Compte-rendu du groupe de travail : la place des soignants non médecins P. BANTMAN (1), I. AUBARD (1), S. LEFOLL (1) Une première réunion a eu lieu, animée par une méthode de discussion par l’écrit, en présence du médecin et du pharmacien. Puis une seconde réunion consistait en une discussion ouverte à partir de la synthèse de la première réunion, cette fois en l’absence du médecin et du pharmacien. La première réunion visait à répondre à trois questions : a) quelles sont les différences entre neuroleptiques et antipsychotiques de seconde génération ? b) quelles sont les améliorations apportées par les antipsychotiques de seconde génération dans la pratique soignante ? c) quelles sont les attentes face à de nouveaux traitements ? PRINCIPALES DIFFÉRENCES ENTRE NEUROLEPTIQUES ET ANTIPSYCHOTIQUES DE SECONDE GÉNÉRATION Le premier point mis en avant est la moindre incidence des effets secondaires : moins de syndromes extrapyramidaux, moins de troubles cognitifs et de sédation, moins de prise de poids (sauf avec l’olanzapine), et moins de constipation. L’efficacité était perçue d’une nature différente entre les deux types de produits : les antipsychotiques de seconde génération sont perçus comme antidélirants, antihallucinatoires, avec un effet bénéfique sur l’humeur et sur les cognitions. Les neuroleptiques apparaissent caractérisés par un effet sédatif, parfois recherché, et un effet antidélirant. La représentation du médicament est également différente : les antipsychotiques de seconde génération semblent permettre une souplesse d’ajustement, une remise en cause des diagnostics, un autre regard sur les patients, et la possibilité d’autres prises en charge. En revanche, les neuroleptiques, par définition même, doivent avoir des effets secondaires. AMÉLIORATIONS APPORTÉES PAR LES ANTIPSYCHOTIQUES DE SECONDE GÉNÉRATION DANS LA PRATIQUE SOIGNANTE Les améliorations liées aux antipsychotiques de seconde génération sont, pour les soignants, en premier lieu reconnues en terme de tolérance. La diminution des symptômes extrapyramidaux et la tolérance globale étaient mises en avant, avec un meilleur rapport bénéfice/ risque. Le jugement global sur l’efficacité était moins tranché, certains soignants jugeant l’efficacité des antipsychotiques de seconde génération comparable à celle des neuroleptiques classiques, tandis que d’autre la jugeaient plus étendue. L’efficacité sur les schizophrénies résistantes, l’efficacité à court aussi bien qu’à long terme, l’efficacité dans les rechutes, et l’action sur le cours évolutif de la schizophrénie, étaient rapportées. L’efficacité des antipsychotiques de seconde génération était plus reconnue sur les symptômes négatifs et, à un moindre degré, sur les symptômes cognitifs, que sur la désorganisation ou les symptômes anxiodépressifs. Le souhait d’une meilleure maniabilité et de formes galéniques plus adaptées était avancé, de même que celui d’une meilleure détermination de la relation effet-dose. L’homogénéité de la classe pharmacologique des antipsychotiques de seconde génération était questionnée, de même que le maniement de ces produits dans les différentes tranches d’âge. (1) CHS Esquirol, 13 rue du Docteur Marchand, 87025 Limoges cedex. S 870 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 870-2, cahier 3 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 870-2, cahier 3 Les problèmes de dénominations étaient également soulevés : quelle est la signification du terme atypique ? pourquoi utiliser le terme d’antipsychotique ? qu’en est-il de ce terme avec les nouvelles indications de ces produits ? Ne vaut-il pas mieux utiliser le terme d’« antipsychotiques de seconde génération » ? QUELLES ATTENTES FACE À DE NOUVEAUX TRAITEMENTS ? La première attente des soignants par rapport aux nouveaux produits était celle d’une meilleure tolérance, avec des produits qui entraînent moins de prise de poids, moins de troubles neurovégétatifs, moins de syndromes extrapyramidaux, moins de sédation, un moindre risque en cas de surdosage, qui permettent d’éviter les troubles glycémiques et qui soient dépourvus d’effets cardio-vasculaires, en particulier sur l’allongement de l’espace QT. Une autre attente des soignants est également une différence d’efficacité, en souhaitant que le produit permette d’être plus dans la réalité, de faciliter le travail émotionnel, de faciliter l’allégement psychique, d’améliorer l’humeur, d’augmenter l’élan vital, de prouver une réelle efficacité dans le délire. D’une façon générale, les soignants sont en attente d’un produit qui guérisse, et non qui soit simplement symptomatique. Les soignants attendent des preuves quant à la sécurité et l’efficacité des produits, des comparaisons cliniques et pharmacologiques fiables entre antipsychotiques, des études avec des comparateurs utilisés en France (comme l’amisulpride et le sulpiride), et des études de relation dose/efficacité, permettant une argumentation du choix des posologies. Une autre attente par rapport aux nouveaux produits est l’obtention d’une