La Lettre du Psychiatre • Vol. XIII - n° 3 - mai-juin 2017 | 79
Résumé
à des anomalies limbiques et sous-corticales. Les
dimensions symptomatiques (ou facteurs statis-
tiques, ici) apparaissent donc plus facilement reliées
à des circuits neuronaux.
Dans un travail en IRMf plus récent et incluant
une plus large population de sujets, A.T. Drysdale
et al. (2016) définissent différents “biotypes” de
dépression en fonction de l’implication de réseaux
cérébraux particuliers. Ces biotypes sont associés à
des profils cliniques précis (en particulier, un type
anxieux versus un type anhédonique). L’utilisation
des méthodes de machine learning et de classifica-
tion permettait également de reclasser les individus
sur la base de l’activité cérébrale avec une bonne
sensibilité et une bonne spécificité (3).
Les dimensions symptomatiques peuvent égale-
ment être définies a priori avec une bonne validité
consensuelle. On peut distinguer pour un épisode
dépressif une dimension émotionnelle (excès
d’affect négatif, diminution des affects positifs), une
dimension cognitive, une dimension psychomotrice
(ralentissement) et une dimension neurovégétative
(troubles du sommeil, de l’appétit et des fonctions
instinctuelles).
Ces dimensions peuvent ensuite être associées à des
processus cognitivo-émotionnels qui sont testables
empiriquement.
Si on considère la dimension cognitive : la dépression
majeure s’accompagne de troubles de l’attention et
de la concentration, de troubles des fonctions exé-
cutives et de la mémoire. Trois types de biais cognitifs
caractérisent la cognition du patient déprimé :
➤des difficultés à effectuer des tâches cognitives
“effortful”, c’est-à-dire requérant la mobilisation des
ressources attentionnelles et exécutives ;
➤le biais de focalisation sur soi ;
➤
un biais attentionnel vers les stimuli émotionnels
négatifs.
Les difficultés du déprimé lors des tâches “effortful”
prédisent des modifications de l’activité cérébrale
lors de la réalisation de ces tâches par comparaison
avec des sujets témoins. Nous avons testé cette
hypothèse en utilisant une tâche de n-back dans
laquelle les sujets devaient apparier une lettre avec
une autre apparue dans 1 essai précédent (1-back),
2 essais précédents (2-back) ou 3 essais précédents
(3-back) [4]. Le niveau de difficulté de la tâche
augmente de façon non paramétrique entre le 1-back
et le 3-back. Les patients déprimés de notre étude ne
montraient pas de différence significative en termes
de performance au n-back lors de l’enregistrement
en IRMf. Cependant, contrairement aux sujets
témoins, les sujets déprimés activaient plus le réseau
de mémoire de travail (au niveau du cortex dorso-
latéral préfrontal G et du cortex cingulaire dorsal
antérieur) que les sujets témoins. Les déprimés, pour
un même niveau de performance, consommaient
donc plus de ressources cérébrales. Ce résultat a été
reproduit dans d’autres études avec des tâches assez
proches (5, 6). Contrairement aux hypothèses a priori,
la dépression peut s’accompagner d’une augmenta-
tion excessive de l’activité cérébrale lors de la réali-
sation de tâches cognitives difficiles. Quelle est la
signification clinique de ce résultat ? Premièrement,
cela souligne que les déprimés font des efforts de
compensation pour maintenir leur niveau de perfor-
mance, efforts qui doivent sûrement avoir un coût
cognitif et pourraient expliquer la fatigue subjec-
tive exprimée par les patients (7). En second lieu,
quelle est l’origine de cette hyper activité cérébrale
dans la dépression, reflet d’une moindre efficience
cérébrale ? Dans l’étude de P.O. Harvey et al. (4),
nous avions également évalué l’activité cérébrale lors
du n-back dans les régions limbiques. Nous avons
ainsi observé que, contrairement aux sujets témoins
non déprimés, les patients déprimés désactivaient
moins la partie médiale du cortex préfrontal lors de
la tâche cognitive. Ce résultat souligne qu’une tâche
émotionnellement neutre (ici, des lettres) engage de
façon dynamique et coordonnée des régions céré-
brales jouant un rôle dans la cognition et l’émotion.
En effet, les régions dorsolatérales préfrontales et la
partie dorsale du cortex cingulaire antérieur sont les
constituants majeurs d’un réseau de contrôle cognitif.
De même, la partie médiale du cortex préfrontal
est un composant du réseau du mode par défaut
impliqué dans les processus d’introspection et de
mentalisation.
Nous avons montré ailleurs que la partie dorsale du
DMPFC (cortex préfrontal dorso-médial) est engagée
de façon excessive lors des tâches de référence à soi
(par exemple, évaluer si des traits de personnalité
décrivent ou non le sujet) chez des patients déprimés
et des sujets à risque de dépression (8, 9).
Summary
Beyond clinical interview, brain
imaging offers the opportunity
to diagnose major depres-
sion at a biological level. We
review here the major findings
provided by functional brain
imaging (i.e. fMRI or PET scan)
studies in unipolar depression.
Major depression is related to
several brain regions including
prefrontal (lateral and medial)
cortical regions, hippocampus,
amygdala and sub-cortical
regions. Difficulties to allocate
cognitive resources during
effortul task in depression
is associated with abnormal
hyper-activation of dorso-
l ateral prefrontal regions and
impaired deactivation of medial
prefrontal cortex. Medial
prefrontal cortex activity is
also related to increased self-
focus in depression and may
constitute a predictor of clinical
remission before exposure to
antidepressant drugs. Overall
brain imaging contributes
to define several depressive
biotypes and its use in clin-
ical setting will personalize
the treatment of depressed
patients.
Keywords
FMRI
Limbic
Biomarkers depression
Cortical
Mots-clés
IRMf
Limbique
Biomarqueurs
Cortical
Le diagnostic de dépression repose encore sur le recueil de signes et symptômes à partir de l’examen
clinique. L’hétéro généité phénotypique de la dépression et la nécessité de thérapeutiques personnalisées
imposent de définir la dépression au niveau biologique. Ce travail est une revue non exhaustive des études
d’imagerie cérébrale fonctionnelle dans la dépression unipolaire. La dépression est associée à des anomalies
de fonctionnement du cortex préfrontal latéral et médial, de l’hippocampe, de l’amygdale et des régions
sous-corticales. Les difficultés cognitives du patient déprimé associent à une hyperactivité ducortex
préfrontal dorsolatéral un défaut de désactivation des structures médianes préfrontales. Le cortex médial
préfrontal est associé à la focalisation sur soi excessive dans la dépression et prédit la rémission clinique
à 6 mois lors de l’exposition à un traitement antidépresseur.