Cancer de l`urètre chez la femme noire africaine

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◆ CAS CLINIQUE
Progrès en Urologie (2005), 15, 89-92
Cancer de l’urètre chez la femme noire africaine
Mamadou SOW (1), Pierre FOUDA (1), Blaise NKEGOUM (2), Martin Roger ZO’O (3)
(1)
Service d’Urologie, Hôpital Central de Yaoundé, (2) Faculté de Médecine et des Sciences Biomédicales,
(3) Hôpital Gynéco-Pédiatrique, Yaoundé, Cameroun
RESUME
Le cancer de l’urètre est une tumeur rare. Nous rapportons ici les trois premiers cas décrits chez la femme noire
africaine. Le diagnostic, actuellement difficile peut être amélioré si nous y pensons. La cytologie et l’histologie
du prélèvement urétral sont indispensables.
Le traitement chirurgical est le moins onéreux et le plus accessible pour nos patientes, d’où l’intérêt d’un diagnostic précoce.
Le pronostic de ces tumeurs est mauvais même avec le traitement combiné radio-chirurgical.
Mots clés : Adénocarcinome, urètre, traitement.
Le cancer de l’urètre est une affection rare. Il représente moins de
1% de l’ensemble des cancers de la femme [1, 13]. Dans la littérature, c’est une tumeur de la femme âgée (60 ans de moyenne). Nous
n’avons pas trouvé d’autres descriptions de cancer de l’urètre chez
la femme Noire africaine. Son diagnostic est souvent tardif, certainement parfois méconnu.
A domicile, l’état général continua à s’altérer et le décès survint 8
mois après l’intervention chirurgicale.
L’examen histopathologique de la pièce opératoire fut effectué à
Lausanne (Service du Professeur BOSMAN).
Il s’agissait d’une volumineuse tumeur urétrale de consistance
ferme mesurant 10 x 10 x 7cm, à surface lisse, mal délimitée, hétérogène sur les tranches de section.
Nous rapportons notre expérience de trois cas observés au service
d’Urologie de l’Hôpital Central de Yaoundé (Cameroun).
A la microscopie, on notait une prolifération tumorale maligne de
type adénocarcinome différencié (Figure 1).
NOS OBSERVATIONS
Au fort grossissement, les cellules tumorales présentaient une anisocytose et une anisocaryose. Certaines avaient un cytoplasme
riche en mucus, avec un noyau refoulé vers la périphérie, prenant
un aspect en “bague à chaton” (Figure2).
Observation n°1
Mme M.J. âgée de 55 ans, mariée, fut hospitalisée le 10 septembre
2001 pour une dysurie avec pollakiurie évoluant depuis 10 mois.
Un examen immunohistochimique a été effectué. Après démasquage antigénique, les cellules tumorales étaient très positives pour les
cytokératines 20 et pour l’antigène carcino-embryonnaire. Elles
étaient négatives pour la cytokératine 7 et le PSA (Prostate Specific
Antigen).
Par ailleurs on notait un épisode de rétention aiguë d’urine ayant
nécessité la mise en place d’une sonde transurétrale qui la soulagea
temporairement ; une hématurie, des brûlures mictionnelles, une
altération progressive de l’état général étaient observées.
L’examen clinique révéla un urètre induré sur toute la longueur
avec une masse bourgeonnante intra-urétrale qui saignait à la moindre pression sur l’urètre. Par ailleurs, l’examen clinique était normal.
Observation n°2
Le taux d’hémoglobine était de 12,7g/dl ; l’examen cytobactériologique des urines avait permis d’isoler un E.coli sensible aux fluoroquinolones.
Mme O.M. 47 ans, originaire de l’Est du Cameroun, ménopausée
depuis 4 ans, ménagère, fut admise dans le service d’Urologie de
l’Hôpital Central de Yaoundé le 27 septembre 2002 pour une rétention aiguë d’urines et une altération de l’état général. L’histoire
révèlait une dysurie évoluant depuis 7 mois avec une sensation de
brûlures mictionnelles et de miction incomplète.
La cystourétrographie montrait une vessie piriforme avec des
parois irrégulières, un urètre filiforme et irrégulier ; le lavement
baryté était normal.
Dans les antécédents on notait une cure de hernie crurale droite au
mois de janvier de la même année ; ses parents décédèrent de cause
inconnue une dizaine d’années auparavant.
L’intervention chirurgicale consista en une pelvectomie antérieure
suivie d’une dérivation type Bricker.
Manuscrit reçu : janvier 2004, accepté : novembre 2004
Adresse pour correspondance : Pr. M. Sow, Service d’Urologie, Hôpital Central,
Yaoundé, Cameroun.
