Avant-propos rédigé par l`auteur

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Avant-propos
Besoin de clarté
En 1539, dans l’ordonnance de Villers-Cotterêts, François Ier précise qu’il
convient de « rédiger si clairement qu’il n’y ait aucune ambiguïté ou incertitude ni lieu à en demander interprétation » (article 110). Quand on rédige
des textes judiciaires, écrire avec clarté est indispensable. Le choix des mots
doit forcer le lecteur « à ne pouvoir donner à la phrase que le sens qu’a
voulu lui faire entendre celui qui a écrit », rappelle d’Alembert en 1751.
Depuis 2001, magistrats et avocats (français, belges, suisses, québécois),
juges récemment nommés, référendaires et stagiaires judiciaires, que nous
rencontrons dans les séminaires, auxquels nous participons en tant que
linguiste, expriment leur souci d’écrire correctement tout en souhaitant améliorer leur maîtrise de la langue française. Chaque jour, en effet, s’impose à
eux une double exigence : allier la technique juridique à l’écriture claire et
correcte. De surcroît, certains s’efforcent d’améliorer la lisibilité des textes
afin de les rendre accessibles aux non-professionnels du droit.
À côté de dictionnaires et de grammaires, en particulier du Bon usage de
Maurice Grevisse, mis à jour par André Goosse, un recueil de difficultés lexicales et grammaticales que l’on rencontre dans l’usage judiciaire de la langue
française rendrait service à plus d’un. Ce type d’ouvrage semble faire défaut en
France et en Belgique. Après l’avoir cherché en vain, nous l’avons rédigé. Le
voici. Il s’agit d’un répertoire alphabétique de recommandations linguistiques.
L’idée d’un tel ouvrage naquit dès que le recteur des Facultés universitaires
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Saint-Louis, Jacques Dabin, juriste de formation, nous chargea, en 1978, d’un
cours de rédaction française à la Faculté de droit. Peu à peu, nous construisîmes le recueil que souhaitaient les futurs juristes qu’étaient nos étudiants.
La clarté de l’écriture suppose l’usage de termes utiles, de termes propres (stupéfait ou stupéfié, exergue ou épigraphe, symptôme ou syndrome ?), correctement
écrits (sensé ou censé, acquis ou acquit, quoique ou quoi que ?). Le professionnel
du droit choisit le verbe propre. On n’apure pas une dette ; on la paie, on la
règle. Une loi ne stipule pas, un contrat stipule. La loi prescrit, ordonne, dispose, prohibe. Le professionnel introduit correctement le complément du verbe :
connaître de quelque chose, enjoindre à quelqu’un de, pallier un défaut. Croire en
(la justice) n’est pas synonyme de croire à (la justice). Remercier pour est plus
expressif que remercier de. Nous sommes convenus de la date de l’expertise, et
non : nous avons convenu… Parce que, puisque, car, en effet indiquent la cause
sans être synonymes. Le bon usage des majuscules contribue à la clarté et à la
lisibilité du texte. Tous ces sujets sont commentés dans l’ouvrage.
Objectif et public
L’objectif du présent recueil est de répondre vite et bien aux questions que
se posent avocats, magistrats, notaires lorsqu’ils rédigent plaidoiries, arrêts,
actes et autres textes. Ils trouveront le sens des mots, la conjugaison, les
emplois des modes et des temps, les formes du féminin et du pluriel, les
accords des adjectifs et des participes. Si l’ouvrage s’adresse aux professionnels du droit et aux juristes en formation, il ne leur est pas réservé.
Il plaira aux non-spécialistes et aux curieux du langage des gens de robe,
grâce notamment aux définitions de termes qui relèvent de deux registres
de langue (langue courante et langue spécialisée), comme aliénation, sanctionner, succomber, conjoint et solidaire. Il rendra service à toute personne
attentive au français correct.
