econote - Société Générale

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N° 29 SEPTEMBRE 2015
ECONOTE
Société Générale
Service des études économiques et sectorielles
TAUX D’INTÉRÊT BAS : LA « NOUVELLE NORME » ?

Au lendemain de la crise de 2008, les taux d’intérêt des pays les
mieux notés sont tombés à des niveaux inédits. Et, en Europe, bon nombre
d’entre eux sont passés en territoire négatif. Il s’agit là d’une situation tout à
fait extraordinaire : même pendant la dépression des années 1930, les taux
nominaux n’avaient pas basculé en territoire négatif. Pour de nombreux
observateurs, les banques centrales sont responsables de cette situation.
Plus vraisemblablement, les taux sont bas parce que l’économie est faible.

La théorie économique suggère l’existence d’un taux d’intérêt
d’équilibre qui fait coïncider épargne et investissement au plein-emploi des
ressources. Aujourd’hui, à l’heure du surendettement, il est très probable
que le taux d’équilibre réel ait reculé à un niveau exceptionnellement bas,
voire négatif. Et les banques centrales s’emploient à rapprocher les taux
effectifs de ce taux théorique, afin de ramener l’économie à son potentiel.

Le problème, c’est qu’il existe un niveau en dessous duquel les taux
d’intérêt nominaux effectifs ne peuvent pas descendre. Ce plancher se situe
légèrement en dessous de zéro. Et du fait de son existence, les taux effectifs
n’ont vraisemblablement pas pu baisser jusqu’au niveau du taux d’équilibre,
ce qui pourrait expliquer pourquoi la récession qui a suivi la crise de 2008 a
été aussi forte et pourquoi la reprise qui l’a suivie est, elle, aussi poussive.

Qu’attendre de l’avenir ? Si des tensions haussières ponctuelles sont
inévitables compte tenu de l’extrême faiblesse actuelle des rendements, il
est très peu probable que les taux d’intérêt renouent rapidement avec leurs
niveaux historiques en raison, principalement, de l’interaction entre borne
inférieure des taux et pressions du désendettement. Les grandes économies
avancées ayant vocation à rester en sous-régime pendant un certain temps,
les taux d’intérêt resteront bas pendant une période prolongée.
Marie-Hélène DUPRAT
+33 1 42 14 16 04
[email protected]
ECONOTE | N°29 – SEPTEMBRE 2015
Le 8 avril dernier, la Suisse est devenue le premier pays
au monde à émettre de la dette à 10 ans à un taux
négatif. Le 17 avril, le Bund à 10 ans est tombé à
seulement 0,05 % et, à un moment donné, les
emprunts allemands de maturité allant jusqu’à huit ans
affichaient tous des rendements nominaux négatifs.
L’an passé, l’Espagne, la Suisse, l’Allemagne,
l’Autriche, la Finlande et la France ont placé de la dette
à court et moyen terme à un rendement négatif, ce qui
signifie que les investisseurs ont accepté de payer des
intérêts pour avoir le privilège de prêter à des États
considérés comme sûrs. Il s’agit là d’une situation tout
à fait extraordinaire : même pendant la dépression des
années 1930, les taux nominaux n’étaient pas passés
sous la barre des 0 %. Fait marquant, les rendements
obligataires des principaux pays européens ne sont
pas les seuls à toucher des points bas inédits : les
rendements d’autres grandes zones monétaires à
hauts revenus (États-Unis, Japon et Royaume-Uni) sont
également à des niveaux historiquement bas même si,
exception faite du Japon, ils ne sont pas tombés aussi
bas qu’au cœur de l’Europe.
Les inquiétudes se sont multipliées sur une possible
déconnexion des prix des obligations souveraines de
leurs fondamentaux économiques, notamment dans les
pays du cœur de la zone euro. Ces derniers mois sont
venus témoigner de la nervosité des investisseurs. Miavril, le rendement du Bund allemand a flambé,
déclenchant de fortes turbulences sur les marchés
obligataires à travers le monde. Le niveau de volatilité a
été impressionnant : après avoir reculé à -0,115 % le
28 avril, le rendement du Bund à 5 ans est brièvement
remonté à +0,23 % à la mi-juin, traduisant des ventes
massives de titres. La correction obligataire
européenne a traversé l’Atlantique, la forte poussée
des rendements allemands ayant réduit l’attrait relatif
des bons du Trésor américain. Pourtant, les
rendements nominaux longs des pays les mieux notés,
qui se sont repliés depuis, continuent de flirter avec
leurs plus bas historiques. Aussi la question qui hante
les investisseurs est-elle de savoir ce qui se produira
demain. La réponse dépend de ce que l’on considère
comme la principale cause de la faiblesse des
rendements.
Pour certains observateurs, cette cause doit être
recherchée dans les mesures non conventionnelles des
banques centrales. Il est souvent avancé que les
politiques de taux zéro et les vastes programmes
d’achat d’obligations souveraines des banques
centrales ont créé une immense bulle obligataire vouée
à éclater lorsque ces mesures non conventionnelles
prendront fin, avec à la clé des pertes massives pour
les investisseurs. D’autres estiment que la faiblesse
actuelle des taux est, avant tout, le symptôme d’un
excès d’épargne à l’échelle mondiale. Pour eux, la
longue baisse des taux d’intérêt sur les deux dernières
décennies reflète principalement le recul du taux
d’intérêt d’équilibre (ou « taux naturel »), qui fait
coïncider épargne et investissement en situation de
plein emploi. Si cette hypothèse est correcte, cela
signifie que la faiblesse des taux d’intérêt (donc le prix
élevé des obligations) dans les grandes économies
avancées est pleinement justifiée par les fondamentaux
économiques sous-jacents, ce qui revient à dire qu’il
n’y a pas de bulle sur le marché des obligations de
qualité.
La présente étude reviendra tout d’abord sur les
principaux événements qui ont affecté les taux d’intérêt
nominaux longs au cours des dernières décennies.
Puis, sur cette base, elle arguera que, même si
plusieurs facteurs (à commencer par la résistance des
investisseurs à la baisse incessante des taux et leur
passage en territoire négatif) peuvent ponctuellement
provoquer la hausse des rendements obligataires
souverains, les fondamentaux économiques des
principaux pays avancés sont trop fragiles pour que les
rendements des titres sûrs renouent avec leurs niveaux
historiques dans un avenir proche. Les banques
centrales n’y sont pas considérées comme la principale
cause de la baisse des taux d’intérêt, mais sont plutôt
vues
comme
accommodant
les
tendances
économiques sous-jacentes responsables de la baisse
du taux d’intérêt d’équilibre, voire de son passage en
2
ECONOTE | N°29 – SEPTEMBRE 2015
territoire négatif. L’étude souligne également que le
plancher des taux directeurs auquel sont actuellement
confrontées les banques centrales (qui peut être
envisagé comme un prix minimum qui fausse les
conditions de marché) empêche très probablement les
taux d’intérêt effectifs de baisser jusqu’au point
d’équilibre. Et l’absence de mécanisme normal de
compensation pourrait expliquer pourquoi l’économie
peut rester en déséquilibre pendant longtemps, avec
un déficit de demande en biens et en facteur travail. À
cet égard, la situation que connaît le Japon depuis les
années 1990 est riche d’enseignements.
Au final, même si des tensions haussières ponctuelles
semblent inévitables compte tenu de l’extrême
faiblesse actuelle des taux, les rendements devraient
rester inférieurs à leurs niveaux historiques pendant
une période prolongée (en fait, aussi longtemps que
l’épargne mondiale n’affichera pas un repli marqué ou
que l’investissement mondial n’amorcera pas un
rebond substantiel).
COMMENT SONT DÉTERMINÉS LES TAUX D’INTÉRÊT À LONG TERME DES TITRES SÛRS ?
Les théories traditionnelles de la structure des taux d’intérêt suggèrent que les taux longs sont déterminés
par les taux courts à l’instant « t » et les anticipations en matière de taux courts, plus une prime de terme.
Les taux nominaux longs se décomposent donc en deux grands éléments (aucun n’étant directement
observable) déterminés par des facteurs qui leur sont propres :

Les anticipations de taux d’intérêt courts moyens d’ici à l’échéance de l’obligation, qui, grâce à
l’équation de Fisher, peuvent être scindées en deux :
1) Anticipations de taux d’intérêt réel.
