le point de vue du chirurgien

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Dossier
Prise en charge
de la constipation
de l’enfant :
le point de vue du chirurgien
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017.
Claude Louis-Borrione, Géraldine Hery, Mirna Haddad
Département de chirurgie pédiatrique, Hôpital Timone Enfants, 365 Rue St Pierre,
13385 Marseille
<[email protected]>
La constipation de l’enfant est très fréquente, souvent associée à des fuites
fécales, appelées à tord « encoprésie ». Le terme d’incontinence fécale fonctionnelle (IFF) semble mieux adapté. La constipation de l’enfant est le plus souvent
d’origine fonctionnelle et aucun examen complémentaire n’est nécessaire.
L’interrogatoire et l’examen clinique suffisent dans la très grande majorité des
cas. L’incontinence fécale fonctionnelle doit être reconnue et une prise en
charge adaptée permet d’éviter les récidives.
Mots clés : constipation, encoprésie, incontinence fécale fonctionnelle
doi: 10.1684/mtp.2009.0205
L
mtp
Tirés à part : C. Louis-Borrione
a constipation de l’enfant est très
fréquente et représente un véritable problème de santé publique à
l’échelle mondiale. Elle est souvent
associée à des fuites fécales, appelées
à tort encoprésie. Le terme d’incontinence fécale fonctionnelle (IFF)
semble mieux adapté. Ces troubles
sont dans la très grande majorité des
cas d’origine fonctionnelle. Mais les
causes organiques ne doivent pas
être méconnues.
La constipation présente une
grande variabilité dans sa symptomatologie et donc parfois une certaine
difficulté de la reconnaître.
La définition de moins de 3 selles
par semaine ne doit plus avoir cours.
On retiendra plutôt celle d’« émission difficile voire douloureuse de selles trop rares ou trop dures. »
10 % des enfants consultent pour
ce motif et 10 % pour une symptomatologie dérivée, sans être conscients
du trouble réel.
mt pédiatrie, vol. 12, n° 1, janvier-février 2009
Circonstances
de découverte
La constipation est constatée car
elle occasionne une symptomatologie
douloureuse ou bruyante :
– douleurs abdominales récidivantes ;
– douleurs anales lors de l’exonération ;
– prolapsus muqueux ;
– rectorragies.
La constipation est non diagnostiquée et la symptomatologie est mal
interprétée :
– fuites fécales chez le grand
enfant ou selles émis que debout ou
dans une couche chez un enfant de
plus de 4 ans ;
– diarrhées fréquentes ;
– infections urinaires à répétition
sans fièvre ;
– énurésie ou fuites diurnes ;
– vulvovaginites à répétition ;
– retard staturo-pondéral.
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Prise en charge de la constipation de l’enfant : le point de vue du chirurgien
Clinique
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L’interrogatoire de la mère et de l’enfant :
– âge de début de la constipation, souvent sous-estimé ;
– période néonatale : méconium, type d’allaitement,
exonération de l’enfant (type de poussée, stimulation
anale, traitements prescrits) ;
– âge d’acquisition de la propreté et déroulement de
cet apprentissage ;
– antécédents familiaux ;
– habitudes nutritionnelles et d’hydratation de l’enfant (apport insuffisant en fibres alimentaires et trop riche
en hydrates de carbone. Hydratation pauvre en eau. Trop
de lait) ;
– état de sudation (non compensé) ;
– symptomatologie urinaire ou respiratoire ;
– comportement défécatoire :
• lieu, installation, horaires,
• durée, fréquence, consistance, alternance avec des
diarrhées,
• signes d’accompagnement : douleurs, rectorragies,
prolapsus, tâches ou selles dans la culotte ;
– tentatives thérapeutiques ;
– vécu de la symptomatologie par l’enfant et sa famille.
L’examen clinique
– Retentissement pondéral (hypotrophie ou obésité) ;
– Inspection abdominale (météorisme, circulation
collatérale) ;
– Palpation abdominale (FIG +++ et FID) recherche
de fécalome ou d’une corde colique, recherche d’un tympanisme.
