Face à la crise, les exercices de souplesse des banques centrales Le Monde.fr | 22.01.2013 à 17h12 • Mis à jour le 22.01.2013 à 19h21 Comme prévu, le comité de politique monétaire de la Banque du Japon (BoJ) a entériné, mardi 22 janvier, un plan de rachats d'actifs illimités à partir de 2014 et doublé son objectif d'inflation, à 2 %. Agissant sous la pression du gouvernement nouvellement élu de Shinzo Abe (conservateur), l'institution est pourtant statutairement indépendante. La BoJ n'est pas la première à se mettre "aux ordres" de l'exécutif de son pays ou de sa zone monétaire. Le premier ministre chinois, Wen Jiabao, a appelé mardi la Banque populaire de Chine à soutenir la deuxième économie mondiale, qui a enregistré l'an passé sa plus faible croissance en treize ans. En Hongrie, le premier ministre conservateur, Viktor Orban, cherche à nommer un fidèle lieutenant à la tête de la Banque nationale hongroise, apte à faire tourner la planche à billets. La Réserve fédérale américaine (Fed), la Banque d'Angleterre et plus récemment la Banque centrale européenne (BCE) ont répondu par la positive aux requisits de relance, de façon moins flagrante, certes. Mais c'est bien pour redresser la barre d'une croissance économique en berne que l'institution de Francfort a accepté de lâcher du lest dans un premier temps, avec une baisse progressive des taux d'intérêt, et de sortir l'artillerie lourde dans un second temps, avec des programmes non conventionnels de rachats d'actifs. CRITÈRES DE TAYLOR "A l'origine, la politique monétaire est déterminée par une loi dite de Taylor (1993), attribuant des coefficients à deux critères, qui sont l'inflation d'une part et la croissance d'autre part", explique Eric Heyer, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques. La particularité de la BCE est d'avoir toujours attribué le coefficient maximum à l'inflation. "Laquelle n'est plus vraiment un problème aujourd'hui dans la zone euro", selon M. Heyer. La hausse des prix est ressortie à 2,2 % en décembre. Ce n'est pas le cas de la Fed, qui doit se battre sur plusieurs fronts. "Les statuts de la Fed sont clairs : la banque centrale doit assurer le plus haut niveau d'emploi, la stabilité des prix et des taux d'intérêt à long terme faibles. Avant le 'coup de poing sur la table' de Paul Volker, nommé à la Réserve fédérale en 1979, la banque centrale américaine se préoccupait surtout de croissance", raconte JeanLouis Mourier, de la société d'investissement Aurel BGC. Ce n'est pas non plus le cas de la Banque d'Angleterre qui, au début des années 1990, a laissé, sous pression des marchés, la livre sterling se déprécier pour permettre un redémarrage de l'économie. Elle a depuis intégré le contrôle des prix plus clairement dans son mandat. Et ce n'est pas non plus le cas du Japon, où la question du contrôle des prix n'a monopolisé le débat monétaire que parce que, depuis quinze ans, le pays connaît un fléau économique contre lequel la banque centrale ne peut pas grand chose : la déflation, c'est-à-dire la baisse des prix. En théorie, la mécanique est simple : pour lutter contre une hausse des prix, il faut augmenter les taux d'intérêt et rendre plus onéreuses les liquidités. Inversement, pour lutter contre une baisse des prix, il faut baisser les taux. Mais même en baissant les taux le plus possible, les taux d'intérêt réels (ceux de la banque centrale moins l'inflation, qui est négative) augmentent. GUERRE DES MONNAIES Autre problème, si une intervention comme celle de la BoJ fait glisser la devise sur le marché des changes et rend plus compétitives les exportations, elle peut relancer les craintes d'une riposte des partenaires commerciaux. Les principales économies de la planète sont sur le point de basculer dans une "guerre des monnaies", a d'ailleurs décrété le vice-président de la Banque centrale de Russie, Alexei Ulyukayev. Il est vrai que les pays dit "émergents", comme la Russie, dont la croissance et le taux de chômage font pâlir d'envie les pays développés, n'auront pas recours à de tels plans non conventionnels car ils augmenteraient l'inflation, qui est habituellement le problème des économies en surchauffe. "Shinzo Abe parie sur le fait que la politique monétaire peut influencer l'inflation. (...) Ou bien, en réalité, le seul objectif de cette politique monétaire très expansionniste est-il de déprécier le yen ? Objectif non avouable alors que celui de sortir de la déflation l'est", s'interrogent de leur côté les analystes de Natixis. Car le point fondamental souligné par de nombreux économistes et responsables est l'importance de l'indépendance des banques centrales. "L'indépendance des banques centrales et leur mandat étroit n'ont pas été octroyés sans raison. C'était une leçon des années 1970 et du début des années 1980 – une période où de nombreux pays avaient des taux d'inflation à deux chiffres", a rappelé lundi Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, la banque centrale allemande. A plus long terme, une conséquence "désirée ou non" d'une perte d'autonomie des banques centrales dans le monde "pourrait être une politisation plus forte des taux de change", a-t-il encore mis en garde.