Le taux d’intérêt réel de Fisher correspond à un taux d’intérêt nominal corrigé de l’inflation, que l’on appelle
souvent « taux d’intérêt réel sans risque » (car il ne comporte pas de risque de défaut)1. Ce taux est
généralement considéré comme le taux d’intérêt naturel wicksellien (c’est-à-dire le taux de rendement réel
des fonds investis).
Le taux d’intérêt réel correspond au prix d’équilibre entre offre d’épargne et demande de capitaux destinés
à l’investissement. L’offre et la demande de fonds fluctuent en fonction de fondamentaux économiques tels
que la préférence temporelle et le rendement anticipé des capitaux investis, qui dépendent en grande partie
de la dynamique de croissance de l’économie.
2) Anticipations d’inflation.
Pour arriver au taux d’intérêt nominal, il faut ajouter au taux réel sans risque une prime d’inflation, exigée par
les investisseurs pour compenser la perte potentielle de pouvoir d’achat sur la durée de vie de l’obligation.

La prime de terme (également appelée « prime de risque de maturité ») est un rendement
supplémentaire demandé par les investisseurs pour acheter des obligations à long terme plutôt qu’une
succession d’obligations à court terme sur la même période.
La prime de terme dépend du degré d’incertitude quant aux évolutions économiques futures, du niveau
d’appétit/aversion pour le risque des investisseurs ainsi que de toute une série de facteurs exogènes, tels
que la réglementation financière, qui peuvent influencer la demande ou l’offre de titres. Elle rémunère
notamment le risque de taux d’intérêt (c’est-à-dire le risque que la valeur des obligations à long terme soit
altérée par un changement des niveaux de taux d’intérêt).
Du fait de l’existence de la prime de terme, les taux nominaux longs sont généralement supérieurs aux taux
courts, reflétant le goût des investisseurs pour la liquidité.
1
N. B. : Les taux d’intérêt nominaux tiennent également compte de la prime liée au risque de l’émetteur et de l’émission (ce que l’on appelle également la
« prime de risque »). Cette prime varie en fonction des caractéristiques de l’émetteur et de l’émission. Elle est à l’origine du différentiel de taux nominaux entre
des titres de maturité similaire. Cette prime inclut la prime de défaut, qui rémunère le risque qu’un émetteur ne paie pas ses intérêts contractuels ou ne
rembourse pas le principal selon le calendrier prévu, et la prime de liquidité, qui est exigée par les investisseurs lorsqu’une obligation est difficilement
convertible en numéraire sans perte de valeur.
3
ECONOTE | N°29 – SEPTEMBRE 2015
UN REPLI SÉCULAIRE DES TAUX
NOMINAUX LONGS
LA
LONGUE
BAISSE
DES
TAUX
D’INTÉRÊT
NOMINAUX...
Jamais, dans l’histoire économique récente, les
rendements souverains ne sont descendus aussi bas
pendant aussi longtemps dans la majeure partie des
économies avancées. Les rendements (qui évoluent à
l’inverse des prix) des obligations d’État des grandes
économies à hauts revenus ont atteint un point haut au
début des années 1980 et connaissent depuis lors une
baisse tendancielle, qui suggère que des changements
structurels sont à l’œuvre au sein de ces économies.
Notons qu’il existe une corrélation forte entre
l’évolution des rendements des différentes économies
avancées, ce qui témoigne de l’importance de facteurs
globaux communs2. Bien sûr, le comportement des
rendements japonais a longtemps été un cas à part en
raison de la déflation durable (1997-2007) qu’a connue
le pays.
Baisse des anticipations d’inflation
La tendance baissière des taux d’intérêt nominaux sur
le long terme est, avant tout, le résultat d’un recul des
taux d’inflation qui s’est propagé aux anticipations
d’inflation et aux primes d’inflation (même si les taux
d’intérêt nominaux ont reculé moins rapidement que
les taux d’inflation en raison de l’inertie des
anticipations d’inflation). En outre, la moindre volatilité
des taux d’inflation depuis 1990 (conjuguée à la baisse
des taux d’inflation) a rendu les investisseurs moins
frileux vis-à-vis des obligations à long terme, ce qui a
renforcé leur attractivité. Les investisseurs exigeant une
rémunération moins élevée pour le risque d’inflation, la
prime de terme a reculé, exerçant des pressions à la
baisse sur les taux longs.
Mais depuis 2012, ce n’est plus seulement le prix des
obligations des pays « sûrs » qui atteint des records
historiques, mais aussi le prix de la quasi-totalité des
catégories d’actifs, des obligations souveraines
risquées à la dette d’entreprise, en passant par les
actions.
2
D’après les estimations du FMI, un facteur commun global expliquerait
55% de la variation des taux d’intérêt mondiaux au cours de la période
1980-1995 et près de 75% au cours de la période 1996-2012. Voir FMI
(2014), « Perspectives on global interest rates », IMF World Economic
Outlook, Chapitre 3, avril. Voir également Bernanke, B. S. (2013), « Longterm interest rates », Allocution de Ben S. Bernanke à la Annual
Monetary/Macroeconomics Conference: The Past and Future of Monetary
Policy, parrainée par la Banque fédérale de réserve de San Francisco, 1er
mars.
La tendance baissière et la stabilisation des
anticipations d’inflation dans le monde développé au
cours de ces dernières décennies s’expliquent en
partie par la crédibilité accrue des grandes banques
centrales en matière de maîtrise de l’inflation. Plus
récemment, depuis la crise financière mondiale, la
persistance d’importants écarts de production dans les
principaux pays avancés ont joué un rôle majeur dans
le tassement de l’inflation et des anticipations
d’inflation.
4
ECONOTE | N°29 – SEPTEMBRE 2015
excédent s’est dirigé vers les États-Unis et les autres
économies avancées, faisant baisser les taux d’intérêt.
Baisse des anticipations de rendements réels
Sur les vingt dernières années, les taux d’intérêt réels
(c’est-à-dire le taux d’intérêt nominal observé moins le
taux d’inflation) ont également enregistré une baisse
marquée dans toutes les grandes économies
avancées. La baisse du taux d’intérêt réel à 10 ans (qui
est un indicateur des rendements attendus sur le long
terme) suggère que les marchés anticipent des taux
bas pendant une période prolongée.
Plusieurs explications ont été avancées pour rendre
compte de cette évolution. La première est l’hypothèse
de l’« excédent d’épargne mondiale », selon laquelle
l’économie mondiale est aux prises avec un surplus
d’épargne, lequel aurait été, de la fin des années 1990
à la fin des années 2000, principalement attribuable
aux pays émergents du Pacifique (Chine en tête) et aux
pays producteurs de pétrole du Moyen-Orient3.
L’argument avancé est le suivant : pendant cette
période, la volonté des banques centrales d’accumuler
des réserves de change, surtout en Asie, et le niveau
globalement élevé des cours du pétrole ont entraîné
une augmentation de l’épargne mondiale. Et cet
Une autre explication possible à la baisse des taux
réels est la dégradation des perspectives de
croissance à long terme, synonyme d’une réduction
des rendements réels futurs des investissements. Les
investisseurs seraient donc plus enclins à accepter des
taux d’intérêt moins élevés sur la dette souveraine,
puisqu’ils estiment que le rendement du capital sera
encore moins important. Les perspectives de
croissance peuvent s’assombrir pour plusieurs raisons.
Certains mettent en avant le tassement de la
croissance de la productivité (découlant, par exemple,
du ralentissement de l’innovation technologique). Pour
d’autres, le vieillissement de la population et la moindre
progression de l’offre de main-d’œuvre constituent une
source majeure de dégradation des perspectives de
croissance à long terme dans bon nombre
d’économies avancées4.
Certes, une démographie défavorable peut peser sur
les perspectives de croissance à long terme, mais la
lenteur de son évolution dans la plupart des pays est
4
3
Voir Bernanke B. (2005), « The global saving glut and the US current
account deficit », allocution à la Sandridge Lecture, Virginia Association of
Economists.
Le vieillissement de la population est considéré par beaucoup de
chercheurs comme l’une des principales raisons de la décennie perdue du
Japon. Voir notamment Shirakawa M. (2012), « Demographic changes and
macroeconomic performance: Japanese experiences », conférence Banque
du Japon-IMES, mimeo.