Patrimoine latin
Le latin, langue des intellectuels du Moyen Âge, imprègne la langue française
du droit. Après la promulgation de l’ordonnance de Villers-Cotterêts, tout en
créant les termes français nécessaires à l’exercice de leur profession, les gens
de justice ne se privent pas de récupérer nombre de mots et d’adages latins :
les descendants du de cujus [successione agitur] ; in limine litis. Aussi, par
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nécessité et par goût, depuis le XVe siècle, la langue juridique véhicule-t-elle
beaucoup d’expressions et de sentences latines : intuitu personae ; prorata
temporis. Plusieurs expriment des principes essentiels du droit d’autant plus
que le droit romain constitue le fondement du droit moderne. Elles font
partie de la culture juridique. Intégrer ces séquences latines dans le recueil
s’imposait donc tant pour le plaisir des initiés que pour l’enrichissement
des néophytes et de tout un chacun. Repérables aux caractères italiques de
leurs entrées, elles sont traduites et, parfois, brièvement interprétées. Dans
la pratique judiciaire, leur présence apporte à la phrase une forme concise,
musicale, dotée d’un pouvoir mnémotechnique.
Le patrimoine latin est constitué de séquences spécialisées figées (cf. supra)
et de locutions courantes implantées dans le français commun : a fortiori,
alibi, in extenso, ipso facto, modus vivendi, sine die (qui ne se prononce
pas à l’anglaise !). Auxquelles s’ajoutent des expressions figées comme bis
repetita placent, dura lex, sed lex. Chaque année, de nouveaux étudiants de
la Faculté de droit se montrent désemparés en entendant les professeurs, à
l’instar des juges et des avocats, les utiliser couramment même en dehors
d’un contexte juridique. Les jeunes, qui regrettent de ne pas avoir appris le
latin dans l’enseignement secondaire, auront le plaisir de les découvrir dans
cet ouvrage. Les mots latins intégrés au français sont écrits en caractères
romains comme les mots français (statu quo, référendum).
Déplorant que leur origine latine soit oubliée ou ignorée, l’Académie française a inclus, dans les rectifications orthographiques de 1990, la francisation de leur forme (par des accents et la soudure) et de leur pluriel (en s) :
des désidératas, in extrémis, des facsimilés, un sénior, le statuquo. Dans
les entrées des articles de ce recueil, la forme nouvelle recommandée par
l’Académie suit la forme latine traditionnelle : a posteriori ou à postériori.
L’ensemble des formes rectifiées se trouve sur le site : www.orthographerecommandee.info.
Classement et renvois
L’ordre alphabétique préside au classement des entrées, ce qui permet une
consultation rapide. Comme dans les dictionnaires sont utilisées des abréviations usuelles telles que n. (nom), adj. (adjectif), f. (féminin), plur.
(pluriel). Leur liste alphabétique précède le recueil proprement dit.
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Des renvois orientent le lecteur. Les plus fréquents sont l’astérisque et le
conseil « voir ». L’astérisque placé en exposant devant un terme (*arrhes)
indique que celui-ci est examiné à son ordre alphabétique. Le conseil « voir »
ne mène pas à un synonyme. C’est un renvoi analogique : s.v. jadis, voir
naguère. À la suite d’une association d’idées, il conduit à un terme apparenté
par le sens, la graphie ou la construction syntaxique. Le renvoi « comparez
à » encourage la consultation de termes ayant un lien sémantique ou syntaxique : s.v. sabir, comp. : pidgin. Le traditionnel « cf. » (confer : reportezvous à) est d’ordre formel (s.v. mille, cf. mil) ou grammatical (s.v. ledit,
ladite, cf. susdit).
Contenu d’un article
En général, un article comprend :
– l’entrée en petites capitales grasses accentuées, suivie d’une éventuelle variante graphique recommandée par l’Académie française ;
l’adjectif est donné au masculin et au féminin ; le nom de métier
est accompagné d’une ou de plusieurs formes féminines ; les entrées
latines sont écrites en italique ;
– la catégorie grammaticale (n., adv., v., etc.) ;
– parfois, un conseil de prononciation ;
– parfois, l’étymon, qui éclaire le sens actuel du terme ;
– la définition en langue courante et/ou en langue juridique ; celle-ci
est généralement empruntée, en tout ou en partie, au Vocabulaire
juridique publié sous la direction de Gérard Cornu ;
– des exemples illustrant les sens et les emplois ; beaucoup appartiennent à la neuvième édition du Dictionnaire de l’Académie française
(en cours de publication), aux dictionnaires Robert, Grand et Petit,
au Trésor de la langue française ainsi qu’au Vocabulaire juridique déjà
cité ;
– des extraits de textes d’écrivains ;
– d’éventuelles observations relatives à la conjugaison, à l’emploi des
modes et des temps, au féminin, au pluriel, à la famille de mots ;
– enfin, le cas échéant, des paronymes, des synonymes ou parasynonymes, des antonymes, des homonymes (homophones et homographes).
