PANOPHTALMIE ENDOGENE POSTPARTUM A SPHINGOMONAS PAUCIMOBILIS. A PROPOS D’UN CAS. M KRIET M*, BOUYA Y*, LOUAYA S* RESUME La panophtalmie endogène est une atteinte infectieuse, rare et grave de toutes les structures de l’oeil. Elle est liée à un processus infectieux métastatique secondaire à une dissémination microbienne hématogène à partir d’un foyer infectieux extra-oculaire. Malgré une prise en charge urgente et adaptée, cette complication reste d’un mauvais pronostic visuel et anatomique. Nous rapportons l’observation d’une jeune femme de 39 ans, sans antécédents particuliers, qui avait développé en postpartum une panophtalmie endogène de l’oeil gauche qui s’est révélée être secondaire à une endomyométrite puerpérale à Sphingomonas Paucimobilis. Une antibiothérapie systémique associée à des injections intraoculaires n’a pas permis d’éviter une évolution vers une fonte purulente de la cornée. domyometritis secondary to infection with Sphingomonas paucimobilis. Despite systemic antibiotic therapy and intraocular injections, there was an evolution to purulent corneal melting. MOTS CLES Panophtalmie endogène, Sphingomonas paucimobilis, endomyométrite puerpérale KEY WORDS Endogenous panophthalmitis, Sphingomonas paucimobilis, puerperal endomyometritis ABSTRACT ENDOGENOUS POSTPARTUM PANOPHTHALMITIS INDUCED BY SPHINGOMONAS PAUCIMOBILI. Endogenous panophthalmitis is a rare eye disease with purulent necrosis of all the ocular structures. It is a rare but serious condition that occurs when bacteria cross the blood-ocular barrier and multiply within the eye. Although rare, endogenous panophthamitis is a potentially devastating intraocular infection resulting in a poor visual and anatomic prognosis. We present a 39-year-old woman, without any previous history, who developed a endogenous panophthalmitis in the left eye secondary to a puerperal en- zzzzzz * Hôpital militaire Avicenne, Marrakech (Maroc) Soumis: 8-02-11 Accepté: 30-06-11 Bull. Soc. belge Ophtalmol., 318, 37-40, 2011. 37 INTRODUCTION La panophtalmie endogène postpartum est une infection rare et potentiellement cécitante qui survient lorsque des bactéries de la circulation sanguine franchissent la barrière hémato-oculaire et se multiplient au sein des tissus intraoculaires. Parmi les différents agents responsables de la panophtalmie, les bactéries à gramnégatif sont bien connues pour leur évolution fulminante, mettant en jeu le pronostic fonctionnel et anatomique de l’oeil. Cette complication survient habituellement chez des patients immunodéprimés par diverses pathologies telles qu’un diabète, un cancer ou une cardiopathie mais elle touche parfois le sujet sain. Le Sphingomonas paucimobilis est un bacille Gram-négatif qui se comporte rarement comme un germe pathogène pour l’homme mais qui est reconnu responsable d’infections nosocomiales notamment en présence de matériel étranger ou chez un patient immunodéprimé. Nous rapportons l’observation d’une patiente qui avait développé une panophtalmie endogène à Sphingomonas paucimobilis dans les suites d’une endomyométrite puerpérale. CAS CLINIQUE Une patiente de 39 ans primipare, sans antécédents pathologiques, fut hospitalisée en urgence pour le problème d’un oeil gauche rouge et douloureux associé à une baisse brutale de l’acuité visuelle apparu 36 heures après un accouchement par voie basse. Une notion de douleurs pelviennes apparues dans un contexte fébrile 24 heures après l’accouchement était retrouvée à l’interrogatoire. A l’examen, l’acuité visuelle de l’œil droit était de 10/10, Parinaud 2 sans correction et était réduite à une perception lumineuse mal orientée à l’œil gauche. L’examen des annexes mettait en évidence un oedème palpébral important, une exophtalmie axile inflammatoire modérée et des sécrétions conjonctivales purulentes (Fig.1). L’examen en lampe à fente montrait un chémosis à l’œil gauche, un abcès de cornée de large diamètre, nécrotique, mais non perforant, ainsi qu’un hypopion total. L’œil était hypertone au palper bidigital. L’examen de l’oeil droit était quant à lui normal. 38 Fig. 1: panophtalmie Devant cet aspect clinique, un diagnostic de panophtalmie aiguë de l’œil gauche a été posé. L’échographie en mode B a révélé la présence de nombreux échos intra-vitréens regroupés en mottes hétérogènes et d’un épaississement choroïdien. La biologie a révélé un taux d’hémoglobine diminué (10 g/dl), une hyperleucocytose (13.000 globules blancs/ mm3) et une augmentation du taux de C-Réactive protétine à 36 mg/l. Un diagnostic d’endomyométrite puerpérale a été posé à l’examen gynécologique qui mettait en évidence une subinvolution utérine, des douleurs des bords de l’utérus et des lochies putrides probablement secondaires à un décollement placentaire instrumental. L’examen cytobactériologique d’un prélèvement cervico-vaginal et les hémocultures se sont révélés positifs pour le Sphingomonas paucimobilis non fermentant. La radiographie du thorax était normale. Un traitement antibiotique local par ciprofloxacine, gentamycine, rifamycine en collyres en association avec de l’atropine 1%, fut instauré immédiatement en même temps qu’une injection intravitravitréenne de Ceftazidime (2,5 mg). Une antibiothérapie systémique associant de la Ciprofloxacine per os (500mg 2x/j) et une céphalosporine de troisième génération (Ceftriaxone IV 1g 2X/j) lui fut associée. En dépit de ces mesures, l’évolution clinique fut marquée très rapidement par une fonte purulente de l’œil (Fig.2) pour laquelle la patiente subit une éviscération qui fut associée à la mise en place d’un