La période post-opératoire fut émaillée de complications infectieuses qui retardèrent la sortie et la patiente quitta l’hôpital 45 jours
après l’intervention chirurgicale.
e-mail : [email protected]
Ref : SOW M., FOUDA P., NKEGOUM B., ZO’O M.R. Prog. Urol., 2005, 15, 89-92
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M. Sow et coll., Progrès en Urologie (2005), 15, 89-92
L’examen physique mit en évidence un urètre dur, tuméfié laissant
apparaître un bourgeon au niveau du méat.
Un double abord abdominal et périnéal permit de réaliser une uréthro-cystectomie avec colpohystérectomie suivie d’une poche iléocaecale continente périombilicale.
Les examens complémentaires révèlèrent :
L’examen histopathologique de la pièce mettait en évidence un adénocarcinome bien différencié.
- un taux d’hémoglobine à 10.7g/dl ;
- la présence d’un E.coli et d’un Pseudomonas aeroginosa à l’examen cytobactériologique des urines.
RESULTATS
Tous ces germes étaient sensibles aux fluoroquinolones.
- La patiente n°1 porteuse d’une dérivation type Bricker fut appareillée par des poches d’iléostomie ; elle décéda 8 mois après l’intervention chirurgicale.
L’échographie et l’urographie intraveineuse (UIV) confirmaient la
présence d’une masse latéro vésicale droite.
Une cytologie urétrale confirmait la présence des cellules malignes.
- La patiente n°2 porteuse d’une dérivation cutanée continente fut
soumise à des auto-sondages toutes les 4 heures. On ne nota pas
de fuite entre les sondages.
Intervention chirurgicale :
Le double abord périnéal et abdominal permit de réaliser une uréthrocystectomie + colpohystérectomie suivies d’une poche iléocaecale continente péri-ombilicale.
Aucun traitement complémentaire n’a été entrepris, ni chimiothérapie, ni radiothérapie.
Le coût élevé de ces traitements nous ayant dissuadé.
L’examen histopathologique portait sur une pièce opératoire comportant :
Plus d’un an après ce traitement chirurgical, la patiente ne présentait ni récidive, ni métastases.
- une volumineuse tumeur située au pôle inférieur de la vessie, formant des végétations exophytiques, d’aspect villeux, de couleur
blanc-grisâtre ; cette tumeur mesurait 10x10x7cm et était mal délimitée (Figure 3) ;
- La patiente n° 3 ne présentait pas de récidive depuis l’intervention
DISCUSSION
- un utérus et deux annexes sans anomalies macroscopiques.
Le cancer de l’urètre est une tumeur rare [1, 2, 11, 17] ; TOSSOU [16]
dans sa revue des tumeurs urogénitales n’avait trouvé aucun cas à
Dakar en 1971. Les seuls cas africains semblent être ceux de TAZI
au Maghreb [14, 15].
Au faible grossissement, il s’agissait d’un adénocarcinome d’architecture papillaire comportant des axes grêles conjonctivovasculaires très ramifiés supportant des assises plus ou moins nombreuses
de cellules épithéliales aux atypies variables. Les mitoses étaient
nombreuses (Figure 4).
L’incidence de cette affection est faible, entre 0,02% et 0,05% de
l’ensemble des cancers féminins.
Cette tumeur papillaire était négative pour le PSA à l’immunohistochimie effectuée à Lausanne (Figure 5).
Au Cameroun, les trois cas que nous présentons sont les premiers
diagnostiqués depuis 20ans.
Observation N°3
Les cancers urogénitaux féminins que nous rencontrons sont par
ordre décroissant :
Madame NG.M âgée de 50 ans, originaire du sud du Cameroun,
ménopausée depuis 5 ans, fut admise dans le Service d’Urologie de
l’Hôpital Central de Yaoundé pour dysurie, et altération modérée de
l’état général évoluant depuis 8 mois.
- les cancers du rein : 10 cas par an ;
- les cancers de la vessie : 8 cas par an.
Le diagnostic de cette pathologie est rendu difficile par sa rareté et
l’absence de signes pathognomoniques. Les symptômes sont variés
et divers : dysurie, rétention d’urines, dyspareunie, métrorragie, saignement vaginal.
L’interrogatoire ne révèla aucune autre pathologie dans les antécédents personnels et familiaux.
L’examen physique avait permis de voir un méat urétral oedèmatié
recouvert de quelques gouttes de sang frais. L’urètre était induré,
douloureux à la palpation et il existait une dysurie initiale. Les aires
ganglionnaires étaient libres et le reste de l’examen était normal.
Les patientes sont en général âgées. La moyenne dans la littérature
est de 60 ans [7]. Nos trois patientes sont relativement jeunes , ce
qui n’est pas étonnant en Afrique.
Le bilan complémentaire révèla :
La clé du diagnostic précoce est d’y penser devant toute dysurie ou
rétention d’urine chez la femme, en l’absence de causes neurologique, vésicale ou utérine.
