Diversification alimentaire : les recommandations 2017

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Médecine
& enfance
RECOMMANDATIONS
Fewtrell M., Bronsky J., Campoy C. et al. :
« Complementary feeding : a position paper by
the ESPGHAN committee on nutrition »,
J. Pediatr. Gastroenterol. Nutr., 2017 ; 64 : 119-32.
Synthèse par O. Mouterde, gastroentérologie
et nutrition pédiatriques, CHU de Rouen, et
Université de Sherbrooke, Canada
Diversification alimentaire :
les recommandations 2017
La diversification est une étape importante de la vie, lors de laquelle, chaque
année, plus de 700 000 enfants en France découvrent le goût, la texture et la
qualité de multiples aliments avec l’aide de leurs parents. Les enjeux sont majeurs en termes d’apports nutritionnels, du fait du risque de carences pouvant
retentir sur la croissance, le développement et même la santé ultérieure. Ils
sont majeurs également en ce qui concerne la relation à l’alimentation, rarement abordée dans les recommandations des sociétés savantes. L’Espghan
(European Society for Paediatric Gastroenterology, Hepatology and Nutrition)
vient de mettre à jour ses recommandations, les précédentes datant de 2008.
Par le passé, un certain nombre de conseils péremptoires sans grand support
scientifique ont été donnés, puis remis en question ici ou là selon l’interprétation des données de la littérature. Ces nouvelles recommandations européennes sont minimalistes, se limitant aux données suffisamment étayées et
soulignant les lacunes de nos connaissances.
Rubrique dirigée par C. Copin
a diversification alimentaire est
nécessaire pour satisfaire les besoins nutritionnels et permettre
le développement ; elle réalise la transition entre l’alimentation lactée et la
nourriture familiale. Cette période,
marquée par une croissance et un développement rapides, comporte un risque
de carence et de déséquilibre au moment où d’importants changements interviennent dans l’alimentation avec la
découverte de nouveaux mets, goûts et
façons de manger. Le manque de données scientifiques est illustré par la
grande variété des modes de diversification selon les pays.
L
LA DIVERSIFICATION CHEZ
LES ENFANTS EUROPÉENS
Les études montrent que les enfants européens n’ont pas de risque de carence
en macronutriments lors de la diversification. Ils reçoivent souvent trop de
protéines, d’énergie, de NaCl et de potassium, alors que les AGPILC n-3
(acides gras polyinsaturés à longue
chaîne de la série oméga-3 : EPA et
DHA), la vitamine D et l’iode peuvent
faire défaut chez certains enfants.
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ÂGE DE LA
DIVERSIFICATION
La diversification inclut tous les solides
et liquides autres que le lait de mère ou
les préparations infantiles. Les fonctions
gastro-intestinales et rénales sont suffisamment matures pour permettre une
diversification alimentaire à partir de
4 mois révolus (17 semaines). Les compétences motrices sont adéquates entre
4 et 6 mois pour mener à bien la diversification. La diversification ne doit pas
être commencée avant 4 mois révolus ni
après 6 mois. Il est important, pour des
raisons de développement et nutritionnelles, de donner des aliments appropriés à l’âge, avec une consistance adaptée et par une méthode convenant à l’âge
et au développement. Entre 4 et 6 mois,
l’enfant est capable d’ingérer des purées
présentées à la cuillère. Après 9 mois,
l’enfant est capable de boire et de manger seul en adaptant les aliments et les
outils (boire au verre, manger des petits
morceaux, utiliser une cuillère).
Il peut y avoir un risque de difficultés alimentaires et de réduction de la variété
des aliments acceptés en cas d’introduction des solides au-delà de 9-10 mois.
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Il peut y avoir un risque accru d’allergie
en cas d’introduction de l’alimentation
solide avant 4 mois. Il n’y a par contre
pas d’argument pour retarder la diversification au-delà de 4 mois, que l’enfant
soit à risque allergique ou non.
Une diversification entre 4 et 6 mois n’influence pas la croissance et l’adiposité ultérieure. Avant 4 mois, il existe un risque
d’augmentation de l’adiposité ultérieure.
DIVERSIFICATION
ET ALLAITEMENT
L’allaitement maternel exclusif semble
pouvoir apporter les nutriments nécessaires jusqu’à environ 6 mois, mais cela
peut varier selon les enfants et les
mères. Certains enfants peuvent avoir
besoin d’un complément de calories et
de fer dès 4 mois. Un clampage tardif du
cordon peut améliorer le statut martial
et procurer un stock de fer suffisant jusqu’à 6 mois en allaitement maternel.
L’allaitement prolongé est associé dans
les pays développés à un risque réduit
d’infections gastro-intestinales et respiratoires, et d’hospitalisations pour
infection.
Un allaitement exclusif d’au moins
4 mois est recommandé, voire 6 mois
en exclusif ou accompagné par la diversification.
Même si cela serait probablement pertinent, il n’y a pas de recommandations
différentes pour la diversification d’un
enfant allaité ou non allaité.