5
ECONOTE | N°29 – SEPTEMBRE 2015
difficilement compatible avec la chute brutale des taux
d’intérêt réels intervenue au lendemain de la crise
financière mondiale. D’autres facteurs sont donc à
l’œuvre depuis cette crise. Nombreux sont ceux qui
citent les dommages infligés par la Grande Récession à
la population active et à la productivité des pays
avancés, des dommages susceptibles d’entraîner un
ralentissement de la croissance du potentiel
Il
est
économique
(l’effet
dit
d’hystérèse5).
abondamment prouvé qu’une récession profonde a un
impact durable sur le potentiel de croissance6. Et qui
dit dégradation du potentiel de croissance dit baisse
du rendement des capitaux et donc de la volonté
d’investir. Enfin, certains estiment que l’accumulation
de dette dans les pays riches pèse lourdement sur les
perspectives de croissance à long terme.
certaine, il n’existe aucun doute sur le fait que
l’évolution des fondamentaux économiques sousjacents a joué un rôle majeur dans cette évolution.
... JUSQU’À DES NIVEAUX INÉDITS DANS LE SILLAGE
DE LA CRISE FINANCIÈRE MONDIALE
Pessimisme des investisseurs pour l’avenir
Si les taux longs avaient déjà atteint des niveaux
historiquement bas avant la crise financière mondiale,
ils sont, depuis lors, tombés à des niveaux inédits. Cela
est une conséquence directe de la crise économique et
financière, qui a laissé derrière elle des capacités
excédentaires très importantes (main-d’œuvre y
compris), une inflation à des plus bas historiques et
une reprise économique historiquement lente à
l’échelle mondiale.
L’impressionnante compression des rendements
observée depuis la crise de 2008 provient de trois
facteurs principaux : (i) la baisse des taux directeurs,
désormais extrêmement bas voire négatifs, (ii) les
anticipations des investisseurs, qui pensent que les
taux courts resteront bas pendant une période
prolongée et (iii) l’envolée de la demande nette en titres
de long terme (en partie du fait de la hausse de la
demande institutionnelle en obligations, conjuguée à la
tendance à la réduction des émissions de dette
investment grade) qui a entraîné un repli significatif des
primes de terme.
Même si les vecteurs finaux de la tendance baissière
des taux réels n’ont pas été identifiés de manière
5
Olivier Blanchard et Lawrence H. Summers (1986), « Hysteresis and the
European unemployment problem », NBER Macroeconomics Annual 198.
Voir également Haltmaier, Jane (2012), « Do recessions affect potential
output? », International Finance Discussion Paper 1066, Réserve fédérale,
décembre.
Baisse des primes de terme
Tout un ensemble de facteurs spécifiques a conduit à
une forte hausse de la demande nette en titres à long
terme après la crise financière internationale, hausse
qui s’est traduite par un repli des primes de terme7.
7
6
Le potentiel de croissance correspond à ce qu’une économie peut
produire à taux d’inflation constant. Il dépend du stock de capital, du
potentiel de main-d’œuvre (qui dépend lui-même de facteurs
démographiques et des taux de participation), du taux de chômage
n’accélérant pas l’inflation (NAIRU) et du niveau d’efficacité de la maind’œuvre.
En utilisant des techniques économétriques Adrian et al. (2013) estiment
que la prime de terme (qui n’est pas directement observable) est
actuellement négative. Voir Adrian, Tobias, Richard K. Crump, et Emanuel
Moench (2013), «Pricing the term structure with linear regressions »,
Federal Reserve Bank of New York Staff Report 340:1-66. D’Amico et al.
(2014) et Campbell et al. (2013) trouvent également des éléments justifiant
une prime de terme négative. Voir D’Amico, Stefania, Don H. Kim, et Min
6
ECONOTE | N°29 – SEPTEMBRE 2015
prix. Cette « répression financière » généralisée a
également joué un rôle important dans le repli des
primes de terme des pays « core » ces dernières
années.
Tout d’abord, l’incertitude accrue qui a régné sur les
marchés financiers mondiaux a déclenché une fuite
vers la sécurité qui a fait flamber les rendements des
pays en difficulté et généré une demande massive en
valeurs refuges traditionnelles (bons du Trésor
américain, Bunds allemands ou actifs en francs
suisses).
Troisièmement, compte tenu du fait que les taux
directeurs courts des banques centrales se sont
progressivement rapprochés de zéro, la volatilité des
bons du Trésor a chuté, ce qui a également pesé sur
les primes de terme. En outre, la quête de rendement
déclenchée par les politiques de taux zéro/taux
négatifs des banques centrales a aiguisé l’appétit des
investisseurs pour les obligations d’échéance longue.
Enfin, les banques centrales elles-mêmes sont
devenues acheteuses de grandes quantités de dette à
long terme dans le cadre de leurs politiques non
conventionnelles. L’effet sur les prix des obligations a
été amplifié par le fait que la taille du marché
obligataire de bon nombre de pays a été réduite au
même moment par les politiques publiques de
consolidation budgétaire.
Réaction de la politique monétaire à la crise
Depuis 2008, les banques centrales des principales
économies avancées ont mené une expérience de
grande ampleur pour tenter de relancer leurs
économies et de lutter contre les pressions
déflationnistes. Lorsque la crise a éclaté, les grandes
banques centrales internationales ont ramené leurs
taux directeurs (courts) à quasiment zéro.
Parallèlement, le déclassement de plusieurs dettes
souveraines, notamment dans la périphérie de la zone
euro, a engendré une forte baisse de l’offre globale en
actifs « sûrs ». Il en est résulté une pénurie d’actifs
sans risque, qui a conduit à une envolée des prix des
obligations souveraines des pays « core », considérées
comme la valeur refuge par excellence. Les
rendements de ces dettes ont donc fondu comme
neige au soleil. Cette ruée vers les actifs refuges, avec
des mouvements en faveur des Bunds et des autres
dettes souveraines « core », se poursuit encore
aujourd’hui. La pénurie d’actifs sûrs a été amplifiée par
les nouvelles réglementations destinées à renforcer la
stabilité financière, qui obligent les banques, les fonds
de pension et les compagnies d’assurance à détenir
davantage de dette souveraine et ce, quel qu’en soit le
Wei (2014), « Tips from TIPS: the informational content of Treasury InflationProtected Security prices », Finance and Economics Discussion Series
(FEDS) Working Paper, 2014-24; Campbell, John Y., Adi Sunderam, et Luis
M. Viceira (2013), «Inflation bets or deflation hedges? The changing risks of
nominal bonds», Harvard Business School Working Paper 09-088.
Une fois la borne à zéro des taux directeurs touchée,
ces banques (au premier rang desquelles la Réserve
fédérale américaine, puis la Banque d’Angleterre, la
Banque du Japon et, enfin, la Banque centrale
européenne) se sont tournées vers des outils de
politique monétaire de moins en moins conventionnels
afin d’exercer des pressions baissières directes sur les
primes de terme et les primes de risque, et donc sur
les taux longs (qui influencent les décisions en matière
d’investissement et de consommation dans l’économie
7
ECONOTE | N°29 – SEPTEMBRE 2015
réelle)8. Elles ont, en particulier, considérablement
augmenté leur base monétaire (c’est-à-dire l’ensemble
des pièces et billets en circulation dans l’économie
plus les réserves des banques commerciales déposées
à la banque centrale) en lançant de vastes programmes
d’achat d’obligations souveraines et privées à long
terme, un processus appelé « assouplissement
quantitatif ». Elles ont également mis en place des
stratégies de communication (ce que l’on appelle des
« indications prospectives »), indiquant que leurs taux
directeurs resteraient bas pendant une période
prolongée. Ce faisant, les banques centrales ont
cherché à influencer les anticipations des investisseurs
en matière de taux d’intérêt courts à terme et, donc, les
taux d’intérêt à moyen et long terme.
Plus récemment, en Europe continentale (zone euro,
Danemark, Suède et Suisse), une nouvelle forme de
politique monétaire non conventionnelle, plus extrême,
a été testée : il s’agit de l’introduction de taux
directeurs négatifs et/ou de taux de dépôt négatifs.