- une anémie à 8 g/dl
- une infection urinaire à E. Coli
Les femmes semblent plus affectées que les hommes [6, 12, 14, 15];
la prédominance de la race blanche a été également signalée [3, 14].
- une présence de cellules malignes à la cytologie urétrale.
L’échographie mit en évidence une lésion tissulaire hypoéchogène,
hétérogène, irrégulière, rétrovésicale, indépendante du col utérin
(Figure 6).
Le dosage des marqueurs tumoraux classiques ne serait pas d’une
utilité certaine [5]. Par contre, la cytologie du prélèvement urétral
est d’un apport considérable.
L’uréthrocystographie montra un urèthre filiforme, irrégulier, hétérogène et marécageux au niveau du plancher vésical. La vessie était
normale.
L’échographie et l’urographie intraveineuse permettent à moindre
frais d’apprécier une éventuelle atteinte vésicale et urétérale..
L’IRM semble donner de bons résultats pour le bilan d’extension.
Une intervention chirurgicale fut effectuée le 11 novembre 2003.
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Figure 1. Aspect histologique classique d’adénocarcinome (HE x 25).
Figure 4. Tumeur d’architecture papillaire constituée d’axes
conjonctivovasculaires supportant une population cellulaire hétérogène (HE x 40).
Figure 2. Présence de cellules carcinomateuses à cytoplasme remplie
de mucus, d’aspect en “bague à chaton” (HE x 40).
Figure 5. Adénocarcinome papillaire de l’urètre. Négativité des cellules tumorales pour la PSA (HE x 40).
Figure 3. Aspect macroscopique : volumineuse tumeur papillaire
située au pôle inférieur de la vessie - noter un segment intestinal à
gauche (Flèche noire).
Le fait que la moitié de ces tumeurs se développent sur l’urètre
antérieur où sont nombreuses les glandes para-urétrales ouvre la
discussion sur leur origine exacte : glandulaire ou urétrale.
Figure 6. Aspect échographique patiente N°3.
Pour nos trois observations, il s’agit d’adénocarcinomes dont la survenue au niveau de l’urètre est rarissime et d’histogenèse controversée [4, 10].
ximal est revêtu par un épithélium transitionnel. Néanmoins, de
nombreuses glandes para-urétrales s’ouvrent dans l’urètre ; elles
sont appelées glandes de Skènes et seraient l’équivalent de la prostate de l’homme.
En effet, l’urètre de la femme est recouvert par un épithélium malpighien non kératinisé au niveau des 2/3 distal tandis que le 1/3 pro91
M. Sow et coll., Progrès en Urologie (2005), 15, 89-92
Les adénocarcinomes nés des glandes de Skènes sont habituellement positifs pour le PSA (Prostate Specific Antigen) ; ce qui n’est
pas le cas pour notre série. (Figure 5).
3. GOMEZ DIAZ M.E., CASTANO D., GONZALEZ-COTO D. C., CALVO
J.,C., FERNANDEZ V.,M. : Cancer de uretra femenino. Aportacion de un
nuevo caso y revision de la literatura. Arch. Esp. Urol., 2002 ; 55 : 568-571.
4. KAWANO K., YANO M, KITAHARA S.,YASUDA K. : Clear cell adenocarcinoma of the male urethra showing strong immunostaining for prostatespecific antigen. Br. J. Urol. Int., 2001 ; 87 : 412-413.
Il reste alors l’hypothèse selon laquelle nos deux tumeurs seraient
nées de l’épithélium transitionnel ou des cellules caliciformes glandulaires comme dans la série de MEIS et collaborateurs [8, 9].
5. KAZUMI S., TATSUO M., AKIHIKO T. : Primary signet ring cell carcinoma of female urethra. Int. J. Urol., 2001 ; 8 : 509-512.
Par ailleurs, les adénocarcinomes de l’urètre sont souvent positifs
pour la cytokératine 20 et pour l’antigène carcino-embryonnaire et
négatifs pour la cytokératine 7 ; c’est le cas de nos deux premières
tumeurs.
6. KOBASHI K.C., HONG T.H., LEACH G.E. : Undiagnosed urethral carcinoma: an unusual cause of female urinary retention. Urology., 2000 ; 3 :
436x-436xiii.
7. MAHENDRA V., MEMON S.H., DRURRANT D.C.S., DAHAR N., TURNER D.T.L. : Primary urethral transitional cell carcinoma in a female. Br.
J. Urol. Inte., 2001 ; 87 : 710-711.
Il faut signaler qu’il n’y avait pas de métaplasie glandulaire dans
nos deux premiers cas. Cependant, l’une de nos tumeurs montre la
présence de cellules mucipares “en bague à chaton” et à notre
connaissance, seuls 4 cas de cette variante ont été décrits dans la littérature mondiale [5].