N’ont pas été exclus pléonasmes (sévices corporels, index alphabétique), redondances (car en effet, voire même), emprunts à la mode (e-mail, e-commerce,
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surbooking), tours incorrects (soulever un lièvre, commémorer l’anniversaire
du décès), confusions (invoquer pour prétendre, droit d’ingérence), maladresses courantes (ou sinon, être absent au procès), particularités lexicales
belges (de commun accord, hors cause), grevant l’usage judiciaire comme
l’usage commun. La langue du législateur, celle des avocats et des juges
n’en est pas exempte (ab intestat, par et en vertu de la loi). Leur usage s’est
figé alors que l’usage commun évolue. Ainsi, le procédé courant que fut la
coordination de synonymes est dénoncé aujourd’hui comme pléonastique.
Hanter et fréquenter. Les biens sont vendus quittes et libres de toutes dettes.
[Acte] fait et passé à Bastogne. Accorder terme et délai. Pour sa part et
portion. Des constructions allégées sont proposées.
Langue commune et terminologie
La langue française constitue le premier instrument des gens de justice.
Avocats, magistrats, auxiliaires de justice n’utilisent pas une langue propre,
ils emploient la langue française commune, qui relève de la grammaire commune, mais en font un usage spécifique, qui est un usage professionnel. Les
particularités de la langue du palais sont essentiellement lexicales. Toutefois, un discours peut être juridique sans utiliser aucun terme exclusivement
juridique : Témoin, levez-vous ! Il peut l’être aussi sans recourir à aucun
terme juridique : Faites évacuer la salle. Pourtant, en déclarant La séance
est ouverte, le président ouvre la séance. Le langage n’est pas seulement un
moyen de communication. Le juge, par exemple, peut le doter d’un pouvoir
extralinguistique qui rend la parole créatrice.
Le jus dicere s’exerce par les mots et par le pouvoir des mots. « En droit les
mots “font” tout ou presque – ils lient et délient les mariages, transfèrent
ou partagent les biens, condamnent, jettent en prison, parfois tuent, créent
des choses et des faits (juridiques, bien sûr, non pas matériels) ou les font
disparaître sans trace » (C. Grzegorczyk). C’est dire qui fait. « Les verbes
du dispositif (dit, déclare, prononce, condamne…) sont des prototypes de
[verbes] performatifs [Austin, 1962]. Ces mots sont des actes. » (Cornu,
Linguistique juridique, p. 351.)
La langue courante et la langue juridique emploient environ cent cinquante
termes de forme identique : aliments, astreinte, citation, expédition, prescription, provision, répétition. Comme le montre Michel van de Kerchove, de
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tels termes sont, dans une certaine mesure, de « faux amis ». « Il apparaît
illusoire de croire que la présence de termes usuels dans un texte juridique
n’affecterait nullement leur signification1 ». Ils ont entre eux une similitude
de forme, mais leurs significations sont, au moins partiellement, différentes.
En plus des cent cinquante termes de double appartenance formelle (langue
courante et langue du droit), la terminologie de base compte environ
quatre cents termes propres : antichrèse, contumace, dol, emphytéose, irrépétible, olographe, saisine, soulte. La terminologie relève du langage professionnel. Celui-ci paraît obscur à ceux qui ne font pas partie de la profession,
mais pas davantage que le langage médical, celui des informaticiens ou celui
des veneurs2. Tout domaine spécialisé dispose d’une terminologie propre,
souvent accompagnée d’un jargon. Nécessaires et économiques, les termes
techniques permettent aux initiés de communiquer entre eux, de se comprendre et de créer des liens extralinguistiques.
L’évolution du droit, du droit d’auteur notamment, et le développement
de domaines tels que l’environnement (biodégradable), les télécommunications (courriel ; apprentissage en ligne, télé-apprentissage) et les transports
(ferroutage, géonavigateur) engendrent des besoins terminologiques. On crée
des néologismes. Parfois, on recourt à tort à des emprunts anglo-américains
alors qu’existent des substituts français. Pour soft law, la recommandation
officielle est droit souple ; pour franchising, franchisage ; pour phishing,
hameçonnage. Contrat d’engeneering se dit contrat d’ingénierie. Timesharing correspond à (véhicule, équipement) en temps partagé. Le terme
français qui sert d’équivalent au terme étranger devient polysémique : accord
(deal), mentor (coach), crédit-bail (leasing). Les néologismes acceptés par
l’Académie française sont publiés au Journal officiel de la République française. En France, leur emploi est obligatoire dans l’Administration. Ils sont
1 Langage juridique et langage usuel : vrais ou faux amis ?, in Revue internationale de sémiotique
juridique, vol. 22, n° 2, 2009.