implant en hydroxyapatite. Les suites de l’intervention furent simples. Fig. 2: fonte purulente spontanée de la cornée DISCUSSION La panophtalmie est une infection du contenu du globe oculaire propagée à toutes les structures de l’oeil et responsable de sa perte anatomique et fonctionnelle (1). Les panophtalmies exogènes peuvent être iatrogènes, survenant dans le décours d’une chirurgie de cataracte, d’un traumatisme, d’une plaie orbitaire surtout en cas d’association à un corps étranger intra-orbitaire ou viennent compliquer une kératite. Les panophtalmies endogènes sont secondaires à la diffusion d’une infection à point de départ dentaire ou sinusien ou à une greffe bactérienne au cours d’une bactériémie, et ce presque toujours dans un contexte d’immunodépression (2). Les panophtalmies aiguës évoluent, comme dans la présente observation, sur un laps de temps très court (48 heures et moins). Elles sont liées à la prolifération de germes très virulents, tels que les Staphylocoques, les Streptocoques et les Bacilles Gram négatifs (3). La patiente décrite dans notre observation a développé dans les suites précoces d’un accouchement par voie basse, une panophtalmie aiguë secondaire à une infection par Sphingomonas paucimobilis. Ce type de panophtalmie endogène était secondaire à une septicémie dont le point de départ était une infection génitale contractée en salle de travail lors d’une révision utérine et ne s’est révélé qu’une fois la patiente rentrée à son domicile. Les hémocultures positives à ce même germe et la survenue retardée des signes fonctionnels oculaires de deux jours après les premiers si- gnes de décharges bactériémiques qui sont habituellement très précoces, viennent en étayer le diagnostic. La panophtalmie postpartum endogène à Pseudomonas paucimobilis est exceptionnelle chez un sujet immunocompétent. Elle est d’un pronostic très sombre car elle est d’évolution fulminante et conduit à la perte anatomique et fonctionnelle de l’œil en l’espace de quelques jours (4). En effet, le Sphingomonas paucimobilis (Sp) est un bacille Gram-négatif non fermentant appartenant à la famille des Sphingomonadaceae qui sont des germes aérobies et pigmentés. L’infection à Sp a été identifiée, chez l’homme pour la première fois en 1979 et a été rapportée principalement chez des patients immunodéprimés ou en présence d’un matériel étranger, en cas de péritonite ou de septicémie (5). Le Sp est capable de produire des enzymes protéasiques, des endotoxines et des exotoxines qui détruisent le stroma cornéen et est responsable d’endo-panophtalmies aiguës graves, survenant dans un délai moyen de 4 jours (6, 7). La panophtalmie s’associe volontiers à un abcès cornéen dont l’évolution est émaillée par la survenue rapide d’une fonte purulente de l’œil, comme ce fut le cas de notre patiente. L’endométrite puerpérale à Pseudomonas représente moins de 0,6% des endométrites à bacille Gram négatif et est 3 à 4 fois plus fréquente après une césarienne qu’après un accouchement par voie basse (8 , 9). A notre connaissance, aucun cas de panophtalmie endogène à Sp n’a encore été décrit dans la littérature. Le diagnostic des endophtalmies endogènes repose sur les hémocultures ou sur un prélèvement réalisé au site de l’infection initiale. Il n’est généralement pas nécessaire de réaliser des prélèvements de liquide intraoculaire pour confirmer l’infection (10). En cas d’accouchement par voie basse, le nombre d’endométrite nosocomiale ne serait en tout cas pas accru par la prise de bains pendant le travail ou par l’existence d’un diabète gestationnel (11). Au contraire, la notion d’une rupture prolongée de la poche des eaux, un contexte de travail prolongé, des examens vaginaux répétés trop fréquemment durant l’accouchement ou des décollements placentaires manuels ou instrumentaux sont reconnus comme étant des facteurs pouvant favoriser la survenue d’une endométrite (12). Dans le postpartum, le libre 39 écoulement des lochies est une bonne prévention contre l’endométrite. La mobilisation des accouchées et tout naturellement l’allaitement le favorisent. Dès qu’il y a stase des lochies, il convient de prescrire des utérotoniques sous forme de Méthergint par exemple qui sera la plupart du temps efficace. En présence de signes évidents d’infection, une antibiothérapie en association avec du Méthergint sera instaurée en urgence C’est généralement l’association amoxicilline/acide clavulanique qui est utilisée (13). Dans les cas graves avec septicémie, on aura recours à une triple association Augmentint/Dalacint/Garamycint (14). (5) (6) (7) (8) CONCLUSION Notre observation vient rappeler la rapidité d’évolution et la sévérité potentielles des complications oculaires secondaires à l’infection puerpérale chez les accouchées. Le Sphingomonas paucimobilis a été reconnu comme étant responsable d’infections nosocomiales redoutables. Outre son caractère exceptionnel, l’originalité de notre cas clinique tient à sa survenue chez une patiente immunocompétente qui avait contracté une infection à Sphingomonas paucimobilis. Cette observation souligne en même temps l’évolution extrêmement rapide d’une infection contractée par ce germe, les difficultés de son traitement ainsi que son pronostic anatomique et fonctionnel très réservé à court terme. (11) REFERENCES (13) (1) (2) (3) (4) 40 Kattan HM, Flynn HW, Pflugfelder SC, Robertson C, Forster RK − Nosocomial endophthalmitis survey. Current incidence of infection after intraocular surgery. Ophthalmology 1991; 98: 227-38. 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