8. MANJURUL ISLAM A.H.M., HURUAKI K., MASAYOSHI H., SHINYA
K.,HIROYOSHI O.,OSAMU N. : Adenocarcinoma of female paraurethral duct
showing neuroendocrine differentiation. Urology, 2001 ; 58 : 1058iv-1058vi.
9. MEIS J.M., AYALA A.G., JOHNSON D.E. : Adenocarcinoma of the urethra.
A clinicopathologic study. Cancer, 1987 ; 60 : 1038.
Les carcinomes primitifs de l’urètre décrits chez la femme blanche
sont de type épidermoïde [1] mais d’autres variétés sont possibles :
adénocarcinomes à cellules claires dont la malignité est surtout
locale ; le carcinome urothélial semble exceptionnel dans cette
localisation.
10. MOSHE S., MISTRY S., KERMEN K., BRIAN J.M. : Squamous cell carcinoma in a female urethral diverticulum. Urology, 2002 ; 59 ; 773iii-773v.
11. MURPHY D.P., PANTUCK A.J., AMENTA P.S., DAS K. M., CUMMINGS
K.B., KEENEY G.L.,WEISS R.E. : Female urethral adenocarcinoma :
Immunohistochemical evidence of more than one tissue of origin. J. Urol.,
1999 ; 161 :1881.
La classification de ces tumeurs est celle de 1997 ;
12. OLIVA E., QUINN T.R., AMIN M: B., EBLE J N., EPSTEIN J.I., SRIGLEYJ.R.,YOUNG R.H. : Primary malignant melanoma of the urethra. A clinicopathologic analysis of 15 cases. Am. J. Surg. Pathol., 2000 ; 24 : 785-796.
Ta : Carcinome papillaire non invasif, polypoïde ou verruqueux
Tis : Carcinome in situ
13. ORNELLAS A.A., KHOURI R.A.F., CAMPOS F., KOIFMAN N., QUIRINO R. : Cancer de l’urètre chez la femme : expérience de l’Institut National
du Cancer du Brésil : 1992-1997. Prog. Urol., 1999 ; 9 : 292-298.
T1 : Invasion sous muqueuse
T2 : Invasion du corps spongieux ou de la prostate ou du muscle
péri-urétral
14. TAZI K., KARMOUNI T. ,KOUTANI A., ATTYA A. I., HACHIMI M.,
LAKRISSA A. : Cancer de l’urèthre féminin. A propos de deux nouvelles
observations. Prog. Urol., 2000 ; 10 : 1217-1219.
T3 : Invasion du corps caverneux, de la capsule prostatique ou du
vagin ou du col vésical
15. TAZI K., MOUDOUNI S., KARMOUNI T., KOUTANI A., HACHIMI M.,
LAKRISSA A. : Carcinome épidermoïde de l’urèthre masculin. Prog. Urol.,
2000 ; 10 : 600-602.
T4 : Invasion des autres organes de voisinage.
16. TOSSOU H., MENSAH A., SYLLA S. : Cancers de l’appareil urogénital en
milieu africain à Dakar. Médecine d’Afrique Noire : 1971 ; 18 : 411-417.
Le traitement de ces tumeurs est radio-chirurgical. Plus le diagnostic est tardif, plus le geste chirurgical est élargi aux organes de voisinage et le pronostic péjoratif.
17. WATANABE J., YAMAMOTO S., SOUMA T., HIDA S., TAKASU K. : Primary malignant melanoma of the male urethra. Int. J. Urol., 2000 ; 7 : 351353.
CONCLUSION
____________________
Bien que rare, le cancer de l’urètre existe chez la femme noire africaine. Son pronostic est sombre. Il est à rechercher chez toute
femme ménopausée présentant des troubles mictionnels dont l’étiologie n’est pas évidente.
SUMMARY
Urethral cancer in African women.
Urethral carcinoma is a rare tumour. The authors report the first three
cases diagnosed in black African woman.
The diagnosis is difficult but can be much more seen if frequently
through of. Urethral smear for cytology and histology are essentials
elements in the diagnosis. Surgical treatment of this tumour is cheap
and quite accessible, hence the need for early diagnosis.
REFERENCES
1. AUVERT J. : Tumeurs de l’urètre. In : Cancers Urologiques de l’adulte.
Expansion Scientifique Française Milan France, 1989 ; 337-349.
2. BALDI A., ROSSIELO R., DI MARINO M., FERRARA N., GROEGER A.
M., ESPOSITO V., SANTINI D., KAISER H.E. BALDI F. : Colonic type
adenocarcinoma of male urethra. In vivo., 2000 ; 14 : 487-492.
The prognosis is poor even with combined surgical and radiotherapy.
Key words : Adenocarcinoma, urethra, treatment.
____________________
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