Questions-réponses Entraînement à la lecture critique d`article n o 11

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Lecture critique d’articles
mt 2011 ; 17 (4) : 362-4
Questions-réponses
Entraînement à la lecture
critique d’article n o 11
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017.
Philippe Le Corvoisier1,2,3, Nicolas Lellouche2,4, Olivier
Montagne1,2,3, Bertrand Renaud2,5
Inserm, Centre d’Investigation Clinique 006, 94000 Créteil, France
Université Paris Est, Faculté de Médecine, 94000 Créteil, France
3 AP-HP, Groupe Hospitalier Henri Mondor, Pôle Recherche Clinique Santé Publique,
Centre d’Investigation Clinique 006, 94000 Créteil, France
4 AP-HP, Groupe Hospitalier Henri Mondor, Fédération de cardiologie, 94000 Créteil,
France
5 AP-HP, Groupe Hospitalier Henri Mondor, Structure d’Urgence, 94000 Créteil, France
2
Article proposé
Moss AJ, et al. Cardiac-resynchronization therapy for
the prevention of heart-failure events. N Engl J Med 2009 ;
361 : 1329-38.
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(http://www.ncbi.nlm.nih.gov/sites/entrez) en saisissant
directement sur la ligne recherche le PMID de l’article :
« 19723701 » ou sur Google en saisissant « PMID :
19723701 ».
Q1) Quel a été l’objectif de cette étude ? Celui-ci
répond-il à une question pertinente d’un point de vue
clinique :
La resynchronisation par stimulation biventriculaire
est indiquée d’après les recommandations européennes
pour la prise en charge des patients insuffisants cardiaques
sévères caractérisés par :
– une symptomatologie importante (stade de la NYHA
III ou IV ambulatoire) malgré un traitement médical optimal ;
– une fraction d’éjection altérée (≤ à 35 %) ;
– et un trouble de la conduction intraventriculaire
(QRS ≥120 msec).
L’objectif de l’étude MADIT-CRT a été d’évaluer si la
resynchronisation apporte également un bénéfice chez
des patients moins symptomatiques. Dans cette étude
randomisée, 1 820 patients insuffisants cardiaques ont
bénéficié : soit 1) d’une resynchronisation avec implantation d’un défibrillateur automatique implantable (groupe
CRT-ICD), soit 2) d’un défibrillateur automatique implantable seul (groupe ICD).
Cette étude pouvait, en cas de résultats positifs, permettre d’élargir les indications de la resynchronisation par
stimulation biventriculaire à certains patients à un stade
plus précoce de la maladie. Cette question est donc pertinente sur un plan clinique [1].
Les critères d’inclusion dans cette étude méritent néanmoins d’être discutés. Les patients inclus dans MADIT-CRT
étaient peu symptomatiques (classe NYHA I ou II en
fonction de l’étiologie) mais étaient caractérisés dans le
même temps par une altération importante de la fraction d’éjection ventriculaire gauche (fraction d’éjection
≤ 30 %) et de la conduction intraventriculaire (QRS
≥130 msec). La population incluse dans l’étude était donc
assez spécifique et ne permet pas d’étendre les conclusions de cette étude à l’ensemble de la population des
patients insuffisants cardiaques au stade précoce de la
maladie.
Q2) Décrivez les résultats contenus dans le tableau 1
Les données présentées dans le tableau 1 décrivent
les caractéristiques basales des patients randomisés dans
les deux groupes de l’étude. Le tableau montre que la
randomisation a permis de constituer deux groupes de
patients comparables, en particulier en termes de sévérité
de l’insuffisance cardiaque. Les différences observées sur
les critères d’évaluation entre les deux groupes peuvent
donc être imputées à la resynchronisation ventriculaire.
Par ailleurs, ce tableau montre que les patients inclus
dans l’étude bénéficiaient d’un traitement optimal avec
Pour citer cet article : Le Corvoisier P, Lellouche N, Montagne O, Renaud B. Questions-réponses Entraînement à la lecture critique d’article n o 11. mt 2011 ;
17 (4) : 362-4 doi:10.1684/met.2011.0347
doi:10.1684/met.2011.0347
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93 % de patients sous bêta-bloquants, 77 % sous IEC, 20 %
sous antagonistes des récepteurs AT1 de l’angiotensine
II, 31 % sous antagonistes de l’aldostérone. Ces données
sont conformes aux recommandations de la Société Européenne de Cardiologie pour la prise en charge des patients
insuffisants cardiaques chroniques.
Q3) Dans quel but les auteurs ont-ils choisi un critère de jugement principal composite ? Celui-ci vous
semble-t-il adapté ? Quel est l’effet de la resynchronisation cardiaque sur la mortalité des patients dans cet
essai ?
Le critère principal de jugement de cette étude consiste
en un critère composite combinant la mortalité toutes
causes confondues et la survenue d’épisodes de décompensation cardiaque n’ayant pas conduit au décès des
patients. Seul le premier événement survenu chez chaque
patient inclus a été retenu pour l’analyse. L’utilisation d’un
tel critère composite permet d’augmenter sensiblement la
fréquence des événements analysés dans le cadre de ce
type d’étude. Il en résulte une augmentation de la puissance de l’essai, permettant de réduire le nombre de sujets
devant être inclus pour démontrer une différence significative sur le critère principal d’évaluation. La composition
du critère composite choisi pour cette étude est classique
et reflète la morbi-mortalité des patients insuffisants cardiaques.