meilleure qualité de vie pour le patient, avec un respect pour le patient, un confort de vie supplémentaire, éléments qui reçoivent un écho favorable chez les familles. Des besoins pratiques ont été exprimés : la disposition de formes unitaires, de formes injectables ; par ailleurs, un problème éthique peut se poser avec l’utilisation de formes à dissolution immédiate dans la bouche. Enfin, l’impact socio-économique est abordé par les soignants : il doit être mesuré de façon précise, le coût important de ces produits nécessitant d’éclaircir leur place dans l’arsenal thérapeutique. Les soignants expriment le sentiment d’une pression trop importante des laboratoires pharmaceutiques sur les médecins, et, de manière plus indirecte, sur les infirmiers, ce qui implique également de s’interroger sur la façon la plus adéquate d’impliquer les laboratoires dans la formation. COMPTE-RENDU DE LA SECONDE RÉUNION Les soignants ont exprimé, lors de la seconde réunion tenue en l’absence de médecin et de pharmacien, un éton- Compte-rendu du groupe de travail : la place des soignants non médecins nement quant à la proximité de leur discours par rapport à celui des médecins, ne laissant apparaître que peu d’éléments spécifiques de la pratique infirmière. Ils se sont interrogés sur une nature « médicale » de leur discours, et sur une possible écoute plus attentive des médecins et des laboratoires que des patients, en soulignant la présence accrue des laboratoires auprès des personnels non médicaux, des propositions de formations intéressantes par les laboratoires, et un manque de formation par des professionnels indépendants. Les médecins restent les prescripteurs : les patients le savent et réservent leur opinion sur le traitement au médecin. Quand les patients parlent de leur traitement aux infirmiers, ils évoquent leurs craintes, les effets positifs et négatifs de celui-ci ; les infirmiers sont donc souvent plus attentifs aux effets du traitement chez le patient, aussi bien effets bénéfiques qu’effets secondaires. Les effets secondaires les plus volontiers rapportés aux infirmiers par les patients sont les effets sédatifs, la prise de poids, la peur de l’injection, et les troubles de la libido. Ces effets secondaires sont à relier aussi bien aux neuroleptiques classiques qu’aux antipsychotiques de seconde génération. Le rôle infirmier principal vis-à-vis du médicament réside dans l’éducation du patient. Il faut expliquer au patient à quoi sert un traitement, ses éventuels effets sur le corps ; parler du traitement n’est pas une fin en soi, mais une opportunité d’évoquer la pathologie. Il faut être à l’écoute des attentes du patient, trouver le dosage pharmacologique qui permette de vivre en société, intégrer le médicament dans d’autres prises en charge, telles la réhabilitation et la resocialisation, compléter les explications données par le médecin. L’éducation au traitement se fait au moment de la distribution du médicament, le dialogue avec le patient permettant de repérer les difficultés, les attentes et de proposer un rendez-vous infirmier ; il se fait également tout au long de l’évolution, positive ou négative, car l’observance n’est jamais assurée. Il est important de permettre la discussion du traitement, mais il faut que chacun reste dans sa position : celle du savoir pour le soignant, celle du décideur pour le patient. Les nouveaux antipsychotiques ont induit des changements dans la pratique de la psychiatrie : ce sont des produits plus désinhibiteurs ; les manières de prescrire sont différentes, avec un ajustement des doses à chaque patient, une tendance à réduire les doses, à limiter la sédation. Les prescriptions sont plus « rationnelles », avec un rôle accru du pharmacien, et une gestion des interactions médicamenteuses par ordinateur. Enfin, il existe plus d’échanges entre infirmiers et médecins sur les prescriptions, basés sur le ressenti par les patients de leur traitement. Les prescriptions des antipsychotiques de seconde génération se font volontiers en première intention, tandis qu’ils apparaissent aux soignants moins efficaces chez les patients traités de longue date, ou chez les patients résisS 871 P. Bantman et al. tants aux neuroleptiques classiques. La prescription semble largement liée au prescripteur. Les changements liés à l’usage des nouveaux antipsychotiques montrent surtout des patients moins figés, avec moins de plafonnement du regard, moins de syndromes extrapyramidaux ; les patients restent beaucoup plus accessibles à tous les échanges. En revanche, les soignants rencontrent plus de difficultés dans la gestion de la sédation. S 872 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 870-2, cahier 3 Ces nouvelles pratiques induisent des besoins nouveaux : des programmes d’éducation et d’information adaptés pour aider à une meilleure observance, pour les professionnels, mais aussi à l’adresse des patients et de leur entourage, des informations sur les produits indépendants des laboratoires, ainsi que des formations continues.