En 2012, la banque centrale du Danemark a adopté un
taux directeur très légèrement négatif, une première
mondiale. En juin 2014, la Banque centrale européenne
(BCE) a commencé de rémunérer les réserves
excédentaires au jour le jour à un taux de -0,1 %9, taux
8
L’objectif des politiques monétaires non conventionnelles est de relancer
la croissance économique par cinq grands moyens : (i) en encourageant les
banques à prêter directement à l’économie réelle (ménages et entreprises),
(ii) en augmentant les prix des actifs (y compris en réduisant le taux
d’actualisation des flux de trésorerie des actifs, par exemple les dividendes
ou les loyers), ce qui crée un effet de richesse pour les détenteurs des
actifs, (iii) en incitant les investisseurs à se détacher des actifs sûrs et à
préférer les classes d’actifs plus risquées et à plus haut rendement telles
que les actions, (iv) en faisant baisser les taux de change et (v) en s’assurant
que l’inflation revienne vers l’objectif.
9
La BCE fonctionne sur la base d’un système de corridor, avec trois taux
directeurs clés : (i) le taux des opérations principales de refinancement
(MRO), qui fournit généralement la majeure partie des liquidités aux
institutions monétaires et financières, (ii) le taux de prêt marginal, qui
intègre un spread par rapport au taux MRO et correspond au taux auquel
les banques peuvent obtenir des liquidités au jour le jour au sein de
l’Eurosystème et (iii) le taux de dépôt, c’est-à-dire le taux de rémunération
des réserves excédentaires des banques, qui est inférieur au taux MRO. Le
taux MRO est généralement lié à celui des transactions interbancaires sur le
marché au jour le jour, le taux EONIA.
abaissé à -0,2 % en septembre10. Fin 2014 et
début 2015, la Banque nationale suisse (BNS) et la
Riksbank suédoise ont suivi l’exemple de l’institution
de Francfort en faisant également passer leurs taux
directeurs en territoire négatif. Jamais, dans l’histoire
économique mondiale, les taux directeurs n’avaient été
négatifs.
Les économistes pensaient que les taux directeurs ne
pouvaient pas passer en dessous de zéro, sans quoi,
selon eux, les liquidités l’emporteraient sur les
obligations en tant qu’actifs. L’argument était alors le
suivant : lorsque les taux d’intérêt sont au niveau zéro,
les agents économiques ne voient plus réellement de
différence entre le fait de détenir des liquidités et celui
de détenir des obligations, et leur demande en
liquidités devient alors quasiment infinie - une situation
dite de « trappe à liquidité »11. Ces mêmes économistes
ont donc parlé d’une borne inférieure limitant les taux
d’intérêt directeurs à zéro. Mais nous savons
désormais qu’en réalité, le plancher des taux d’intérêt
n’est pas zéro, mais un peu moins de zéro, comme l’a
démontré la BCE12. Le fait que le plancher effectif des
10
Les principaux objectifs de ces mesures sont divers : alors que la BCE et
la Riksbank ont surtout cherché à assouplir le contexte monétaire pour
relancer l’activité économique et permettre à l’inflation de se rapprocher
des objectifs, la SNB et la DNB visaient principalement à décourager les
entrées de capitaux et à réduire les tensions haussières sur leurs devises.
11
Dans des circonstances « normales », les agents économiques cherchent
un équilibre entre rendement et liquidité : ils détiennent de l’argent (sur
lequel ils n’engrangent pas d’intérêts) pour sa liquidité, mais cette détention
est limitée par le coût d’opportunité des intérêts perdus. Cependant, dans
une situation de trappe à liquidité, lorsque les taux d’intérêt courts sont à
zéro, il n’y a pas de coût d’opportunité. Et les agents accumulent donc les
liquidités. L’argent n’est détenu que pour sa fonction de « réserve de
valeur », sa fonction de « moyen d’échange » n’entrant plus alors en ligne
de compte.
12
La BCE a clairement indiqué qu’elle n’avait pas l’intention d’abaisser son
taux en deçà de -0,2 %, ce qui représente, en fait, le plancher des taux
d’intérêt. Voir Benoît Cœuré (2015), « How binding is the zero lower
bound? » allocution lors de la conférence « Removing the zero lower bound
on interest rates », organisée par l’Imperial College Business School /
Brevan Howard Centre for Financial Analysis, le CEPR et la Banque
nationale suisse, Londres, 18 mai. Pour reprendre ses mots : « Sur ce point,
nous avons été très clairs : la constellation actuelle de taux directeurs
constitue, pour nous, le plancher effectif des taux. Nous n’avons pas
l’intention d’abaisser à nouveau les taux directeurs à court terme. »
8
ECONOTE | N°29 – SEPTEMBRE 2015
taux soit plus bas qu’initialement estimé découle du
coût que représente la détention des liquidités. En
effet, détenir des liquidités génère des frais : stockage,
assurance, négociation ou transport13. Conséquence :
les agents économiques sont prêts à accepter des taux
de rémunération des dépôts négatifs (c’est-à-dire à
payer les banques) dans la mesure où les banques leur
garantissent que leur argent sera en sécurité et
disponible pour des transactions. De fait, c’est le coût
de détention des liquidités qui définit le plancher
effectif des taux directeurs (c’est-à-dire la contrainte
réelle sur la capacité des banques centrales à fixer des
taux d’intérêt négatifs).
Ainsi, les banques centrales peuvent réduire leurs taux
directeurs à hauteur des coûts de stockage et
d’assurance de l’argent sans entraîner de mouvements
massifs vers les liquidités dans l’économie. Mais si les
taux directeurs s’enfoncent trop en territoire négatif,
c’est-à-dire en dessous des coûts de détention des
liquidités, les agents décideront alors d’accumuler des
liquidités au détriment des dépôts à rémunération
négative. À ce moment-là, l’argent sera détenu pour sa
seule fonction de réserve de valeur, à l’instar des
obligations, et sa fonction de moyen d’échange
disparaîtra. Et l’économie se retrouvera dans une
situation de trappe à liquidité. Les coûts de stockage et
autres frais étant relativement limités, la marge de
baisse des taux directeurs en-dessous de zéro est
étroite sauf à voir ce phénomène de thésaurisation
s’étendre à toute l’économie. Cela signifie qu’en
pratique, le niveau zéro reste une référence importante
pour la politique monétaire.
Taux négatifs en Europe : le monde à l’envers
Les taux d’intérêt négatifs, combinés à l’annonce d’un
programme d’assouplissement quantitatif (QE) d’un
montant de 1 100 milliards d’euros par la BCE en
début d’année14, sont parvenus à aplatir la courbe des
taux sur l’ensemble des maturités. Par exemple, les
rendements du Bund allemand à 10 ans sont tombés à
un nouveau point bas record de 0,05 % le 17 avril. À
un certain moment, les obligations allemandes de
maturité allant jusqu’à huit ans affichaient un
rendement nominal négatif. Aujourd’hui, une très
grande partie des obligations européennes se
négocient à des taux d’intérêt nominaux négatifs. À
première vue, cette situation semble absurde :
pourquoi les investisseurs accepteraient-ils de payer
les États pour leur prêter de l’argent ?
Il existe au moins cinq raisons pour lesquelles les
investisseurs peuvent accepter de prêter à un taux de
rendement nominal négatif. La première est la crainte
de la déflation, car un rendement nominal négatif peut
se transformer en rendement réel positif si celle-ci
s’installe. C’est la logique qui l’a emporté au Japon ces
vingt dernières années et qui était également à l’œuvre
dans la zone euro dans les mois qui ont précédé
l’annonce du programme d’assouplissement quantitatif
de la BCE. Début 2015, la peur de la déflation, liée en
partie à la baisse des cours du pétrole intervenue au
second semestre 2014, est à l’origine de la baisse des
rendements européens. Une deuxième raison peut être
la crainte d’événements extrêmes (des événements
dont la probabilité est très faible mais l’impact, très
élevé) dans l’économie mondiale, tels qu’un Grexit, un
atterrissage économique brutal en Chine ou une guerre
entre Israël et l’Iran à propos de la prolifération
nucléaire. Dans ce contexte, le fait de détenir des
obligations à rendement négatif plutôt que des actifs
plus volatils, et donc plus risqués, peut être judicieux
pour les investisseurs afin de réduire leur vulnérabilité
aux événements défavorables.
13
La raison est la suivante : l’argent est encombrant, surtout en grande
quantité. Il est donc difficile à gérer et à utiliser, et peut également être volé
ou mal utilisé, par exemple contrefait.