– Examen périnéal +++ :
• position de l’anus (équidistance entre le scrotum ou
la fourchette vulvaire et la pointe du coccyx),
• existence d’une fossette cutanée pré-sacrée,
• anatomie de l’anus : déplisser doucement la marge
anale et rechercher : parasitose, fissure(s)anale(s) ou périnéales, inflammation, dilatations veineuses, béance anale
spontanée,
• toucher rectal en prévenant l’enfant de cet acte et
en lui expliquant son but (à éviter si fissure),
• perméabilité du canal anal et du bas rectum,
• tonicité sphinctérienne,
• rectocèle postérieure,
• présence d’un fécalome,
• permet d’éliminer une tumeur antérieure ou postérieure responsable d’une compression,
• étude de la poussée, de la contraction et du relâchement sphinctérien.
Examens complémentaires
Les examens complémentaires sont inutiles dans la
plupart des cas.
– Toujours prescrits après initialisation du traitement
et guidés par la clinique ; ils permettent :
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• d’apprécier la surcharge stercorale ;
• de rechercher une cause organique ;
• d’étudier la motricité colique et anorectale pour
guider la rééducation.
– L’abdomen sans préparation :
• couché de face ;
• intérêt chez l’enfant obèse ;
• évaluation de la surcharge stercorale ;
• répartition des matières dans le colon ;
• malposition éventuelle.
– La radiologie du sacrum de face et de profil : intégrité des pièces sacrées.
– IRM médullaire : situation de la moelle, lipome.
– La manométrie anorectale.
– Sondes à ballonnets, atraumatique et indolore. Toujours après évacuation des fécalomes.
Elle permet de rechercher le réflexe recto-anal inhibiteur (RRAI), qui correspond à la relaxation du sphincter
interne en réponse à une dilatation rectale. Elle est suivie
d’une contraction du sphincter externe.
Seront également étudiés :
– la pression de clôture du canal anal ;
– le seuil de sensibilité rectale consciente ;
– la capacité rectale.
Chez le constipé chronique, le volume de distension
pour obtenir le réflexe est nettement supérieur à la normale et peuvent survenir des réactions antagonistes avec
apparition d’une hypercontraction du sphincter interne et
une relaxation partielle du sphincter externe = véritable
obstacle fonctionnel => formation de fécalomes puis passage des selles sus-jacentes liquides (IA) = dyssynergie
recto sphinctérienne lisse.
Parfois, on peut constater au niveau de la marge anale
des contractions réflexes amples et répétitives lors des distensions rectales = anisme ou dyssynergie recto sphinctérienne striée.
Cette dyssynergie se traduit cliniquement par une sensation de besoin avec impossibilité d’évacuation, voire
avec impression d’effet « ascenseur ».
Les dyssynergies sont responsables d’une constipation
terminale.
La défécographie
Elle doit être réservée aux constipations sévères résistantes aux traitements conventionnels.
Elle permet d’étudier les modifications géométriques
du rectum et de l’anus au cours de la défécation volontaire.
Ouverture de l’angle recto-anal lors de la poussée et
fermeture lors des contractions de la musculature périnéale.
Elle peut être utile dans la perspective d’une rééducation.
mt pédiatrie, vol. 12, n° 1, janvier-février 2009
Les biopsies rectales
En cas de suspicion de maladie de Hirschsprung, clinique ou RRAI absent.
Rectoscopie
Suspicion de polype ou de lésions inflammatoires.
Temps de transit des marqueurs radio opaques
Peu utilisé chez l’enfant, il permet de distinguer les
constipations terminales des constipations coliques globales.
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Approche comportementale
– Prudente, si possible pas lors de la première consultation qui doit rester très médicale, sauf si la famille
aborde franchement le problème, d’autant qu’il est fréquent que l’enfant ait déjà un long vécu de consultations
de pédopsychiatrie.
– Recherche d’un facteur déclenchant : mise sur le
pot forcée, rentrée au CP, décès ou maladie dans l’entourage, naissance, déménagement.
– Attention de ne pas s’arrêter à ce simple fait.
– Qualité des WC à l’école, cantine.
– Attitude de la famille vis-à-vis du trouble (IA en particulier).
Étiologies
Constipations secondaires
Causes métaboliques ou médicamenteuses
– Hypercalcémie, hypothyroïdie.
– Mucoviscidose.
– Maladie cœliaque (10 %).
– Anticonvulsivants, fer, codéine.
– Allaitement maternel (15 %) : lait trop riche en
caséine, mais elle doit être respectée.
Allergies alimentaires
Il faut savoir les rechercher, tout particulièrement chez
les enfants atopiques.