INTRODUCTION
DE L’ARACHIDE
Chez les enfants à haut risque d’allergie
à l’arachide (eczéma sévère, allergie à
l’œuf), l’introduction de l’arachide est
conseillée entre 4 et 11 mois après une
évaluation par un professionnel entraîné dans ce domaine.
Il n’y a pas d’arguments pour conseiller
l’introduction de l’arachide chez tous
les enfants dès 6 mois, bien qu’il ne
semble pas y avoir de risque particulier
d’allergie à l’arachide dans ce cas, cer-
taines études montrant même une diminution du nombre d’enfants allergiques
à l’arachide après une introduction précoce sous une forme adaptée à l’âge.
INTRODUCTION DU GLUTEN
Le gluten peut être introduit dans l’alimentation à tout moment entre 4 et
12 mois, en débutant par de petites quantités pendant les premières semaines
d’introduction et jusqu’à 1 à 2 ans. L’allaitement maternel ne semble pas diminuer
le risque de développer une maladie cœliaque, qu’il soit mené avant ou pendant
l’introduction du gluten. Avec ou sans allaitement maternel, l’introduction du
gluten après 3 mois n’influence pas la survenue d’un diabète de type 1.
APPORT EN PROTÉINES
Un apport en protéines excessif est susceptible d’augmenter le risque de surpoids et d’obésité, en particulier chez les
sujets prédisposés. Les protéines ne devraient pas représenter plus de 15 % de
l’énergie ingérée. La consommation de
grands volumes de lait de vache est associée à une charge importante en protéines et en graisses sans apport de fer.
Les préparations à teneur réduite en protéines semblent diminuer le risque de
surpoids. La qualité des protéines pour
éviter les carences en certains acides
aminés doit être cependant validée.
NDR : La relation entre obésité et charge
en protéines dans la petite enfance est discutée. L’excès de protéines aurait par
ailleurs l’inconvénient de solliciter la
fonction rénale, sans qu’il soit prouvé que
cela ait des conséquences chez l’enfant
normal. Les études montrent de fait un
excès majeur de protéines dans l’alimentation des nourrissons et des jeunes enfants par rapport aux recommandations.
Cet excès, au moins inutile et au pire nocif, mérite d’être combattu.
APPORTS EN LIPIDES
Entre 6 et 12 mois, les apports en lipides
devraient représenter 40 % des calories
sans dépasser 50 %. En deçà de 40 %, il
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sera difficile pour l’enfant d’ingérer des
calories en quantité suffisante ; au-delà
de 50 %, la variété de l’alimentation
risque de se trouver réduite, mais il n’est
pas prouvé qu’un apport excessif en lipides entraîne un surpoids ultérieur,
contrairement à un apport total excessif
en calories. L’EFSA (European Food Safety Authority) conseille d’apporter 4 %
de l’énergie sous forme d’acide linoléique (acide gras essentiel oméga-6),
0,5 % sous forme d’acide alpha-linolénique (acide gras essentiel oméga-3) et
100 mg/j de DHA (AGPILC oméga-3 ou
acide docosahexaénoïque). Les AGPILC
font partie des carences possibles des
nourrissons dans les pays développés.
NDR : Le règlement européen 2016 rend
obligatoire la présence de DHA dans les
préparations, avec une date d’effet pour
les industriels fixée au 22 février 2020*.
APPORT EN FER
Le lait de vache est très pauvre en fer.
Les besoins sont importants à l’âge de la
diversification, pendant laquelle des aliments riches en fer doivent être préférés, en particulier chez l’enfant allaité.
Les enfants à risque sont les anciens
prématurés et hypotrophes.
L’apport en fer dépend de la population,
des facteurs culturels et des aliments
disponibles. Il peut se faire sous forme
d’aliments naturellement riches en fer,
comme la viande (dont le fer est mieux
assimilé que celui des végétaux, y compris les céréales), d’aliments et de préparations enrichis en fer ou de suppléments sous forme médicamenteuse.
L’absorption du fer est facilitée par la
présence d’acide ascorbique ou citrique
et de végétaux fermentés, et diminuée
par les tanins, les phytates, les polyphénols, les fibres, le calcium et le lait de
vache. Les besoins se situent entre 6 et
11 mg/j de 6 à 12 mois.
* « Règlement délégué (Union européenne) 2016/127 de la commission complétant le règlement (UE) n° 609/2013 du Parlement
européen et du Conseil en ce qui concerne les exigences spécifiques en matière de composition et d’information applicables
aux préparations pour nourrissons et aux préparations de suite
et les exigences portant sur les informations relatives à l’alimentation des nourrissons et des enfants en bas âge », Journal officiel de l’Union européenne, 2 février 2016.
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DIVERSIFICATION,
DÉVELOPPEMENT
COGNITIF ET DEVENIR
CARDIOVASCULAIRE
Il n’existe pas de données suffisantes
pour donner des recommandations, en
dehors de la lutte contre les carences.
