psychothérapeutes, les neuropsychiatres, les psychosomaticiens. En réalité il n’y a donc pas du tout surdensité de psychiatres en France comparativement aux pays voisins. S707