14
Le 5 mars, le président de la BCE, Mario Draghi, a dévoilé un programme
d’assouplissement quantitatif d’un montant de 1 100 milliards d’euros. La
BCE achètera 60 milliards d’euros d’obligations par mois jusqu’en
septembre 2016 ou jusqu’à ce que l’inflation se rapproche de l’objectif de
la BCE c’est-à-dire un chiffre proche de, mais inférieur à, 2 %.
Mais les investisseurs peuvent aussi décider d’acheter
des obligations à rendement négatif s’ils estiment que
la devise dans laquelle les actifs sont libellés a vocation
9
ECONOTE | N°29 – SEPTEMBRE 2015
à s’apprécier (c’est notamment le cas du franc suisse),
pariant ainsi sur une plus-value susceptible de
compenser plus que largement le rendement négatif.
Quatrièmement, comme nous l’avons vu ci-dessus, le
durcissement des réglementations en matière de
solvabilité oblige les investisseurs de long terme (par
exemple les compagnies d’assurances et les fonds de
pension) à accumuler les obligations souveraines, quel
que soit leur rendement. Et, enfin, les investisseurs qui
anticipent que les rendements continueront de reculer
peuvent acheter des obligations à rendement négatif
pour les revendre et empocher une plus-value à la
valeur de marché. Compte tenu de l’existence de
nombreux acheteurs captifs ou insensibles aux prix (au
premier rang desquels les banques centrales) qui se
sont engagés à continuer d’acheter de grandes
quantités d’obligations souveraines dans les mois à
venir, l’aspect spéculatif de l’investissement dans la
dette souveraine est évident.
Pourtant, la correction brutale des Bunds allemands en
avril-juin a démontré que les rendements ne peuvent
pas baisser indéfiniment sans que ce mouvement
n’entraîne une résistance de la part des investisseurs. Il
est difficile d’identifier un élément déclencheur unique
de cette correction. Elle s’explique en partie par
l’évolution des anticipations d’inflation : alors que, fin
2014-début 2015, les observateurs redoutaient une
déflation généralisée en Europe, le spectre de la
déflation a semblé s’éloigner (comme en témoigne la
hausse très modérée des anticipations d’inflation
depuis la mi-avril), la détermination de la BCE ayant
renforcé sa crédibilité en matière de lutte contre la
baisse des prix. Par ailleurs, l’activité économique de la
zone euro a réservé de bonnes surprises, la France et
l’Italie renouant avec une modeste croissance.
Cependant, la dégradation de la liquidité sur les
marchés obligataires européens « core » semble avoir
exacerbé leur débâcle.
LES TAUX D’INTÉRÊT SONT-ILS TROP
BAS ?
DES
ÉCARTS
DE
PRODUCTION
TOUJOURS
IMPORTANTS…
Alors
que
les
politiques
monétaires
non
conventionnelles ont été très efficaces pour créer des
effets de prix importants sur certains marchés d’actifs,
la question de leur impact macroéconomique n’a pas
encore été tranchée. Après plus de six ans de mise en
œuvre
de
mesures
de
moins
en
moins
conventionnelles, l’inflation et les anticipations
d’inflation restent, dans le monde développé, à des
plus bas historiques, et bien loin de l’objectif des
banques centrales de 2 % (ou près de 2 %), tandis que
la croissance économique est toujours trop faible pour
renouer avec les tendances d’avant-crise.
Malgré des politiques de taux zéro ou inférieurs à zéro
et l’impressionnante quantité de monnaie créée par les
banques centrales, les dépenses globales sont
généralement restées bien inférieures à ce que les
économies avancées peuvent produire, ce qui s’est
traduit par des écarts de production importants (c’està-dire la différence entre l’activité réelle et le niveau
d’activité qu’aurait l’économie si elle fonctionnait à
pleine capacité), qui continuent de peser sur l’inflation.
10
ECONOTE | N°29 – SEPTEMBRE 2015
La faiblesse du marché du travail reflète l’atonie de la
reprise économique. Sept ans après la crise financière
internationale, la plupart des économies avancées
restent bien loin du plein emploi et continuent
d’afficher des taux de chômage largement supérieurs à
ceux d’avant-crise. Même aux États-Unis, pourtant
plus avancés que la zone euro et le Japon sur la
courbe de la reprise économique, les chiffres de
l’emploi restent moroses. Certes, le chômage a
fortement reculé en Amérique du Nord depuis la crise
financière internationale, passant d’un point haut
de 10 % en octobre 2009 à 5,1 % actuellement, mais
cette évolution s’explique plus par une baisse du
nombre de personnes recherchant activement un
emploi que par une augmentation du nombre
d’emplois disponibles. Depuis la fin de la récession, les
créations de postes aux États-Unis n’ont que très
légèrement dépassé la croissance démographique.
Ainsi, la baisse du chômage provient presque
entièrement du fait que ceux qui ne cherchent plus
d’emploi n’entrent pas dans les statistiques de
chômage.
Depuis début 2008, le taux de participation de la maind’œuvre américaine (c’est-à-dire la proportion
d’adultes travaillant ou essayant de trouver un emploi)
a reculé de 3,7 points de pourcentage.
...
SUGGÈRENT
QUE
LES
TAUX
POURRAIENT ÊTRE TROP ÉLEVÉS
D’INTÉRÊT
(PLUTÔT QUE
TROP FAIBLES) POUR L’ÉCONOMIE RÉELLE
Bien que les banques centrales aient abaissé leurs taux
directeurs au maximum et qu’elles aient pesé de tout
leur poids sur les prix des obligations sur l’ensemble de
la courbe, cela n’a pas été suffisant, à ce jour, pour que
l’économie opère à son potentiel de croissance et
renoue avec le plein emploi, ce qui suggère qu’au
niveau actuel des taux d’intérêt réels, il existe un
excédent d’épargne dans l’économie.
Il y a plus d’un siècle, Wicksell a fait la distinction entre
le taux d’intérêt observé sur le marché (le taux d’intérêt
des obligations) et le taux d’intérêt d’équilibre (ou taux
« naturel »), non observable, supposé assurer l’équilibre
entre épargne et investissement au plein emploi des
ressources. Le taux d’intérêt naturel wicksellien
correspond au taux qui entraîne une stabilité des prix.
Lorsque le taux naturel est supérieur au taux du
marché, il y a accumulation du capital, et l’inflation
augmente. Inversement, lorsque le taux naturel est
inférieur au taux du marché, le taux d’accumulation du
capital ralentit et les pressions déflationnistes se
renforcent.
La théorie économique suggère que le taux d’intérêt
naturel évolue au cours du temps, en réponse aux
modifications des tendances sous-jacentes des
11
ECONOTE | N°29 – SEPTEMBRE 2015
facteurs économiques réels. Par exemple, une faible
croissance de la productivité (disons, en raison d’un
ralentissement de l’innovation technologique) fera
baisser le taux naturel en réduisant le rendement
anticipé
des
capitaux
et
en
décourageant
l’investissement. De même, un vieillissement de la
population entraînera un repli du taux naturel si le
niveau d’épargne désirée augmente au sein de la
population, ou si la baisse de la population en âge de
travailler est synonyme d’un moindre besoin en
investissement pour maintenir le stock de capital
nécessaire pour utiliser la main-d’œuvre. Un choc de
désendettement important peut également faire baisser
le taux d’intérêt naturel, comme l’ont montré
Eggertsson et Krugman (2012)15.
Les partisans de la théorie de la « stagnation
séculaire » font valoir que, pour un certain nombre de
raisons, allant d’une démographie défavorable à
l’excès de dette, le taux d’intérêt naturel des grandes
économies avancées est passé, depuis un bon
moment déjà, en territoire négatif16. L’hypothèse de
l’excédent d’épargne mondiale offre une autre
perspective à la baisse perçue du taux d’intérêt naturel
jusqu’à des niveaux très faibles. Ben Bernanke (2015)
soutient que le monde est toujours actuellement aux
prises avec un excédent d’épargne et que, depuis le
début des années 2010, la principale région
responsable de cette situation est la zone euro,
Allemagne en tête (désormais premier exportateur net
mondial de biens et capitaux financiers), et non les
économies asiatiques et les producteurs de pétrole,
dont la contribution à l’épargne mondiale, bien que
toujours importante, s’est inscrite dans une tendance
baissière au cours de ces dernières années17.