Les résultats de l’étude MADIT-CRT ont montré
une réduction de la fréquence de survenue du critère d’évaluation principal dans le groupe CRT-ICD
(17,2 %) par rapport au groupe ICD (25,3 %) (HR = 0,66
[0,52–0,84]). Cette réduction était essentiellement liée à
une baisse de la fréquence des épisodes de décompensation cardiaque (HR = 0,59 [0,47–0,74]). En revanche,
la fréquence des décès toutes causes confondues n’a pas
été significativement améliorée dans le groupe CRT-ICD
(HR = 1,00 [0,69–1,44]). La fréquence des décès d’origine
cardiovasculaire n’est pas indiquée dans cet article. Ces
données sur la mortalité de ces patients doivent cependant
être analysées avec précaution puisqu’il s’agit d’un critère
de jugement secondaire et que la puissance de l’étude
(nombre des inclusions et durée de suivi) n’a pas été calculée pour permettre de conclure définitivement sur ce
paramètre.
Q4) Cette étude a-t-elle été réalisée en double
aveugle ? Justifiez et commentez.
Cette étude n’a pas été réalisée en double aveugle. Le
recueil des événements cliniques a été effectué par des
investigateurs qui avaient connaissance du bras de randomisation des patients. Il est objectivement difficile de
réaliser des études de ce type en double aveugle, car la réalisation d’un simple ECG, indispensable au suivi clinique
des patients, permet de connaître le bras de randomisation.
Afin de réduire le risque de biais, l’adjudication des
événements a été effectuée par un comité d’experts indé-
pendants, en aveugle du bras de randomisation, sur la base
de critères préspécifiés. Les auteurs de cette étude ont
néanmoins souligné à juste titre que cette adjudication
reposait sur des données et des prescriptions (hospitalisations, diurétiques) effectuées par les investigateurs
locaux.
Q5) Pourquoi cette étude a-t-elle été arrêtée avant le
terme initialement prévu ?
Le protocole de l’étude MADIT-CRT prévoyait une
série de 20 évaluations intermédiaires réalisées approximativement tous les 35 événements. L’étude a finalement
été interrompue prématurément (après la 9e analyse) en
raison de l’atteinte du seuil préspécifié d’efficacité. Les
interruptions prématurées des essais cliniques pour raison
d’efficacité sont justifiées par des considérations éthiques
imposant d’éviter d’exposer plus avant les patients du
groupe contrôle à un traitement qui aurait démontré son
infériorité.
Néanmoins, cette décision doit rester compatible avec
la nécessité de permettre d’aboutir à des conclusions
reposant sur des bases statistiques irréfutables. Des recommandations ont été émises à ce sujet [2]. Il apparaît
nécessaire que la décision d’interruption prématurée d’un
essai clinique pour raison d’efficacité soit émise par un
comité de gestion des données indépendant des investigateurs et que celle-ci soit basée sur des seuils statistiques
d’arrêt d’étude prédéfinis et particulièrement stricts. Un
arrêt prématuré ne s’envisage également que pour des
essais portant sur de grands effectifs. Ces règles des bonnes
pratiques cliniques ont été suivies dans le cadre de cette
étude, qui justifie d’un point de vue scientifique l’arrêt prématuré de cet essai et de fait ne limite pas la portée de ses
résultats.
Q6) Les données des analyses en sous-groupes présentées sur la figure 3 peuvent-elles être directement
transposées dans le cadre de la pratique clinique courante
et permettre de sélectionner les patients devant bénéficier
d’une resynchronisation ?
La figure 3 décrit l’effet de la resynchronisation dans
différents sous-groupes basés sur différents critères cliniques prédéfinis. Les auteurs rapportent une interaction
entre : 1) le sexe des patients ou la largeur des QRS (< ou
≥150 msec) et 2) l’efficacité de la resynchronisation. Si
l’importance de l’élargissement des QRS peut s’expliquer
par un asynchronisme plus important chez ces patients,
les mécanismes potentiels expliquant l’effet du sexe des
patients sont moins clairement établis.
Il convient de rappeler que ces analyses secondaires en
sous-groupes ne permettent pas d’atteindre un niveau de
certitude identique à celui de l’analyse du critère principal. En effet, la multiplication des comparaisons ne permet
pas le contrôle du risque d’erreur de première espèce. Par
ailleurs, les sous-groupes ne sont pas forcément équivalents (absence de randomisation entre les sous-groupes).
mt, vol. 17, n◦ 4, octobre-décembre 2011
363
Lecture critique d’articles
Références
1. Dickstein K, et al. 2010 focused update of ESC guidelines on
device therapy in heart failure. Eur Heart J 2010 ; 31 : 2677-87.
2. Pocok SJ, et al. When (not) to stop a clinical trial for benefit. JAMA
2005 ; 297 : 2228-30.
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017.
Dans ce cas, ces informations, mises en perspective avec
le reste de la littérature, ont contribué à l’élargissement
des indications de la resynchronisation aux patients insuffisants cardiaques chroniques au stade II de la NYHA
sous traitement médical optimal et présentant une fraction d’éjection ≤ à 35 % et un QRS supérieur à 150 msec
(niveau de recommandation Ia) [1].
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