Causes locales évidentes
– Parasitose : oxyurose.
– Infectieuse : anite streptococcique (A).
– Lichen scléroatrophique.
Ce type de pathologies, par les fissures anales qu’elles
engendrent, est une cause de constipation rétentionnelle.
Les douleurs lors des exonérations et les rectorragies sont
quasi constantes.
Causes organiques (rares et qui imposent une correction
chirurgicale)
– Maladie de Hirschsprung ou autre dysplasie neuronale intestinale (jamais d’incontinence anale).
– Malformation anorectale basse, anus antéposé, diaphragme muqueux, fistule périnéale (selles rubanées, difficulté ou impossibilité de mettre un suppositoire).
– Anomalie médullaire (troubles urinaires associés,
fossette pré-sacrée).
Il faut penser au syndrome de Currarino, qui est d’origine génétique et qui associe une malformation anorectale, parfois minime, à une agénésie sacrée partielle et à
une tumeur pré-sacrée.
Pour ces pathologies, des explorations complémentaires sont alors indispensables et guidées par la clinique.
Constipations primitives
Les plus fréquentes, fonctionnelles avec ou sans fuites
fécales. Elles sont communément intégrées dans le cadre
des dyssynergies et accessibles à la rééducation
sphinctéro-anale avec biofeedback.
L’incontinence fécale fonctionnelle
Les fuites fécales sont fréquemment associées à une
constipation de l’enfant. Certaines études relèvent que
25 % des enfants constipés présentent une incontinence
fécale.
Cette incontinence fécale se traduit par le passage fréquent, souvent quotidien, d’une certaine quantité de selles, dures ou liquides dans la culotte durant le jour de
manière involontaire. Ces fuites sont parfois uniquement
nocturnes chez un certain nombre d’enfant.
L’interrogatoire retrouve souvent un long passé de
constipation. Chez ces enfants les exonérations spontanées sont en général très rares et très espacées.
Les selles sont alors volumineuses : « Docteur, il nous
bouche les cabinets ! ».
Il s’agit le plus souvent d’un garçon.
La palpation retrouve un fécalome « mou », l’anus est
béant, des signes urinaires sont fréquemment associés.
La constipation est parfois méconnue surtout quand
les fuites sont quotidiennes, les enfants sont alors très souvent orientés en première intention vers une consultation
en pédopsychiatrie et sont très souvent régulièrement
réprimandés par leur entourage. La fuite fécale engendrée
par une constipation fonctionnelle n’est pas volontaire et
il n’est pas surprenant que ces enfants développent à plus
ou moins long terme des troubles anxieux avec une perte
de l’estime de soi, un retard scolaire ou des comportements anti-sociaux.
Des études ont montré une diminution des troubles
comportementaux et une amélioration de l’intégration
sociale des enfants qui avaient été traités de leur trouble
sphinctérien.
Prise en charge thérapeutique
Seule la prise en charge des constipations primitives
sera traitée dans cet article.
La prise en charge des troubles sphinctéro-anaux fonctionnels repose sur le respect de la physiologie élémentaire de la défécation : hydratation du bol fécal, amélioration de la motricité intestinale et exonération régulière.
mt pédiatrie, vol. 12, n° 1, janvier-février 2009
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Prise en charge de la constipation de l’enfant : le point de vue du chirurgien
Les recommandations actuelles de la NAPS-GHAN
incluent quatre phases importantes dans le traitement
d’une constipation chronique : éducation, désimpaction,
prévention d’une réaccumulation de selles et suivi.
Le but du traitement sera clairement expliqué aux parents
mais surtout à l’enfant afin de le responsabiliser, d’obtenir
son adhésion à une prise en charge qui sera longue.
En préliminaire à toute thérapeutique, il faudra expliquer très clairement à l’enfant et à sa famille, grâce à des
schémas simples, la physiologie de la défécation et le
trouble qui découle de son dysfonctionnement.
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Hydratation du bol fécal et amélioration
de la motricité intestinale : régime alimentaire
La constatation à l’interrogatoire de l’existence de selles dures traduit un manque d’hydratation, soit par un
défaut d’apport d’eau, soit par une déperdition anormalement exagérée (transpiration excessive surtout nocturne).
Il faudra donc insister sur la nécessité d’augmenter la
ration hydrique quotidienne, sans excès. Eau, fruits et
légumes crus devront donc être consommés de façon
plus régulière et en plus grande quantité.