Quelle qu’en soit la cause – pénurie d’intentions
d’investissement, comme le met en avant l’hypothèse
de la stagnation séculaire, ou excès d’épargne désirée,
comme le souligne l’hypothèse de l’excédent
d’épargne mondiale –, il semble désormais
généralement admis que le manque d’ «appétit » pour
l’investissement par rapport à l’appétit pour l’épargne
dans la plupart des grandes économies avancées,
surtout dans la zone euro, a entraîné une baisse du
taux d’intérêt naturel à un niveau extrêmement faible,
voire négatif.
Depuis les travaux de Wicksel (1898), le taux d’intérêt
naturel est l’un des indicateurs de référence de la
politique monétaire. Bien sûr, ce taux n’est pas
observable, ce qui signifie que, par nature, son
véritable niveau est difficile à définir. Les estimations
du taux d’intérêt naturel sont donc à la fois incertaines
et très dépendantes des modèles. Mais le taux
d’intérêt naturel constitue un cadre conceptuel utile
pour réfléchir aux niveaux cibles pour les taux d’intérêt.
Depuis la Grande récession de 2007-2009, les
politiques de taux ultra-bas des banques centrales ont
donc été tournées vers un seul objectif : emboîter le
pas au taux naturel. Compte tenu de la gravité de cette
récession et de la faiblesse de la reprise qui s’en est
suivie, il est fort probable que les taux d’intérêt n’aient
pas réussi à baisser au point de coïncider avec le
niveau naturel. La raison, bien sûr, c’est qu’il existe un
niveau en dessous duquel les taux d’intérêt effectifs
nominaux ne peuvent pas descendre.
UNE BORNE INFÉRIEURE À ZÉRO (OU PRESQUE)
15
Voir Gauti B. Eggertsson et Paul Krugman (2011), « Debt, deleveraging,
and the liquidity trap: A Fisher-Minsky-Koo approach », The Quarterly
Journal of Economics, Oxford University Press, vol. 127(3), pages 14691513.
16
Voir Summers, Lawrence H. (2014), « Reflections on the “New Secular
Stagnation Hypothesis” », In Coen Teulings and Richard Baldwin, eds.,
Secular Stagnation: Facts, Causes and Cures. London, UK: Centre for
Economic Policy Research.
Une situation dite de « trappe à liquidité » est une
situation économique où la politique de taux zéro ne
parvient pas à relancer la demande globale dans une
économie qui en a pourtant grand besoin. Les États-
17
Bernanke B. (2015), « Why are interest rates so low, part 3: the global
savings glut », blog de Ben Bernanke, 1er avril.
12
ECONOTE | N°29 – SEPTEMBRE 2015
Unis ont connu un épisode de trappe à liquidité au
lendemain de la Grande dépression des années 1930
et le Japon, après l’éclatement de l’immense bulle
immobilière en 1991. Une telle situation peut apparaitre
pour plusieurs raisons. En particulier, elle peut résulter
d’un choc de désendettement, comme l’ont montré
Gauti B. Eggertsson et Paul Krugman (2011). La raison
en est que, lorsqu’une économie est confrontée à un
puissant processus de désendettement, il est possible
que même un taux d’intérêt zéro ne soit pas
suffisamment bas pour inciter les agents économiques
à dépenser ou emprunter plus18.
Le problème, dans une trappe à liquidité, c’est que
même si les taux directeurs sont à zéro, les taux
d’intérêt nominaux restent trop élevés, étant donné le
niveau des anticipations d’inflation, pour produire le
taux d’intérêt réel (nettement) négatif nécessaire à
l’économie pour qu’elle puisse fonctionner à son plein
potentiel et atteindre le plein emploi. Autrement dit, le
taux d’intérêt effectif reste bloqué au-dessus du taux
d’intérêt naturel, ce qui peut maintenir l’économie dans
le piège d’une croissance faible et d’une inflation faible.
Dans une telle situation, l’économie a besoin, soit
d’anticipations d’inflation nettement plus élevées (ce
que les banques centrales ont désespérément tenté
d’obtenir depuis la crise), soit de taux d’intérêt
nominaux très nettement négatifs, ce qui est
impossible compte tenu du plancher (légèrement
inférieur) à zéro des taux d’intérêt. Aussi le principal
défi pour les banques centrales confrontées à une
trappe à liquidité est-il de faire remonter les
anticipations d’inflation.
Une fois la borne inférieure zéro sur les taux directeurs
atteinte, les principales banques centrales n’ont pas eu
d’autre option, au lendemain de la Grande récession,
que d’adopter d’autres types de mesures, telles que
des politiques d’assouplissement quantitatif (c'est-àdire injecter de l’argent directement dans l’économie),
pour tenter de relever les anticipations d’inflation et de
stimuler la demande globale. C’est la Banque du Japon
qui, en 2001, a tenté la première expérience
d’assouplissement quantitatif, alors destinée à doper
les prix. Ce programme a duré cinq ans, mais la
relance monétaire n’a pas réussi à sortir le pays d’une
déflation persistante. Au lendemain de la crise
financière de 2008, la Banque d’Angleterre et la
Réserve fédérale19 ont toutes deux dévoilé des
programmes d’assouplissement quantitatif pour tenter
18
Gauti B. Eggertsson et Paul Krugman (2011), (op.cit.).
19
En novembre 2008, la Réserve fédérale américaine a lancé le plus grand
programme de relance monétaire de l’histoire par le biais de trois vagues
successives d’assouplissement quantitatif qui ont injecté près de
4 500 milliards de dollars dans l’économie américaine. Elle a mis fin à ce
« QE » en octobre 2014.
de raviver la croissance. Au Japon, le dernier « QE » en
date a débuté en avril 201320. Et, début 2015, la BCE,
avec plusieurs années de retard sur ses homologues, a
lancé son propre programme d’assouplissement
quantitatif. D’un montant de 1 100 milliards d’euros, il
fonctionnera jusqu’à fin septembre 2016 au moins.
Conséquence des assouplissements quantitatifs, la
base monétaire a explosé ces dernières années dans
les pays développés, mais le fait est que la masse
monétaire n’a connu, elle, qu’une progression limitée21.
Ceci est reflété par l’effondrement du multiplicateur
monétaire (c’est-à-dire le rapport entre masse
monétaire et base monétaire) depuis la fin 2008. Cet
effondrement est particulièrement prononcé aux ÉtatsUnis et, fait marquant, le multiplicateur monétaire dans
ce pays n’a pas rebondi depuis la crise, ce qui vient
témoigner des dégâts infligés à la relation historique
entre base monétaire, masse monétaire et économie.
Il aura fallu à la Réserve fédérale américaine un
incroyable volume d’achat d’actifs pour atteindre des
résultats bien modestes : le taux d’inflation aux ÉtatsUnis est aujourd’hui quasi nul (0,21 % en juillet 2015).
Pour l’heure, il n’y a guère d’élément convaincant (que
ce soit aux États-Unis, au Royaume-Uni ou au Japon)
permettant d’établir que l’assouplissement quantitatif a
un impact significatif ou durable sur l’évolution des
prix. En fait, aux États-Unis, au Royaume-Uni et au
Japon, il y a une corrélation claire entre lancement des
programmes d’assouplissement quantitatif et chute du
multiplicateur monétaire, ce qui suggère qu’une grande
partie de l’envolée de la base monétaire s’est
20
Dans le cadre de son propre programme d’assouplissement quantitatif, la
Banque du Japon (BoJ) s’est engagée à acheter pour 7 000 milliards de
yens (soit 50 milliards d’euros) d’obligations souveraines par mois en
utilisant de la monnaie créée de manière électronique.
21
La masse monétaire correspond au volume total d’actifs liquides ou
quasi-liquides dans une économie. Sa définition la plus limitative, M1,
comprend la monnaie et les dépôts à vue. M2 comprend M1 plus les actifs
placés sur des comptes monétaires et les dépôts à terme. La masse
monétaire au sens large, baptisée M3, comprend M2 plus les dépôts à long
terme et les fonds monétaires dont les actifs ont une maturité supérieure à
24 heures.
13
ECONOTE | N°29 – SEPTEMBRE 2015
simplement traduite par une augmentation des
liquidités déposées auprès des banques centrales.
Quelles sont les chances de succès du nouveau
programme d’assouplissement quantitatif de la BCE ?