2 Vocabulaire cynégétique. La vénerie, art et technique à la fois, dispose d’un nombre élevé de termes
spécifiques. Jadis, tout veneur savait qu’employer un terme impropre équivalait à un manque d’éducation
qui l’excluait de l’équipage. Pendant une chasse à courre, il eût été malséant de parler des cornes du cerf
(il porte des bois ou une ramure), d’appeler cor de chasse l’instrument de cuivre qu’est la trompe de chasse
ou de jouer une fanfare alors qu’on sonne une fanfare. (Cf. M. LENOBLE-PINSON, Dictionnaire de termes de
chasse passés dans la langue courante. Poil et plume. Paris, Honoré Champion, 2013.)
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consultables, par domaine si on le souhaite, sur le site de France Terme :
www.franceterme.culture.fr.
Aspects conservateurs de la langue du droit
La langue du droit est une variété linguistique de prestige. Elle se distingue
entre autres par des aspects conservateurs, surtout dans le vocabulaire.
Des verbes : divertir, échoir, ester. Des locutions : par devant le tribunal,
jusqu’ores à la somme de, payer au marc le franc.
Dans la morphologie : sortir au sens de « produire ». Les sentences sortissent
leur plein et entier effet. Les formes démonstratives icelui, icelle, iceux. Les
féminins en -eresse : défenderesse, demanderesse, venderesse. Le participe
passé sis, sise et le participe présent séant, variable conformément à un
usage ancien. La cour d’appel séante à Liège.
Dans la syntaxe. Constructions anciennes : de par la loi ; procureur près la
Cour de cassation ; un fait qualifié crime ; ouï M. le Substitut N. en son avis.
Entre professionnels, comme on se comprend à demi-mot, on use volontiers
de formules abrégées ou elliptiques : jugement avant dire droit ; condamner
à telle peine que de droit ; dont acte ; sous toutes réserves (à la fin d’un
acte de procédure).
Particularités du français en Belgique
Des particularités lexicales régionales, courantes et techniques, se rencontrent dans les textes administratifs et juridiques écrits en Belgique :
comminer (menacer), indaguer (enquêter), dans le chef, les prérequis, les
rétroactes d’une affaire, intérêt pécunier et sanction pécunière (sur le modèle
de financier, -ière). S’y ajoutent des latinismes : ad valvas, jugement a quo,
qualitate qua, quod non (in casu).
Plaisir du vocabulaire et de la grammaire
« Le langage de la justice, plus qu’aucun autre peut-être, pose le problème
des relations et des interférences entre une langue technique et la langue
commune » (Michel Le Guern). Traduire en justice. Un témoin est survenu. Les
conclusions subsidiaires. Réciproque ou mutuel ? Somptuaire ou somptueux ?
De plus, entre professionnels du droit, on use d’archaïsmes par tradition,
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de locutions latines par formation et de termes techniques par besoin. On
distingue à juste titre concussion et corruption, le droit des successions (droit
civil) des droits de succession (droit fiscal). Au plaisir des mots s’ajoute celui
des nuances grammaticales. Je ne soupçonnais pas qu’ils fussent complices
alors que je soupçonne qu’ils se sont trompés. Comment s’appelle une femme
médiateur ?
Une linguiste et un juriste
La langue française est notre passion. Pendant quarante-trois ans, en tant
que docteur en philosophie et lettres, grammairienne et lexicologue, nous
l’avons enseignée avec enthousiasme et rigueur aux étudiants des Facultés
universitaires Saint-Louis, devenues l’Université Saint-Louis. Dans trois
Facultés : Droit, Philosophie et lettres, Sciences économiques, sociales et
politiques. Prolonger la carrière universitaire par la rédaction de ce recueil
fut un réel plaisir.
Plaisir partagé avec un grand initié, Paul Martens, président émérite de la
Cour constitutionnelle. Il a lu avec attention les pages qui suivent. Ses
remarques pertinentes ont précisé et amélioré définitions et commentaires
juridiques. Nous lui savons gré de cette fructueuse collaboration interdisciplinaire.
M. L.-P.
Le 24 mars 2014
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