Des laxatifs osmotiques seront prescrits en parallèle en
attendant que les nouvelles habitudes soient bien ancrées.
Il est impossible de fixer un délai de prescription, tout
dépendra du comportement familial à modifier ses habitudes.
La prescription de laxatifs osmotiques sera évitée chez
les enfants qui présentent une incontinence anale car ils
aggravent les fuites fécales.
La motricité intestinale sera nettement améliorée par
l’introduction de fibres. L’apport quotidien recommandé
en fibres alimentaires est de : l’âge (en années) + 5 g.
Désimpaction et obtention d’exonérations
régulières
Avant toute prescription, il est impératif de désimpacter le rectum de tout fécalome. Cette désimpaction peut
être obtenue par voie orale ou rectale.
Le choix de la voie d’administration dépendra de l’âge
de l’enfant, du volume du fécalome et de sa consistance
et bien entendu de la collaboration de l’enfant et des
parents.
Le traitement d’entretien aura pour but de réapprendre
à l’enfant à aller à la selle tous les jours. Nous disposons
de suppositoires effervescents très utiles pour initialiser le
réflexe de défécation et non irritants pour le tube digestif.
Parallèlement, de nouvelles habitudes devront être apprises : présentation aux toilettes à heure fixe, après un repas
et mise en place d’un réducteur et d’un repose-pieds.
L’enfant tiendra un carnet de bord quotidiennement.
En fonction de l’âge de l’enfant, une rééducation
sphinctéro-anale pourra être prescrite. Une manométrie
anorectale est alors indispensable pour authentifier le
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trouble existant. Cette réeducation doit être non traumatisante pour l’enfant et consiste alors en un apprentissage
de la poussée abdominale avec prise de conscience de la
réponse du sphincter externe en situation de poussée.
Le biofeedback avec mise en place de sonde endorectale
ne nous semble pas être adapté à l’enfant.
Dans certaines situations, l’injection intrasphinctérienne de toxine botulique nous a donné pleinement satisfaction, en complément des prescriptions habituelles.
Une analyse de nos résultats est en cours.
Dans certaines formes très sévères, la mise en place
temporaire d’une cæcostomie continente (Malone) par
l’intermédiaire de l’appendice ou d’un bouton peut être
d’une grande utilité.
Le suivi
Le suivi de ces enfants sera très régulier.
Il est indispensable pendant plusieurs mois car les
récidives sont fréquentes. Des études ont montré que
50 % des enfants traités récidivaient au moins une fois
dans les 5 ans qui suivent.
Conclusion
La constipation et la symptomatologie qui en découle
sont une source d’angoisse et de mal-être pour l’enfant et
sa famille. La constipation de l’enfant est le plus souvent
d’origine fonctionnelle et aucun examen complémentaire
n’est nécessaire. L’interrogatoire et l’examen clinique suffisent dans la très grande majorité des cas. L’incontinence
fécale fonctionnelle doit être reconnue afin d’éviter les
errances médicales non appropriées. Une prise en charge
adaptée doit être rapidement instaurée afin d’éviter les
récidives et surtout la persistance d’une constipation à
l’âge adulte.
Pour en savoir plus
Milla PJ. Physiopathologie de la constipation. Ann Nestlé (Fr)
2007 ; 65 : 55-61.
Liem O, Di Lorenzo C, Taminiau JAJM, Mousa HM. Traitement
actuel de la constipation de l’enfant. Ann Nestlé (Fr) 2007 ; 65 :
73-9.
Bongers MEJ, Benninga MA. Incontinence fonctionnelle chez l’enfant. Ann Nestlé (Fr) 2007 ; 65 : 81-9.
Bernard Le Luyer B, Menard M. Constipation de l’enfant. Rev Prat
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Goulet O. Prise en charge de la constipation de l’enfant. Arc Pediatr
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Young MH, Brennen LC, Baker RD, Baker SS. Functional encopresis : symptom reduction and behavioral improvement. J Dev Beh
Ped 1995 ; 16 : 226-32.
Faure N, Ferriere S, Maurage C, Rolland JC. La rééducation en biofeedback : rôle dans la constipation terminale de l’enfant. Arch
Pediatr 1995 ; 2 : 1055-9.
mt pédiatrie, vol. 12, n° 1, janvier-février 2009
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