Son impact sur l’inflation dépendra de la manière dont
les banques de la zone euro utilisent leurs nouvelles
réserves auprès de la banque centrale. Si elles
décident de les thésauriser, comme cela a été le cas
aux États-Unis, l’institution de Francfort échouera très
probablement à relancer l’inflation de manière durable.
Si elles utilisent leurs réserves excédentaires pour
octroyer de nouveaux prêts, la BCE a une chance
d’obtenir de meilleurs résultats que la Fed en matière
d’inflation. L’une des différences majeures entre les
programmes de la BCE et de la Fed réside dans le fait
que la banque centrale américaine rémunère les
réserves bancaires à hauteur de 25 points de base
(réserves excédentaires y compris) alors que la BCE
applique un taux négatif de 20 points de base sur les
réserves excédentaires des banques. L’avenir nous
dira si ces taux négatifs découragent les banques de
déposer leurs réserves excédentaires sur la facilité de
dépôt de la BCE et les incite à accorder davantage de
prêts.
DE LA TRAPPE À LIQUIDITÉ À LA BULLE DES PRIX
DES ACTIFS ?
Si les programmes d’assouplissement quantitatif ont
généralement permis une relance marginale de
l’activité économique, ils ont pour l’heure échoué à
atteindre les objectifs des banques centrales en
matière de cible d’inflation et de retour à une trajectoire
de croissance normale. Cela s’explique principalement
par le fait que de nombreux facteurs (allant d’une
incertitude accrue à de puissantes forces de
désendettement) se sont conjugués pour encourager la
thésaurisation. Depuis la crise de 2008, la pression qui
pèse sur les banques pour qu’elles se désendettent a
été telle qu’elles ont préféré détenir des réserves
excédentaires auprès des banques centrales plutôt
qu’accorder des prêts. De même, pour les ménages et
les entreprises, l’impératif du désendettement a été tel
que l’appétit pour l’emprunt a quasiment disparu,
quand bien même les taux d’intérêt ont touché des
niveaux historiquement bas. Ainsi, au lieu de dépenser,
le secteur privé a préféré thésauriser, et les vastes
quantités d’argent qui ont été créées n’ont pas pu se
répercuter sur l’investissement et la consommation.
Pour paraphraser Keynes (1936), la politique monétaire
semble aujourd’hui « pousser dans le vide » (« pushing
on a string »)22.
Ceci a conduit de nombreux économistes [voir
notamment BRI (2014)] à estimer que les politiques
actuelles de taux zéro et d’assouplissement quantitatif
sont globalement inefficaces pour relancer la
croissance du PIB. Pire, qu’elles sèment les germes de
plus de difficultés à venir en entraînant des distorsions
de production et d’investissement, en obérant le
nécessaire désendettement du secteur privé et en
alimentant des bulles sur les prix des actifs23. Par
conséquent, selon la BRI, les banques centrales
devraient relever leurs taux directeurs, une mesure qui,
selon elle, devrait aller de pair avec l’introduction de
réformes structurelles. Le problème, bien sûr, c’est que
tout relèvement prématuré des taux directeurs
comporterait le risque d’étouffer la fragile reprise en
cours24. Compte tenu de l’environnement actuel de très
22
Keynes, John M (1936), Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la
monnaie, Macmillan (pour la version anglaise).
23
Voir notamment BRI (2014), 84e rapport annuel, 2013/14, 29 juin ; Borio,
Claudio et Piti Disyatat (2011), « Global imbalances and the financial crisis:
link or no link? », BIS Working Paper, N°346, mai ; Borio Claudio et Piti
Disyatat (2014), « Low interest rates and secular stagnation: is debt a
missing link? », 25 juin.
24
La BRI souligne depuis longtemps que la politique monétaire est menée
de manière dangereusement asymétrique, les banquiers centraux ne
réussissant pas à aller à contre-courant de la tendance du marché dans les
périodes de booms alors qu’ils mènent des assouplissements virulents et
pérennes pendant les crises. Cette situation s’est, selon elle, traduite par un
biais persistant à la baisse des taux d’intérêt et un biais persistant à la
hausse des niveaux de dette. Il en résulte qu’il est plus difficile de relever
les taux sans endommager la croissance économique, ce qui crée un
phénomène qui s’apparente à un piège de la dette. Voir Hervé Hannoun
(2014), « Central banks and the global debt overhang », allocution lors de la
50e édition de la SEACEN Governors’ Conference, 20 novembre.
14
ECONOTE | N°29 – SEPTEMBRE 2015
faible inflation, la politique monétaire semble mal
placée pour répondre aux préoccupations quant à une
éventuelle prise excessive de risque dans le secteur
financier, qui relève davantage du champ de
responsabilité des politiques macro-prudentielles.
LES TAUX NOMINAUX DEVRAIENT
RESTER HISTORIQUEMENT BAS
PENDANT UNE PÉRIODE PROLONGÉE
LA CRISE DU DÉSENDETTEMENT
En se tournant vers l’avenir, le poids de l’endettement
du secteur public et du secteur privé constituera le
premier facteur d’influence sur les perspectives de
croissance des grandes économies avancées. Après
un processus massif d’accumulation de la dette durant
les années qui ont précédé la crise financière de 2008,
l’essentiel des pays développés a été contraint
d’entamer un vaste cycle de désendettement.
L’assainissement des bilans étant devenu une priorité
pour les agents très endettés, des pans entiers de ces
économies ont dû épargner davantage et investir
moins et ce, indépendamment des niveaux ultra bas
des taux d’intérêt.
publique, notamment dans la zone euro. Ainsi, sept ans
après le début de la crise financière, l’excès de dette
dans les économies avancées reste un obstacle majeur
à la reprise économique, beaucoup d’entreprises
continuant de réduire leurs dépenses et d’accumuler
de la trésorerie.
De nombreuses études ont montré que, lorsque
l’endettement total d’une économie atteint un niveau
critique, les répercussions sur la croissance
économique sont délétères25. L’économie japonaise a
rechuté à plusieurs reprises sur les vingt dernières
années et aujourd’hui, le PIB nominal du pays est
quasiment le même qu’en 1991. Depuis la crise
de 2008, toutes les grandes économies avancées ont
suivi une trajectoire de reprise économique timide et
momentanée, ponctuée de rechutes régulières
(croissance faible ou repli du PIB). C’est le poids de
l’endettement qui est la cause fondamentale de cette
sous-performance des économies avancées. Et si,
aujourd’hui, ces économies connaissent une timide
reprise conjoncturelle, la plupart d’entre elles tournent
bien en dessous de leur potentiel.
De plus, il existe des raisons de craindre que bon
nombre d’économies avancées soient, en réalité,
prises dans le cercle vicieux de la dette où l’excès de
dette limite la croissance, qui vient en retour nourrir
l’augmentation de la dette : la morosité économique
complique en effet le désendettement, alimentant donc
l’insuffisance de croissance26. La dette privée restant
supérieure à son niveau de 2008 et la dette publique
poursuivant son ascension, le surendettement
continuera d’obérer la croissance économique des
25
Depuis 2008, un certain désendettement a été observé
dans le secteur privé, notamment aux États-Unis, mais
le recul des ratios d’endettement privés a été plus que
compensé par une forte augmentation de la dette
Voir notamment Reinhart, Carmen M. et Kenneth S. Rogoff (2009),
« Cette fois, c’est différent : Huit siècles de folie financière », Princeton
University Press (pour la version anglaise) ; Reinhart, Carmen M. et Kenneth
S. Rogoff (2009), « The aftermath of financial crisis », The American
Economic Review, 99(2): 466-472; Mian A. et A. Sufi (2014), « House of
debt: how they (and you) caused the great recession, and how we can
prevent it from happening again », University of Chicago Press.
26
Voir notamment Buttiglione, L, P. Lane, L. Reichlin, et V. Reinhart (2014),
« Deleveraging, what deleveraging? », 16e édition de la Geneva Conference
on Managing the World Economy, 9 mai, ICMB, CIMB et CEPR, Genève.
15
ECONOTE | N°29 – SEPTEMBRE 2015
principales
économies
développées
pour
de
nombreuses années à venir, générant une insuffisance
chronique de demande globale qui poussera l’inflation
et les taux d’intérêt à la baisse.
LES
POLITIQUES
MONÉTAIRES
l’inflation. L’orientation de la politique monétaire
globale restera donc extrêmement accommodante
dans un avenir prévisible, et les anticipations de taux
directeurs courts durablement bas continueront
d’ancrer, pendant longtemps encore, les rendements
bas des maturités plus longues.