Les études sur l’influence de la teneur en
fer ou en AGPILC sur le développement
ont donné des résultats discordants. Un
apport suffisant d’AGPILC améliore le
statut en cet acide gras et l’acuité visuelle à court terme. Un allaitement exclusif
de 6 mois versus 4 ne semble pas apporter d’avantages en termes de développement. Plusieurs études montrent que les
enfants dont les parents respectent globalement les recommandations nutritionnelles (entre autres : allaitement
maternel, fruits, cuisine maison chez le
jeune enfant) avaient un quotient de développement supérieur aux enfants recevant à la demande biscuits, sodas,
chips, chocolat et bonbons.
TYPE D’ALIMENTS
La diversification doit prendre en compte les traditions et types d’alimentation
d’une population.
Il n’est pas possible d’influencer les préférences innées pour le sucré et le salé, et
le dégoût de l’amer. Ces préférences peuvent être modulées par l’exposition in
utero et par l’intermédiaire du lait maternel. Les parents peuvent influencer
par la suite le développement de ces
goûts en proposant des aliments sans
sucre ni sel ajoutés et en introduisant
progressivement différentes saveurs
dont les légumes verts amers. Ces aliments doivent non seulement être introduits entre 4 et 6 mois, mais proposés
ensuite régulièrement même en cas de
réticence initiale (on parle de huit à dix
fois avant que l’aliment peu apprécié soit
accepté définitivement). Les jus de fruits
et boissons sucrées sont à éviter. Le développement des caries est favorisé par
l’ingestion de saccharose, en particulier
sous forme de grignotage ou au coucher.
Les aliments doivent avoir une texture
appropriée à l’âge. Il faut décourager
l’utilisation trop prolongée d’aliments
mixés au-delà de 8 à 10 mois.
Les aliments industriels ont l’intérêt
d’une composition contrôlée et sûre en
ce qui concerne les contaminants. Ils
ont par contre une moindre variété (pas
d’aliments spécifiques de la culture) et
proposent rarement des légumes amers
au profit de légumes plutôt sucrés, ce
qui risque de diminuer la diversité des
aliments acceptés.
Le miel doit être évité jusqu’à 1 an du
fait du risque de botulisme. Le fenouil
sous forme d’huile ou de tisane est déconseillé jusqu’à 4 ans. Les boissons à
base de riz sont déconseillées chez le
nourrisson et le jeune enfant du fait de
leur teneur en arsenic.
ALIMENTATION
VÉGÉTARIENNE
Une alimentation végétarienne avec des
compléments appropriés peut permettre
une croissance et un développement
normaux, en avertissant les parents du
risque et sous surveillance étroite. Une
surveillance continue, médicale et diététique, est en effet nécessaire pour assurer des apports nutritionnels adéquats :
vitamine B12, fer, vitamine A, folate,
zinc, protéines, calcium, DHA, énergie
en cas d’alimentation végétalienne ; fer,
zinc, vitamine D, DHA et protéines en
cas d’alimentation lacto- ou lacto-ovo végétarienne. Ne pas respecter cela peut
avoir des conséquences sévères, incluant
retard cognitif irréversible et décès.
LAIT DE VACHE
Le lait de vache est trop riche en protéines et en graisses, et pauvre en fer. Il
ne devrait pas être utilisé avant 1 an,
sauf en petites quantités dans le cadre
de la diversification.
Peut-être par le biais de la sécrétion
d’IgF1 induite par le lait de vache, le
poids est augmenté de façon durable
lors d’une alimentation à base de ce lait
par rapport aux enfants allaités.
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NDR : Les instances européennes ne privilégient pas les préparations spécifiques
pour les jeunes enfants (« laits de croissance »), avec comme argument que les
laits de suite peuvent être utilisés au-delà
de 1 an. Ces recommandations plaident
pour une alimentation enrichie en fer,
entre autres par des laits enrichis. Il s’agit
là d’un des arguments utilisés en France
pour conseiller des laitages spécifiques
pour les 1-3 ans (avec une moindre quantité de protéines, un meilleur apport lipidique et la présence de vitamine D).
MANIÈRE DE DONNER
À MANGER
Les parents déterminent l’horaire, la
disponibilité entre les repas, le contenu
et la relation à l’alimentation, ce qui va
influencer les préférences et la régulation de l’appétit. Il n’y a pas d’éléments
probants pour conseiller une méthode
d’alimentation (biberon, cuillère, autoalimentation avec les doigts) ; cette évolution doit suivre le développement de
l’enfant.
Les enfants devraient boire au verre
plutôt qu’au biberon au-delà de 1 an.
Les parents doivent être encouragés à
être réactifs et à savoir reconnaître les
manifestations de faim et de satiété.
L’alimentation superflue ou comme récompense doit être évitée.
DES RECHERCHES
À POURSUIVRE
Des éléments restent mal connus : la diversification spécifique de l’enfant sous
allaitement artificiel ; les besoins en fer
selon les différentes sources ; les
sources de protéines et leurs conséquences sur la croissance et la composition corporelle ; la quantité de gluten à
introduire selon l’âge ; la dose et la date
d’introduction des allergènes alimentaires ; l’influence de la manière de donner à manger et de l’attitude des pa첸
rents vis-à-vis de l’alimentation.
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en rapport
avec la rédaction de cet article.
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