RESTERAIENT
EXTRÊMEMENT ACCOMMODANTES
Bien sûr, la vague de désendettement ne sera pas
éternelle, les problèmes de bilan finissant par se
corriger avec le passage du temps. Il y a des signes
indiquant que certains des vents contraires qui freinent
la croissance dans les principales économies avancées
ont commencé de s’estomper, notamment aux ÉtatsUnis. Outre-Atlantique, les conditions de crédit ont
affiché, depuis un certain temps déjà, des signes nets
d’amélioration, et les entreprises privées non
financières ont récemment cessé d’épargner et
recommencé d’emprunter.
TAUX D’INTÉRÊT DURABLEMENT BAS À PRÉVOIR...
Au final, compte tenu de la puissance des forces de
désendettement, combinées à d’autres facteurs
structurels, tels que le vieillissement de la population,
l’accroissement des inégalités de revenus au sein des
pays avancés, la demande institutionnelle en
obligations et la tendance à la réduction des émissions
de dette investment grade, les rendements des
obligations souveraines à long terme des pays les
mieux notés devraient rester historiquement bas
pendant une période prolongée et ce, même si la
Réserve fédérale commence à relever ses taux. Les
rendements pourront afficher des hausses ponctuelles,
si, entre autres, les impressionnants efforts de
« reflation » des banques centrales réussissent à
inverser les anticipations d’inflation, mais de
puissantes forces déflationnistes, conjuguées à la
dégradation des prévisions des investisseurs en
matière de croissance à moyen terme, empêcheront
ces rebonds de s’inscrire dans la durée.
... PONCTUÉS D’ACCÈS DE VOLATILITÉ
Pour autant, la perspective de la normalisation de la
politique monétaire des pays riches semble lointaine.
Même si la Réserve fédérale a mis un terme à son
programme de rachat d’obligations, elle fera preuve
d’une extrême prudence en matière de relèvement des
taux, compte tenu de la faiblesse actuelle de l’inflation
américaine. De leur côté, la BCE et la BoJ se sont
engagées à conserver des politiques monétaires ultraaccommodantes pendant une période prolongée étant
donné le niveau actuel de l’activité économique et de
Pour autant, il existe un réel risque de volatilité accrue
sur les prix des obligations et ce, pour plusieurs
raisons. La première est liée au fait que, lorsque les
taux touchent des niveaux aussi bas, la sensibilité des
prix des obligations aux variations de taux d’intérêt est
exacerbée. La seconde est que des politiques
monétaires ultra-accommodantes peuvent induire une
prise de risque excessive sur les marchés financiers.
Les banques centrales étant résolues à faire baisser les
rendements en achetant de grandes quantités
d’obligations, la spéculation sur la baisse des taux
d’intérêt est devenue presque exempte de risque. Le
jeu pour les spéculateurs est de devancer les banques
16
ECONOTE | N°29 – SEPTEMBRE 2015
centrales : acheter les obligations, souvent grâce à
l’endettement, pour les revendre, en sachant qu’il
existe une porte de sortie garantie à prix plus élevé,
puisque tout l’objectif de l’assouplissement quantitatif
est de faire monter les prix des actifs.
Troisièmement, le secteur bancaire, fournisseur
important de liquidité sur le marché obligataire avant la
crise de 2008, a réduit ses activités de teneur de
marché en raison du durcissement des exigences de
fonds propres et des restrictions en matière de trading
pour compte propre. En conséquence, en cas
d’évènement « surprise » déclenchant un mouvement
de hausse des rendements (par exemple une
croissance supérieure aux attentes ou une hausse
inattendue des cours du pétrole), les banques sont
moins présentes que par le passé pour atténuer les
accès de volatilité des prix27. Enfin, ces dernières
années, le poids des fonds d’investissement de type
OPCVM (Mutual funds) et ETF (Exchange Traded
Funds) s’est accru sur les marchés obligataires. Or ces
acteurs sont davantage susceptibles de se retirer
brutalement du marché (en cas de retrait de leurs
détenteurs) que les investisseurs traditionnels à long
terme que sont les fonds de pension et les sociétés
d’assurances qui dominaient les marchés obligataires
par le passé. Résultat : un risque accru de ventes en
catastrophe et d’accès de volatilité sur les taux.
27
Voir FMI, « Rapport sur la stabilité financière dans le monde », avril 2015.
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NUMÉROS PRÉCÉDENTS ECONOTE
N° 28 La zone euro face à une « stagnation séculaire » ?
Marie-Hélène DUPRAT (Mars 2015)
N° 27 Pays émergents producteurs de pétrole : quels sont les pays vulnérables à la baisse du prix du
pétrole ?
Régis GALLAND (Février 2015)
N° 26 Allemagne : pas un « Bazar » mais une industrie !
Benoît HEITZ (Janvier 2015)
N°25 Zone euro : la crise est-elle terminée ?
Marie-Hélène DUPRAT (Septembre 2014)
N°24 Zone euro : financement des entreprises par les marchés : un développement inégal au sein de la zone
euro
Clémentine GALLÈS, Antoine VALLAS (Mai 2014)
N°23 Irlande : fin du plan d’aide, et après ?
Benoît HEITZ (Janvier 2014)
N°22 La zone euro est-elle dans la trappe à liquidité ?
Marie-Hélène DUPRAT (Novembre 2013)
N°21 Hausse de la dette publique au Japon : jusqu’à quand ?
Audrey GASTEUIL (Novembre 2013)
N°20 Pays-Bas : à la périphérie du cœur
Benoît HEITZ (Septembre 2013)
N°19 États-Unis : un exportateur de gaz naturel liquéfié
Marc-Antoine COLLARD (Juin 2013)
N°18 France : Pourquoi le solde des paiements courants se dégrade-t-il depuis plus de 20 ans ?
Benoît HEITZ (Juin 2013)
N°17 Indépendance énergétique des États-Unis
Marc-Antoine COLLARD (Mai 2013)
N°16 Pays développés : qui détient la dette publique ?
Audrey GASTEUIL-ROUGIER (Avril 2013)
N°15 Chine : Débat sur la croissance
Olivier DE BOYSSON, Sopanha SA (Avril 2013)
N°14 Chine : Prix immobiliers : l’arbre ne doit pas cacher la forêt
Sopanha SA (Avril 2013)
N°13 Le financement de la dette des États : vecteur de (dés-)intégration de la zone euro ?
Léa DAUPHAS, Clémentine GALLÈS (Février 2013)
N°12 La performance à l’exportation de l’Allemagne : analyse comparative avec ses pairs européens
Marc FRISO (Décembre 2012)
N°11 Zone euro : une crise unique
Marie-Hélène DUPRAT (Septembre 2012)
N°10 Marché immobilier et politiques macro-prudentielles : le Canada est-il synonyme de réussite ?
Marc-Antoine COLLARD (Août 2012)
N°9
Le « Quantitative Easing » britannique : plus d’inflation, mais pas plus d’activité ?
Benoît HEITZ (Juillet 2012)
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ÉTUDES ÉCONOMIQUES
CONTACTS
Olivier GARNIER
Chef économiste du Groupe
+33 1 42 14 88 16
[email protected]
Juan-Carlos DIAZ-MENDOZA
Amérique Latine
+33 1 57 29 61 77
[email protected]
Olivier de BOYSSON
Chef économiste Pays Émergents
+33 1 42 14 41 46
[email protected]
Marc FRISO
Afrique Subsaharienne
+33 1 42 14 74 49
[email protected]
Marie-Hélène DUPRAT
Conseiller auprès du chef économiste
+33 1 42 14 16 04
[email protected]
Régis GALLAND
Bassin Méditerranéen et Asie Centrale
+33 1 58 98 72 37
[email protected]
Ariel EMIRIAN
Macroéconomie et analyse pays / Pays CEI
+33 1 42 13 08 49
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Emmanuel PERRAY
Analyse macrosectorielle
+33 1 42 14 09 95
[email protected]
Clémentine GALLÈS
Analyse macrosectorielle / États-Unis
+33 1 57 29 57 75
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Sopanha SA
Asie
+33 1 58 98 76 31
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Constance BOUBLIL-GROH
Europe centrale et orientale
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Europe de l’Ouest
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Sigrid MILLEREUX-BEZIAUD
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